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Décisions | Chambre civile

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C/16983/2024

ACJC/99/2025 du 21.01.2025 ( IUO ) , ADMIS

Normes : CPC.261; LCD.9
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16983/2024 ACJC/99/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 21 JANVIER 2025

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], demandeur et requérant sur mesures provisionnelles, représenté par Me Yvan JEANNERET, avocat, Keppeler Avocats, rue Ferdinand-Hodler 15, case postale 6090, 1211 Genève 6,

et

B______ GMBH, sise c/o C______ GMBH, ______ [ZH], défenderesse et citée sur mesures provisionnelles.

 

 

 

 

 


EN FAIT

A. a. A______, designer de profession, est associé gérant de la société D______ SARL, sise à Genève, qui exploite une agence spécialisée dans les domaines de l'architecture et du design.

B______ GMBH (ci-après : B______), inscrite le ______ 2023 au Registre du commerce de Zurich, est active dans le domaine des énergies renouvelables.

b.a En mars 2013, A______ a conçu, dans le cadre d'un mandat qui avait été confié à sa société par la société E______, anciennement F______ SARL, sise à G______, en France, le design d'un système ______ produisant de l'électricité appelé "H______".

Ce dispositif consiste en une centrale ______ de taille réduite imitant un ______ muni de branches porteuses de systèmes rotatifs dits "I______", générant de l'électricité par transformation de l'énergie cinétique du vent.

Il se présente sous la forme d'un ______ en acier dont les branches sont en principe de couleur blanche. Trois branches principales partent du tronc. De chacune de ces branches émane des branches fines et droites au bout desquelles sont accrochées les I______, qui ressemblent à des feuilles de couleur verte.

Le résultat du travail de A______ a été produit en pièce 4 dem., sous l'intitulé "Projet F______" by A______ Design, daté du ______ mars 2013. Il s'agit d'un dossier comprenant des plans, dessins et explications relatifs au H______, et décrivant les différentes étapes de sa conception.

b.b Le contrat entre E______ et A______ prévoyait que celui-ci conserverait ses droits moraux et toucherait des redevances, en contre-partie de la cession de ses droits patrimoniaux. Son nom devait figurer sur chaque publication et il devait autoriser tout usage publicitaire de l'œuvre.

c.a En 2019, A______ a constaté que E______ commercialisait sans son autorisation, notamment sur son site internet https://E______.com, une ______ reproduisant le H______.

c.b Par jugement du 30 août 2022, le Tribunal de J______, en France, saisi par A______, a constaté que celui-ci était l'auteur de l'œuvre intitulée H______, laquelle était protégée par les dispositions du Code de propriété intellectuelle français.

Le Tribunal de J______ a dès lors notamment constaté qu'en reproduisant et en représentant, en vue de sa communication au public dans le cadre d'une offre de vente, l'œuvre intitulée H______ de A______ sans son autorisation et sans mention de son nom, E______ avait commis à son préjudice des actes de contrefaçon de ses droit patrimoniaux d'auteur et des atteintes à son droit moral (paternité). Il a condamné E______ à verser des dommages intérêts à A______, lui a interdit de reproduire l'œuvre, de la fabriquer et de la commercialiser et a ordonné le rappel des circuits commerciaux du H______.

Il ressort par ailleurs de cette décision que E______ a obtenu un brevet en lien avec le H______.

A______ allègue que cette décision n'a pas fait l'objet d'un appel et est dès lors entrée en force.

d. En août 2023, A______ a découvert que B______ commercialisait le H______, sans son autorisation et sans mentionner son nom, sous la dénomination "K______" sur son site internet https://www.B______.com/E______-K______/ pour le prix de 50'990 euros, correspondant à 49'263 fr.

A______ allègue que le produit commercialisé par B______ correspond en tous points à son H______. L'œuvre est présentée sous l'intitulé "E______ – K______".

Le site, dans sa version au jour du dépôt de la demande faisant l'objet de la présente procédure, mentionne que les H______ commercialisés par B______ sont fournis par la société E______, sise à G______ en France.

