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Décisions | Tribunal pénal

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P/21091/2021

JTDP/54/2023 du 17.01.2023 sur OPMP/2132/2022 ( OPOP ) , JUGE

Normes : CP.157; LEI.117
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL DE POLICE

Chambre 4

17 janvier 2023

 

 

MINISTÈRE PUBLIC

contre

X______, née le ______1974, Domicile élu : c/o Me STEHLE HALAUCESCU Oana, ______ Genève, prévenue, assistée de Me Oana STEHLE HALAUCESCU


 

 

CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Ministère public conclut à un verdict de culpabilité pour usure et infraction à l'art. 117 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI). Il requiert une peine pécuniaire de 180 jours-amende à CHF 140.-, assortie du sursis avec un délai d'épreuve de 3 ans, le prononcé d'une amende de CHF 5'040.-, assortie d'une peine privative de liberté de substitution de 36 jours, et la condamnation de la prévenue aux frais de la procédure.

X______, par la voix de son Conseil, conclut à son acquittement de toutes les infractions retenues dans l'ordonnance pénale, à l'octroi de l'indemnité réclamée sur la base de l'art. 429 CPP et à ce que les frais soient laissés à la charge de l'Etat.

*****

Vu l'opposition formée le 28 mars 2022 par X______ à l'ordonnance pénale rendue par le Ministère public le 14 mars 2022;

Vu l'ordonnance sur opposition du Ministère public du 25 octobre 2022;

Vu l'art. 356 al. 2 CPP selon lequel le Tribunal de première instance statue sur la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition;

Attendu que l'ordonnance pénale et l'opposition sont conformes aux prescriptions des art. 352, 353 et 354 CPP.

*****

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant sur opposition:

Déclare valables l'ordonnance pénale du 14 mars 2022 et l'opposition formée contre celle-ci par X______ le 28 mars 2022.

et statuant à nouveau:

EN FAIT

A. Par ordonnance pénale du 14 mars 2022, valant acte d'accusation, il est reproché à X______ d'avoir, à Genève, entre le mois de mars 2016 et le 30 juin 2021:

·         employé A______, de nationalité nicaraguayenne, afin de la faire travailler au service de sa mère, alors que la précitée ne disposait pas des autorisations nécessaires pour séjourner et travailler en Suisse,

faits qualifiés d'infraction à l'art. 117 al. 1 de la Loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (RS 142.20; LEI);

·         exploité la situation personnelle, la gêne et la faiblesse d'A______, qui se trouvait sans ressource et en situation irrégulière, en la faisant travailler de 20h00 à 13h00 tous les jours de la semaine, sauf le samedi, contre un salaire horaire de CHF 3.- la journée et de CHF 3.50 la nuit, de 20h00 à 8h00, soit un salaire largement en dessous des salaires minimaux applicables en Suisse et, de la sorte, profité d'avantages pécuniaires disproportionnés,

faits qualifiés d'usure (art. 157 ch. 1 CP).

B. Les éléments pertinents suivants ressortent de la procédure:

a. A teneur du rapport de renseignements du 18 octobre 2021, la police est intervenue dans un appartement situé avenue ______ 10 à Genève le 9 juillet 2021. A______, originaire du Nicaragua, se trouvait notamment dans ce logement. Etant en situation irrégulière en Suisse, elle a été convoquée par la police afin d'être interrogée à ce sujet.

b. Entendue par la police le 14 juillet 2021 en qualité de prévenue, en particulier sur sa situation personnelle, professionnelle et administrative, A______ a indiqué être arrivée à Genève avec ses deux enfants au mois de mars 2006, et ce, afin de travailler. Elle n'avait jamais formulé de demande auprès de l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) et n'avait a fortiori bénéficié d'aucune autorisation. En substance, elle a admis séjourner et travailler de manière illégale à Genève depuis environ 15 ans, sous réserve d'un an entre 2011 et février 2012 pendant lequel elle a vécu au Nicaragua.

