Skip to main content

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/23001/2020

ACJC/813/2025 du 17.06.2025 sur ORTPI/1593/2024 ( OS ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23001/2020 ACJC/813/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 17 JUIN 2025

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, Arabie Saoudite, recourant contre une ordonnance rendue par la 25ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 17 décembre 2024, représenté par Me Rocco RONDI, avocat, BMG Avocats, avenue de Champel 8C, case postale 385, 1211 Genève 12,

et

B______, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Grégoire WUEST, avocat, Schellenberg Wittmer SA, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1.

 


EN FAIT

A.           Par ordonnance ORTPI/1593/2024 du 17 décembre 2024, expédiée pour notification aux parties le même jour, le Tribunal de première instance, après avoir ouvert les débats principaux, a limité la procédure à la question de la responsabilité de [la banque] B______, et annoncé qu'il rendrait une ordonnance de preuves.

Il a notamment considéré que la question de la limitation de la procédure n'avait pas été encore tranchée, que l'examen éventuel de la quotité du dommage dépendait de la condition d'une responsabilité de la banque, qu'il s'imposait donc de déterminer le contrat ayant lié les parties et qu'il n'y avait pas de risque d'une instruction menée cas échéant "à double". Il a ajouté : "l'argument de la partie demanderesse tenant aux réquisitions de titres qu'elle a formées et à l'éventualité de leur "perte" du fait de la durée estimée par ses soins de la procédure est inopérant, celle-ci disposant cas échéant d'outils procéduraux le moment venu pour contrer l'écoulement du temps au besoin".

B.            a. Par acte du 13 janvier 2025, A______ a formé recours contre cette ordonnance. Il a conclu à l'annulation de celle-ci, cela fait au rejet de la requête de B______ tendant à la limitation de la procédure à la question de sa responsabilité, au renvoi de la cause au Tribunal pour instruction et décision, à ce qu'il soit ordonné au Tribunal "de fixer aux parties un délai de trente jours dès l'entrée en force de l'arrêt de la Cour pour transmettre leurs questions à l'expert s'agissant du calcul du dommage", sous suite de frais.

A réception de l'information de ce que A______ avait déposé un recours à la Cour, B______ a formé une requête de sûretés en garantie des dépens, à laquelle A______ ne s'est pas opposé. Par arrêt du 13 mars 2025, la Cour y a fait droit, condamnant le précité à fournir des sûretés en garantie des dépens à hauteur de 11'397 fr. 20 en espèces auprès des Services financiers du Pouvoir judiciaire ou sous forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société d'assurance autorisée à exercer en Suisse, dans un délai de trente jours dès notification de la décision.

Le 14 mars 2025, les sûretés requises ont été versées en espèces aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

b. B______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement au rejet de celui-ci, sous suite de frais judicaires et dépens.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Par avis du 16 mai 2025, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants :

a. Après avoir saisi l'Autorité de conciliation le 10 novembre 2020 et obtenu de celle-ci une autorisation de procéder le 15 décembre 2020, A______ a déposé au Tribunal une demande par laquelle il a conclu principalement à ce que B______ soit condamnée à lui verser 9'171'497.25 USD, 100'105.75 USD, 172'508.58 USD, et 15'774.57 USD, avec suite d'intérêts moratoires à 5% l'an à compter de diverses dates qu'il a spécifiées, ainsi que "tout intérêt (coupons) maturé sur les titres ayant fait l'objet de ventes extournées" sous suite d'intérêts moratoires à 5% l'an, et à ce qu'il soit ordonné à la précitée de procéder à l'extourne de plusieurs transactions, qu'il a détaillées, avec remboursement de 1'007'101 GBP, sous suite d'intérêts moratoires à 5% l'an dès le 5 février 2020 et pour le surplus rétablissement sur son compte n° 1______ des titres y relatifs, sous suite de frais et dépens. A titre préalable, il a requis une expertise judiciaire.

