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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/1168/2016

AARP/76/2023 du 09.03.2023 sur JTCO/103/2022 ( PENAL ) , REJETE

Descripteurs : TORT MORAL;ACTE D'ORDRE SEXUEL AVEC UN ENFANT;VIOL;TENTATIVE(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.126; CO.49; CP.187.ch1; CP.189.al1; CP.190.al1; CP.22.al1; CP.191
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1168/2016 AARP/76/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 7 mars 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTCO/103/2022 rendu le 25 août 2022 par le Tribunal correctionnel,

 

et

D______ et E______, parties plaignantes, comparant par Me F______, avocat, ______,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 25 août 2022, par lequel le Tribunal correctionnel (TCO) l'a reconnu coupable d'actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 ch. 1 du code pénal suisse [CP]), de contrainte sexuelle (art. 189 al. 1 CP), de tentative de viol (art. 22 al. 1 et 190 al. 1 CP) et d'actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), classant par ailleurs la procédure du chef de pornographie (art. 197 aCP).

Le TCO a condamné A______ à une peine privative de liberté de cinq ans, sous déduction de la détention avant jugement (dont 57 jours de détention extraditionnelle), ordonné un traitement ambulatoire (art. 63 al. 1 CP) et lui a interdit l'exercice de toute activité professionnelle et non professionnelle organisée impliquant des contacts réguliers avec des mineurs pour une durée de dix ans, durée pendant laquelle était en outre ordonnée une assistance de probation.

Le TCO a enfin condamné A______ à payer, à titre de réparation du tort moral, CHF 35'000.- avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 2015 à D______ et CHF 2'000.- avec intérêts à 5% dès le 7 mars 2016 à E______, a débouté G______ de ses conclusions civiles, et mis à charge du prévenu 9/10èmes des frais de la procédure, qui s'élèvent dans leur globalité à CHF 36'622.80, solde à la charge de l'État.

A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant au déboutement de D______ et E______ de leurs conclusions civiles, subsidiairement à la réduction des montants alloués.

b. A______ a été condamné pour les faits suivants, ressortant de l'acte d'accusation du 22 mai 2022 :

b.a.a Il a, entre 2009 et 2014, à Genève, au domicile de sa sœur H______, régulièrement commis des actes d'ordre sexuel sur sa nièce D______, née le ______ 2004, alors âgée entre cinq et dix ans, contre son gré, soit notamment :

- il lui a demandé de venir le rejoindre dans la cuisine, alors qu'il était pris de boisson, et a commencé à toucher et caresser ses parties intimes ;

- il a mis sa main à plusieurs reprises dans la culotte de la fillette et l'a obligée à lui toucher et serrer le sexe, lequel était en érection ;

- il a, chaque soir, pour lui dire bonne nuit, touché ses parties intimes ou lui a fait un baiser sur la bouche ;

- il s'est masturbé dans le salon alors qu'elle était dans la pièce et lui a pris la main pour la mettre dans son pantalon au niveau de son sexe en lui disant qu'il s'agissait de crème et que cela allait lui faire du bien ;

- il lui a demandé à diverses reprises de lui toucher le sexe avec sa main ;

- il l'a contrainte à lui sucer le sexe, puis a commencé à lécher ses parties intimes, en faisant des mouvements avec sa langue, après avoir enlevé sa culotte et alors qu'elle était couchée ;

- il a dit à sa nièce lorsqu'elle avait 12 ans et qu'elle était entrée dans sa chambre où il se trouvait déjà en train de se masturber, qu'il voulait qu'elle le touche, ce à quoi elle a répondu de sortir et qu'ainsi elle ne l'a pas laissé faire et l'a bousculé.

b.a.b. A______ a en outre, entre 2009 et 2014, à Genève, au domicile de sa sœur, tenté à diverses reprises de pénétrer vaginalement avec son sexe D______, contre son gré, dont notamment une fois dans le salon, étant précisé qu'avant cela il se touchait le sexe, qu'il a pris la main de la victime pour la poser sur son propre sexe, qu'il l'a ensuite placée sur lui et lui a enlevé sa culotte, qu'il a essayé de faire entrer son sexe qui était en érection et dur dans son vagin mais qu'elle a eu mal et lui a demandé d'arrêter, qu'il a néanmoins continué d'essayer et de forcer mais qu'il n'est pas parvenu à faire entrer son pénis dans son vagin.