S'agissant de son emploi entre 2016 et 2021, elle a déclaré avoir été engagée par X______ au mois de mars ou avril 2016, pour travailler au domicile de la mère de cette dernière, et ce, jusqu'au 1er juillet 2021, lorsqu'elle a été licenciée. En moyenne, elle travaillait environ 100 heures par semaine, étant précisé que X______ tenait un planning détaillé de ses horaires. Plus précisément, pendant 3 ans, ses horaires de travail s'étaient étendus de 20h00 à 13h00, tous les jours de la semaine, à l'exception du samedi. Par la suite, elle les avait réduits. Elle bénéficiait d'un tarif horaire de CHF 3.- de l'heure durant la journée. Lorsqu'elle travaillait la nuit, soit de 20h00 à 8h00, elle percevait la somme totale de CHF 42.-. L'argent était versé en espèces, de main à main, et elle n'avait jamais reçu de décompte de salaire.

c.a. X______ a été entendue par la police le 12 août 2021. Elle a indiqué avoir engagé A______ pour sa mère qui avait besoin d'assistance personnelle. Lors de son engagement, A______ lui avait présenté une attestation de l'OCPM, aux termes de laquelle il était indiqué qu'elle séjournait sur le territoire genevois et que son dossier était en cours de traitement. En outre, A______ lui avait précisé être déclarée auprès d'autres employeurs. Partant, étant en confiance, elle ne lui avait pas demandé ses documents d'identité. Elle a ensuite affirmé qu'A______ lui avait montré une autorisation de séjour.

Elle a également indiqué avoir appris qu'A______ n'avait pas de logement et avait également accepté que la fille de la précitée, au vu des différents problèmes qu'elle rencontrait, dorme chez sa mère, à une reprise. Son employée lui avait dit avoir des problèmes familiaux et avec la justice.

X______ a ajouté qu'A______ avait travaillé jusqu'à la fin du mois de juin 2021. Son salaire horaire était de CHF 3.- durant la journée, respectivement de CHF 3.50 durant la nuit. Elle a ainsi reconnu lui avoir versé entre CHF 1'200.- et CHF 1'400.- par mois à titre de salaire, précisant qu'elle ne s'était pas acquittée des charges sociales.

c.b. Entendue par le Ministère public le 14 septembre 2022, X______ a déclaré avoir fait la connaissance d'A______ à travers un ami de sa famille, en qui elle avait confiance et l'avoir engagée depuis mai 2016. A______ bénéficiait d'une carte AVS, payait son assurance-maladie et lui avait présenté une attestation de l'OCPM, qui mentionnait qu'elle était en cours de régularisation. En outre, A______ lui avait régulièrement demandé des avances sur son salaire pour payer son avocat qui l'aidait dans ces démarches. Il lui apparaissait dès lors impossible qu'A______ n'ait pas été au bénéfice des autorisations nécessaires. Elle n'avait pas informé l'OCPM qu'elle avait employé A______. Enfin, cette dernière vivait avec sa fille ainsi que son frère et déménageait très souvent.

S'agissant de l'activité d'A______, elle a expliqué que celle-ci s'occupait de la toilette de sa mère, de mettre cette dernière au lit, de réchauffer les repas déjà préparés et de s'occuper de l'entretien de l'appartement. Le reste du temps, il s'agissait simplement d'une présence, rassurante pour sa mère, dans la mesure où elle dormait au domicile de cette dernière. Ainsi, le nombre d'heures effectivement travaillées s'élevait à 6h00 par jour. Les horaires d'A______ étaient très variables, en fonction des autres emplois qu'elle occupait. En substance, A______ avait assumé, dans un premier temps, un horaire du lundi au vendredi de 20h00 à environ 12h00, voire 13h00. Puis, dans un second temps, elle avait travaillé de 21h00 à 10h30. Ce changement était intervenu à la demande d'A______, afin qu'elle puisse concilier ce travail avec ses autres emplois. Elles avaient convenu d'un salaire mensuel d'environ CHF 1'400.- à CHF 1'600.-.