Il a fait valoir qu'il avait été lié à la banque par un contrat de conseils en placement, que cette dernière avait commis des violations contractuelles, qu'il en avait subi un dommage, dont il était fondé à obtenir réparation.

b. Avant de déposer sa réponse, B______ a requis la limitation de la procédure à la question de sa responsabilité, ce à quoi A______ s'est opposé.

c. Par ordonnance du 18 octobre 2021, le Tribunal a rejeté en l'état la requête de limitation de la procédure.

d. B______ a conclu au déboutement de A______ des fins de ses prétentions. A titre préalable, elle a requis la limitation de la procédure à la question de sa responsabilité, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Elle s'est notamment prévalue de ce que les parties étaient liées par un contrat de dépôt bancaire ("execution only").

e. Aux termes de sa réplique, A______ a amplifié ses conclusions chiffrées et pris des conclusions nouvelles. B______ a dupliqué, persistant dans ses conclusions.

f. A l'issue de l'audience du Tribunal du 16 septembre 2022, au cours de laquelle B______ a notamment réitéré sa requête de limitation de la procédure, à laquelle A______ s'est opposé, le Tribunal a ordonné une expertise "au sens du présent procès-verbal".

Le procès-verbal d'audience comporte notamment une note du Tribunal ainsi libellée : "Le Tribunal s'entretient avec les conseils pour évoquer la possibilité de séquencer l'expertise qui doit établir certains éléments factuels ayant d'abord trait à la question de la responsabilité puis d'autres ayant trait à la détermination du dommage", ainsi qu'une déclaration conjointe des conseils des parties en ces termes : "Dans la mesure où la question de l'évolution de la valeur de couverture du portefeuille (passant pendant la période considérée d'un simple dépassement à une situation d'appel de marge puis de close out) est contestée, un expert devrait déterminer cette valeur, à tout le moins pendant les mois de janvier à mars [2020]".

g. Par ordonnance du 6 juillet 2023, le Tribunal a commis en qualité d'expert C______, c/o D______ à Genève, l'invitant à répondre aux questions soumises par les parties. Celles-ci portaient en substance sur les dates précises auxquelles l'exposition du compte de A______ avait atteint certains niveaux, ainsi que sur la possibilité pour ce dernier d'évaluer ces niveaux sans le concours de la banque.

h. L'expert a rendu une première version de l'expertise. Les parties ont requis des corrections; A______ a sollicité que "la seconde phase de l'expertise, relative à la détermination du montant du dommage" soit ordonnée, outre d'autres actes d'instruction. B______ s'est opposée à la deuxième phase de l'expertise

Le 23 février 2024, le Tribunal a reçu la deuxième version du rapport de l'expert. Sur quoi, les parties se sont déterminées.

i. A l'audience du Tribunal du 3 décembre 2024, l'expert a été entendu. B______ a persisté à requérir la limitation de la procédure à la question de sa responsabilité, faisant notamment valoir que la mise en œuvre d'une suite d'expertise engendrerait des coûts, alors qu'il n'existait selon elle aucun élément accréditant sa responsabilité. A______ a relevé qu'à son sens les parties s'étaient entendues en 2022 sur une convention procédurale consistant à considérer l'expertise comme un élément parmi d'autres pour établir la responsabilité de la banque, et a persisté à s'opposer à une limitation de la procédure.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger sur limitation de la procédure et l'ordonnance entreprise rendue.

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC) et contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (ch. 2).

Par définition, les décisions visées à l'art. 319 let. b CPC ne sont ni finales, ni partielles, ni incidentes, ni provisionnelles. Il s'agit de décisions d'ordre procédural par lesquelles le tribunal détermine le déroulement formel et l'organisation matérielle de l'instance (JEANDIN, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 11 ad art. 319 CPC; FREIBURGHAUS/AFHELDT, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2016, n. 11 ad art. 319 CPC).

1.2 Introduit dans le délai et la forme prescrits par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 2 CPC), le recours est recevable de ces points de vue.