Quatre photographies des H______ installés en Suisse figurent sur le site, sans mention de l'entité auprès de laquelle ceux-ci ont été acquis. L'un se trouve dans une commune appelée "L______", l'un à M______ [TI], l'un à Genève et le dernier à N______ [VD].

Lors de l'audience de la Cour de justice du 19 novembre 2024, A______ a indiqué que le H______ situé à Genève avait été vendu en 2013 à la banque O______ par F______, avant son rachat par E______. Il ignorait par qui et quand les autres H______ figurant sur le site internet de B______ avaient été vendus.

e. Par courrier du 30 octobre 2023, A______ a fait savoir à B______ qu'il était l'auteur du H______ et que la commercialisation de celui-ci sans son autorisation violait ses droits. Il précisait que E______ avait été condamnée par le Tribunal de J______ à cesser toute commercialisation ou reproduction dudit H______.

Il mettait B______ en demeure de cesser immédiatement toute activité de promotion, reproduction ou commercialisation de son produit "K______" et de lui communiquer le chiffre d'affaires réalisé grâce à la vente de ce produit.

f. B______ n'a répondu ni à ce courrier, ni à une seconde mise en demeure qui lui a été adressée le 14 novembre 2023.

B. a. Le 19 juillet 2024, A______ a déposé à la Cour de justice une action en exécution et dommages-intérêts fondée sur les articles 62 LDA et 9 LCD, ainsi qu'une requête de mesures provisionnelles.

Sur mesures provisionnelles, il a conclu à ce que la Cour interdise à B______ de commercialiser son H______, de s'en prévaloir, de publier ou d'utiliser des photographies ou toute autre représentation dudit H______ et dise que la décision sur mesures provisionnelles déploiera ses effets jusqu'à droit jugé sur l'action au fond.

Sur le fond, il a conclu à titre principal à ce que la Cour dise qu'en commercialisant son H______ sans son autorisation et sans mention de son nom, B______ a violé ses droits d'auteur, lui interdise de commercialiser ledit H______, de s'en prévaloir, de publier ou d'utiliser des photographies ou toute autre représentation de celui-ci et la condamne à lui verser 202'052 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 14 août 2023 sous réserve d'amplification, avec suite de frais et dépens.

Il allègue notamment que le H______ constitue une œuvre au sens de la Loi sur le droit d'auteur. La couleur du tronc, des branches et des feuilles, leurs tailles, formes et agencement avaient été soigneusement choisis et conçus pour présenter un ensemble harmonieux, tout en préservant les spécificités techniques nécessaires au bon fonctionnement de l'objet. Sa qualité d'auteur d'une œuvre protégée avait d'ailleurs été reconnue par décision du Tribunal de J______. Sa partie adverse violait ses droits en représentant et commercialisant sans son autorisation ni mention de son nom le H______. Conformément aux dispositions de la Loi sur le droit d'auteur, il était dès lors en droit d'obtenir l'interdiction de la commercialisation ou de la représentation dudit H______ par sa partie adverse, ainsi qu'une indemnité pour tort moral. A______ allègue également qu'en omettant de mentionner son nom en relation avec le H______ présenté sur son site internet, B______ commet un acte de concurrence déloyale au sens de la Loi contre la concurrence déloyale car elle donne des indications inexactes et fallacieuse sur la marchandise qu'elle commercialise et exploite indûment le résultat de son travail.

A______ a notamment produit de nombreux articles de presse le désignant comme l'auteur du design du H______ et relevant l'originalité et les qualités esthétiques de cet appareil (pièces 5 à 9 dem.).

b. B______ n'a pas répondu à la demande dans le délai qui lui a été imparti pour ce faire par la Cour.

c. Par arrêt ACJC/1088/2024 du 10 septembre 2024, la Cour, statuant sur mesures provisionnelles, a fait interdiction à B______ de commercialiser le H______ de A______, de se prévaloir de celui-ci, de publier ou d'utiliser des photographies ou toute autre représentation de celui-ci, dit que cette décision déploierait ses effets jusqu'à droit jugé sur l'action au fond et renvoyé au fond le sort des frais des mesures provisionnelles.

