Décisions | Chambre civile
ACJC/642/2025 du 15.05.2025 sur JTPI/14683/2024 ( SDF )
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/18496/2021 ACJC/642/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU JEUDI 15 MAI 2025 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par la 12ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 21 novembre 2024 , représenté par Me Vincent MAITRE, avocat, De Boccard Associés SA, rue du Mont-Blanc 3, 1201 Genève,
et
Madame B______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Mes Eric BEAUMONT et Cécile BOCCO, avocats, Eardley Avocats, rue De-Candolle 16, 1205 Genève.
A. a. Par jugement JTPI/14683/2024 du 21 novembre 2024, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures protectrices de l'union conjugale, a notamment donné acte à B______ et à A______ de ce qu'ils vivaient séparés, a réglé l'attribution de la jouissance du domicile conjugal, de la garde des enfants, ainsi que la question de l'entretien de l'épouse et des enfants.
Ce jugement a été notifié à A______, en l'étude de son conseil, le 26 novembre 2024.
b. Le 10 décembre 2024, la Cour de justice (ci-après : la Cour) a reçu un mémoire d'appel de A______, dirigé contre le jugement du 21 novembre 2024.
Ledit mémoire porte la date du 6 décembre 2024. Sur l'enveloppe qui le contenait a été collé un timbre portant la mention "affranchissement manquant", ainsi qu'un tampon humide du centre logistique de La Poste portant la date du 9 décembre 2024.
c. B______ a également formé appel contre le même jugement.
d. Le 16 décembre 2024, A______, soit pour lui son conseil, a formé une requête en restitution du délai pour former appel.
Il a exposé avoir posté le pli contenant le mémoire d'appel "le dernier jour du délai à 24h03 précisément", soit avec trois minutes de retard.
La cause avait été gardée à juger par le Tribunal à l'issue d'une audience qui s'était tenue le 3 octobre 2024. Par courrier du 20 novembre 2024, n'ayant pas reçu le jugement, le conseil de A______ avait indiqué au Tribunal qu'il serait retenu par ses obligations parlementaires onze jours plus tard et ce quasiment jusqu'à la veille de Noël et que, faute de collaborateur ou de stagiaire, il aurait de la difficulté à défendre les droits de son client si le jugement devait lui être notifié durant ladite période. Il priait dès lors le Tribunal de notifier son jugement au début de l'année 2025. Le 22 novembre 2024, le Tribunal lui avait toutefois répondu que le jugement avait déjà été signé et qu'il était sur le point d'être notifié. Ledit jugement avait ainsi été notifié en l'étude du conseil de A______ le 26 novembre 2024, alors que son agenda professionnel et politique était très chargé puisqu'il avait notamment dû se rendre à Berne afin de préparer la session d'hiver des Chambres fédérales. Il n'avait pu commencer à examiner le jugement que le 1er décembre 2024. Retenu à Berne du 2 au 5 décembre 2024, il n'avait pu concrètement s'atteler à la rédaction de l'appel que le 5 décembre au soir et le 6 décembre, soit le dernier jour du délai d'appel. Au terme d'une "journée marathon", il avait mis un point final à son appel et s'apprêtait à imprimer le nombre de copies nécessaires et les chargés de pièces; il était aux alentours de 23h45. Lors de l'impression des bordereaux de pièces, la photocopieuse avait toutefois connu un problème technique, à savoir un bourrage de papier, qui avait retardé l'impression en cours. Peu avant 23h55, il avait vérifié sur Google Maps le lieu où se trouvait la boîte postale la plus proche, soit, selon le résultat de sa recherche, au 18, rue du Mont-Blanc, correspondant, depuis son étude, à un temps de parcours de 2 minutes. Toutefois, aucune boîte postale ne se trouvait à l'adresse indiquée, de sorte qu'il avait dû se diriger vers une boîte située au 20, rue des Corps-Saints, distante de 6 minutes à pied. En courant, il était ainsi parvenu à poster son pli à 24h03. Sans le problème technique rencontré et la mauvaise indication fournie par Google Maps, il serait parvenu sans autre à poster son pli avant minuit.
