Skip to main content

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/2459/2024

JTAPI/181/2025 du 17.02.2025 ( ICCIFD ) , REJETE

Descripteurs : NOUVEAU MOYEN DE FAIT;RECONSIDÉRATION
Normes : LIFD.147.al2; LPFisc.55.al2; LIFD.113; LPFisc.16
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2459/2024 ICC/IFD

JTAPI/181/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 17 février 2025

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______

 

contre

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS


 

EN FAIT

1.             Le présent litige concerne les impôts cantonaux et communaux (ICC) et l’impôt fédéral direct (IFD) de l’année fiscale 2021 de Madame A______ et Monsieur B______.

2.             Par bordereaux de taxation ICC/IFD 2021 du 13 septembre 2023, l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC-GE) a taxé les contribuables.

3.             Le 30 novembre 2023, la contribuable a transmis un message « iContact » à l’AFC-GE.

Elle avait des problèmes de santé méningés particulièrement forts « jusqu’à peu ». À fin octobre 2023, son traitement avait été drastiquement augmenté (deux injections de produit anti-inflammatoire au lieu d’une toutes les deux-trois semaines). De ce fait, elle ne prenait connaissance de la taxation reçue en septembre que « maintenant », laquelle était entachée de plusieurs problèmes qu’elle exposait.

Elle demandait comment et à qui adresser sa réclamation, tout en priant l’AFC-GE de faire preuve de compréhension face à son état de santé déficient, lequel l’avait contrainte à demander un « délai important » et qui lui avait surtout fait oublier de nombreux postes l’année précédente.

4.             Le 29 décembre 2023, la contribuable a élevé réclamation contre les bordereaux de taxation du 13 septembre 2023.

Le délai de réclamation était certes échu, mais elle souffrait d’un grave problème immunitaire, ce dont l’AFC-GE avait pu se rendre compte vu, d'une part, la déclaration qui lui avait été adressée, dans laquelle des montants importants n’avaient pas été déclarés, notamment des tranches hypothécaires et, d'autre part, leurs demandes de délais pour le dépôt de la déclaration 2022. Le grave problème immunitaire dont elle souffrait, sous-jacent et traité, avait été exacerbé par une ostéosynthèse effectuée en mars 2022, répétée en juillet 2022. Cette exacerbation avait créé une telle inflammation que son corps s’était retrouvé gonflé avec une rétention hydrique de plus de dix kilos et, surtout, avec des fonctions cognitives très impactées par l’apparition de la protéine « Amylose SAA », qui était notamment présente chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Malgré un traitement de « cheval », avec des piqures régulières d’un médicament et le retrait en mars 2023 des plaques et vis ayant créé ce problème, l’amélioration était lente. Il lui était encore difficile de se concentrer sur un courrier. Depuis le départ à la retraite de son médecin en 2022, elle se traitait elle-même avec l’aide de deux immunologues du canton de Zurich.

Par ailleurs, son époux parlait mal le français et ne gérait pas du tout les aspects administratifs. Elle avait collecté les documents au moyen d’accès cryptés pour la plupart ou alors non classés et disséminés parmi la paperasse en retard, de sorte que son époux n’aurait absolument pas été en mesure de s’occuper de l’avis de taxation et de la réclamation. Elle était docteure en médecine et titulaire d’un MBA, parmi d’autres diplômes. Normalement, elle assumait tout. Cela n’avait pas été le cas cette année, mais c'était en voie d’amélioration.

La contribuable a ensuite exposé les déductions qui auraient dû être, à son sens, admises.

En annexe était produit un certificat médical qu’elle avait demandé au Prof. Dr. méd. C______ en mai 2023 pour demander une prolongation du délai de remise de leur déclaration fiscale 2022 ; ce certificat établi le 26 juillet 2023 faisait état d’une incapacité à 100% du 1er février au 29 juillet 2023. Elle avait demandé un nouveau certificat, mais il ne lui parviendrait, au vu des fêtes, qu’à la mi-janvier 2024, de sorte qu’elle le transmettrait ultérieurement. Étaient en outre annexés des résultats d’examens de laboratoires indiquant certaines valeurs qui attestaient de son syndrome inflammatoire « comme il en exist[ait] peu en Suisse actuellement ».