b.b. Il a, le 23 décembre 2015, à Genève, au domicile de sa nièce I______, porté à deux reprises G______, née le ______ 2009, alors âgée de 6 ans, sur son lit en mezzanine, et en a profité pour mettre sa main sur le sexe de l'enfant, ainsi qu'un doigt sur son sexe, ce qui lui a fait mal.

b.c. Il a, entre 2013 et 2016, tout d'abord en Espagne, puis lorsqu'il était à Genève et logeait chez H______, commis des actes d'ordre sexuel à l'encontre de sa nièce E______, née le ______ 2007, mineure, et plus particulièrement alors qu'il jouait au jeu de l'avion avec elle et qu'il la faisait tourner, il en a profité pour mettre sa main dans ses parties intimes par-dessus son pantalon. Une fois, alors que la victime faisait de la trottinette, il s'est mis derrière elle sur la trottinette et s'est frotté contre elle, tout en la touchant entre le dos et les fesses.

B. Les faits de la cause n'étant pas contestés par l'appelant, il est renvoyé au jugement de première instance (art. 82 al. 4 du code de procédure pénale suisse [CPP]), avec les précisions suivantes :

a.a. Dans le cadre de la procédure, D______ a notamment déclaré, en 2015, que son oncle ne l'avait pas menacée mais qu'elle avait eu "tellement peur". Elle n'en avait pas parlé à sa mère car elle avait peur, était inquiète et avait "super-honte" de ce qu'il s'était passé. Plus âgée, elle lui disait d'arrêter et qu'elle allait le dénoncer, mais il savait qu'elle craignait de le faire. Quand il lui disait de toucher son sexe, c'était horrible, elle avait envie de mourir, de partir, d'appeler la police, de faire n'importe quoi, de dire ce qu'il se passait, mais elle était terrifiée.

a.b. Réentendue en 2020, D______ a indiqué que, lors de sa première audition, elle avait dit l'essentiel mais pas les "trucs" qui ne la mettaient pas à l'aise, dont elle n'avait parlé que cette année à son avocat et à sa psychologue. Au début, elle ne comprenait pas, elle avait peur. Son oncle ne la menaçait pas car il n'y avait pas besoin de menacer une enfant de cinq ans. Elle savait que si elle se mettait à parler, il y aurait une explosion ou un "truc" dans la famille. Lorsqu'il avait essayé de la pénétrer, elle avait eu mal, vraiment très mal, et elle lui avait dit d'arrêter. Elle n'avait pas parlé plus tôt, à cause de la famille, qu'elle avait essayé de protéger.

a.c. Un certificat médical du 27 juillet 2022, émanant de la psychiatre et psychothérapeute suivant D______ depuis décembre 2014, atteste de ce que "le motif de la consultation était des difficultés de relation avec ses pairs ainsi que des difficultés d'attention et de concentration pour les apprentissages. En décembre 2015, elle a pu raconter les graves abus sexuels dont elle avait été victime depuis 2009. Durant ces 7 ans et demi de traitement (thérapie avec une fréquence d'une séance par semaine associée à des consultations avec les parents; elle a nécessité ponctuellement un appui pharmacologique), j'ai pu constater les graves conséquences des actes subis sur sa santé psychique, physique, sur ses relations et sur sa scolarité: l'angoisse toujours présente, des flash-backs, des cauchemars, la peur de grandir, la peur d'être agressée par des inconnus, la tristesse, les sentiments de honte, de culpabilité, la peur de ne pas être crédible, de ne pas pouvoir réussir dans la vie, des désirs de mort, des troubles du sommeil, des troubles de la concentration, une grande fatigue chronique, des somatisations (problèmes digestifs, dermatologiques). Au niveau scolaire, elle a toujours été pénalisée par les difficultés d'attention, de concentration, un comportement phobique de montrer ce qu'elle sait (en lien avec le silence qu'elle a dû garder). Un traitement logopédique a dû également être mis en place. Elle doit faire énormément d'effort pour pouvoir continuer sa formation alors qu'elle a un potentiel intellectuel largement suffisant (actuellement, l'école de commerce). Les relations sentimentales se voient entravées par ce vécu traumatique et ses séquelles, augmentant sa souffrance émotionnelle. La douleur que ses parents et sa sœur ont éprouvée, la proximité de parenté de l'abuseur, le fait d'être accusée par certains membres de la famille d'être responsable des abus se rajoutent aux difficultés susnommées. Le traitement continue à être nécessaire, pour une durée difficile à prévoir. La réparation, la reconnaissance attendue de la justice va évidemment permettre d'avancer dans ce long parcours thérapeutique initié il y a sept ans, mais la souffrance actuelle est encore très importante."