d.a Le 24 octobre 2024, B______ a répondu à la demande. Elle a expliqué qu'elle était une petite société spécialisée dans l'énergie solaire, qui voulait étendre son champ d'activité et recherchait de nouvelles technologies. Elle avait connu la société E______ par internet et avait pris contact avec son directeur P______. Le site internet de la précitée spécifiait que les I______ faisaient l'objet d'un brevet dont elle était titulaire. B______ avait signé avec E______ un contrat de franchise le 1er décembre 2022, par lequel il était convenu qu'elle serait autorisée à titre exclusif à produire et vendre le H______ en Suisse et en Hongrie en échange d'un montant de 25'000 euros.

Le contrat prévoyait que la structure du H______ serait confectionnée en Hongrie et que les I______ serait fournis par E______.

Elle s'était acquittée du montant convenu et avait reçu en échange les plans du produit et un exemplaire du I______. Les plans étaient cependant lacunaires et le produit n'avait pas la performance prévue.

B______ n'avait vendu aucun exemplaire du H______, car elle craignait de recevoir des réclamations concernant leurs qualités et leurs performances. Un litige avait finalement surgi entre elle et E______, de sorte qu'il avait été mis fin à l'accord. E______ lui devait de l'argent, mais ne répondait pas à ses demandes. Elle souhaitait collaborer avec A______ pour agir contre cette dernière, qui lui avait causé un dommage.

d.b B______ a retiré toute mention du H______ de son site internet.

e. Elle ne s'est pas présentée à l'audience de la Cour du 19 novembre 2024.

A______ n'a pas requis de mesures d'instruction. Il a confirmé ses conclusions après l'ouverture des débats principaux.

A l'issue de l'audience, un délai lui a été imparti pour indiquer à la Cour quelle suite il entendait donner à la procédure.

f. Par courrier du 19 décembre 2024, A______ a fait savoir à la Cour qu'il renonçait aux débats principaux. Il réduisait ses conclusions en paiement en ce sens que seul un montant de 5'000 fr. au titre de réparation du tort moral était réclamé. Compte tenu de la valeur litigieuse fortement réduite, il sollicitait la restitution d'une part substantielle de l'avance de frais qu'il avait versée.

g. Les parties ont été informées le 17 janvier 2025 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1.1 Aux termes de l'art. 5 al. 1 CPC, la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 1 let. a LOJ) connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle (let. a) ou relevant de la LCD lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (let. d).

A teneur de l'art. 36 CPC, le tribunal du domicile ou du siège du lésé ou le tribunal du lieu de l'acte ou du résultat de celui-ci est compétent pour statuer sur les actions fondées sur un acte illicite.

Les actions défensives fondées sur la LCD et la LDA, notamment, sont régies par la règle de l'art. 36 CPC (Steinauer/Fountoulakis, Droit des personnes physiques et de la protection de l'adulte, 2014, n. 570b).

1.1.2 En l'espèce, la Cour est compétente pour connaître de la demande puisque le demandeur, domicilié à Genève, se fonde sur les dispositions de la LDA et de la LCD.

1.1.3 Conformément à l'art. 404 al. 1 CPC, la présente procédure est régie par le CPC dans sa version antérieure au 1er janvier 2025, sous réserve des exceptions prévues par l'art. 407f CPC.

2. 2.1.1 Selon l'art. 2 al. 1 LDA, par œuvre, quelles qu’en soient la valeur ou la destination, on entend toute création de l’esprit, littéraire ou artistique, qui a un caractère individuel. Sont notamment des créations de l’esprit les œuvres des arts appliqués (art. 2 al 2 let. f LDA).

Une création est individuelle ou originale et, partant, protégée à partir du moment où elle se détache des conditions préalables réelles ou naturelles imposées par l'usage envisagé de l'œuvre. Le degré de nouveauté peut être faible; il résulte d'un jugement objectif, en fonction de l'état des autres créations dans le domaine artistique en cause (Barrelet/ Eggloff, Le nouveau droit d'auteur, 2021, n. 9 ad art. 2 LDA).