5.             Par décisions du 6 février 2024, l’AFC-GE a rejeté la réclamation du 29 décembre 2023, qu’elle a qualifiée de demande de révision.

La révision était exclue lorsque le requérant invoquait des motifs qu’il aurait déjà pu faire valoir au cours de la procédure ordinaire, s’il avait fait preuve de toute la diligence qui pouvait raisonnablement être exigée de lui.

Il lui était possible de contester ces décisions en formant une réclamation.

6.             Le 12 mars 2024, la contribuable a contesté ces décisions auprès de l’AFC-GE.

Elle n’avait pas pu faire les démarches nécessaires dans les délais car elle était atteinte dans ses facultés cognitives. Elle avait passé des jours entiers au lit, sans pouvoir faire quelque activité. Par exemple, depuis un mois, elle devait écrire un courrier pour sa mère avec un délai légal au 12 mars 2024. Elle n’avait pu commencer à l’écrire que le jour même en fin d’après-midi, après avoir passé six jours au lit. Il y avait des jours entiers où elle n’était capable que de manger. Elle était ainsi incapable de lire un quelconque courriel et donc encore moins de se connecter au site internet de l’AFC-GE. Elle souffrait d’une maladie rare qui était actuellement décompensée et n’était pas capable de faire quoi que ce soit dans les délais. Ce n’était qu’aujourd’hui qu’elle s’était connectée au site précité afin de trouver l’adresse pour transmettre son certificat médical. C’était en le consultant qu’elle était tombée sur les décisions.

Elle verrait prochainement son médecin et lui demanderait un certificat médical complémentaire, qu’elle ne manquerait pas de produire. Elle sollicitait qu’il soit procédé à la révision de la taxation 2021.

Ne pas respecter la loi qui tenait compte des problèmes médicaux et, ainsi, ne pas corriger une taxation qui grosso modo doublait « le montant à percevoir », en raison notamment d’une mauvaise lecture de documents bancaires, relèverait de la gestion déloyale.

7.             Par décisions sur réclamation du 23 avril 2024, l’AFC-GE a déclaré la contestation précitée du 12 mars 2024 dirigée à l’encontre des bordereaux du 13 septembre 2023 irrecevable pour cause de tardiveté.

8.             Par acte du 18 juillet 2024, les contribuables ont recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal). Ils ont conclu à ce qu’il soit dit que les sommations concernant le règlement des ICC/IFD 2021 étaient nulles et non avenues, que les contestations des 29 décembre 2023 et 12 mars 2024 étaient recevables et que les bordereaux de taxation ICC/IFD 2021, erronés, étaient nuls et non avenus.

Atteinte dans sa santé en raison d’un grave trouble immunitaire, la contribuable s’était retrouvée dans l’incapacité de lire des documents importants et de les gérer, ne pouvant se pencher sur un ordinateur parfois pendant plusieurs semaines, voire mois, et encore moins gérer le courrier. Il lui avait été impossible de classer ses documents. En recevant en septembre 2023 un courriel de l’AFC-GE l’informant de l’arrivée d’un document dans son espace e-démarches, elle avait pensé avoir reçu une demande de rappel pour le dépôt de la déclaration fiscale 2022, le délai à fin août 2023 n’ayant pas été respecté. Ayant été dans l’incapacité de se connecter à son espace e-démarches, ce n’était que bien plus tard qu’elle avait appris l’existence des bordereaux 2021 qu’elle avait contestés le 29 décembre 2023, en indiquant que ses problèmes de santé l’avaient empêchée d’agir dans les délais.

Elle avait reçu, à tort, un courrier l’enjoignant à « reprendre » un versement qu’elle aurait indûment effectué sur son compte de 3ème pilier. N’ayant par la suite jamais reçu de rappel pour une telle rectification, elle en avait déduit que l’AFC-GE avait tenu compte de la remarque à ce sujet dans la réclamation du 29 décembre 2023. L’AFC-GE ne pouvait pas prendre en compte un élément de la réclamation sans prendre en compte les autres éléments qui y étaient soulevés.

