Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/33/2025 du 13.01.2025 ( MC ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 13 janvier 2025
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dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Adriano ANTONIETTI, avocat
contre
COMMISSAIRE DE POLICE
1. Monsieur A______, né le ______ 1985, est ressortissant marocain.
2. Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse du 10 janvier 2025, il a été condamné à cinq reprises entre le 28 février 2024 et le 21 juin 2024, essentiellement pour violation de domicile (art. 186 CP du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) ; RS 311.0, vol (art. 139 ch. 1 CP) et infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).
3. Le 21 juin 2023, il s'est vu notifier par le Commissaire de police une mesure d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève d'une durée de dix-huit mois, sur la base l'art. 74 al. 1 let. a LEI.
4. Le 28 juin 2024, M. A______ a été écroué à la prison de Champ-Dollon.
5. Le 23 juillet 2024, il a été auditionné par la police internationale en vue de sa reprise en charge par un pays Dublin, soit la France.
6. Le 29 juillet 2024, le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) a soumis une requête aux fins de l'admission de M. A______ aux autorités françaises, conformément à l'art. 18 al. 1 let. b du Règlement Dublin, lesquelles ont consenti à sa reprise en charge sur leur territoire le 12 août 2024.
7. Le 13 août 2024, le SEM a rendu une décision de renvoi à l'encontre de M. A______, décision notifiée le 28 août 2024.
8. Le 15 novembre 2024, l'intéressé s'est vu notifier une interdiction d'entrée en Suisse, valable trois ans dès son départ de Suisse.
9. Le 21 décembre 2024, à 11h36, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de six semaines, aux fins de permettre l'exécution de son renvoi de Suisse, sur la base de l’art. 76a LEI.
L'intéressé faisait l'objet d'une décision de renvoi de Suisse définitive et exécutoire du 13 août 2024. Il avait été condamné pour vol et avait déposé une demande d'asile, en cours d'examen, le 13 novembre 2024. Les conditions de la détention administrative en application des art. 76a al. 1, 76a al. 2 let. h et 76a al. 3 let. c LEI étaient remplies.
Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il ne s'opposait pas à son retour en France.
10. Par requête du 8 janvier 2025, reçue au tribunal le 10 janvier 2025 à 9h00, M. A______ a déposé une demande d'examen de la légalité et de l'adéquation de la détention administrative.
11. Dans ses observations du 13 janvier 2025, M. A______, sous la plume de son conseil, a conclu à sa mise en liberté immédiate, subsidiairement à sa mise en liberté, sous mesures de substitution.
Un retour en France devait être requis par l'autorité compétente dans les douze jours calendaires avant la date de transfert souhaitée, dans un délai de transfert fixé au 12 février 2025. Or, l'OCPM n'avait pas effectué les démarches nécessaires à ce jour. Il n'avait été condamné que pour un vol d'importance mineure. Lors de la notification de l'interdiction de périmètre du 21 juin 2024 ainsi que la décision de renvoi du SEM du 13 août 2024, le paraphe de l'interprète n'apparaissait pas. On pouvait donc mettre en doute qu'il ait compris le contenu et la portée de ces décisions à son encontre et, par voie de conséquence, sa capacité de les respecter. Il ne s'opposait pas à son renvoi en France et n'entendait pas se soustraire à celui-ci. Il avait tout intérêt à collaborer car il avait déposé une demande d'asile dans ce dernier pays. La présentation à un poste de police assortie d'une remise aux autorités, de son attestation de demande d'asile, étaient envisageables comme mesures de substitution.
12. Il ressort d'un document du SEM du 13 août 2024 que la demande de réservation auprès du service compétent devait s'effectuer douze jours avant la date de transfert souhaitée et que le délai de transfert, sous réserve d'interruption ou de prolongation du délai de transfert était au 12 février 2025.
13. Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.
1. Le Tribunal administratif de première instance (ci-après le tribunal) est compétent pour examiner les demandes de levée de détention faites par l'étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. g de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
2. Selon l'art. 80a al. 3 LEI, la légalité et l'adéquation de la détention ordonnée dans le cadre d'une procédure Dublin sont examinées, sur demande de la personne détenue, par une autorité judiciaire au terme d'une procédure écrite. Cet examen peut être demandé à tout moment.
3. La LaLEtr, qui n'a pas été mise en jour suite à l'adoption et l'entrée en vigueur des art. 76a et 80a LEI, ne définit pas la compétence et ne détermine pas la procédure applicable dans les cas de figure envisagés par ces dispositions. Il ne fait néanmoins pas de doute que la compétence du tribunal est donnée s'agissant des demandes formées par les personnes détenues sur la base de l'art. 76a LEI (cf. not. JTAPI/803/2019 du 6 septembre 2019 ; JTAPI/720/2018 du 27 août 2018 ; JTAPI/13172018 du 13 février 2018 ; cf. aussi ATA/557/2017 du 16 mai 2017).
4. En l'espèce, M. A______ a dûment requis du tribunal qu'il contrôle la légalité et l'adéquation de sa détention.
5. Le tribunal peut confirmer, réformer ou annuler la décision du commissaire de police ; le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l'étranger (cf. art. 9 al. 3 LaLEtr).
6. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale. Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne soit prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_105/2016 du 8 mars 2016 consid. 5.1 ; 2C_951/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2.1).
7. Selon l'art. 28 par. 2 du règlement, les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément audit règlement lorsqu'il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d'une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées. À teneur du par. 3 du même article, le placement en rétention est d'une durée aussi brève que possible et ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue jusqu'à l'exécution du transfert au titre du présent règlement.
8. En vertu de l'art. 76a al. 1 LEI, afin d'assurer son renvoi dans l'État Dublin responsable, l'autorité compétente peut mettre l'étranger en détention sur la base d'une évaluation individuelle lorsque les conditions suivantes sont remplies :
a. des éléments concrets font craindre que l'étranger concerné n'entende se soustraire au renvoi ;
b. la détention est proportionnée ;
c. d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées de manière efficace (art. 28 par. 2 du règlement [UE] n° 604/2013).
9. L'art. 76a al. 2 LEI mentionne les éléments concrets dont il s'agit de conclure qu'il y a lieu de craindre que l’étranger entend se soustraire à l’exécution du renvoi. Il en va ainsi, notamment, du fait de son comportement en Suisse ou à l’étranger permettant de conclure qu’il refuse d’obtempérer aux instructions des autorités (let. b), s'il menace sérieusement d’autres personnes ou met gravement en danger leur vie ou leur intégrité corporelle et fait l’objet d’une poursuite pénale ou a été condamné pour ce motif (let. g) ou s'il a été condamné pour crime (let. h) ;
10. À compter du moment où la détention a été ordonnée, l’étranger peut être placé ou maintenu en détention pour une durée maximale de sept semaines pendant la préparation de la décision relative à la responsabilité du traitement de la demande d’asile, les démarches y afférentes comprenant l’établissement de la demande de reprise en charge adressée à un autre État Dublin, le délai d’attente de la réponse à la demande ou de son acceptation tacite, la rédaction de la décision et sa notification (art. 76a al. 3 let. a LEI).
11. Un comportement en Suisse ou à l'étranger adopté par l'intéressé permettant « de conclure qu'il refuse d'obtempérer aux instructions des autorités » constitue un élément concret faisant craindre qu'il entende se soustraire à l'exécution du renvoi (art. 76a al. 2 let. b LEI). Selon l'art. 76a al. 2 let. g LEI, le fait que l'étranger menace sérieusement d’autres personnes ou met gravement en danger leur vie ou leur intégrité corporelle et fait l’objet d’une poursuite pénale ou a été condamné pour ce motif fait aussi craindre qu'il entende se soustraire à l'exécution du renvoi.
12. Il ressort du message relatif à l'approbation et à la mise en œuvre des échanges de notes entre la Suisse et l'Union européenne concernant la reprise des règlements (UE) nos 603/2013 et 604/2013 (développements de l'acquis de Dublin/Eurodac) du 7 mars 2014 (FF 2014 2587, 2614) que l'art. 76a al. 2 LEI définit les critères relatifs au risque de passage à la clandestinité (cf. let. a à i). Il s'agit là d'indices concrets relevés au cas par cas justifiant de craindre que la personne concernée n'entende se soustraire à l'exécution du renvoi (non-observation des prescriptions des autorités, p. ex. violation de l'obligation de collaborer, dépôt de plusieurs demandes d'asile sous des identités différentes, etc.).
13. Ces critères s'apparentent aux motifs déjà existants de détention en phase préparatoire ou de détention en vue du renvoi définis aux art. 75 et 76 LEI (cf. Gregor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 17 ad art. 76a p. 808).
14. En l'espèce, M. A______ a été condamné le 21 juin 2024, par le Ministère public de Genève, pour vol au sens de l'art. 139 ch. 1 CP. Il ne s'agissait pas d'une infraction d'importance mineure comme il le prétend et pour laquelle il a été condamné le 16 mai 2024 mais bel et bien d'un crime. Les conditions pour une détention fondée sur l’art. 76a al. 1 et 2 let. h LEI sont dès lors remplies.
15. Comme toute mesure étatique, la détention administrative en matière de droit des étrangers doit dans tous les cas respecter le principe de la proportionnalité (cf. art. 5 al. 2 et 36 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101) et art. 76a al. 1 let. b et c LEI ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées). Il convient en particulier d'examiner, en fonction de l'ensemble des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi constitue une mesure appropriée et nécessaire (cf. art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) ; ATF 134 I 92 consid. 2.3 et 133 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_624/2011 du 12 septembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 et 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1) et ne viole pas la règle de la proportionnalité au sens étroit, qui requiert l'existence d'un rapport adéquat et raisonnable entre la mesure choisie et le but poursuivi, à savoir l'exécution du renvoi de la personne concernée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1 et les références citées ; cf. ATF 130 II 425 consid. 5.2).
16. En l'espèce, la détention ordonnée respecte le principe de proportionnalité. En effet, il ne ressort pas du dossier que M. A______ aurait de quelconques attaches à Genève ni de lieu de résidence. L’assurance de son départ de Suisse répond à un intérêt public certain et le risque qu’il se soustraie à son renvoi en cas de remise en liberté ne peut être écarté. Par ailleurs, aucune mesure de substitution n'est apte à garantir qu'il quittera la Suisse lorsque les autorités auront la confirmation de la date de son transfert. Plus particulièrement, la présentation à un poste de police et/ou la remise aux autorités d'un document confirmant qu'il avait déposé une demande d'asile ne sont pas aptes à pallier le risque de fuite, respectivement de passage à l'acte, concret dans le cas d'espèce. Le fait que les autorités n'aient pas requis des autorités compétentes, dans les douze jours calendaires avant le 12 février 2025, la réservation du transfert en faveur de l'intéressé, n'est pas pertinent puisqu'elles en ont encore le temps et que ce délai peut être prolongé. Enfin, la durée de la détention décidée par le commissaire de police respecte le cadre légal fixé par l'art. 76a al. 3 LEI et est adéquate pour assurer l'exécution du renvoi de l'intéressé.
17. Au vu de ce qui précède, l'ordre de mise en détention du 21 décembre 2024 sera confirmé et la demande formée par M. A______ le 10 janvier 2025 sera rejetée.
18. Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. confirme l’ordre de mise en détention administrative émis par le commissaire de police le 21 décembre 2024 à 11h36 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de six semaines, soit jusqu'au 31 janvier 2025, inclus ;
2. rejette la demande formée par Monsieur A______ le 10 janvier 2025 ;
3. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.
Genève, le |
| Le greffier |