Dans la pratique, le principal critère permettant de dire si le résultat de l'activité créatrice est digne de protection est son caractère individuel. L'œuvre de l'esprit est digne de protection seulement si elle a un cachet propre. Les œuvres qui ont un usage pratique et pour lesquelles la liberté créatrice est limitée par des contraintes techniques seront protégées pour autant qu'un caractère individuel déterminé soit malgré tout reconnaissable et qu'il ne s'agisse ainsi pas d'un simple travail artisanal (Barrelet/ Eggloff, op. cit., n. 13 ad art. 2 LDA).

L'auteur est la personne physique qui a créé l’œuvre (art. 6 LDA).

Jusqu’à preuve du contraire, la personne désignée comme auteur lors de la divulgation de celle-ci, est présumée être l’auteur (art. 8 al. 1 LDA).

L'œuvre, qu'elle soit fixée sur un support matériel ou non, est protégée par le droit d'auteur dès sa création (art. 29 al. 1 LDA).

2.1.2 L’auteur a le droit exclusif sur son œuvre et le droit de faire reconnaître sa qualité d’auteur (art. 9 al. 1 LDA).

Il a en outre le droit exclusif de décider si, quand et de quelle manière son œuvre sera utilisée. Ce droit recouvre toutes les modalités d'exploitation de l'œuvre (art. 10 al. 1 LDA; Dessemontet, Le droit d'auteur, 1999, n. 219).

L’auteur a également le droit exclusif de décider si, quand et de quelle manière l’œuvre peut être modifiée ou utilisée pour la création d’une œuvre dérivée (art. 11 al. 1 LDA).

2.1.3 Selon l'art. 61 LDA, a qualité pour intenter une action en constatation d’un droit ou d’un rapport juridique prévu par la LDA toute personne qui démontre qu’elle a un intérêt légitime à une telle constatation.

L'intérêt peut être juridique ou simplement de fait, mais il doit être d'importance; cette condition est remplie lorsqu'une incertitude plane sur les relations juridiques des parties et qu'une constatation judiciaire est susceptible de l'éliminer. Une incertitude quelconque ne suffit toutefois pas; il faut qu'en se prolongeant, elle entrave le demandeur dans sa liberté d'action et lui soit objectivement insupportable. L'intérêt à un jugement de constatation fait en règle générale défaut lorsqu'il est possible au demandeur d'intenter une action en exécution (arrêt du Tribunal fédéral 4A_638/2009 du 1er avril 2010 consid. 3.2).

A teneur de l'art. 62 al. 1 LDA, la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit d’auteur ou d’un droit voisin peut demander au tribunal de l’interdire, si elle est imminente (let. a) ou de la faire cesser, si elle dure encore (let. b).

L'action en interdiction suppose un intérêt suffisant, lequel existe en présence de la menace directe d'un acte illicite, à savoir lorsque le comportement du défendeur suscite la crainte sérieuse que les droits du demandeur seront violés à l'avenir. A l'inverse, une simple menace hypothétique ne fonde pas un intérêt à agir en interdiction. L'intérêt juridiquement protégé doit subsister jusqu'au moment du jugement (Schlosser, Commentaire romand, Propriété intellectuelle, 2013, n. 10 ad art. 62 LDA).

Une mise en danger qui a existé dans le passé, mais dont la concrétisation n'est plus réaliste ne suffit pas. Toutefois, si des atteintes ont été commises dans le passé et que le défendeur refuse de reconnaître les droits du demandeur, un risque de récidive est présumé. Le contrevenant peut renverser cette présomption en apportant la preuve que les circonstances du cas concret excluent une récidive ou du moins la rendent improbable (Barrelet/ Eggloff, op. cit., n. 6 ad art. 62 LDA).

Ces principes sont également applicables pour déterminer l'intérêt à agir en interdiction ou en cessation d'une violation des dispositions de la LCD au sens de l'art. 9 al. 1 let. a et b de la LCD (Fornage, Commentaire romand, Loi sur la concurrence déloyale, 2017, n. 14 ss ad art. 9 LCD).

