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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6402/2022

ACPR/746/2022 du 01.11.2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;ORDONNANCE DE CLASSEMENT;VIOL;CONTRAINTE SEXUELLE;ACTE D'ORDRE SEXUEL SUR UN INCAPABLE DE DISCERNEMENT;ABUS DE LA DÉTRESSE;ENCOURAGEMENT À LA PROSTITUTION
Normes : CPP.310.al1.leta; CPP.319.al1.letb; CPP.318.al1; CP.189; CP.190; CP.191; CP.193; CP.195.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6402/2022 ACPR/746/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 1er novembre 2022

 

Entre

 

A______, domiciliée ______[GE], comparant par Me B______, avocate, ______ Genève,

recourante,

 

contre l'ordonnance de classement et de refus d'assistance juridique rendue le 23 juin 2022 par le Ministère public,

 

et

 

C______, domicilié ______[GE], comparant par Me Milos BLAGOJEVIC, avocat, BLAGOJEVIC BRANDULAS PEREZ, rue Marignac 14, case postale 504, 1211 Genève 12,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié par messagerie sécurisée le 7 juillet 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 juin 2022, notifiée le 27 suivant, par laquelle le Ministère public a classé sa plainte et lui a refusé l'assistance juridique.

La recourante conclut, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée, au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il procède à tout acte d'instruction nécessaire à établir les faits visés dans sa plainte, et à l'octroi de l'assistance judiciaire tant pour la procédure devant le Ministère public que pour celle devant la Chambre pénale de recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier:

a. Le 17 mars 2022, la Direction des HUG a adressé au Ministère public une dénonciation pour atteinte à la liberté et à l'honneur sexuels (art. 189 ss CP), incitation à la prostitution (art. 195 CP) et toute autre infraction pertinente.

Le Dr D______, médecin adjoint responsable de l'Unité E______ (ci-après: E______), avait été informé que l'une de ses patientes – elle-même collaboratrice aux HUG – avait subi des actes de violence psychologique et sexuelle, dans les locaux de l'institution, par un médecin des HUG. La patiente avait refusé de lever le secret professionnel du personnel médical, n'ayant pas souhaité que son identité, de même que celle du médecin concerné, soient divulguées.

b. Le Dr D______ avait dès lors saisi la Commission du secret professionnel d'une demande de levée de son secret professionnel, laquelle a été admise.

c. Le 13 avril 2022, la Direction des HUG a déposé un complément de dénonciation.

La patiente, A______, née le ______ 2000, était suivie depuis le 13 décembre 2021 par F______, psychologue-psychothérapeute au sein de E______. Elle lui avait en substance déclaré que le médecin concerné, qui serait C______, médecin interne dans l'Unité de N______ de [la Clinique] G______, auprès duquel elle était stagiaire, lors d'une rencontre dans son bureau, se serait approché d'elle, l'aurait touchée aux épaules et sur une jambe, puis l'aurait embrassée. Cette situation s'était reproduite à l'occasion d'une autre rencontre à l'issue de laquelle C______ l'avait embrassée et l'avait touchée au niveau de ses parties intimes, avant de lui demander si cela la dérangeait et de lui proposer d'avoir des relations sexuelles, étant souligné que la patiente, dans un état de panique, avait essayé de résister, mais que celui-ci s'était montré très insistant. S'était ensuivie, avec l'intéressé, une relation qui, à ses yeux, n'était pas amoureuse mais d'influence ou d'emprise, la patiente étant incapable de dire non la plupart du temps. De multiples actes sexuels avaient eu lieu dans les locaux des HUG (bureaux, toilettes), essentiellement des fellations, mais également un rapport sexuel vaginal, sur la base de rendez-vous fixés par C______, étant précisé que ce dernier changeait d'attitude – en se montrant agressif et menaçant et en haussant le ton – lorsqu'elle n'exécutait pas ses demandes sexuelles. C______ l'avait également incitée à se prostituer en lui proposant d'organiser des rencontres avec des hommes et de se faire payer pour les rapports sexuels, alors que lui-même garderait une partie de l'argent, soit 33%. Cette incitation ne se serait pas concrétisée.

De l'avis du personnel soignant de E______, la patiente, du fait de son histoire de vie marquée par de nombreux antécédents de violence, peinait à identifier les actes évoqués lors des consultations comme des actes de violence à son encontre et à s'en protéger. C______ semblait avoir exploité sa vulnérabilité.

d. Le 14 avril 2022, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre C______ pour contrainte sexuelle (art. 189 CP), viol (art. 190 CP) et encouragement à la prostitution (art. 195 CP).

Le même jour, il a ordonné une perquisition du domicile de C______, le séquestre de ses téléphones portables ainsi que la fouille et l'analyse de ceux-ci par la police.

D'entente avec la police, ces actes ont cependant été suspendus pour se focaliser sur l'audition de A______.

e. Cette dernière a été entendue le 17 mai 2022 par la police comme personne appelée à donner des renseignements.

Elle avait connu C______ en été 2019, lors d'un stage [à l'unité] N______ à G______. Le dernier jour, il lui avait demandé son âge et son numéro de téléphone tout en relevant que lui-même avait 33 ans et était "vieux". Deux semaines plus tard, elle était retournée le voir pour chercher une attestation, accompagnée d'une amie. Immédiatement après, il lui avait envoyé un message lui disant qu'elle et son amie étaient très jolies et proposé d'entretenir des rapports sexuels. Elle avait mis un terme à la discussion mais il avait réitéré ses propositions sexuelles. Elle lui avait alors de nouveau demandé de ne plus lui écrire.