C. A l'audience de jugement du 17 janvier 2023, X______ a réaffirmé que, compte tenu des différents documents qu'A______ lui avait montrés, elle pensait que la précitée disposait des autorisations nécessaires pour travailler en Suisse. Par ailleurs, au fil des années, A______ lui avait affirmé que l'obtention de son permis était en cours. En outre, dans la mesure où A______ se trouvait en Suisse depuis 10 ans, elle pensait que sa situation était réglée.

X______ a déclaré qu'A______ venait vers 20h00 le soir, s'occupait de donner à manger à sa mère et de la mettre au lit de sorte que vers 21h30-22h00, son activité était terminée même si elle constituait une présence pour sa mère qu'il y ait besoin de s'occuper de celle-ci. Le matin, A______ s'occupait de sa mère sur une durée de 2h00, celle-ci restant parfois jusqu'à 13h00 pour lui donner à manger. Dans l'intervalle, toutefois il s'agissait juste d'une présence.

S'agissant de la situation personnelle d'A______, la prévenue a déclaré, entre autres, savoir qu'elle avait fait de la prison, qu'elle avait fait venir sa fille et son petit frère en Suisse, qu'elle devait envoyer de l'argent dans son pays d'origine, qu'elle avait beaucoup déménagé, qu'elle sous-louait des appartements et qu'elle avait besoin de travailler.

Elle a qualifié le travail d'A______ de "dame de compagnie", dans la mesure où sa mère n'avait pas besoin de soins particuliers, étant précisé qu'elle lui avait demandé de rester la nuit auprès de sa mère, ce que l'employée avait accepté. Ainsi, elle n'avait pas été surprise qu'A______ accepte ce salaire, au vu du travail à fournir, bien que ce salaire, même multiplié par trois, ne soit pas usuel à Genève, ajoutant que si cette employée n'avait pas voulu de ce travail, elle n'était pas obligée de l'accepter.

D. X______, originaire d'Italie, est née le ______ 1974 à Genève. Elle est au bénéfice d'un permis C. Elle est séparée. Elle a deux enfants à charge âgés de 17 ans et 15 ans. Elle est responsable des ressources humaines au sein de la société ______, percevant à ce titre un salaire mensuel net de CHF 8'800.-. Son loyer s'élève à CHF 2'286.-. Sa fortune mobilière s'élève à environ CHF 100'000.- et elle est copropriétaire avec sa sœur d'un bien immobilier en Calabre/Italie

Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse, elle n'a pas d'antécédent.

 

EN DROIT

1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence garantie par l'art. 6 § 2 CEDH et, sur le plan interne, par l'art. 32 al. 1 Cst. et l'art. 10 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves. En tant que règle sur le fardeau de la preuve, ce principe signifie qu'il incombe à l'accusation d'établir la culpabilité de l'accusé, et non à ce dernier de démontrer son innocence. Il est violé lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que l'accusé n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a; ATF 120 Ia 31 consid. 2c et 2d).

Comme règle de l'appréciation des preuves, le principe in dubio pro reo signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a; ATF 124 IV 86 consid. 2a; ATF 120 Ia 31 consid. 2c).

2.1.1. Selon l'art. 117 al. 1 LEI, quiconque, intentionnellement, emploie un étranger qui n'est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse ou a recours, en Suisse, à une prestation de services transfrontaliers d'une personne qui n'a pas l’autorisation requise est puni d’une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire. Dans les cas graves, la peine sera une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire. En cas de peine privative de liberté, une peine pécuniaire est également prononcée.

Avant d'engager un étranger, l'employeur doit s'assurer qu'il est autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse en examinant son titre de séjour ou en se renseignant auprès des autorités compétentes (art. 91 al. 1 LEI).