2.2 En l'espèce, la défenderesse n'a pas contesté que le H______ pouvait être considéré comme une œuvre des arts appliqués au sens de l'art. 2 al. 2 let. f. LDA.

Les pièces produites attestent de ce que la conception de cette installation a nécessité une activité de l'esprit de la part de son auteur. Le résultat de cette activité est une création présentant une apparence originale par rapport aux autres types d'appareils destinés à produire de l'énergie ______. Aucun élément ne permet de retenir que le design de l'installation en question n'était pas nouveau au moment de sa divulgation. Les articles de presse produits attestent au contraire du caractère novateur de la forme choisie pour cet objet.

Le H______ présente en outre des qualités esthétiques justifiant sa protection par le droit d'auteur; il ressort notamment du dossier de présentation figurant en pièce 4 dem. que la conception du design du H______ a nécessité une activité créatrice guidée par le souci de choisir l'agencement et les caractéristiques de chaque élément constitutif de manière à parvenir à un résultat harmonieux, tout en respectant les nécessités techniques dues à la fonction de l'objet. Les qualités esthétiques du H______, marquant une rupture avec l'aspect des ______ connues jusqu'ici, ont d'ailleurs été relevées par la presse au moment de la présentation de celui-ci (pièces 5 à 9 dem.).

Il ressort en outre de la procédure, notamment du dossier de présentation de l'objet daté du 27 mars 2013 et des articles de presse, que le demandeur est l'auteur du design de l'installation litigieuse.

Le H______ étant ainsi une œuvre protégée par la LDA, le demandeur a le droit exclusif de décider si, quand et de quelle manière il sera utilisé et quelles sont ses modalités d'exploitation.

La défenderesse a par le passé utilisé sur son site internet plusieurs représentations de l'œuvre protégée et l'a offerte à la vente, avec le concours de la société E______. Ces activités n'ont pas été effectuées avec l'autorisation du demandeur. Le demandeur était en outre fondé à se plaindre du fait que le site de la défenderesse ne mentionnait pas son nom en tant qu'auteur de l'objet, cet élément constituant une atteinte à ses droits de la personnalité. Ce faisant la défenderesse a violé les droits d'auteur du demandeur.

Cette violation a cependant cessé suite au prononcé des mesures provisionnelles prononcées par arrêt du 10 septembre 2024.

Suite à ces mesures, la défenderesse a expliqué qu'elle s'était estimée à l'époque en droit d'offrir à la vente le H______ en question, sur la base du contrat de franchise conclu avec E______. Elle s'était dans l'intervalle rendue compte que cela n'était pas possible et avait renoncé à mettre en vente des H______. Elle entendait agir contre cette dernière société qui lui avait causé un dommage.

Il ressort de ces explications que la défenderesse n'entend pas réitérer son comportement illicite. Cela est attesté par le fait que le contrat de franchise qu'elle a conclu avec E______ a été résilié. Les explications de la défenderesse, selon lesquelles les plans et informations fournies par cette dernière étaient lacunaires et dès lors insuffisants pour fabriquer des H______ répondant aux spécifications promises sont de plus crédibles. Il n'y a dès lors pas lieu de prononcer les interdictions requises par le demandeur, celui-ci n'ayant plus d'intérêt au prononcé de ces mesures en l'absence de risque de réitération du comportement illicite de la défenderesse.

L'action en interdiction n'étant ainsi pas ouverte, il convient de faire droit aux conclusions du demandeur tendant à la constatation de la violation de ses droits d'auteur.

L'on relèvera que l'on n'arriverait pas à une conclusion différente en appliquant les dispositions de la LCD, également invoquées par le demandeur à l'appui de ses prétentions. En effet, même à supposer qu'un acte de concurrence déloyale puisse être imputé à la défenderesse, ce qui n'est pas établi, seule la constatation du caractère illicite de l'atteinte pourrait être prononcée en application de l'art. 9 al. 2 LCD, puisque l'atteinte a cessé.

3. 3.1.1 L'art. 62 al. 2 LDA réserve les actions intentées en vertu du code des obligations qui tendent au paiement de dommages-intérêts, à la réparation du tort moral ainsi qu’à la remise du gain selon les dispositions sur la gestion d’affaires.