2. Les autres hypothèses visées par l'art. 319 let. b ch. 1 CPC n'étant pas réalisées, il reste à déterminer si l'ordonnance attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

2.1 Constitue un « préjudice difficilement réparable » au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (parmi d'autres : ACJC/1686/2023 du 19 décembre 2023 consid. 2.1; JEANDIN, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC).

En d'autres termes, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement, puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond : il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (JEANDIN, op. cit., n. 22 et 22a ad art. 319 CPC).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (SPÜHLER, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 7 ad art. 319 CPC). De même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable (COLOMBINI, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JT 2013 III 131 ss, 155). Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (parmi plusieurs : ACJC/220/2023 du 13 février 2023 consid. 2.1; ACJC/1686/2023 du 19 décembre 2023 consid. 2.1).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (BRUNNER, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 13 ad art. 319 CPC).

2.2 En l’espèce, le recourant fait valoir que la limitation de la procédure aurait pour conséquence que la durée de la procédure dans son ensemble serait plus longue, vu la possibilité de mettre en cause la décision rendue sur le principe de la responsabilité. Or, l'écoulement du temps entraînerait l'arrivée à maturité de plus en plus de ses titres ou un risque que certains émetteurs d'obligations fassent défaut, sans qu'il puisse gérer son portefeuille et prendre des décisions conservatoires pour liquider ses positions au moment opportun. Seules resteraient ainsi les questions relatives à l'indemnisation financière qui ne compenseraient que partiellement la perte de ses droits matériels de disposer des titres "injustement liquidés" par l'intimée. Les meilleurs titres ayant été déjà liquidés par cette dernière, les titres restants devraient être gérés de manière encore plus attentive, ce qui serait de plus en compliqué au fur et à mesure de l'écoulement du temps, engendrant des risques "pratiquement impossibles à mesurer".

Pareils arguments ne convainquent pas, étant rappelé que la Cour doit se montrer restrictive dans son examen des conditions de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC. En effet, il n'apparaît pas que la situation procédurale du recourant serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre. En lui-même, l'éventuel allongement de la durée de la procédure n'est pas source d'un préjudice difficilement réparable. Par ailleurs, les risques évoqués par le recourant en lien avec ses titres, à supposer qu'ils soient réels et concrets ce qui n'est pas établi, ne sont pas davantage susceptibles de causer un tel préjudice, puisque, comme le recourant en convient lui-même, une indemnisation demeurerait possible.

Au vu de ce qui précède, il n'existe pas de préjudice difficilement réparable au détriment du recourant.

Le recours sera, par conséquent, déclaré irrecevable.

3. Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais judiciaires du recours (art. 106 al. 1 CPC). Ceux-ci seront arrêtés à 1'000 fr., compensés avec l'avance de frais du même montant fournie par le recourant, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Le recourant versera à l’intimée des dépens de recours. Ceux-ci seront fixés à 5'000 fr., débours et TVA inclus, compte tenu de la valeur litigieuse élevée, mais également du champ restreint de la question soulevée par le recours, et des deux écritures relativement brèves déposées par l'intimée sur fourniture de sûretés et réponse au recours (art. 105 al. 2 et 106 al. 1 CPC; art. 85, 87 et 90 RTFMC; art. 23 al. 1, 25 et 26 LaCC). Le montant précité sera prélevé sur les sûretés en garantie des dépens, versées par le recourant, dont le solde sera restitué à celui-ci.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours formé le 13 janvier 2025 par A______ contre l'ordonnance ORTPI/1593/2024 rendue le 17 décembre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/23001/2020.

Sur les frais :

Arrête les frais du recours à 1'000 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de A______.

Condamne A______ à verser à B______ 5'000 fr. à titre de dépens de recours.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés en garantie des dépens versées par A______.

Ordonne aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer à A______ le solde du montant des sûretés en garantie des dépens.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur
Jean REYMOND, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.