En février ou mars 2021, dans le cadre de son travail d'études et pour plaisanter avec deux de ses copines, H______ et I______, elle avait repris contact avec C______ sur Messenger afin de lui poser des questions d'ordre médical. Elle lui avait également dit qu'elle allait commencer un stage aux HUG le 15 mars 2021. Il avait d'abord refusé de lui répondre au motif que les questions ne relevaient pas de son domaine de compétence, mais, quelques jours plus tard, avait accepté. Ils avaient ensuite continué à échanger des messages dans lesquels il abordait des sujets sexuels de manière détournée, ce qui l'avait gênée. Il lui avait proposé de la rencontrer à l'hôpital de J______ et elle s'y était rendue avec H______, qui était restée à l'extérieur du bâtiment. Au cours de l'entretien, il s'était approché d'elle. Elle avait tenté de trouver des excuses pour quitter la pièce mais il lui avait dit de cesser de mentir. Physiquement, elle n'était pas parvenue à partir ni à bouger, sans savoir pourquoi; elle avait "plusieurs personnalités"; à ce moment-là, "ce n'était pas moi". Elle avait écrit à son amie restée dehors des "mots très courts", voulant lui dire qu'il la "bloquait". Il l'avait touchée et ils s'étaient embrassés. Il avait mis son doigt vers son clitoris, par-dessus ou par-dessous sa culotte. Elle n'avait pas réagi. Elle avait dit qu'elle devait partir et il l'avait accompagnée à l'extérieur. Elle avait ensuite rejoint H______, puis I______. Elle ne leur avait pas dit ce qui s'était passé. Elle était énervée contre lui car il n'avait pas été clair avec elle. Elle ne voulait pas qu'il l'abandonne. Elle avait "pété un câble par messages". Il lui avait alors téléphoné et cela l'avait calmée. Dans certains messages, il lui avait dit qu'il n'était pas sûr de cette relation et elle avait perçu cela comme un abandon.

Durant les jours suivants, elle avait eu des sautes d'humeur intenses car il ne lui avait pas parlé depuis plusieurs jours. Elle voulait prévenir l'abandon. Elle lui avait proposé de travailler sur les questions par mails mais il trouvait plus sympathique qu'ils se voient. Le fait d'échanger avec lui lui avait fait du bien.

Le 15 mars 2021, elle avait eu rendez-vous avec C______ dans un cabinet à la K______ pour discuter de ses questions sur les troubles borderline. À la fin de l'entretien, il s'était levé et lui avait pincé les fesses par-dessus ses habits en lui demandant si ça la dérangeait. Elle n'avait pas réagi, ne s'y attendant pas.

Les messages entre eux avaient continué mais elle n'en parlait plus à ses amies. H______ avait dû être hospitalisée en raison des mêmes troubles que ceux dont elle souffrait et I______ lui avait conseillé de mettre fin à sa relation avec le précité.

Après, cela avait "dérapé". Elle avait accepté d'avoir une relation "pas sérieuse" avec C______, qui avait duré entre fin mars 2021 et février 2022. Cette relation avait commencé avec des fellations, ayant eu lieu notamment dans les sous-sol de l'ancien bâtiment des HUG. Elle avait senti que la relation avec C______ "qui [lui] faisait mal, [lui] faisait en fait du bien". Lorsqu'elle avait rendez-vous avec lui, elle n'était plus elle-même et était déterminée à se faire du mal. Toutes les fois se passaient de la même manière. Ils descendaient au sous-sol et il désignait quelle porte de toilettes elle devait emprunter, étant précisé que durant son stage, elle avait son badge; il la suivait quelques secondes après. Une fois à l'intérieur, il fermait la porte à clé, enlevait sa blouse et s'approchait pour qu'elle lui prodigue une fellation. Il lui disait de le regarder dans les yeux, ainsi que de regarder sa bague et, ensuite, la prenait par les cheveux. Au début, elle ne devait pas enlever ses habits, mais au fur et à mesure, elle s'était retrouvée en culotte uniquement. Lors des fellations, il lui demandait d'avaler son sperme. Elle s'exécutait même lorsqu'elle ne voulait pas. Au début, il l'embrassait mais ensuite lui avait dit qu'il "n'y avait plus besoin". Ils discutaient aussi un peu à la fin mais, après, il partait tout de suite. Une fois, en novembre 2021, alors que C______ travaillait [au service] O______ et qu'ils s'étaient rendus dans les toilettes d'un autre bâtiment des HUG, le précité avait été "méchant". Il lui avait demandé de le regarder dans les yeux mais elle ne pouvait pas, "car je n'étais pas moi-même". Il l'avait alors prise par la tête en tirant dessus et traitée de "pute". Il l'insultait toujours durant les fellations et aussi par messages.

En novembre 2021, C______ lui avait proposé "d'établir un projet avec lui et d'être [son] manager", soit qu'elle ait des relations sexuelles tarifées avec des hommes, alors qu'il toucherait 33% des sommes d'argent. Elle n'avait pas compris qu'il s'agissait de prostitution et en avait "rigolé". Lorsqu'elle conversait avec lui à ce sujet, c'était son "autre moi". Elle lui avait dit que "c'était nul". Elle avait peur que des personnes la violent mais il avait répondu qu'il serait présent et que tout allait bien se passer.

C______ lui avait également demandé de lui trouver une autre fille. Il était devenu "très lourd".