Conformément à l'art. 49 al. 1 CO, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d’argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l’atteinte le justifie et que l’auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement.

Pour qu'une indemnité pour tort moral soit due, il faut donc que la victime ait subi un tort moral, que celui-ci soit en relation de causalité adéquate avec l'atteinte, que celle-ci soit illicite et qu'elle soit imputable à faute à son auteur, que la gravité du tort moral le justifie et que l'auteur n'ait pas donné satisfaction à la victime autrement (ATF 131 III 26 consid. 12.1; Barrelet/ Eggloff, op. cit., n. 20 ad art. 62 LDA).

On définit en général la faute comme un manquement de la volonté au devoir imposé par l’ordre juridique. Il peut s’agir d’une faute intentionnelle ou d’une négligence. Traditionnellement, on considère que la faute représente l’aspect subjectif de la responsabilité alors que l’illicéité en constitue l’aspect objectif. Dans l’analyse de la négligence, le manquement est objectivé: le responsable commet une faute lorsqu’il manque à la diligence dont aurait fait preuve une personne de la catégorie à laquelle il appartient. Pour choisir la catégorie déterminante, on prend toutefois en compte des éléments subjectifs tels que la formation, les connaissances techniques particulières, l’âge ou le sexe de l’auteur (Werro/Perritaz, Commentaire romand, n. 56-57, ad art. 41 CO).

Toute atteinte à la personnalité ne justifie pas ipso facto l'octroi d'une indemnité pour tort moral. Selon le Tribunal fédéral, la gravité de l'atteinte s'entend d'un point de vue tant objectif que subjectif, en ce sens qu'elle doit être à la fois grave aux yeux des tiers et être ressentie comme telle par le lésé. La question de la gravité dépend des circonstances de chaque espèce et le juge jouit à cet égard d'une large marge d'appréciation. En droit d'auteur, la gravité pourra être considérée comme donnée lorsque, pour les œuvres d'une certaine importance, le nom de l'auteur n'a pas été mentionné, en particulier lorsqu'il s'agit d'un plagiat volontaire, ou lorsque l'œuvre a été dénaturée de manière à porter atteinte à la personnalité de l'auteur. Dans la jurisprudence, on trouve des exemples où une indemnité pour tort moral a été accordée à la suite de la défiguration d'une œuvre graphique et en cas d'usurpation de la paternité d'une œuvre architecturale. Pareille indemnité a en revanche été refusée à l'acteur dont la prestation a inspiré un spot publicitaire pour des produits à base de viande ainsi qu'à l'architecte dont les plans ont été copiés par un ingénieur (Schlosser, op. cit., n. 86 ad art. 62 LDA; Barrelet/ Eggloff, op. cit., n. 20 ad art. 62 LDA).

3.1.2 Celui qui, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général ou celui qui en est menacé peut, conformément au code des obligations, intenter une action en réparation du tort moral (art. 9 al. 1 et 3 LCD).

3.2 En l'espèce, il n'est pas établi que la défenderesse a commis une faute. En effet, avant de proposer le H______ à la vente, elle a contacté la société qui se prétendait titulaire des droits sur celui-ci et a obtenu, contre rémunération, le droit de commercialiser et de produire ledit H______.

Aucun élément figurant au dossier ne permet de retenir qu'elle aurait pu et dû faire des recherches supplémentaires pour vérifier la réalité des affirmations de E______. Il n'est pas non plus établi que d'éventuelles démarches plus approfondies auraient pu permettre à la défenderesse de se rendre compte que le demandeur était titulaire de droits sur le H______ en question.

En particulier, il ressort du jugement du Tribunal de J______ du 30 août 2022 que E______ a effectivement été titulaire d'un brevet en relation avec le H______. Il n'est pas établi que, à supposer que tel n'était plus le cas au moment du contrat conclu entre E______, la défenderesse aurait pu détecter la fausseté des informations qui lui avaient été communiquées par sa contractante sur ce point.