b.a. Lors de son audition en 2018, E______ est restée très factuelle mais a manifesté beaucoup de tristesse, notamment en pleurant.

b.b. Devant le Ministère public (MP), en 2020, H______ a indiqué que, désormais, E______ allait bien, même si elle angoissait un peu. Elle allait chez le psychologue, depuis un an. Avant, elle était suivie au Centre thérapeutique J______ mais "elle n'aimait pas car on lui parlait trop de ça". Elle avait des troubles du langage depuis deux ans, une dysphasie. E______ ne parlait plus du tout des faits, était joyeuse, avait des rêves, des projets, contrairement à sa sœur. D______, quant à elle, lui reprochait de ne pas l'avoir protégée, disait avoir manqué de peu d'être violée, eu peur pour sa petite sœur et avoir tout fait pour empêcher que son oncle s'en prenne à celle-ci. Elle n'avait pas voulu en parler, de peur de détruire la famille, et parce qu'il disait qu'on ne la croirait pas, car on avait confiance en lui; elle était en outre attachée aux enfants de son oncle et avait honte, se sentait coupable. Quand D______ parlait des faits, aujourd'hui, elle s'énervait, pleurait et disait préférer parler à sa psychologue.

b.c. L'expertise de crédibilité de E______, établie par le Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) le 5 juin 2020, relève notamment que "peu après avoir exprimé brièvement les raisons de son audition (phase déclarative), E______ manifeste beaucoup de tristesse. S'il n'est pas possible de déterminer si ses pleurs sont liés à la culpabilité d'avoir été victime (rappelons qu'elle dit à deux reprises au moins qu'elle ne pensait pas à mal, s'agissant du jeu de l'avion), ou à la remémoration des actes allégués, l'expression de tristesse renforce la crédibilité des allégations formulées [ ]."

c. Jusque devant les premiers juges, A______ a contesté la totalité des faits dénoncés par D______ et E______. Il déplorait la souffrance causée par cette affaire, notamment à sa nièce, D______, ainsi qu'à ses propres enfants. Sans se sentir responsable de ces maux pour autant, il a tour à tour rejeté la faute sur D______, puis I______.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite.

b. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.

Le certificat produit au sujet de D______ faisait état de nombreux maux mais pas explicitement d'un état de stress post-traumatique. Seule l'angoisse était d'ailleurs clairement décrite comme toujours présente, les autres pathologies étant énumérées sans indication de leur persistance ou de leur guérison. L'ampleur et la régularité du traitement encore nécessaire n'étaient pas décrites. D______ devait dès lors être déboutée de ses conclusions, faute d'avoir apporté la preuve suffisamment précise de son tort moral. Subsidiairement, l'indemnité allouée devait être réduite, à tout le moins en comparaison des sommes allouées en pratique dans des situations autrement plus graves ou en comparaison à la fourchette de CHF 8'000.- à 20'000.- fixée par l'Office fédéral de la justice (OFJ) en cas "[d']atteinte très grave".

Aucun certificat médical n'avait été produit concernant E______ et les premiers juges avaient retenu qu'elle semblait aller bien. Le lien de causalité entre les consultations dont elle avait bénéficié auprès d'un psychologue et les faits reprochés n'était pas établi médicalement. La gêne et la tristesse éprouvée lors de son audition EVIG pouvaient très bien avoir été causées par le fait d'être questionnée par une inspectrice de police. Les conclusions de E______ devaient être intégralement rejetées.

c. Dans leurs mémoires de réponse, D______ et E______ concluent au rejet de l'appel, frais à la charge de l'appelant.