En août 2021, elle avait dit à son psychiatre qu'elle fréquentait un chef de clinique aux HUG, sans lui donner de détails. Lorsqu'il lui posait des questions, elle mentait ou ne répondait pas. Elle ne voulait pas qu'il lui "enlève C______".

Un jour, alors qu'elle était "dépassée", elle avait dû être hospitalisée à la maternité. Elle avait tout raconté à un gynécologue, le Dr L______, en qui elle avait confiance, et avait eu un poids en moins. Ce médecin l'avait adressée à [l'unité] E______ et c'était là-bas qu'elle avait été prise en charge par F______. Depuis décembre 2021, elle s'y était rendue à 20 reprises, en plus des séances chez son psychiatre. Elle avait tout raconté à sa thérapeute mais lui en avait voulu lorsqu'on lui avait annoncé qu'une levée du secret médical serait demandée.

Durant son suivi à [l'unité] E______, elle avait encore fréquenté C______. Le voir était un "besoin puissant".

Fin 2021 ou début 2022, elle avait été diagnostiquée pour un trouble de la personnalité borderline. Elle ne voulait pas que C______ le sache.

Fin février 2022, elle avait écrit à C______ pour lui dire qu'elle voulait un "petit truc", ce qui signifiait une fellation, étant précisé que durant 11 mois elle avait refusé ses demandes de rapports sexuels complets. C______ lui avait répondu négativement et que, si elle venait, ils allaient faire tout, à savoir fellation et pénétration. Elle avait néanmoins été le voir mais c'était "l'autre moi". Ils étaient allés dans les toilettes femmes et il avait fermé la porte à clé. Elle avait paniqué, bougé de partout et prétexté vouloir le voir plutôt le lendemain. Il avait répondu qu'ils allaient se voir tous les prochains jours. Ils avaient parlé durant un long moment et elle avait mélangé plein de sujets en même temps. Elle était en stress intense et ne se sentait pas bien. Elle avait remis sa jaquette, voulant que ça se termine, et il avait fait semblant de remettre sa blouse. Elle n'avait pas dit oui, mais ne savait pas comment ça s'était passé. Il y avait eu une pénétration vaginale avec préservatif, suivie d'une fellation. Ensuite, ils étaient descendus par l'escalator et il lui avait parlé de son travail. Elle s'était alors demandée comment il n'avait pas vu qu'elle avait un trouble borderline. Après, c'était comme si elle avait eu un trou noir. Elle était rentrée chez elle, euphorique. Durant la nuit, elle avait pris conscience de ce qui s'y est passé. Perturbée, elle en avait parlé le lendemain à F______ qui lui avait dit que c'était un viol.

Deux jours après, elle avait fait part à son psychiatre de ses insomnies et cauchemars en lien avec C______ quand il n'était pas gentil avec elle. Elle le voyait partout et avait des flashes.

Son problème majeur était le fait que C______ ne lui avait pas envoyé de messages durant sept jours. Elle n'était pas énervée pour les rapports sexuels. Elle lui avait écrit un mail pour lui dire qu'il était opportuniste et qu'elle était vexée. Il lui avait répondu ne pas comprendre. Cette réponse l'avait fait "redescendre".

Ils s'étaient encore écrits et téléphonés mais après "l'épisode du viol", C______ était devenu très silencieux et moins présent. Quant à elle, elle avait réussi à se détacher petit à petit et à prendre ses distances.

f. Le 18 mai 2022, A______ s'est constituée partie plaignante, tant sur le plan pénal que civil. Elle a requis l'octroi de l'assistance judiciaire gratuite et a produit des documents relatifs à sa situation financière.

Me B______ s'est constituée pour la défense de ses intérêts.

g.a. Le 14 juin 2022, ce conseil a transmis à la police un échange de mails entre sa cliente et le Dr L______ du 22 novembre 2021.

A______ y fait part de son incapacité à mettre fin à sa relation avec C______. Alors que ce dernier lui demandait des faveurs (sic), elle arrivait des fois à y renoncer, mais d'autres fois – bizarrement – elle se sentait "comme emprisonnée dans cette relation, qui n'a[vait] aucun point positif". Elle acceptait donc ses demandes, en espérant qu'il n'allait plus la contacter. Ce dernier la recontactait sous prétexte de vouloir discuter à l'hôpital, et elle – ne se reconnaissant plus – n'arrivait jamais à dire non. Ils ne sortaient jamais de l'hôpital. C______ l'avait invitée chez lui et avait demandé des photos d'elle dénudée, mais elle avait refusé. Il voulait aussi qu'elle se prostitue.

Dans sa réponse, le Dr L______ conseille à A______ de s'adresser à [l'unité] E______ tout en restant à son écoute, même si cela dépassait un peu ses compétences professionnelles.

g.b. L'avocate a également produit des échanges de messages en mars 2021, novembre 2021, février 2022 et mai 2022 entre sa cliente et C______.

Il en ressort notamment ceci:

                    i.     le 7 mars 2021:

-     C______: "Heureusement que tu es majeure sinon avec cette différence d'âge j'aurais été condamnable! (émoticône sourire)".

-     A______: "De toute façon moi je m'en fou de ce qu'on peut me dire [ ]. Je suis majeur (sic) et vaccinée" [ ]. Je suis pas gamine je suis très consciente etc [ ]. Je sais ce que je fais. Personne me dit rien".

                  ii.     date indéterminée en mars 2021:

-     C______: "Je ne veux pas que cette interaction avec moi te fasse souffrir à un certain moment tu vois? Tout doit déjà rester entre nous très secret".