A l'appui de ses explications, le requérant a notamment produit les documents suivants :
- une clé USB contenant une vidéo de 18 secondes sur laquelle on distingue une main enfilant une enveloppe destinée à la Cour de justice (l'étiquette étant visible distinctement), dans une boîte postale; sur la vidéo apparaissent les données suivantes: "VIDEO-2024-12-15-22-50-11";
- une photographie de la même enveloppe et boîte aux lettres sous laquelle figurent les mentions suivantes: samedi, 7 décembre 2024 à 00:03, caméra grand angle, ainsi qu'un plan de la ville sur lequel l'emplacement de la boîte postale utilisée est mis en évidence;
- un courrier de l'entreprise C______ du 13 décembre 2024, faisant état d'une intervention le 10 décembre 2024 en l'étude du conseil de A______, sur un appareil multifonction D______, "afin d'identifier la cause du blocage qui vous a empêché récemment d'imprimer un dossier important"; le technicien avait constaté une erreur "feeder" (chargeur de documents) en date du 6 décembre 2024 à 23h49 ayant entraîné la panne.
Le requérant a conclu à ce que la Cour admette sa requête en restitution de délai, annule l'acte déposé tardivement et lui fixe un délai raisonnable pour déposer un appel à l'encontre du jugement du 21 novembre 2024.
e. B______ a conclu au rejet de la requête en restitution du délai, avec suite de frais.
f. Le requérant a répliqué, persistant dans ses conclusions.
g. Par avis du greffe de la Cour du 6 mai 2025, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger sur la requête en restitution de délai.
1. 1.1.1 Aux termes de l'art. 148 CPC, le tribunal peut accorder un délai supplémentaire ou citer les parties à une nouvelle audience lorsque la partie défaillante en fait la requête et rend vraisemblable que le défaut ne lui est pas imputable ou n'est imputable qu'à une faute légère (al. 1), la requête devant être présentée dans les dix jours qui suivent celui où la cause du défaut a disparu (al. 2).
Pour une grande partie de la doctrine, l'art. 148 CPC est applicable aux délais légaux d'appel et de recours (Gasser/Rickli, Schweizerische Zivilprozessordnung, Kurzkommentar, 2014, n. 1 ad art. 311 et n. 1 ad
art. 321; Gozzi, Basler Kommentar ZPO, 4ème éd., 2025, n. 6 ad art. 148; Tanner, Schweizerische Zivilprozessordnung, Kommentar, Brunner/Schwander/Vischer, 3ème éd., 2025, n. 6 ad art. 148; Fuchs, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, Sutter-Somm/ Lötscher/seiler, 4ème éd., 2025, n. 5 ad art. 148; contra Hofmann/Luscher, Le Code de procédure civile, 3ème éd., 2023, p. 169).
La faute légère vise tout comportement ou manquement qui, sans être acceptable ou excusable, n'est pas particulièrement répréhensible, tandis que la faute grave suppose la violation de règles de prudence élémentaires qui s'imposent impérieusement à toute personne raisonnable (arrêts du Tribunal fédéral 5A_927/2015 du 22 décembre 2015 consid. 5.1; 4A_163/2015 du 12 octobre 2015 consid. 4.1). C'est une notion juridique pour laquelle le juge devra se fonder sur les faits invoqués dans la requête et rendus suffisamment vraisemblables, en disposant d'un large pouvoir d'appréciation. Tel pourrait être le cas si le non-respect du délai ou la non-comparution résulte d'une erreur de lieu ou d'agenda, si un acte a effectivement été préparé dans le délai, mais n'a, par mégarde, pas été posté le jour même, voire si un autre acte a été envoyé par inadvertance, ou si le défaillant n'a pas effectivement connu le délai ou l'audience en question, fût-ce en raison d'un manquement de sa part (Tappy, CR CPC, 2ème éd. 2019, n. 15 ad art. 148 CPC).
Recourant, avec la notion de faute légère, à une notion juridique indéterminée, l'art. 148 CPC laisse une grande marge d'appréciation au tribunal. Sans tomber dans l'arbitraire, il pourra tenir compte de nombreux facteurs pour décider si une restitution se justifie, en particulier de l'enjeu pour le requérant (une restitution pouvant apparaître moins justifiée et être plus facilement refusée si le défaut n'a entraîné que des conséquences peu graves, par ex. si elle tend seulement à faire réentendre en présence du requérant un témoin d'importance secondaire), de la complication qu'un retour en arrière entraînerait, mais aussi subjectivement de la situation personnelle de l'intéressé: la même faute pourra ainsi être qualifiée différemment selon qu'elle émane d'une partie inexpérimentée ou comprenant mal la langue officielle du procès plutôt que d'un plaideur chevronné, voire d'un avocat (Tappy, op. cit. n. 19 ad art. 148 CPC).