La simple omission de procéder à l'examen du titre de séjour ou de se renseigner auprès des autorités compétentes constitue déjà une violation du devoir de diligence (ATF 141 II 57 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_583/2020 du 1er octobre 2020 consid. 1.2 et les références citées).

2.1.2. Selon l'art. 319 du Code des obligations, par le contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni (salaire aux pièces ou à la tâche) (al. 1); est aussi réputé contrat individuel de travail le contrat par lequel un travailleur s’engage à travailler régulièrement au service de l’employeur par heures, demi-journées ou journées (travail à temps partiel) (al. 2).

2.2. En l'espèce, il est établi sur la base des déclarations d'A______ que cette dernière a travaillé durant 5 ans comme employée de la prévenue, soit du mois d'avril 2016 au mois de juin 2021. En effet, la manière dont A______ a décrit sa relation avec la prévenue permet notamment de retenir que cette dernière était effectivement son employeur.

De plus, la prévenue a également admis avoir engagé A______, bien que le travail de cette dernière consistait en la prise en charge sa mère.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal retient qu'il ne fait aucun doute qu'A______ et la prévenue étaient liées par un contrat de travail.

A teneur du dossier, il est également établi qu'A______ n'était au bénéfice d'aucune autorisation de séjour ou de travail au moment où elle a débuté son activité pour le compte de la prévenue ainsi que durant toute la période durant laquelle elle a été employée. La prévenue a cependant indiqué, tout au long de la procédure, penser qu'A______ était en situation régulière, au vu des documents qu'elle lui avait soumis et des indications reçues oralement. Ses affirmations ne sont toutefois nullement étayées par des documents.

Dans tous les cas, il appartenait à la prévenue, en sa qualité d'employeur, de s'assurer qu'A______ disposait d'une autorisation de séjour et de travail ou, à tout le moins, de se renseigner auprès des autorités compétentes à ce sujet, ce qu'elle n'a pas fait. Le fait qu'A______ lui aurait montré certains documents, ce qui n'est pas établi, ne la dispensait pas de son obligation de vérifier. De surcroit, d'après les déclarations de la prévenue, au fil des années, A______ lui aurait indiqué que l'obtention d'un permis était en cours de traitement. Ainsi, il n'est pas crédible que la prévenue ait pu penser qu'A______ était en situation régulière. En outre, il apparait peu probable qu'A______ ait indiqué être déclarée auprès d'autres employeurs.

Il sera enfin souligné que la prévenue travaille en qualité de responsable des ressources humaines au sein d'une entreprise et qu'elle ne pouvait dès lors pas ignorer qu'une autorisation de travail était nécessaire dans ce cas. Toujours compte tenu de son statut professionnel, il apparaît pour le moins curieux, si l'employée lui avait soumis un document de l'OCPM l'autorisant à demeurer ou à travailler en Suisse, que la prévenue n'en ait pas fait de copie. Ses explications sur ce point n'apparaissent ainsi pas crédibles.

Quoiqu'il en soit, il n'en demeure pas moins que la prévenue a employé une ressortissante nicaraguayenne sans autorisation de travail en Suisse et sans procéder à la moindre vérification sur le statut administratif de celle-ci.

Ainsi, la prévenue sera reconnue coupable d'infraction à l'art. 117 al. 1 LEI.