Le 12 mars 2024, elle avait contesté les décisions de l’AFC-GE du 6 février 2024 leur reprochant de ne pas avoir agi dans les délais. Le 28 mars 2024, l’AFC-GE avait accusé réception de sa réclamation et les avait informés qu’une réponse leur parviendrait ultérieurement. Cette « réception » avait eu lieu par simple courrier postal. En effet, ne relevant que peu ses courriels et étant incapable de se connecter à un site internet complexe, elle avait modifié le canal de correspondance avec l’AFC-GE pour recevoir les courriers par voie postale. Le 18 juin 2024, ils avaient reçu, par courrier A+, une sommation pour les ICC/IFD 2021. Son état de santé s’améliorant, elle l’avait ouvert environ une semaine après et avait pris contact avec l’AFC-GE par téléphone. Elle avait alors appris que sa réclamation avait été rejetée ; elle n’avait en effet jamais reçu les décisions du 23 avril 2024. Il lui avait été confirmé que l’AFC-GE n’avait pas de preuve de leur réception, celles-ci ayant été envoyées par courrier postal simple. Elle avait requis de les recevoir par courrier A+ ou pli recommandé, ce qui lui avait été refusé au motif que telle demande devait être faite par écrit. Elle s’était alors connectée au site internet de l’AFC-GE et avait demandé à recevoir lesdites décisions. Il lui avait été répondu en lui communiquant un site où les demander. Lorsque ses capacités cognitives le lui avaient finalement permis, elle s’était connectée sur le site en question et avait cherché, en date du 11 juillet 2024, les décisions.

Son époux n’avait pas été en mesure d’effectuer ces démarches à sa place. Travaillant à Bâle, il n’était présent que le week-end et ne s’était pas rendu compte du problème. Il l’avait souvent vue alitée tout le week-end. Le courrier non ouvert, soit une pile de dix à vingt centimètres, se trouvait sur son bureau à elle. Ainsi, il aurait été incapable de trouver les documents et, a fortiori, les documents de preuve dans le « capharnaüm », les courriers n’ayant pas été classés depuis longtemps. Son époux lui faisant confiance ; il n’avait jamais traité les impôts et ne s’était jamais connecté à l’espace e-démarches, n’en ayant au demeurant pas les accès.

Ainsi, les délais n’avaient pas pu être respectés en raison d’un empêchement non fautif, soit une maladie suffisamment grave pour atteindre les facultés cognitives. Si la fatigue était visible, les problèmes de mémoire et de concentration étaient « pernicieux et camouflables à l’entourage », preuve en était le diagnostic souvent tardif des problèmes liés à la maladie d’Alzheimer. Dans son cas, les problèmes liés à l’amylose singeaient la maladie d’Alzheimer. Elle aurait par ailleurs été incapable de réunir les documents pour les transmettre à un mandataire. Elle n’avait pas conduit pendant de longues semaines et n’avait pas quitté le lit parfois pendant près de deux mois. Elle n’était sortie de la maison que très occasionnellement, la plupart du temps accompagnée de ses enfants. Il était difficile pour son entourage de se rendre compte à ce stade de l’importance de son défaut cognitif. En revanche, elle était valablement empêchée, ce qui avait été confirmé par un certificat médical en bonne et due forme.

Pour ces raisons, ils s’opposaient aux décisions des 6 février 2024 et 23 avril 2024.

Deux certificats médicaux du Prof. Dr. C______ étaient produits. Le premier, établi le 26 juillet 2023, faisait état d‘une incapacité à 100% du 1er février au 29 juillet 2023 Le second, du 3 juillet 2024, attestait que la recourante n’avait pas été en mesure de traiter de manière adéquate des dossiers administratifs, y compris la gestion de courriels, d’en assurer le suivi, ni de pouvoir appréhender correctement la notion de délai à respecter dès le printemps 2023 et ceci jusqu’au 3 juillet 2024. Il était encore précisé que le traitement intensif suivi commençait à porter ses fruits.