1.1.2 Une partie doit se laisser imputer la faute de son représentant. Il importe donc peu que le retard soit imputable au plaideur ou à son avocat. Pour apprécier le comportement du mandataire, il faut se fonder sur les motifs exposés dans la demande de restitution de délai. Il suffit que les conditions (matérielles) d'application de l'art. 148 CPC soient rendues vraisemblables par le requérant, qui supporte le fardeau de la preuve (arrêt du Tribunal fédéral 4A_52/2019 du 20 mars 2019 et les références citées).
1.2 En l'espèce, le requérant se prévaut de l'activité parlementaire de son conseil, d'un incident de photocopieur et d'une mauvaise indication fournie par l'application Google Maps pour justifier le dépôt tardif de son mémoire d'appel.
Il sera préalablement rappelé qu'il appartient à tout avocat de s'organiser afin d'être en mesure d'exécuter les mandats qui lui sont confiés avec toute la diligence requise. Le requérant ne saurait par conséquent se prévaloir de l'activité parlementaire de son conseil pour justifier le dépôt tardif d'un mémoire d'appel. Si ladite activité empêche l'avocat d'accorder le temps nécessaire à ses dossiers, il est de son devoir d'engager un collaborateur afin qu'il le seconde, ou de confier certains dossiers à un confrère lorsqu'il anticipe le fait, comme il aurait dû le faire dans la présente affaire, qu'il n'aura pas suffisamment de temps à leur consacrer.
La prise de telles mesures aurait en l'espèce évité au conseil du requérant de se retrouver à devoir finaliser un acte d'appel le dernier jour utile du délai, après la fermeture de tous les guichets postaux, en étant à la merci du moindre incident technique, étant relevé que le fonctionnement défectueux d'une imprimante ou d'un photocopieur est un incident fréquent, avec lequel il faut compter. Le fait que le conseil du requérant ait dû, peu avant minuit, rechercher sur Google Maps où se trouvait la boîte postale la plus proche démontre également un manque d'anticipation et d'organisation, à la limite de la faute grave pour un avocat.
Cela étant, il a été rendu suffisamment vraisemblable, par la production de la photographie de l'horodatage de la vidéo, que le mémoire destiné à la Cour a été posté trois minutes seulement après l'échéance du délai d'appel. Il en découle que le mémoire d'appel était finalisé avant l'échéance dudit délai et que le requérant n'a pas bénéficié de temps supplémentaire, postérieurement à ladite échéance, pour le rédiger. En l'espèce, l'enjeu pour le requérant est non négligeable, puisqu'il a formé appel contre un jugement rendu sur mesures protectrices de l'union conjugale et qu'il n'a pas la possibilité, la procédure étant soumise à l'ancien Code de procédure civile, de former un appel joint à la suite de l'appel déposé par sa partie adverse. Une irrecevabilité de son appel serait par conséquent susceptible d'entraîner des conséquences dommageables.
Compte tenu de ces circonstances particulières, la requête de restitution de délai sera exceptionnellement admise.
L'acte d'appel ayant déjà été déposé, il n'est pas nécessaire d'impartir au requérant un nouveau délai pour ce faire. L'instruction de l'appel suivra par conséquent son cours.
2. Il sera statué sur les frais liés à la présente décision dans l'arrêt au fond.
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La Chambre civile :
Admet la requête de restitution de délai formée le 16 décembre 2024 par A______ dans la cause C/18496/2021.
Constate en conséquence que l'appel adressé à la Cour le 7 décembre 2024 par A______ contre le jugement JTPI/14683/2024 rendu le 21 novembre 2024 par le Tribunal de première instance a été formé en temps utile.
Dit qu'il sera statué sur les frais liés à la présente décision dans l'arrêt au fond.
Siégeant :
Madame Paola CAMPOMAGNANI, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN et Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.