3.1.1. Aux termes de l'art. 157 ch. 1 CP, celui qui aura exploité la gêne, la dépendance, l'inexpérience ou la faiblesse de la capacité de jugement d'une personne en se faisant accorder ou promettre par elle, pour lui-même ou pour un tiers, en échange d'une prestation, des avantages pécuniaires en disproportion évidente avec celle-ci sur le plan économique sera puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

Cette infraction suppose la réalisation des éléments constitutifs objectifs suivants: une situation de faiblesse de la victime, l'exploitation de cette situation de faiblesse, l'échange d'une contre-prestation, une disproportion évidente entre l'avantage pécuniaire et la contre-prestation ainsi que l'existence d'un rapport de causalité entre la situation de faiblesse et la disproportion des prestations. Du point de vue subjectif, l'infraction est intentionnelle. Le dol éventuel suffit. L'intention doit porter sur la disproportion évidente entre la prestation et la contre-prestation ainsi que sur la situation de faiblesse de la victime (arrêt du Tribunal fédéral 6B_430/2020 du 26 août 2020 consid. 2.1 et les arrêts cités).

3.1.2. L'avantage pécuniaire obtenu doit être en disproportion évidente, sur le plan économique, avec la prestation fournie. Pour déterminer s'il y a une telle disproportion, il y a lieu de procéder à une évaluation objective, en recherchant la valeur patrimoniale effective de la prestation, calculée en tenant compte de toutes les circonstances (arrêt du Tribunal fédéral 6B_395/2007 du 14 novembre 2007 consid. 4.1). Le rapport entre la prestation et la contreprestation se mesure dans le cas normal selon le prix ou la rémunération usuels pour des choses ou des services de même espèce (arrêt du Tribunal fédéral 6B_387/2008 du 15 août 2008 consid. 2.2).

Selon la jurisprudence, la disproportion doit excéder sensiblement les limites de ce qui apparaît usuel et normal en regard de toutes les circonstances. Un écart de 25% est en général considéré comme constitutif d'une disproportion (ATF 92 IV 132 consid. 1). Elle doit paraître frappante et s'imposer comme telle (arrêt du Tribunal fédéral 6S_6/2007 du 19 février 2007 consid. 3.1.1). S'agissant d'un domaine assez strictement réglementé, l'usure doit sans doute être admise dès 20% (CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, n. 38 ad art. 157 CP). Enfin, cette disproportion doit être en lien de causalité avec la situation de faiblesse de la victime.

3.1.3. L'infraction d'usure consiste à obtenir ou à se faire promettre une contre-prestation disproportionnée en exploitant la faiblesse de l'autre partie (ATF 111 IV 139 consid. 3a). Les situations de faiblesse sont énumérées de manière exhaustive à l'art. 157 CP (gêne, dépendance, inexpérience et faiblesse de la capacité de jugement).

3.1.4. L'état de gêne s'entend de tout état de contrainte qui influe si fort sur la liberté de décision de la personne lésée qu'elle est prête à fournir une prestation disproportionnée (ATF 92 IV 132 consid. 2). Il ne s'agit pas nécessairement d'une gêne financière (FF 1991 II 1015; ATF 92 IV 132 consid. 2) et elle peut être seulement passagère (ATF 80 IV 15 consid. 3). Il faut procéder à une appréciation objective: on doit admettre qu'une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, aurait été entravée dans sa liberté de décision (arrêt du Tribunal fédéral 6S.6/2007 du 19 février 2007 consid. 3.2.1 et les références citées). Le consentement de la victime n'exclut pas l'application de l'art. 157 CP. Il en est au contraire un élément (ATF 82 IV 145 consid. 2b).

3.1.5. L'inexpérience vise les situations dans lesquelles la personne ne connaît pas, de façon générale, le monde des affaires et non pas d'une inexpérience relative au contrat en cause. La méconnaissance du domaine concerné peut être suffisante, si elle place clairement la personne dans une position de faiblesse dans la négociation. L'inexpérience a été retenue dans le cas d'une victime âgée de 22 ans au moment de venir en Suisse, qui n'avait jamais quitté son pays natal et n'était pas en mesure de réaliser que son travail méritait un salaire pour avoir auparavant travaillé deux ans chez son oncle dans son pays, sans être payée (ATF 130 IV 106 consid. 7.3; DUPUIS et al., Petit commentaire du Code pénal, 2ème éd., 2017, n. 12 sv. ad art. 157 CP).