D______ relève que la démarche consistant à admettre désormais la réalité des faits abjects commis, tout en persistant à contester tout tort moral, s'inscrivait dans la dévalorisation de ses victimes soulignée chez A______ par les experts psychiatres. L'attestation médicale critiquée était limpide sur les conséquences des actes subis, étant rappelé que ni la loi ni la jurisprudence n'imposaient que le dommage psychique soit encore actuel au moment où la réparation était allouée. Le fait que le traitement devait se poursuivre confirmait l'actualité des troubles rencontrés et la difficulté à en prévoir la durée témoignait de l'intensité des très importantes souffrances. Comme l'avaient relevé les premiers juges, son enfance et son adolescence avaient volé en éclats en raison des actes subis alors qu'elle n'avait que cinq ans et qui s'étaient poursuivis sur une longue durée. Ses mots d'enfant exprimaient tout sa souffrance, sa solitude, sa détresse et son état de sidération. Sa souffrance avait été provoquée tant par les actes-mêmes – d'une violence inouïe – que par la situation de violence structurelle et l'obligation de garder le secret pour protéger la famille. Enfin, le montant arrêté par les premiers juges était parfaitement adéquat et conforme à la jurisprudence.

E______ admet avoir subi moins de conséquences que sa sœur, mais celles-ci n'étaient pas pour autant inexistantes. Elle avait consulté un psychologue pendant une année et fréquenté le [centre] J______ , ce qui démontrait l'existence d'un lien entre le comportement de l'auteur et le suivi. La gêne et la tristesse décelées lors de l'audition EVIG étaient bien le signe d'une atteinte. Le montant alloué par les premiers juges était dès lors adéquat.

Me F______, conseil privé de D______, dépose une note d'honoraires pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, quatre heures d'activité de chef d'Etude. Curateur de E______, il déposera son état de frais dans le cadre de la procédure civile.

d. Le MP s'en rapporte à justice.

e. Le TCO persiste dans ses considérants.

D. Me C______, défenseur d'office de A______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, 15 heures d'activité de collaborateur et CHF 280.- à titre de débours correspondant aux frais d'interprète. En première instance, il a été indemnisé pour plus de 80 heures d'activité.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1.1. En qualité de partie plaignante, le lésé peut faire valoir des conclusions civiles déduites de l'infraction par adhésion à la procédure pénale (art. 122 al. 1 CPP). En vertu de l'art. 126 al. 1 let. a CPP, le tribunal statue sur les prétentions civiles présentées lorsqu'il rend un verdict de culpabilité à l'encontre du prévenu.

2.1.2. L'art. 49 al. 1 CO dispose que celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d'argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l'atteinte le justifie et que l'auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement. L'ampleur de la réparation morale dépend avant tout de la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l'atteinte subie par la victime et de la possibilité d'adoucir sensiblement, par le versement d'une somme d'argent, la douleur morale qui en résulte. En raison de sa nature, l'indemnité pour tort moral, qui est destinée à réparer un dommage qui ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d'argent, échappe à toute fixation selon des critères mathématiques, de sorte que son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites. L'indemnité allouée doit toutefois être équitable. Statuant selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC), le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation. Il n'est pas nécessaire que les souffrances soient attestées par un rapport thérapeutique (arrêt du Tribunal fédéral 6B_123/2020 du 26 novembre 2020, consid. 10.1 et 10.2).

Toute comparaison avec d'autres affaires doit intervenir avec prudence, dès lors que le tort moral touche aux sentiments d'une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment face au malheur qui le frappe. Une comparaison avec d'autres cas similaires peut cependant, suivant les circonstances, constituer un élément d'orientation utile (ATF 138 III 337 consid. 6.3.3 p. 345).