9.             Dans sa réponse du 18 septembre 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours, subsidiairement à ce que le dossier lui soit renvoyé pour que de nouvelles décisions sur réclamation soient rendues sous l’angle de la révision.

La réclamation du 29 décembre 2023 contestant les bordereaux ICC/IFD 2021 était tardive. Les recourants avaient en effet reconnu, dans un message « iContact » du 30 novembre 2023, avoir reçu les bordereaux de taxation ICC/IFD 2021 au mois de septembre 2023 et, dans leurs écritures du 29 décembre 2023, que le délai pour faire réclamation était échu. À la lumière de la jurisprudence, il fallait retenir que le contribuable aurait dû effectuer les démarches administratives en lieu et place de son épouse malade, ou à tout le moins faire appel à un mandataire, et ceci dans le respect des délais légaux. Il ne pouvait donc être retenu aucun cas de force majeure, ni cas d’empêchement justifiant une restitution de délai.

Cette réclamation avait donc été interprétée comme une demande de révision, avec comme motif de révision la maladie de la contribuable. Force était cependant de constater que selon les dires des recourants, cette maladie était connue et présente depuis plusieurs années, de sorte qu’il ne s’agissait pas d’un fait nouveau au sens des dispositions légales. Ainsi, c’était à juste titre qu’elle avait rejeté la demande de révision.

Dans ses décisions sur réclamation du 23 avril 2024, elle avait indiqué par erreur que la réclamation du 12 mars 2024 dirigée à l’encontre des bordereaux du 13 septembre 2023 était tardive, alors même qu’elle avait qualifié la réclamation de demande de révision. Ces décisions étant erronées, il était loisible au tribunal de lui renvoyer la cause afin qu’elles soient annulées et que de nouvelles décisions sur réclamation sous l’angle de la révision soient rendues. Par économie de procédure, le tribunal avait toutefois également la possibilité d’entrer en matière sur le litige. Dans cette optique, elle relevait, d’une part, que la réclamation des contribuables du 12 mars 2024 à l’encontre des décisions du 6 février 2024 qui leur avaient été notifiées le 8 février 2024 était tardive et, d’autre part, que l’élément invoqué, soit la maladie de la contribuable, ne constituait pas un fait nouveau.

10.         Par réplique du 10 octobre 2024, les recourants ont persisté entièrement dans les termes de leurs conclusions. Si leurs enfants avaient été en mesure de se rendre compte que la recourante n’était pas capable d’appréhender correctement les tâches à accomplir et à les effectuer, la côtoyant au quotidien, tel n’avait pas été le cas du recourant, qui travaillait hors canton la semaine et y restait souvent les week-ends en raison d'une surcharge de travail.

Ils ont produit une copie d’un certificat médical du Prof. Dr. méd. D______, daté du 30 septembre 2024, à teneur duquel la contribuable « n’était pas en état de traiter de manière adéquate des dossiers administratifs, y compris la gestion de [courriels], d’en assurer le suivi, ni de pouvoir appréhender la notion de délai à respecter dès le printemps 2023 et ceci jusqu’à au 30 septembre 2024 ».

11.         Le 18 octobre 2024, l’AFC-GE a renoncé à dupliquer, estimant qu’aucun argument nouveau, ni pièce nouvelle déterminante n’avaient été produits.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Les art. 55 ss LPFisc et 147 ss LIFD règlent la procédure de révision.

Le rejet de la demande de révision et la nouvelle décision ou le nouveau prononcé peuvent être attaqués par les mêmes voies de droit que la décision ou le prononcé antérieur (art. 58 al. 2 LPFisc et 149 al. 3 LIFD).

4.             À teneur des art. 39 al. 1 LPFisc et 132 al. 1 LIFD, le contribuable peut adresser à l’autorité de taxation une réclamation écrite contre la décision de taxation dans les trente jours qui suivent sa notification.

5.             Selon les art. 41 al. 1 LPFisc et 133 al. 1 LIFD, le délai de réclamation commence à courir le lendemain de la notification de la décision de taxation. Il est considéré comme respecté si la réclamation a été remise à l’autorité de taxation, à un office de poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse à l’étranger le dernier jour ouvrable du délai au plus tard.