-     A______: "Oui j'ai compris. Je vais pas souffrir au pire j'y mettrai un terme".

                iii.     mi-novembre 2021:

-     C______ demande à A______ s'ils peuvent "monte[r] un truc pour se faire payer", où il serait son manager; puis envoie deux émoticônes sourire, avant de préciser qu'elle allait être bien payée pour des "prestations" avec "des gens qui veulent baiser".

-     A______ se demande alors si ce "truc" est sécurisé et ajoute: "[i]magine les vieux Ils me violent ahaha".

-     C______ répond qu'ils peuvent faire ça dans les lieux possibles ou des chambres d'hôtel et se propose de venir la voir pendant qu'elle fait des fellations ou entretient des rapports sexuels, afin de s'assurer que tout irait bien. Sur une somme totale, il prendrait le 33%.

-     A______ réagit en envoyant des émoticônes sourire et ajoute "ça me fait vraiment trop rire".

                iv.     date indéterminée en février 2022:

-     C______ demande à A______ si elle serait partante pour des actes sexuels et celle-ci répond qu'elle n'a pas trop envie. C______ rétorque qu'il comprend.

                  v.     date indéterminée en février 2022:

-     C______ propose à A______ d'entretenir des rapports sexuels et celle-ci répond que "ça dépendra de mes envies" et qu'elle allait voir quelqu'un d'autre, dans la mesure où elle était dans une relation sérieuse.

h. Le 17 juin 2022, C______ a été entendu par la police en qualité de prévenu. Il a catégoriquement nié les faits reprochés.

Il avait connu A______ alors qu'elle était stagiaire en N______, en 2016 ou 2017. Il n'était pas son référent et il ne s'était rien passé entre eux. Il avait toutefois eu le sentiment qu'elle l'aimait bien et cela l'avait flatté. Il était possible qu'ils aient échangé quelques messages durant cette période et qu'il lui ait dit qu'elle était jolie, mais rien de plus.

Il avait repris contact avec elle vers 2020 ou 2021. Ils avaient eu un premier contact sexuel en mars 2021 lorsqu'elle était venue le voir dans son bureau à l'hôpital de J______. Elle lui avait dit qu'elle avait aimé et ils avaient eu par la suite, entre fin 2021 et début 2022, cinq à six rapports sexuels dans les locaux des HUG. Ils se contactaient via Messenger quelques jours avant, puis se voyaient à l'entrée de l'hôpital, avant de se rendre aux toilettes. Les rapports consistaient toujours en des fellations et une fois ils avaient entretenu un rapport sexuel complet avec préservatif. Il s'agissait de rapports consentis. Après, il lui écrivait toujours un message et elle lui faisait part que cela lui avait plu. Le fait qu'il soit plus âgé qu'elle lui plaisait. Ils avaient convenu que si l'un d'entre eux désirait tout arrêter, il ne devait pas y avoir de problème. Elle avait aussi dit qu'elle ne dirait jamais rien à sa femme. A______ lui avait fait comprendre qu'elle voulait plus qu'une relation sexuelle orale. Il s'était déclaré d'accord à condition de se protéger. Après la relation sexuelle complète, il ne l'avait plus contactée. Il n'y avait pas eu de terme explicite à leur relation, le but étant qu'ils se sentent libres, sans prise de tête. Avec la naissance de son second enfant, il s'était aussi remis en question. Elle avait aussi pris ses distances mais une fois l'avait recontacté pour lui signifier qu'elle n'aimait pas son silence.

Il ignorait que A______ souffrait de troubles de comportement borderline, celle-ci ne donnant pas de signes clairs qui allaient dans ce sens. Il n'avait jamais consulté son dossier médical ni ne s'était entretenu à son sujet avec son psychiatre.

Il lui avait effectivement proposé d'entretenir des relations sexuelles tarifées, mais il s'agissait d'une plaisanterie, A______ lui ayant dit avoir des relations avec des hommes plus âgés qu'elle.

Il admet avoir échangé également avec elle au sujet d'une relation à trois. Elle n'était pas contre et lui non plus.

Il lui avait également posé la question de savoir s'il pouvait utiliser des termes crus à connotation sexuelle et elle avait répondu que cela ne la gênait pas. Son but n'était pas de l'offenser.

Il avait été licencié le 14 avril 2022.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que les éléments constitutifs de viol ou de contrainte sexuelle n'étaient pas réunis dans la mesure où A______ n'avait pas fait état de l'utilisation d'un moyen de contrainte. Par ailleurs, celle-ci n'était pas dans un rapport de dépendance avec C______, ce qui excluait l'application de l'art. 192 CP. Enfin, le prénommé ne pouvait pas savoir que la plaignante était, peut-être, dans un état de détresse – voire que sa capacité de discernement ou de résistance était limitée – étant donné qu'elle lui avait caché qu'elle souffrait de troubles psychiatriques.

D. a.a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public de s'être uniquement appuyé sur les procès-verbaux des auditions des parties sans procéder à d'autres actes d'enquête. Or, les docteurs M______ et L______ – de même que les professionnels de santé à l'origine de la dénonciation – pouvaient témoigner de son état de santé psychique et émotionnel durant et après les faits, étant précisé que sa vulnérabilité avait été évoquée maintes fois dans la procédure par ceux-ci. L'extraction des messages du téléphone portable du prévenu était également nécessaire dans la mesure où, d'une part, ce dernier avait fait de nombreuses fois référence aux conversations avec elle afin de se défaire des accusations et, d'autre part, elle avait en grande partie effacé les messages dans son téléphone.