Le guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale selon la loi sur l'aide aux victimes établi le 3 octobre 2019 par l'Office fédéral de la justice (OFJ) propose les fourchettes suivantes :

- jusqu'à CHF 8'000.- pour les atteintes graves (tentative de viol, [tentative de] contrainte sexuelle, harcèlement sexuel à la fréquence ou à l’intensité particulières, acte sexuel avec un enfant) ;

- entre CHF 8'000.- à CHF 20'000.- pour les atteintes très graves (viol, contrainte sexuelle grave, actes d'ordre sexuel graves commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, acte sexuel grave ou répété avec un enfant) ;

- entre CHF 20'000.- et CHF 70'000.- pour les atteintes à la gravité exceptionnelle (agressions répétées et particulièrement cruelles, actes sexuels à la fréquence ou à l’intensité particulières avec un enfant sur une longue période).

Les montants accordés en cas de viol ou de contrainte sexuelle par les autorités judiciaires, sur la base des art. 41ss CO, se situent généralement entre CHF 10'000.- et CHF 30'000.- (arrêts du Tribunal fédéral 6B_898/2018 du 2 novembre 2018 ; 6B_129/2014 du 19 mai 2014 ; AARP/116/2017 du 3 avril 2017 ; AARP/266/2016 du 28 juin 2016 ; AARP/92/2012 du 26 mars 2012). D'une manière générale, la jurisprudence récente tend à allouer des montants de plus en plus importants au titre du tort moral (ATF 125 III 269 consid. 2a).

À titre d'exemples, le Tribunal fédéral a fixé ou confirmé les indemnités suivantes en faveur de mineures victimes d'actes d'ordre sexuel :

- CHF 100'000.- à une fillette ayant subi durant dix ans à compter de ses huit ans des abus sexuels particulièrement graves de la part de son père presque quotidiennement et pour laquelle les conséquences psychiques et physiques avaient été extrêmement lourdes. Elle souffrait en effet d'un retard mental léger, de troubles de la personnalité et du comportement et de dépression sévère. Selon les psychologues, il existait par ailleurs un risque de dommages permanents sur les plans affectif, intellectuel et professionnel. Elle avait également tenté de se suicider à tout le moins à une reprise (ATF 125 III 269 consid. 2b) ;

- CHF 50'000.- à chacune de deux fillettes contraintes, de leurs cinq/six ans à leurs 13 ans, par leur oncle, à subir divers actes d'ordre sexuel, tels que des fellations et des masturbations contraintes ainsi que l'acte sexuel pour l'une d'entre elles, qui les avaient fortement atteintes dans leur intégrité physique et psychique. Ces abus avaient engendré chez elles un véritable traumatisme et un futur recours à des traitements pour faire face à certains événements de leur vie affective et sexuelle était probable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_646/2008 du 23 avril 2009 consid. 6) ;

- CHF 40'000.- à une fillette ayant subi de ses six à ses neuf ans divers actes d'ordre sexuel de la part d'un ami de la famille, et qui n'avait été capable de dévoiler les faits que dix ans après (arrêt du Tribunal fédéral 6B_486/2015 du 25 mai 2016 consid. 4) ;

La jurisprudence récente des tribunaux genevois va dans le même sens :

- CHF 50'000.- à une fillette ayant subi de ses six à 13 ans de nombreux actes d'ordre sexuel de la part de son oncle, tels que cunnilingus, fellations, masturbations contraintes, pénétrations vaginales de ses doigts ; l'auteur avait également frotté son sexe contre le sien jusqu'à éjaculation. Elle souffrait d'un état de stress post-traumatique, se manifestant par des troubles du sommeil, des souvenirs envahissants sous forme de flash-back, un état anxio-dépressif, un recours à des mécanismes de protection psychique tels que le clivage, un comportement auto-agressif et des idéations suicidaires avec des passages à l'acte (AARP/370/2020 du 11.11.2020) ;

- CHF 40'000.- à une fillette abusée entre ses quatre et dix ans par son grand-père, qui souffrait fréquemment de maux de ventre, avec parfois des maux de tête associés, décrivait des flash-backs, des difficultés d'endormissement, se disait très déprimée, avec des idées suicidaires (AARP/132/2018 du 02.05.2018) ;