3.2. En l'espèce, sur la base des déclarations d'A______, en grande partie corroborées par celles de la prévenue, la durée de la période de travail hebdomadaire peut aisément être déterminée. En substance, A______ a travaillé 100 heures par semaine dont on pourrait en partie déduire les nuits, qu'elle passait chez la mère de la prévenue et durant lesquelles elle dormait. En effet, même si une partie de son travail consistait uniquement à être présente durant la nuit pour rassurer la mère de la prévenue, il s'agit tout de même de temps qui doit être considéré comme une prestation de travail, d'autant que cela avait été demandé par la prévenue comme elle l'a d'ailleurs reconnu. En outre, la présence de l'employée durant une partie de la journée ne peut qu'être considérée comme une prestations de travail, quand bien même celle-ci n'aurait eu que peu de tâches à effectuer. Partant, il peut être retenu qu'A______ a travaillé, à tout le moins, environ 50 heures par semaine durant la période considérée.

Le Tribunal n'a pas de motif de remettre en cause les déclarations d'A______ sur l'activité que lui demandait la prévenue et ses conditions de travail. En effet, celle-ci a été entendue par la police en qualité de prévenue au sujet de son séjour en Suisse, et non pas en qualité de partie plaignante qui se serait rendue à la police pour dénoncer des faits dont elle s'estimerait victime. Ses déclarations s'avèrent ainsi spontanées et apparaissent parfaitement crédibles.

Il est également établi que la prévenue était informée des éléments essentiels de la situation personnelle d'A______, en particulier du fait qu'elle séjournait en Suisse sans droit, qu'elle avait des problèmes familiaux et de logement et que sa situation tant administrative que financière était particulièrement précaire, en témoignent les demandes répétées d'avances de salaire formulées par l'employée. La condition de la gêne de l'employée, connue de la prévenue, est ainsi réalisée.

La disproportion entre le coût usuel en salaire de l'activité demandée à l'employée et la rémunération versée est patente. A titre de comparaison, le salaire minimum d'une employée de maison/femme de ménage en Suisse devait s'élever à environ CHF 19.- depuis 2010 (https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation) et le salaire horaire médian pour ce type d'activité se situait entre CHF 25.- et CHF 29.- pour les dernières années (https://ch.talent.com). La prévenue ne pouvait qu'avoir connaissance de ces tarifs, surtout au vu de son activité professionnelle. Même en ne retenant qu'une activité de 50 heures par semaine, le salaire horaire d'A______ s'est élevé durant la période pénale à CHF 6.- à CHF 7.-. En versant un tel salaire à son employée, la prévenue a réalisé les éléments constitutifs de l'usure. Le fait que la prévenue ait accordé des avances sur salaire à A______ ne change rien au fait que les conditions de cette infraction sont réalisées.

Partant, la prévenue sera reconnue coupable d'usure au sens de l'art. 157 ch. 1 CP.

4.1.1. Selon l'art. 47 al. 1 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur en tenant compte des antécédents et de la situation personnelle de ce dernier ainsi que de l'effet de la peine sur son avenir.

La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP). Il sera tenu compte des antécédents de l'auteur, de sa situation personnelle ainsi que de l'effet de la peine sur son avenir (art. 47 al. 1 phr. 2 CP).

4.1.2. Conformément à l'art. 34 al. 1 CP, la peine pécuniaire est de trois jours-amende au moins et ne peut excéder 180 jours-amende, le juge fixant leur nombre en fonction de la culpabilité de l'auteur. En règle générale, le jour-amende est de CHF 30.- au moins et de CHF 3'000.- au plus. Le juge en arrête le montant selon la situation personnelle et économique de l'auteur au moment du jugement, notamment en tenant compte de son revenu et de sa fortune, de son mode de vie, de ses obligations d'assistance, en particulier familiales, et du minimum vital (art. 34 al. 2 CP).