De jurisprudence constante, le fardeau de la preuve de la notification d’un acte et de la date de celle-ci incombe en principe à l’autorité qui entend en tirer une conséquence juridique. L’autorité supporte donc les conséquences de l’absence de preuve en ce sens que si la notification ou sa date sont contestées et qu’il existe effectivement un doute à ce sujet, il y a lieu de se fonder sur les déclarations du destinataire de l’envoi. La preuve de la notification peut néanmoins résulter d’autres indices ou de l’ensemble des circonstances, par exemple un échange de correspon-dances ultérieur ou le comportement du destinataire (ATF 142 IV 125 consid. 4.3 et les arrêts cités). L’autorité qui entend se prémunir contre le risque d’échec de la preuve de la notification doit ainsi communiquer ses actes judiciaires sous pli recommandé avec accusé de réception (ATF 129 I 8 consid. 2.2).

Selon la jurisprudence, en cas d’envoi de décisions sous pli simple, on admet que la décision entreprise a été réceptionnée quelques jours après son expédition (ATA/1373/2018 du 18 décembre 2018 consid. 7c et les références citées).

Il appartient à l’administré qui réclame ou qui recourt d’établir qu’il l’a fait dans le respect du délai légal (ATA/899/2015 du 1er septembre 2015 ; ATA/243/2015 du 3 mars 2015; cf. aussi Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd., 2011, n° 2.2.6.7 p. 304).

6.             Lorsqu’une personne à qui une décision devait être notifiée ne l’a pas reçue, sans sa faute, le délai de recours court du jour où cette personne a eu connaissance de la décision (art. 62 al. 5 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 - applicable par renvoi de l’art. 2 al. 2 LPFisc).

L’administré doit toutefois, en application du principe de la bonne foi, agir dans un délai raisonnable dès la connaissance de l’existence d’une décision qui le concerne. Ce délai de réaction dépend des circonstances du cas d’espèce, étant précisé qu’un délai de trente jours est usuel en matière de recours en droit suisse (ATF 129 II 125 consid 3.3 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_297/2014 du 19 juin 2014 consid.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd. 2018, p. 532 n. 1576).

7.             En l’espèce, le tribunal relèvera préalablement que l’AFC-GE a effectivement considéré à tort les écritures du 12 mars 2024 comme une réclamation contre des bordereaux du 13 septembre 2023 puisqu’elle aurait dû retenir qu’il s’agissait d’une réclamation à l’encontre de son refus de donner suite à la demande de révision formulée par les recourants.

Par ailleurs, les décisions litigieuses datées du 6 février 2024 ont été envoyées par pli simple, de sorte qu’aucun élément concret ne permet d’établir la date de leur notification, et les recourants les ont contestées le 12 mars 2024. La simple mention d’une « date de notification » - en l’occurrence le 8 février 2024 - sur ces décisions ne constitue pas une preuve du fait que celles-ci sont bien parvenues dans la sphère des recourants à cette date (cf. à ce sujet JTAPI/1051/2024 du 28 octobre 2024). Partant, il ne saurait être inféré avec certitude de cette mention que les contribuables ont effectivement reçu les décisions entreprises le 8 février 2024.

Au vu de ce qui précède, force est pour le tribunal de conclure que les écritures du 12 mars 2024 ne peuvent être considérées comme tardives, faute du moindre élément probant en ce sens. Partant, l’AFC-GE aurait dû se prononcer sur celles-ci au fond et donc se déterminer sur la contestation de la part des recourants du refus de donner suite à la demande de révision.

8.             Par économie de procédure, le tribunal renoncera toutefois à renvoyer le dossier à l’AFC-GE afin qu’elle se prononce sur la demande de révision des contribuables, puisque celle-ci s’est d’ores et déjà exprimée sur ce sujet dans ses écritures. Partant, il examinera ci-dessous si c’est à juste titre que l’AFC-GE a rejeté la demande de révision par décisions du 6 février 2024.