- CHF 35'000.- à un jeune garçon ayant été gravement abusé (masturbations, fellations, sodomies) sur une période de deux ans par un ami proche de la famille, humilié par des mises en scène scabreuses et contraint à revoir les films des sévices subis. Il présentait un état de stress post-traumatique, une grande tristesse l'habitait en permanence, ainsi qu'un sentiment de culpabilité (JTCR/2/2021 du 30.04.2021) ;

- CHF 25'000.- à une fillette de dix ans ayant subi divers actes d'ordre sexuel sur une période de six mois par un cousin; elle souffrait depuis d'un trouble dépressif récurrent avec tentative de suicide, lequel avait nécessité une médication, et d'un trouble de la personnalité émotionnelle (AARP/2/2023 du 09.01.2023).

2.2. En l'espèce, les actes subis par D______, alors qu'elle n'était qu'une enfant, sont extrêmement graves et se sont produits de manière répétée sur une longue période (cinq ans). Ils ont été perpétrés par un membre de la famille en qui elle avait confiance et qui était estimé par ses proches, la plaçant dans une situation de détresse. Ils l'ont été au domicile de la victime, où un enfant devrait précisément pouvoir vivre et développer un sentiment de sécurité. L'appelant n'a pas hésité à utiliser son ascendant et autorité naturels ainsi que les liens familiaux qui les unissaient pour abuser de sa nièce, étant précisé qu'elle avait très peur. Dans cette mesure et selon l'expérience générale de la vie, le développement harmonieux de D______ a été irrémédiablement atteint et il est probable qu'elle devra en supporter les séquelles toute sa vie.

Ses symptômes et souffrances sont nombreux (angoisse, flash-backs, cauchemars, peur de grandir, d'être agressée, tristesse, sentiment de honte, culpabilité, peur de ne pas être crédible, de ne pas pouvoir réussir dans la vie, désirs de mort, troubles du sommeil, troubles de la concentration, grande fatigue [chronique], somatisations [problèmes digestifs, dermatologiques], difficultés scolaires, d'attention, de concentration, comportement phobique, trouble logopédique, relations sentimentales entravées, souffrance émotionnelle); accumulés, ils entrent manifestement dans l'acception d'un état de stress post-traumatique, quoiqu'en dise l'appelant. Le comportement et l'attitude de D______ ont durablement changé : elle s'est renfermée sur elle-même, ne souhaitant se confier qu'à sa psychologue, s'est éloignée de sa mère, lui reprochant de ne pas l'avoir protégée, est entravée dans ses relations sentimentales, doit fournir d'importants efforts pour pouvoir finir sa formation et a une peur phobique de montrer ce qu'elle sait à l'école, en lien avec le secret qu'elle a dû garder durant des années. Sans que cela ne soit une condition, sa souffrance est toujours actuelle à teneur du certificat médical et son suivi thérapeutique hebdomadaire, initié il y a plus sept ans, demeure nécessaire pour une durée indéterminée, ce qui démontre toute l'intensité des séquelles.

Aussi, le certificat médical produit, les déclarations de D______ et celles de sa mère attestent tous l'existence d'importantes séquelles en lien manifestement avec les actes de l'appelant, de sorte que ce dernier ne saurait être suivi lorsqu'il allègue que le tort moral n'a pas été suffisamment établi. L'appelant est particulièrement mal venu de nier l'existence de tout tort moral alors qu'il ne conteste désormais plus être l'auteur des actes abjects commis au détriment de sa nièce.

La quotité de l'indemnité en CHF 35'000.- allouée par le TCO est conforme à la jurisprudence actuelle et n'apparaît de loin pas excessive, au vu de l'intensité, la fréquence et la gravité des actes subis pendant une longue période de l'enfance. Elle se situe par ailleurs dans la fourchette des cas dits "d'extrême gravité" du guide de l'OFJ, lesquels comprennent notamment les "actes sexuels à la fréquence ou à l’intensité particulières avec un enfant sur une longue période". Partant, elle sera confirmée.

S'agissant de E______, les juges de première instance n'ont pas erré en estimant que la grande tristesse et la gêne manifestées par celle-ci lors de son audition EVIG et relevées par les experts démontraient l'existence d'une atteinte. La question de savoir si ses pleurs étaient liés à la culpabilité d'avoir été victime ou à la remémoration des actes en tant que tels peut rester ouverte, dans la mesure où les deux causes découlent des actes de l'appelant. Une légère angoisse a également été constatée par la mère de l'enfant. Dans ces conditions, il y a lieu d'admettre l'existence d'un tort moral. Le lien de causalité entre les actes de l'appelant et les souffrances morales est également donné par le suivi thérapeutique d'une année et la fréquentation du [centre] J______, étant rappelé que l'existence d'un rapport thérapeutique n'est pas non plus exigée par la loi. Aussi, la CPAR confirmera également l'indemnité en CHF 2'000.-, cette somme n'apparaissant pas comme excessive, bien au contraire.

Au vu de ce qui précède, l'appel sera rejeté.

3. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de la procédure d'appel (art. 428 CPP), lesquels comprennent un émolument de CHF 2'000.- (art. 428 CPP ; art. 14 du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP]).

La mise à sa charge de 9/10èmes des frais de première instance sera confirmée
(art. 426 CPP).

4. 4.1. L'art. 433 al. 1 let. a CPP permet à la partie plaignante de demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure lorsqu'elle obtient gain de cause.

La juste indemnité, notion qui laisse un large pouvoir d'appréciation au juge, couvre les dépenses et les frais nécessaires pour faire valoir le point de vue de la partie plaignante dans la procédure pénale (arrêts du Tribunal fédéral 6B_549/2015 du
16 mars 2016 consid. 2.3 in SJ 2017 I 37 ; 6B_495/2014 du 6 octobre 2014
consid. 2.1).

4.2. En l'espèce, les frais d'avocat pour la procédure d'appel articulés par D______, partie plaignante, répondent aux conditions posées par la loi et la jurisprudence, de sorte qu'il sera fait droit à sa demande d'indemnisation.

L'appelant sera ainsi condamné à lui verser une indemnité équitable pour ses frais d'avocat pour la procédure d'appel en CHF 1'938.60, correspondant à quatre heures au tarif de 450.-/heure (CHF 1'800.-), l'équivalent de la TVA à 7.7 % (CHF 138.60) versé en sus.

5. 5.1. Selon l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès.

Seules les heures nécessaires sont retenues. Elles sont appréciées en fonction notamment de la nature, de l'importance et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ)

On exige de l'avocat qu'il soit expéditif et efficace dans son travail et qu'il concentre son attention sur les points essentiels. Des démarches superflues ou excessives n'ont pas à être indemnisées (M. VALTICOS / C. REISER / B. CHAPPUIS / F. BOHNET (éds), Commentaire romand, Loi fédérale sur la libre circulation des avocats,
2ème éd., Bâle 2022, n. 257 ad art. 12).

5.2. L'activité consacrée aux conférences, audiences et autres actes de la procédure est majorée de 20% jusqu'à 30 heures de travail, décomptées depuis l'ouverture de la procédure, et de 10% lorsque l'état de frais porte sur plus de 30 heures, pour couvrir les démarches diverses, telles la rédaction de courriers ou notes, les entretiens téléphoniques et la lecture de communications, pièces et décisions (arrêt du Tribunal fédéral 6B_838/2015 du 25 juillet 2016 consid. 3.5.2 ; voir aussi les décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2016.34 du 21 octobre 2016 consid. 4.1 et 4.2 et BB.2015.85 du 12 avril 2016 consid. 3.5.2 et 3.5.3).

5.3. Lorsque le client de l'avocat est détenu, une visite d'une heure et 30 minutes (déplacement compris) par mois jusqu'au prononcé du jugement ou de l'arrêt cantonal est admise, indépendamment des besoins de la procédure, pour tenir compte de la situation particulière de la personne détenue (AARP/181/2017 du 30 mai 2017 consid. 8.2.2.2 et 8.3.5 ; cf. également Ordonnance de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2016.369 du 12 juillet 2017 consid. 4.2.4).