4.1.3. D'après l'art. 49 al. 1 CP, si, en raison de plusieurs actes, l'auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l'infraction la plus grave et l'augmente dans une juste proportion. Il ne peut toutefois excéder de plus de la moitié le maximum de la peine prévue pour cette infraction. Il est en outre lié par le maximum légal de chaque genre de peine.

4.1.4. Selon l'art. 42 al. 1 CP, le juge suspend en règle générale l'exécution d'une peine pécuniaire ou d'une peine privative de liberté de six mois au moins et de deux ans au plus lorsqu'une peine ferme ne paraît pas nécessaire pour détourner l'auteur d'autres crimes ou délits.

Pour l'octroi du sursis, le juge doit poser un pronostic quant au comportement futur de l'auteur. La question de savoir si le sursis serait de nature à détourner l'accusé de commettre de nouvelles infractions doit être tranchée sur la base d'une appréciation d'ensemble, tenant compte des circonstances de l'infraction, des antécédents de l'auteur, de sa réputation et de sa situation personnelle au moment du jugement, notamment de l'état d'esprit qu'il manifeste. Le sursis est la règle dont on ne peut s'écarter qu'en présence d'un pronostic concrètement défavorable. Il prime en cas d'incertitude (ATF 134 IV 1).

4.1.5. Le juge peut prononcer, en plus d'une peine avec sursis, une amende selon l'art. 106 CP (art. 42 al. 4 CP).

D'après la jurisprudence, l'amende immédiate se justifie lorsque le sursis peut être octroyé, mais que, pour des motifs de prévention spéciale, une sanction ferme accompagnant la sanction avec sursis paraît mieux à même d'amener l'auteur à s'amender (ATF 134 IV 1 consid. 4.5.2; ATF 134 IV 60 consid. 7.3.2).

A teneur de l'art. 106 al. 1 CP, sauf disposition contraire de la loi, le montant maximum de l'amende est de CHF 10'000.-.

Le juge doit tenir compte du revenu de l'auteur et de sa fortune, de son état civil et de ses charges de famille, de sa profession et de son gain professionnel, de son âge et de son état de santé, ainsi que de l'économie réalisée par la commission de l'infraction (ATF 129 IV 6 consid. 6 in JdT 2005 IV 215; JEANNERET, in ROTH/MOREILLON [éd.], Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2009, ad art. 106 CP n° 6 à 8).

4.1.6. En outre, il convient de fixer une peine privative de liberté de substitution pour le cas où, de manière fautive, l'opposant ne paie pas l'amende (art. 106 al. 2 CP).

L'amende et la peine privative de liberté de substitution seront fixées en tenant compte de la situation de l'auteur afin que la peine corresponde à la faute commise (art. 106 al. 3 CP).

4.1.7. D'après l'art. 44 al. 1 CP, si le juge suspend totalement ou partiellement l'exécution d'une peine, il impartit au condamné un délai d'épreuve de deux à cinq ans. Il peut ordonner une assistance de probation et imposer des règles de conduite pour la durée du délai d'épreuve (art. 44 al. 2 CP).

4.2. En l'espèce, la faute de la prévenue n'est pas négligeable. Elle a exploité la faiblesse d'une ressortissante étrangère en situation précaire en Suisse. Elle a privilégié de façon choquante ses intérêts au détriment de son employée en lui versant un salaire indécent, de surcroît sans s'acquitter des charges sociales obligatoires. Elle a agi par intérêt financier et convenance personnelle, alors que sa mère aurait pu être prise en charge en EMS. Ses mobiles sont donc égoïstes. La période pénale, qui s'étend sur 5 ans environ, est longue et il y a concours d'infractions.

Sa collaboration a été bonne.

La situation personnelle de la prévenue n'explique en rien ses actes. Même si elle faisait face à des difficultés liées à la prise en charge de sa mère, cela ne justifiait en rien la commission des infractions retenues. Elle disposait d'une situation financière confortable.

La prévenue n'a pas d'antécédent, ce qui a un effet neutre sur la peine.

Sa prise de conscience semble au mieux ébauchée.

Les conditions objectives et subjectives du sursis sont réalisées. Un pronostic défavorable quant au comportement futur de la prévenue ne pouvant pas être posé, elle sera mise au bénéfice du sursis.

Elle sera condamnée à une peine pécuniaire. La quotité de jours-amende fixée par le Ministère public apparaît adéquate. Cela étant, le montant du jour-amende sera légèrement réduit pour tenir compte de sa situation financière. La prévenue sera dès lors condamnée à une peine pécuniaire de 180 jours-amende à CHF 110.- l'unité, assortie du sursis avec un délai d'épreuve de 3 ans.

Au vu de la prise de conscience plus que relative de la prévenue, notamment compte tenu de ses propos à l'audience de jugement, le prononcé d'une amende immédiate se justifie en terme de prévention spéciale et celle-ci sera fixée à hauteur de CHF 3'960.-.

5. Compte tenu du verdict de culpabilité, la prévenue sera condamnée au paiement des frais de la procédure qui s'élèvent à CHF 926.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 1 CPP), et ses conclusions en indemnisation seront rejetées (art. 429 al. 1 CPP).

 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant contradictoirement:

Déclare X______ coupable d'usure (art. 157 ch. 1 CP) et d'emploi d'étrangers sans autorisation (art. 117 al. 1 LEI).

Condamne X______ à une peine pécuniaire de 180 jours-amende (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 110.-.

Met X______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit X______ que si elle devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Condamne X______ à une amende de CHF 3'960.- (art. 42 al. 4 CP).

Prononce une peine privative de liberté de substitution de 36 jours.

Dit que la peine privative de liberté de substitution sera mise à exécution si, de manière fautive, l'amende n'est pas payée.

Rejette les conclusions en indemnisation de X______ (art. 429 CPP).

Condamne X______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 926.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 1 CPP).

Ordonne la communication du présent jugement aux autorités suivantes : Casier judiciaire suisse, Secrétariat d'Etat aux migrations, Office cantonal de la population et des migrations, Service des contraventions (art. 81 al. 4 let. f CPP).

 

La Greffière

Françoise DUVOISIN

Le Président

Olivier LUTZ

 

Vu le jugement du 17 janvier 2023;

Vu l'annonce d'appel faite par X______, par le biais de son Conseil, le 26 janvier 2023 et la nécessité de rédiger un jugement motivé (art. 82 al. 2 let. b CPP);

Considérant que selon l'art. 9 al. 2 RTFMP, l'émolument de jugement fixé est en principe triplé en cas d'appel;

Qu'il se justifie, partant, de mettre à la charge de X______ un émolument complémentaire.

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

Fixe l'émolument complémentaire de jugement à CHF 600.-.

Met cet émolument complémentaire à la charge de X______.

 

La Greffière

Françoise DUVOISIN

Le Président

Olivier LUTZ

 

Voies de recours

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite respectant les conditions légales à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé.

L'appel ou le recours doit être remis au plus tard le dernier jour du délai à la juridiction compétente, à la Poste suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

 

Etat de frais

Frais de l'ordonnance pénale

CHF

510.00

Convocations devant le Tribunal

CHF

45.00

Frais postaux (convocation)

CHF

14.00

Emolument de jugement

CHF

300.00

Etat de frais

CHF

50.00

Frais postaux (notification)

CHF

7.00

Total

CHF

926.00

==========

Emolument de jugement complémentaire

CHF

600.00

==========

Total

CHF

1'526.00

 

 

Notification à X______, soit pour elle son Conseil Me Oana STEHLE HALAUCESCU
(Par voie postale)

Notification au Ministère public
(Par voie postale)