Cela est d'autant plus vrai que la défenderesse n'est pas une grande société rompue aux affaires disposant d'un service juridique expérimenté dans le domaine de la conclusion de contrats de franchise, mais une petite société, récemment créée.

Il résulte de ce qui précède que la défenderesse n'a pas fautivement violé les droits d'auteur du demandeur, ce qui exclut l'allocation d'une indemnité pour tort moral.

A cela s'ajoute qu'il est douteux que la condition de la gravité de l'atteinte soit réalisée.

Le demandeur n'a fourni aucune indication dans sa demande sur la manière subjective dont il a ressenti l'atteinte et sur les souffrances qu'il aurait subies en relation avec celle-ci.

Du point de vue objectif, l'atteinte n'apparaît pas d'une gravité particulière. Les H______ n'ont pas figuré pendant une très longue durée sur le site de la défenderesse, dont on ignore au demeurant s'il a été consulté par plusieurs personnes.

De plus, la défenderesse a affirmé qu'elle n'avait vendu aucun H______ et le dossier ne contient pas d'élément prouvant le contraire. Le seul fait que quatre H______ situés en Suisse aient figuré pendant une durée limitée sur le site internet de la défenderesse ne suffit pas à démontrer que ceux-ci ont été vendus par ses soins.

Ce qui précède est confirmé par les déclarations du demandeur selon lesquelles au moins un de ces H______ a été installé en 2013, par une autre société, presque dix ans avant la création de la défenderesse.

En l'absence d'éléments concrets apportés par le demandeur établissant que les affirmations de la défenderesse selon lesquelles elle n'a vendu aucun H______ sont fausses, la Cour retiendra dès lors que cet allégué est véridique.

Contrairement à ce que fait valoir le demandeur, le fait qu'une indemnité pour tort moral lui ait été allouée par le Tribunal de J______ n'est pas déterminant, les circonstances de l'affaire en question n'étant pas les mêmes que celles de la présente cause.

Il résulte de ce qui précède que le demandeur n'a pas établi que les conditions posées pour l'allocation d'une indemnité pour tort moral au sens de la LDA sont réalisées.

Aucune indemnité pour tort moral ne pourrait être allouée non plus au demandeur en application de dispositions de la LCD, à supposer que l'existence d'actes de concurrence déloyale de la part de la défenderesse ait été établie, ce qui n'est pas le cas. En effet, les conditions d'une allocation pour tort moral sont les mêmes au sens de l'art. 9 al. 3 LDA qu'au sens de l'art. 62 al. 2 LCD.

Le demandeur sera dès lors débouté de ses conclusions en paiement d'une indemnité pour tort moral.

4. Pour arrêter les frais de la procédure sur mesures provisionnelles et de celle sur fond, il convient de tenir compte du fait que le demandeur a réduit en cours de procédure ses conclusions en paiement. Les frais de la présente procédure seront dès lors arrêtés à 3'000 fr. au total et compensés à hauteur de ce montant avec l'avance fournie par le demandeur en 12'000 fr. (art. 17 et 36 RTFMC; 111 al. 1 CPC). Le solde en 9'000 fr. lui sera restitué.

Les frais judiciaires seront mis à la charge de la défenderesse, qui succombe sur le principe de l'action (art. 106 CPC).

La défenderesse sera dès lors condamnée à verser au demandeur 3'000 fr. au titre des frais judiciaires.

Les dépens dus à ce dernier, sur mesures provisionnelles et sur le fond, seront fixés à 5'000 fr., débours et TVA inclus.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant en instance cantonale unique :

Dit qu'en commercialisant l'œuvre intitulée " H______ " de A______ sans son autorisation et sans mention de son nom, B______ GMBH a commis une violation de ses droits d'auteur.

Met à la charge de B______ GMBH les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr. et compensés avec l'avance versée par A______, acquise à l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ le solde de l'avance versée en 9'000 fr.

Condamne B______ GMBH à verser à A______ 3'000 fr. au titre des frais judiciaires et 5'000 fr. au titre des dépens.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Madame Ursula ZEHETBAUER-GHAVAMI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.