Avant de traiter cette question, le tribunal tient à préciser que c’est à bon droit que l’AFC-GE a traité la réclamation des recourants du 29 décembre 2023 comme une demande de reconsidération/révision. À maintes reprises, il a été jugé que lorsqu’un contribuable demande à l’AFC- GE de réexaminer sa taxation, alors que le délai de réclamation a expiré depuis plusieurs mois, cette dernière doit envisager une telle requête comme une demande de reconsidération (ou de révision au sens des art. 55 LPFisc et 147 LIFD ; JTAPI/849/2024 du 28 août 2024 consid. 10 et les réf.). En l’espèce, les bordereaux ayant été rendus le 13 septembre 2023 et les recourants ayant admis les avoir reçus courant septembre 2023, leur réclamation du 29 décembre 2023 était manifestement tardive. Aucune restitution de délai ne pouvait par ailleurs avoir lieu, l’époux de la contribuable étant à même d’intervenir ou au moins de mandater un tiers pour traiter des affaires fiscales du couple. À cet égard, il n’est pas crédible que celui-ci ne se soit pas rendu compte de l’état de son épouse, voire qu’il n’ait pas été informé par leurs enfants qui ont constaté les difficultés rencontrées par leur mère, ainsi qu’admis par les recourants.

9.             À teneur des art. 147 LIFD et 55 LPFisc, une décision ou un prononcé entré en force peut être révisé (par quoi il faut entendre reconsidéré, le terme de révision étant en effet destiné au réexamen des décisions judiciaires ; cf. ATA/1311/2023 du 5 décembre 2023 consid. 2.4 et la référence citée) en faveur du contribuable, à sa demande ou d’office : lorsque des faits importants ou des preuves concluantes sont découverts (let. a) ; lorsque l’autorité qui a statué n’a pas tenu compte de faits importants ou de preuves concluantes qu’elle connaissait ou devait connaître ou qu’elle a violé de quelque autre manière l’une des règles essentielles de la procédure (let. b) ; lorsqu’un crime ou un délit a influé sur la décision ou le prononcé (let. c).

La révision est exclue lorsque le requérant invoque des motifs qu’il aurait déjà pu faire valoir au cours de la procédure ordinaire s’il avait fait preuve de toute la diligence qui pouvait raisonnablement être exigée de lui (art. 147 al. 2 LIFD et 55 al. 2 LPFisc). En d’autres termes, même en présence d’un motif de révision, si le contribuable ou son représentant omet, de manière négligente, de faire valoir celui-ci dans la procédure ordinaire, la révision n’est pas possible, la jurisprudence se montrant stricte à cet égard (arrêts du Tribunal fédéral 9C_674/2021 du 20 mars 2023 consid. 3.3.5 ; 2C_245/2019 du 27 septembre 2019 consid. 5.3). Le seul facteur décisif est ainsi celui de savoir si le contribuable aurait déjà pu présenter ses motifs dans la procédure ordinaire, le but de la procédure extraordinaire et subsidiaire de révision n’étant pas de réparer les omissions évitables du contribuable commises au cours de la procédure ordinaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_489/2022 du 21 juin 2022 consid. 3.2). Il appartient en effet à ce dernier de contrôler la décision de taxation lorsqu’il la reçoit et de signaler en temps utile les vices dont elle serait affectée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_212/2016 du 6 septembre 2016 consid. 5.2).

10.         Hors des hypothèses de reconsidération obligatoire, une autorité saisie d’une demande de reconsidération peut entrer en matière sur celle-ci, à tout le moins lorsqu’elle est en mesure, au fond, de « reconsidérer » sa décision, c’est-à-dire la révoquer après un nouvel examen de l’affaire (TANQUEREL, op. cit., n. 1418 p. 490 et l’arrêt cité). En matière fiscale, une partie de la doctrine admet qu’une décision puisse être révisée même en l’absence d’un motif classique, lorsqu’elle est entachée d’une erreur de fait ou de droit essentielle et manifeste de l’autorité fiscale. Dans ce cas, il importe peu que le contribuable ait été ou non en mesure de faire corriger cette erreur dans la procédure ordinaire en faisant preuve de l’attention commandée par les circonstances. En effet, l’autorité de taxation peut commettre un abus de droit en invoquant le manque de diligence du contribuable pour s’opposer à la révision d’une taxation entachée d’un vice dont elle est à l’origine (Hugo CASANOVA, Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2ème éd. 2017, ad art. 147, n. 13 et 16 p. 1802 s. ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, op. cit., p. 411).