Le Ministère public n'avait pas pris en compte des faits allégués dans son audition et relatés dans la dénonciation des HUG.

Elle avait déclaré à la police que lors de certains actes d’ordre sexuels, l'intimé la prenait par la tête et les cheveux et la traitait régulièrement de pute, se montrant agressif et menaçant lorsqu'elle refusait certaines demandes sexuelles. De même, l’intimé revenait et insistait, malgré qu’elle lui eût dit à plusieurs reprises qu'elle ne souhaitait pas des rapports sexuels avec pénétration, étant précisé que, lors des évènements du 24 février 2022, elle avait été prise de panique, ne sachant pas comment la pénétration avait eu lieu. La réalisation des éléments constitutifs des art. 189 et 190 CP n’était ainsi pas d’emblée exclue, ce d’autant qu'elle était âgée de tout juste 21 ans et se trouvait dans une situation de grande vulnérabilité, d'une part, et que l'intimé avait apparemment connaissance de l’ascendant qu’il exerçait sur elle, d'autre part.

S’agissant de l’art. 191 CP, le Ministère public ne pouvait pas exclure son incapacité de discernement lors des faits compte tenu de son état de santé, sa grande vulnérabilité et ses nombreux troubles de la personnalité, notamment borderline, et en l’absence d’audition des personnes qui la suivaient médicalement. Le fait qu'elle ait tenté de cacher son état à l'intimé ne changeait rien à ce constat dans la mesure où celui-ci était titulaire d'un FMH en psychiatrie. La forte emprise de l'intimé sur elle était corroborée par ses déclarations à la police et celles des professionnels qui la suivaient.

L'application de l'art. 195 let. b CP ne pouvait pas non plus être exclue, dès lors que les messages versés à la procédure démontraient clairement que l'intimé l'avait poussée à s'adonner à la prostitution tout en ayant l'intention de profiter financièrement de cette activité. Rien dans le contenu des messages ne laissait penser à une forme de blague, les propos de celui-ci évoquant plutôt une démarche réfléchie.

Enfin, l'assistance juridique devait lui être accordée, dès lors qu'elle se trouvait dans une situation d'indigence et qu'une action civile n'était pas vouée à l'échec.

a.b. Elle produit à l'appui un rapport de [l'unité] E______ du 7 juillet 2022, dont il ressort notamment que sa vulnérabilité psychique était si évidente qu'elle ne pouvait échapper à un médecin ______. Elle souffrait d'un trouble de la personnalité de type état limite, un trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité, ainsi que d'un trouble de stress post-traumatique. Elle présentait également d'importants symptômes anxieux et un tableau clinique susceptible de correspondre à un trouble dissociatif de l'identité. Les troubles dissociatifs étaient difficiles à diagnostiquer en raison, entre autres, de l'importante comorbidité des symptômes avec d'autres troubles liés au trauma ou au trouble de la personnalité. [L'unité] E______ avait pris un positionnement clair vis-à-vis des faits rapportés par cette dernière, impliquant une attitude proactive visant à la protéger.

b. Dans ses observations, le Ministère public se rapporte à son ordonnance querellée et conclut au rejet du recours, sous suite de frais. La recourante était peu crédible, dans la mesure où elle soutenait, pour la première fois dans son recours, avoir été menacée par l'intimé, qui, sachant son trouble de la personnalité, aurait abusé de sa vulnérabilité et de son incapacité à refuser d'entretenir des relations sexuelles. Le rapport de [l'unité] E______ devait être lu avec recul dans la mesure où son objectif était de protéger la recourante, ce qui impliquait ipso facto un abandon, à tout le moins partiel, de l'objectivité scientifique médicale habituelle. En ce qui concernait les infractions aux art. 189 et 190 CP, la recourante invoquait de manière vague les menaces sans expliquer en quoi elles consistaient et quel rôle elles jouaient dans les relations entre les protagonistes. Même sur la base des éléments apportés par le rapport de [l'unité] E______, il ressortait de son audition qu'elle avait conscience de la signification et de la portée des actes sexuels auxquels elle participait, ce qui excluait une infraction à l'art. 191 CP. Quant à l'art. 193 CP, elle ne fournissait aucun élément permettant de considérer que l'intimé avait conscience de son état de détresse. Même si ce dernier lui avait proposé de se prostituer, rien n'indiquait qu'il avait exercé une influence d'une certaine intensité dans ce but. Enfin, le refus de l'assistance judiciaire était fondé, dès lors que l'action civile de la recourante paraissait vouée à l'échec.

c. Dans ses observations, C______ conclut, sous suite de dépens, à la confirmation de l'ordonnance querellée. Aucun acte de contrainte ne pouvait lui être reproché – y compris sous la forme de pressions psychiques –, au vu des circonstances décrites par les parties, ainsi que de la fréquence de leurs rapports et de leurs échanges verbaux. En revanche, tout portait à croire que les professionnels de santé avaient soufflé à la recourante l'idée qu'il l'avait violée, étant précisé que ses déclarations et celles de l'intéressée étaient concordantes s'agissant du déroulement des faits et de l'absence de toute forme de contrainte. Une incapacité totale de discernement de la recourante était par ailleurs exclue, dès lors que celle-ci était capable d'expliquer les sentiments qu'elle nourrissait pour lui et se rendait aux rendez-vous convenus par avance, par ses propres moyens, au lieu et à l'horaire prévus. Il n'y avait pas non plus de situation de soumission au sens de l'art. 193 CP, dans la mesure où cette dernière confirmait qu'elle ne voulait pas qu'on lui "enlève C______", que le voir était "un besoin puissant", ou encore que son "problème majeur était le fait que C______ ne [lui] avait pas envoyé des messages durant sept jours". S'agissant de l'art. 195 let. b CP, les messages versés à la procédure démontraient qu'il s'agissait d'une plaisanterie, étant souligné que la recourante n'avait évoqué le caractère grave de ces messages qu'après discussion avec ses psychologues.

d. Dans sa réplique, la recourante persiste dans son recours et précise que les constatations du rapport de [l'unité] E______ figuraient déjà dans les dénonciations des HUG.

 

 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Les faits nouveaux et les pièces nouvelles produites par la recourante sont recevables, la jurisprudence admettant leur production en deuxième instance (arrêts du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015, consid. 3.1 et 3.2 et 1B_768/2012 du 15 janvier 2013, consid. 2.1).

3.             On peut s'étonner de l'absence d'acte de prochaine clôture, qui précède toute décision de classement (art. 318 al. 1 CPP), lequel aurait permis à la plaignante de faire valoir ses réquisitions de preuve. Faute cependant de mesures de contrainte ordonnées – la perquisition et saisie des téléphones portables du prévenu n'ayant finalement pas été exécutées – la décision critiquée, malgré son intitulé, s'apparente en réalité à une ordonnance de non-entrée en matière.

Dans la mesure où la Chambre de céans dispose d'un pouvoir de cognition complet, la recourante n'en est pas prétéritée.

4.             La recourante fait grief au Ministère public d'avoir classé sa plainte.

4.1.       Aux termes de l'art. 319 al. 1 let. b CPP, le ministère public ordonne le classement de la procédure lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis.

Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il ressort de la plainte que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réunis.

Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu, le principe "in dubio pro duriore" impose, en règle générale, que ce dernier soit mis en accusation. Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis typiquement "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 2.2). Concernant plus spécialement la poursuite des infractions contre l'intégrité sexuelle, les déclarations de la partie plaignante constituent un élément de preuve qu'il incombe au juge du fond d'apprécier librement, dans le cadre d'une évaluation globale de l'ensemble des éléments probatoires figurant au dossier (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 3.2 in fine).

Il peut toutefois être renoncé à une mise en accusation si: la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles; une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs; il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 2.2).

4.2.1. Enfreint l'art. 189 CP celui qui, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d'ordre psychique ou en la mettant hors d'état de résister l'aura contrainte à subir un acte analogue à l'acte sexuel ou un autre acte d'ordre sexuel.

Se rend coupable de viol (art. 190 CP), quiconque, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d'ordre psychique ou en la mettant hors d'état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l'acte sexuel.

4.2.2. Sur le plan objectif, il faut, pour qu'il y ait contrainte, que la victime ne soit pas consentante, que le prévenu le sache ou accepte cette éventualité et que celui-ci déjoue, en utilisant un moyen efficace, la résistance que l'on peut attendre de celle-là (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 3.1).

La violence suppose un emploi de la force physique sur la victime (afin de la faire céder) plus intense que ne l'exige l'accomplissement de l'acte dans les circonstances ordinaires. Selon les cas, un déploiement de force relativement faible peut suffire, tel que maintenir la victime avec la force de son corps, la renverser à terre, lui arracher ses habits ou lui tordre un bras derrière le dos (arrêt du Tribunal fédéral 6B_116/2019 du 11 mars 2019 consid. 2.2.1).

En introduisant la notion de "pressions psychiques", le législateur a voulu viser les cas où l'auteur provoque chez la victime des effets tel que la surprise, la frayeur ou le sentiment d'une situation sans espoir, propres à la faire céder, sans pour autant recourir à la force physique ou à la violence (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 3.1). Pour être qualifiées de contrainte, ces pressions doivent atteindre une intensité particulière (ATF 131 IV 167 consid. 3.1) et rendre la soumission de la victime compréhensible (arrêt du Tribunal fédéral 6B_159/2020 du 20 avril 2020 consid. 2.4.3).

En cas de pressions d'ordre psychique, il n'est pas nécessaire que la victime ait été mise hors d'état de résister (ATF 124 IV 154 consid. 3b). La pression exercée doit néanmoins revêtir une intensité particulière, comparable à celle d'un acte de violence ou d'une menace (ATF 133 IV 49 consid. 6.2). Au vu des circonstances du cas et de la situation personnelle de la victime, on ne doit pas pouvoir attendre d'elle de résistance, ni compter sur une telle résistance, de sorte que l'auteur peut parvenir à son but sans avoir à utiliser de violence ou de menace (ATF 131 IV 167 consid. 3.1). L'exploitation de rapports généraux de dépendance ou d'amitié ou même la subordination comme celle de l'enfant à l'adulte ne suffisent, en règle générale pas pour admettre une pression psychologique au sens de l'art. 190 al. 1 CP (ATF 131 IV 107 consid. 2.2; ATF 128 IV 97 consid. 2b/aa et cc; arrêt du Tribunal fédéral 6B_583/2017 du 20 décembre 2017 consid. 3.1).

Les infractions aux art. 189 et 190 CP sont intentionnelles, mais le dol éventuel suffit (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1306/2017 du 17 mai 2018 consid. 2.1.2 in fine et 6B_1175/2017 du 11 avril 2018 consid. 1.1 in fine). L'auteur doit savoir que la victime n'est pas consentante ou en accepter l'éventualité (arrêts du Tribunal fédéral 6B_367/2021 du 14 décembre 2021 consid. 2.2.2 et 6B_643/2021 du 21 septembre 2021 consid. 3.3.4). L'élément subjectif se déduit d'une analyse des circonstances permettant de tirer, sur la base des éléments extérieurs, des déductions sur les dispositions intérieures de l'auteur. S'agissant de la contrainte en matière sexuelle, l'élément subjectif est réalisé lorsque la victime donne des signes évidents et déchiffrables de son opposition, reconnaissables pour l'auteur, tels des pleurs, des demandes d'être laissée tranquille, le fait de se débattre, de refuser des tentatives d'amadouement ou d'essayer de fuir (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1285/2018 du 11  février 2019 consid. 2.2).

4.2.3. Commet l'infraction réprimée par l'art. 191 CP celui qui, sachant une personne incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l'acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d'ordre sexuel.

On parle d'incapacité de discernement lorsque les aptitudes mentales de la personne ne lui permettent pas de comprendre la signification et la portée des relations sexuelles, et de se déterminer en toute connaissance de cause (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n 9 et 10 ad art. 191).

L'art. 191 CP protège, indépendamment de leur âge et de leur sexe, les personnes incapables de discernement dont l'auteur, en connaissance de cause, entend profiter pour commettre avec elles un acte d'ordre sexuel. À la différence de la contrainte sexuelle (art. 189 CP) et du viol (art. 190 CP), la victime est incapable de discernement, non en raison d'une contrainte exercée par l'auteur, mais pour d'autres causes. L'art. 191 CP vise une incapacité de discernement totale, qui peut se concrétiser par l'impossibilité pour la victime de se déterminer en raison d'une incapacité psychique, durable (p. ex. maladie mentale) ou passagère (p. ex. perte de connaissance, alcoolisation importante, etc; ATF 133 IV 49 consid. 7.2 ss; arrêt du Tribunal fédéral 6B_10/2014 du 1er mai 2014 consid. 4.1.1).

Sur le plan subjectif, cette disposition requiert l'intention, étant précisé que le dol éventuel suffit (arrêts 6B_578/2018 du 20 mars 2019 consid. 2.1; 6B_128/2012 du 21 juin 2012 consid. 1.6.1).

4.2.4. L'art. 193 al. 1 CP punit celui qui, profitant de la détresse où se trouve la victime ou d'un lien de dépendance fondé sur les rapports de travail ou d'un lien de dépendance de toute autre nature, aura déterminé celle-ci à commettre ou à subir un acte d'ordre sexuel. Cette disposition protège la libre détermination en matière sexuelle. L'infraction suppose que la victime se trouve dans une situation de détresse ou de dépendance par rapport à l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1175/2017 du 11 avril 2018 consid. 1.1).

La victime est dépendante, au sens de cette norme, lorsqu'elle est objectivement, voire même seulement subjectivement, à la merci de l'auteur de l'infraction. Sa liberté de décision doit être considérablement limitée. À la base d'un lien de dépendance, il y a, en règle générale, un rapport de confiance particulier et toujours une forte emprise du prévenu sur la victime (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1076/2015 du 13 avril 2016 consid. 2.1).

La détresse n'implique pas – au contraire de la dépendance – de relation spécifique entre l'auteur et la victime, comme un rapport de force ou un lien de confiance. La détresse est un état de la victime que l'auteur constate et dont il se sert (arrêt du Tribunal fédéral 6B_204/2019 du 15 mai 2019 consid. 6.1). La question de savoir s'il existe un état de détresse ou un lien de dépendance au sens de l'art. 193 CP et si la capacité de la victime de se déterminer était gravement limitée doit être examinée à la lumière des circonstances du cas d'espèce (ATF 131 IV 114 consid. 1 p. 119) et appréciée selon la représentation que s'en font les intéressés (ATF 99 IV 161 consid.  1 p. 162; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1175/2017 précité, consid. 1.1).

L'art. 193 exige en outre que l'auteur exploite cette détresse ou ce lien de dépendance. Il y a mise à profit ou abus d'une situation de détresse ou de dépendance lorsqu'il existe un lien de causalité entre cette situation et l'acceptation par la victime des actes d'ordre sexuel. Il faut que l'auteur de l'infraction, usant de son emprise sur la victime, ait déterminé cette dernière à commettre ou à subir un acte d'ordre sexuel. Elle présuppose que l'auteur utilise consciemment la diminution de la capacité de décider et de se défendre de la victime et tire profit de sa docilité pour l'amener à faire preuve de complaisance en matière sexuelle (ATF 133 IV 49 consid. 4 p. 52; ATF 131 IV 114 consid. 1 p. 119).

Du point de vue subjectif, l'acte est intentionnel. L'auteur doit savoir ou tout au moins supposer que la personne concernée n'accepte les actes d'ordre sexuel en question qu'en raison de son état de détresse ou du lien de dépendance existant (ATF 131 IV 114 consid. 1 p. 119).

4.2.5. Se rend coupable d'encouragement à la prostitution (art. 195 al. 2 CP) celui qui, profitant d'un rapport de dépendance ou dans le but de tirer un avantage patrimonial, aura poussé autrui à se prostituer.

Pousse à la prostitution "celui qui initie une personne à ce métier et la détermine à l'exercer". Pour que cette conception de la prostitution se réalise, il suffit que l'auteur pousse la personne à exercer une activité en comptant simplement sur le fait qu'elle puisse s'adonner occasionnellement à la prostitution. L'auteur doit cependant exercer sur la victime une influence d'une certaine intensité. Il ne suffit en général pas d'évoquer, de suggérer ou simplement de proposer l'exercice de cette activité; on rejette par ailleurs l'hypothèse d'un "encouragement" de la victime si l'auteur crée simplement une occasion de s'adonner à la prostitution ou lui présente cette possibilité, car celle-ci doit être telle qu'elle mène exclusivement à l'activité incriminée (ATF 129 IV 71 consid. 1.4 p. 77). Pour atteindre une certaine intensité, de simples conseils ne suffisent pas non plus; l'auteur doit adopter un comportement qui influence notablement la volonté de la personne, par exemple en fournissant la clientèle ou en mettant un endroit adéquat à disposition de la victime (J. HURTADO POZO, Droit pénal: partie spéciale, Genève/Zurich/Bâle 2009, n. 3127; Message concernant la modification du code pénal et du code pénal militaire (Infractions contre la vie et l'intégrité corporelle, les mœurs et la famille) du 26 juin 1985 in FF 1985 II 1021 ss, p. 1099).

4.3. En l'espèce, les parties s'accordent à dire qu'elles ont pratiqué à plusieurs reprises des actes d'ordre sexuel, soit des fellations, et ont entretenu un rapport sexuel complet avec préservatif. En revanche, leurs déclarations sont contradictoires sur la question du consentement de la recourante auxdits actes en lien avec les troubles psychiques dont elle souffre, reconnaissables par le prévenu, de par sa qualité de ______, ce que [l'unité] E______ a également constaté dans son rapport du 7 juillet 2022.

Lorsqu'il s'agit d'un délit commis "entre quatre yeux", pour lequel il n'existe souvent aucune preuve objective, comme c'est le cas en l'occurrence – aucun témoin n'ayant assisté à la scène – la jurisprudence impose la mise en accusation du prévenu, sauf si les déclarations de la partie plaignante sont contradictoires au point de les rendre moins crédibles.

Force est de constater que la version soutenue par la recourante permet d'envisager, à tout le moins, une éventuelle infraction à l'art. 193 CP. En effet, elle a, de nombreuses fois, lors de son audition, évoqué sa vulnérabilité et ses troubles de la personnalité. Ses déclarations sont corroborées par l'avis du personnel soignant de [l'unité] E______ selon lequel elle présentait un tableau clinique susceptible de correspondre à un trouble dissociatif de l'identité et peinait à identifier les actes de violence à son encontre, ainsi qu'à s'en protéger. Il n'est donc pas exclu que la jeune femme, de par son état de détresse, ait consenti, de façon altérée, voire non libre, aux actes sexuels litigieux. En admettant que l'intimé, ______ de profession, ait été conscient de l'état de la recourante – hypothèse qui ne peut être exclue à ce stade, bien au contraire –, il pourrait avoir utilisé la diminution de la capacité de décider de cette dernière pour l'amener à faire preuve de complaisance et de docilité.

Vu les indices suffisants ressortant du dossier, il appartenait au Ministère public, à tout le moins, de confronter les parties et de procéder à l'audition des professionnels de santé ayant suivi la recourante; voire même des amies de celle-ci, H______ et I______. En l'état, l'instruction paraît ainsi inachevée et lacunaire.

La cause sera par conséquent renvoyée au Ministère public pour qu'il la complète.

5.             Fondé, le recours doit être admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause sera envoyée au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

6.             La recourante sollicite d'être mise au bénéfice de l'assistance judiciaire tant pour la procédure à mener devant le Ministère public que pour l'instance de recours.

6.1. à teneur de l'art. 136 al. 1 CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente (let. a) et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b). L'assistance judiciaire comprend (art. 136 al. 2 CPP), outre l'exonération des frais de procédure (let. a), la désignation d'un conseil juridique gratuit, lorsque la défense des intérêts de la partie plaignante l'exige (let. c).

La cause du plaignant ne devant pas être dénuée de toute chance de succès, l'assistance peut être refusée lorsqu'il apparaît d'emblée que la position du requérant est juridiquement infondée (arrêt du Tribunal fédéral 1B_254/2013 du 27 septembre 2013 consid. 2.1.1).

6.2. En l'espèce, la situation personnelle de la recourante n'apparaît pas favorable et elle présente un état psychique fragile attesté par le rapport de [l'unité] E______. Elle s'est par ailleurs constituée partie plaignante, tant sur le plan pénal que civil. Ses prétentions civiles – bien que non encore formellement déposées – n'apparaissent pas vouées à l'échec, au vu de l'issue du recours.

La nécessité d'un conseil juridique gratuit sera admise.

Partant, l'assistance judiciaire sera accordée à la recourante, au sens de l'art. 136 al. 2 let. a et b CPP, et Me B______ désignée en qualité de conseil juridique gratuit (art. 136 al. 2 let. c CPP) avec effet au 18 mai 2022, date du dépôt de la demande.

7.             La recourante étant au bénéfice de l'assistance judiciaire et obtenant gain de cause, les frais afférents au recours seront laissés à la charge de l'état (art. 428 al. 4 CPP).

8.             Il n'y a pas lieu de fixer à ce stade l'indemnité due au conseil juridique gratuit (art.  135 al. 2 et 138 al. 1 CPP), la procédure n'étant pas terminée.

9.             Au vu de l'issue du litige, aucune indemnisation ne sera accordée au prévenu (art.  429 CPP, à contrario, cum art. 436 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule, en conséquence, l'ordonnance de classement déférée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans les sens des considérants.

Met A______ au bénéfice de l'assistance juridique gratuite, à compter du 18 mai 2022, et désigne Me B______ en qualité de conseil juridique gratuit.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'état.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux parties, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).