5.4. En l'occurrence, la note de frais tendant à l'indemnisation de 15 heures d'activité paraît largement excessive. Seront retranchées 30 minutes au poste "revue du courrier de la CPAR, recherches juridiques relative au tort moral, courrier client", l'heure et demi consacrée à la rédaction de la déclaration d'appel et les deux heures de lecture du jugement de première instance avec recherches juridiques relatives aux motifs d'appel par le collaborateur, ces activités étant comprises dans le forfait de 10%. Les six heures et 30 minutes de rédaction du mémoire d'appel et recherches juridiques au fond seront réduites à trois heures et 30 minutes, compte tenu du fait que le dossier était largement connu de l'avocat et n'a pas rencontré de développement particulier en instance d'appel, d'une part et que les recherches juridiques se sont limitées à la casuistique, laquelle est réputée maîtrisée par un avocat breveté et l'assistance juridique n'ayant pas vocation à financer la formation continue, d'autre part. Seuls le premier parloir à B______ et les frais d'interprète y relatifs seront indemnisés, dans la mesure où, une fois que le détenu décide de ne contester ni sa culpabilité ni sa peine, il n'est plus dans l'incertitude quant à son sort. Par ailleurs, son appel est à la limite de la témérité, ce dont il sera tenu compte.

En conclusion, la rémunération sera arrêtée à CHF 1'198.15, correspondant à cinq heures et 30 minutes d'activité au tarif de CHF 150.-/heure (CHF 825.-), plus la majoration forfaitaire de 10% (CHF 82.50) et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% (CHF 75.65). Les débours en CHF 140.- et la vacation en CHF 75.- seront indemnisées en sus.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTCO/103/2022 rendu le 25 août 2022 par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/1168/2016.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 2'195.-, qui comprennent un émolument de CHF 2'000.-.

Condamne A______ à verser à D______ CHF 1'938.60, à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure d'appel.

Arrête à CHF 1'198.15, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me C______, défenseur d'office de A______, pour la procédure d'appel.

Constate que le jugement entrepris est entré en vigueur en tant qu'il :

"Déclare A______ coupable d'actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 ch. 1 CP), contrainte sexuelle (art. 189 al. 1 CP), tentative de viol (art. 22 al. 1 et 190 al. 1 CP) et actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP).

Classe la procédure du chef de pornographie (art. 197 aCP) (art. 97 al. 1 let. c aCP et 329 al. 4 et 5 CPP).

Condamne A______ à une peine privative de liberté de 5 ans, sous déduction de 990 jours de détention avant jugement (dont 57 jours de détention extraditionnelle) (art. 40 et 51 CP).

Ordonne un traitement ambulatoire (art. 63 al. 1 CP).

Interdit à A______ l'exercice de toute activité professionnelle et de toute activité non professionnelle organisée impliquant des contacts réguliers avec des mineurs pour une durée de 10 ans (art. 67 al. 3 aCP).

Ordonne une assistance de probation pour la durée de l'interdiction (art. 67 al. 7 aCP).

Ordonne le maintien en détention pour des motifs de sûreté de A______ (art. 231 al. 1 let. a CPP).

Déboute G______ de ses conclusions civiles (art. 49 al. 1 CO).

Condamne A______ aux 9/10 des frais de la procédure, qui s'élèvent dans leur globalité à CHF 36'622.80, y compris un émolument de jugement de CHF 5'000.- (art. 426 al. 1 CPP et 10 al. 1 let. e RTFMP).

Laisse le solde des frais de la procédure à la charge de l'Etat (art. 423 CPP).

Fixe l'indemnité de procédure de première instance due à Me C______, défenseur d'office, à CHF 12'133.- (art. 135 al. 2 CPP).

Déboute les parties de toutes autres conclusions."

Cela fait, confirme le jugement entrepris en tant qu'il :

"Condamne A______ à payer à D______, à titre de réparation du tort moral, CHF 35'000.- avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 2015 (art. 49 al. 1 CO).

Condamne A______ à payer à E______, à titre de réparation du tort moral, CHF 2'000.- avec intérêts à 5% dès le 7 mars 2016 (art. 49 al. 1 CO)."

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel.

Le greffier :

Alexandre DA COSTA

 

La présidente :

Catherine GAVIN

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal correctionnel :

CHF

36'622.80

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

0.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

120.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

0.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

2'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

2'195.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

38'817.80