Pour des raisons de sécurité juridique, la jurisprudence a toutefois, dans l’intérêt de la sécurité du droit, refusé de suivre cet avis doctrinal et de corriger des décisions de taxation pour d’autres motifs que ceux énumérés à l’art. 147 LIFD (ATF 142 II 433 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_245/2019 du 27 septembre 2019 consid. 5.1), partant du principe que l’on ne saurait admettre que des taxations entrées en force soient remises en questions à n’importe quel moment et pour n’importe quelle raison, des motifs de sécurité juridique imposant des conditions strictes pour une révision (ATA/735/2015 du 14 juillet 2015 consid. 7b).

11.         Selon l’art. 113 LIFD, les époux qui vivent en ménage commun exercent les droits et s’acquittent des obligations qu’ils ont de manière conjointe (al. 1). La déclaration d’impôt doit porter les deux signatures (al. 2). Pour que les recours et autres écrits soient réputés introduits en temps utile, il suffit que l’un des époux ait agi dans les délais (al. 3). Toute communication que l’autorité fiscale fait parvenir à des contribuables mariés qui vivent en ménage commun est adressée aux époux conjointement (al. 4).

L’art. 16 LPFisc a une teneur similaire.

Ces dispositions légales instituent une forme de représentation réciproque des époux dans la procédure fiscale. La validité des actes de procédure n’est pas soumise au fait qu’ils proviennent des deux conjoints. Chacun des époux peut en principe exercer ses droits ou s’acquitter de ses obligations de manière indépendan-te. Peu importe de savoir lequel des époux a exercé seul un droit ou s’est acquitté seul d’une obligation, son acte de procédure déployant également des effets pour l’autre époux. Ainsi, si l’un des époux est effectivement empêchée de former réclamation, notamment en raison de sa maladie, l’autre époux a le devoir d’agir à sa place, ou du moins de requérir les services d’un tiers, quand bien même l’époux empêché ne lui confiait pas spécifiquement cette mission. Le fait que l’un des époux s’acquitte habituellement des tâches administratives de la famille ne constitue ainsi pas une raison suffisante pour permettre une restitution du délai de réclamation (cf. ATA/576/2020 du 9 juin 2020 consid. 4 et 5 et les références citées).

12.         En l’espèce, les recourants ne se prévalent pas d’un fait ou d’un moyen de preuve nouveau susceptibles de leur conférer un droit à ce qu’il soit entré en matière sur une éventuelle reconsidération des taxations en cause. Si les problèmes de santé de la contribuable ne sont nullement remis en cause, son époux, qui n’était lui pas empêché d’agir, aurait dû, quand bien même il n’était présent à Genève que les week-ends et qu’il n’était pas en charge de l’établissement des déclarations fiscales du couple, prendre en charge les démarches administratives du couple, notamment leur taxation. De plus, les problèmes de santé de la contribuable ne peuvent être considérés comme un fait nouveau puisque ceux-ci perdurent depuis de nombreuses années comme elle l’admet elle-même. L’argument des recourants quant au fait que le contribuable ne s’occupe habituellement pas des démarches administratives tombent également à faux, puisque rien ne l’empêchait valablement d’engager un mandataire à cet effet.

Il apparaît ainsi que les arguments et explications qu’ils avancent aujourd’hui auraient pu et dû être invoqués au cours de la procédure ordinaire, au moyen d’une réclamation élevée en temps utile, de sorte que l’AFC-GE n’était effectivement pas tenue d’entrer en matière sur leur requête.

13.         Compte tenu de ce qui précède, le recours, mal fondé, doit être rejeté.

14.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

15.         Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 18 juillet 2024 par Madame A______ et Monsieur B______ contre la décision sur réclamation de l‘administration fiscale cantonale du 23 avril 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l‘objet d‘un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L‘acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d‘irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Laetitia MEIER DROZ, présidente, Federico ABRAR et Stéphane TANNER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière