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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/614/2024

JTAPI/648/2024 du 27.06.2024 ( LCR ) , REJETE

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;EXCÈS DE VITESSE;DÉLIT DE CHAUFFARD;PERMIS DE CONDUIRE;RETRAIT DU PERMIS À TITRE PRÉVENTIF;EXPERTISE
Normes : LPA.16; LPA.16.al3; LCR.15d; LCR.90.al3; LCR.14; OAC.30
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/614/2024 LCR

JTAPI/648/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 27 juin 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Sophie BOBILLIER, avocate, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1986, est domicilié à B______ en France. Il est titulaire d'un permis de conduire de type A délivré par les autorités portugaises le ______ 2010.

2.             Aux termes d’un rapport de renseignements établi par la police genevoise le 8 novembre 2023, M. A______ a, le 8 août 2023 à 05h53, dépassé la vitesse maximale autorisée de 55 km/h, marge de sécurité déduite (6 km/h), au guidon d'un motocycle immatriculé 1______/France à son nom, sur la route de Cartigny à proximité du n° 35, en direction du Moulin-de-la-Ratte. Il a ainsi été contrôlé par un radar à la vitesse de 101 km/h alors que la vitesse était limitée à 40 km/h, en localité.

Le tracé de la route était rectiligne. Il faisait nuit, le temps était au beau, la visibilité bonne, la route sèche et les conditions de trafic fluides.

3.             Lors de son audition par la police, le 2 novembre 2023, M. A______ a reconnu les faits. Il a relevé qu'il n'y avait personne sur la route. Avant le panneau de signalisation, la vitesse était encore de 80 km/h. Il passait tous les jours par-là pour se rendre à son travail et d'habitude, il faisait toujours attention. À ce moment-là, il était dans ses pensées, notamment en raison de la proximité du terme de la grossesse de sa femme et de son travail où il était seul à cette période. C'était pour cette raison qu'il n'avait pas prêté suffisamment attention à la vitesse à laquelle il roulait.

Il avait deux enfants à charge et son travail en Suisse constituait son unique revenu. Il s'excusait pour ce qui s'était passé. Il empruntait tous les jours ce parcours pour se rendre au travail et rien de tel ne lui était jamais arrivé. Il avait besoin d'un permis de conduire dans le cadre de son travail, de sorte qu'un retrait de permis était susceptible d'entrainer la perte de son emploi.

4.             Par courrier du 21 décembre 2023, l'office cantonal des véhicules (ci-après : OCV) lui a fait savoir qu'il avait ouvert une procédure administrative à son encontre après avoir été informé de l'infraction précitée. Les constatations des organes de police pouvaient aboutir à une mesure administrative, indépendamment de l'amende ou d'une autre sanction pénale. Un délai de quinze jours ouvrables lui était imparti pour produire ses observations écrites.

5.             Par courrier du 4 janvier 2024 adressé à l'OCV, M. A______ a, sous la plume de son conseil, sollicité un délai supplémentaire d'un mois pour lui faire parvenir ses observations, lequel lui a été accordé par l'OCV jusqu'au 5 février 2024.

6.             Le 5 février 2024, le conseil de M. A______, invoquant une surcharge extraordinaire de travail a sollicité un délai supplémentaire d'un mois.

7.             Par décision déclarée exécutoire nonobstant recours du 12 février 2024, l'OCV a fait interdiction à M. A______ de faire usage du permis de conduire étranger sur le territoire suisse à titre préventif pour une durée indéterminée et ordonné qu'une expertise visant à évaluer son aptitude caractérielle à la conduite soit réalisée par un psychologue du trafic.

L'examen de son dossier et notamment l'importance de l'excès de vitesse commis, considéré comme un délit de chauffard au sens de l'art. 90 al. 3 et 4 de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01), impliquant une interdiction de faire usage du permis de conduire étranger sur le territoire pour une durée de deux ans, incitait l'autorité à concevoir des doutes sérieux quant à son aptitude caractérielle à la conduite des véhicules à moteur. Dès lors, afin d'élucider cette question, une expertise réalisée par un psychologue du trafic était ordonnée.

Une décision finale serait prise lorsque les questions relatives à son aptitude auraient été élucidées ou, en cas de non soumission à l'examen imposé, dans un délai de six mois.

8.             Par acte du 21 février 2024, M. A______, sous la plume de son conseil, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à l'annulation de la décision du 12 février 2024 et à l'allocation d'une indemnité de CHF 2'000.- à titre de participation à ses honoraires d'avocat. Préalablement, il a sollicité la restitution de l'effet suspensif et à pouvoir compléter son recours une fois achevée la procédure pénale.

L'OCV avait violé son droit d'être entendu en prononçant la décision querellée sans qu'il ait pu se déterminer au préalable, ignorant sa demande de prolongation de délai à cet effet.

Il ne contestait pas les faits reprochés mais invoquait un état de stress exceptionnel lié à sa charge de travail en raison de l'absence d'un collègue et à la proximité de la date de l'accouchement de sa femme.

La décision violait le principe de proportionnalité. L'excès de vitesse reproché ne dénotait pas d'un manque de respect des autres usagers de la route, puisqu'il avait été commis sur une ligne droite, à 05h50 en l'absence de circulation, mais s'expliquait par une distraction exceptionnelle. Il n'avait aucun antécédent et avait toujours respecté les règles de la circulation routière.

La mesure litigieuse constituait une atteinte d'autant plus grave qu'elle le privait de la possibilité de se rendre au travail et qu'elle l'exposait donc à la possibilité de perdre son emploi et à ce que l'ensemble de sa famille tombe à l'aide sociale. Aucune alternative n'était offerte par les transports publics qui lui permettrait de se rendre au travail à l'horaire convenu. Il était donc obligé de s'y rendre plus tard, contrevenant à ses devoirs contractuels.

Aucun rapport d'expertise n'avait été effectué et aucun élément du dossier ne laissait supposer qu'il ne serait pas apte à la conduite et qu'il se justifiait d'interdire l'utilisation de son permis de conduire étranger à titre préventif. Cette interdiction ne reposait sur aucun intérêt public, puisqu'elle ignorait le fait qu'il n'avait jamais enfreint les règles de la circulation routière auparavant et qu'il s'agissait d'une exception justifiable eu égard à la situation de stress extraordinaire qu'il vivait au travail – devant faire des heures supplémentaires pour remplacer son collègue – et dans le contexte familial ainsi que du tronçon particulier. Il convenait de rappeler qu'il n'y avait aucune différence sur le tronçon avant et après le panneau de limitation de vitesse, que cela soit en termes de morphologie de la route que d'environnement. Le témoignage de son collègue de travail permettrait de confirmer qu'il était une personne respectueuse des règles, que ce soit dans le cadre de son travail qu'en dehors. Il avait immédiatement regretté ses actes et n'avait pas commis de nouvelle infraction.

Rien ne permettait de soupçonner qu'il représenterait un danger pour l'ordre public ou qu'il menacerait d'une quelconque manière la sécurité publique. Il n'y avait donc aucun intérêt public à lui interdire de circuler avec son permis étranger de manière préventive. En revanche, son intérêt privé à pouvoir exercer une activité professionnelle était prépondérant. En effet, son épouse actuellement en arrêt maladie ne pouvait pas travailler. Le revenu qu'il percevait permettait à peine de couvrir le minimum vital de la famille et la perte de son emploi constituerait une véritable tragédie et placerait sa famille, dont un nouveau-né, dans une situation économique insoutenable. Son intérêt privé à disposer de son permis durant la procédure primait donc l'intérêt de sécurité publique, fortement relativisé compte tenu des éléments de la présente procédure.

9.             En date du 29 février 2024, l'OCV s'est opposé à la restitution de l'effet suspensif. Le recourant avait reconnu avoir roulé à plus du double de la vitesse maximale autorisée, soit à 95 km/h, marge de sécurité déduite, dans une zone limitée à 40 km/h, dépassant ainsi le seuil de l'art. 90 al. 4 let. b LCR et partant, avait violé gravement les règles de la circulation routière. L'examen de son dossier, et notamment l'importance de l'excès de vitesse, considéré comme un délit de chauffard, incitait l'autorité à concevoir des doutes sérieux quant à son aptitude caractérielle à la conduite des véhicules à moteur.

La route en question – à l'endroit de l'infraction - était ouverte au trafic motorisé dans les deux sens de circulation sans séparation aucune et comportait une bande cyclable par sens de marche. De plus, de nombreuses habitations étaient présentes dans cette zone. Dès lors, l'excès de vitesse précité dénotait un réel manque d'égard envers les autres usagers de la route, même potentiels, qui conduisaient en respectant les limitations de vitesse et qui n'avaient pas à compter avec des véhicules si rapides. En effet, le recourant ne pouvait pas partir du principe qu'il ne créait aucun danger particulier parce que la présence d'autres usagers n'était pas, selon ses dires, manifeste. Le respect des limitations de vitesse était essentiel à la sécurité du trafic. Par conséquent, en l'état du dossier, seule une expertise psychologique saurait lever les doutes et permettre au recourant, le cas échéant, de recouvrer provisoirement son droit de conduire dans l'attente d'une décision finale et/ou de l'issue de la procédure pénale. Partant, à la lumière de l'ensemble de ces éléments, l'intérêt public à la sécurité routière était prépondérant.

10.         En date du 11 mars 2024, le recourant a répliqué sur la question de l'effet suspensif. Il n'avait aucun antécédent en matière de circulation routière. Lors de l'infraction reprochée, il se trouvait dans une situation de stress exceptionnel. Il avait d'ailleurs exprimé ses regrets sincères lors de son audition par la police. De manière générale, son entourage le décrivait comme ayant une bonne conduite et se conformant aux règles, y compris celles de la circulation. Concernant la dangerosité de l'acte pour autrui, les photos produites illustraient l'environnement immédiat de la route où l'excès de vitesse s'était produit. En l'occurrence, il n'y avait aucune habitation résidentielle dans les alentours et aucune circulation. Partant, il ne pouvait être admis qu'il y avait de doute sérieux sur son aptitude caractérielle à la conduite. Enfin, l'OCV n'avait pas procédé à l'examen de la proportionnalité de la mesure pourtant nécessaire dans le cadre de la question de l'effet suspensif.

Pour le surplus, il a persisté dans son argumentation.

11.         Par décision du 14 mars 2024 (DITAI/116/2024), le tribunal a rejeté la requête en restitution de l'effet suspensif formée par M. A______.

12.         En date du 19 avril 2024, l'OCV a transmis ses observations sur le fond.

Il persistait intégralement dans les termes de sa décision d'interdiction de faire usage du permis de conduire étranger sur le territoire suisse à titre préventif du 12 février 2024, laquelle était conforme à la loi et à la jurisprudence en matière d'excès de vitesse dits de « chauffard ».

Le recourant avait conduit au plus du double de la vitesse maximale autorisée, soit à 95 km/h, marge de sécurité déduite, dans une zone limitée à 40 km/h au guidon d'un motocycle, dépassant ainsi le seuil de l'art. 90 al. 4 let. b LCR.

La route de Cartigny, sur laquelle il roulait, était ouverte au trafic motorisé dans les deux sens de circulation et comportait une voie de circulation et une bande cyclable par sens de marche. En agissant de la sorte, le recourant avait dénoté à réel manque d'égards envers les autres usagers de la route, même potentiels, qui conduisaient en respectant les limitations de vitesse et qui n'avaient pas à compter avec des véhicules si rapides. Le recourant ne pouvait pas partir du principe qu’il ne créait aucun danger parce que la présence d'autres usagers de la route n'était pas, selon lui, manifeste.

S'agissant de la violation du droit d'être entendu invoquée, l'OCV avait dûment interpellé le recourant et lui avait imparti un délai de quinze jours pour se déterminer, avant de rendre une décision. la demande de son conseil, ce délai avait été prolongé au 5 février 2024, prolongation considérée comme raisonnable au vu des éléments du cas d'espèce. De plus, la décision querellée mentionnait la possibilité accordée au recourant de produire des observations complémentaires. Partant, ce grief devait être rejeté.

13.         Par pli du 16 mai 2024, le recourant a répliqué, persistant pour l'essentiel dans l'argumentation de son recours.

L'OCV n'avait pas pris en compte les circonstances du cas d'espèce ni son absence d'antécédent et, partant, prononcé une décision de manière automatique, sans respecter son droit d'être entendu au préalable. Enfin, le fait de lui avoir donné l'opportunité d'apporter des observations ultérieures ne permettait pas de guérir la violation de son droit d'être entendu, les effets de la décision ayant été immédiats.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal des véhicules (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 17 de la loi d'application de la législation fédérale sur la circulation routière du 18 décembre 1987 - LaLCR - H 1 05).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Dans un premier grief d’ordre formel qu’il convient d’examiner en premier lieu (cf. ATF 132 V 387 consid. 5. 1) le recourant se plaint d’une violation de son droit d’être entendu, dans la mesure où il reproche à l’OCV de ne pas lui avoir donné l’occasion de s’expliquer avant le prononcé de la décision litigieuse.

4.             Garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 et les références).

Il comprend notamment le droit, pour l'intéressé, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités).

5.             Le délai imparti par l'autorité peut être prolongé pour des motifs fondés si la partie en fait la demande avant son expiration (art. 16 al. 2 LPA). La demande doit être antérieure à l’échéance du délai (ATA/687/2010 du 5 octobre 2010 consid. 3). Si la requête est déposée le dernier jour du délai, l’administré porte alors seul le risque des conséquences du refus (arrêt du Tribunal fédéral 5D_87/2013 du 16 juillet 2013 consid. 6.2).

Il n’existe pas un droit « automatique » à une prolongation de délai (arrêt du Tribunal fédéral 5D_87/2013 du 16 juillet 2013 consid. 6 ; Stéphane GRODECKI / Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, ad art. 16 n. 294 p. 83).

6.             La restitution pour inobservation d’un délai imparti par l’autorité peut être accordée si le requérant ou son mandataire a été empêché sans sa faute d’agir dans le délai fixé. La demande motivée doit être présentée dans les dix jours à compter de celui où l’empêchement a cessé (art. 16 al. 3 LPA).

7.             En l'espèce, avant de rendre la décision entreprise, l'autorité intimée a dûment interpellé le recourant par courrier du 21 décembre 2023, l'invitant à déposer ses observations dans un délai de quinze jours, qu’elle a ensuite, à la demande du recourant, prolongé au 5 février 2024. Le recourant a demandé à cette date une nouvelle prolongation du délai d'un mois, invoquant une surcharge extraordinaire de travail de son conseil.

En sollicitant une seconde prolongation de délai, le dernier jour du délai précédemment accordé, le recourant, représenté par un avocat, a pris le risque de se voir opposer un refus de la part de l'autorité. Il n'a par ailleurs pas allégué avoir été empêché d'agir sans faute de sa part ce qui aurait pu permettre une restitution de délai (art. 16 al. 3 LPA).

Dans ces circonstances, le reproche que le recourant adresse à l’autorité intimée est malvenu et aucune violation du droit d'être entendu ne saurait être reprochée à l'OCV.

8.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9).

9.             Le recourant ne conteste pas les infractions reprochées et ne s'oppose pas à l'expertise ordonnée mais fait valoir que l'interdiction de faire usage de son permis de conduire étranger sur le territoire suisse à titre préventif contrevient au principe de proportionnalité.

10.         Selon l'art. 14 al. 1 LCR, tout conducteur de véhicule automobile doit posséder l’aptitude et les qualifications nécessaires à la conduite. Est apte à la conduite, aux termes de l'art. 14 al. 2 LCR, celui qui a atteint l’âge minimal requis (let. a), a les aptitudes physiques et psychiques requises pour conduire un véhicule automobile en toute sécurité (let. b), ne souffre d’aucune dépendance qui l’empêche de conduire un véhicule automobile en toute sécurité (let. c) et dont les antécédents attestent qu’il respecte les règles en vigueur ainsi que les autres usagers de la route (let. d).

11.         Si l'aptitude à la conduite soulève des doutes, la personne concernée fera l'objet d'une enquête dans les cas énumérés de manière non exhaustive à l'art. 15d al. 1 let. a à e LCR (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 2.1.1), notamment en cas d'infractions aux règles de la circulation dénotant un manque d'égards envers les autres usagers de la route (art. 15d al. 1 let. c LCR).

Les faits objet des hypothèses de l’art. 15d al. 1 LCR fondent un soupçon préalable que l'aptitude à la conduite pourrait être réduite (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 2.1.1 ; ATA/1138/2017 du 2 août 2017 consid. 5d et la référence). Si des indices concrets soulèvent des doutes quant à l'aptitude à la conduite de la personne concernée, un examen d'évaluation de l'aptitude à la conduite par un médecin et/ou un examen d'évaluation de l'aptitude à la conduite par un psychologue du trafic doivent être ordonnés (art. 28a al. 1 OAC ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_41/2019 du 4 avril 2019 consid. 2.1 ; 1C_76/2017 du 19 mai 2017 consid. 5 ; cf. aussi ATF 139 II 95 consid. 3.5 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_531/2016 du 22 février 2017 consid. 2.4.2 ; 1C_593/2012 du 28 mars 2013 consid. 3.1).

12.         Selon l'art. 30 OAC, le permis de conduire peut être retiré à titre préventif en cas de doutes sérieux quant à l'aptitude à la conduite d'une personne. Cette disposition institue une mesure provisoire destinée à protéger les intérêts menacés jusqu'à l'issue de la procédure principale portant sur un retrait de sécurité. Vu l'importance du risque inhérent à la conduite des véhicules automobiles, il s'impose qu'un conducteur puisse se voir retirer son permis, à titre préventif, dès que des indices autorisent à penser qu'il représente un risque particulier pour les autres usagers de la route et font douter sérieusement de sa capacité à conduire. Une preuve stricte n'est pas nécessaire. En effet, si une telle preuve était apportée, c'est un retrait de sécurité qu'il y aurait lieu d'ordonner sans plus attendre. Au contraire, le retrait préventif intervient, par définition, avant que tous les éclaircissements nécessaires pour juger de la nécessité d'un retrait de sécurité aient été obtenus. Pour décider d'un retrait préventif, l'autorité doit donc se fonder sur les éléments dont elle dispose en l'état. La prise en considération de tous les éléments plaidant en faveur ou en défaveur de l'aptitude de l'intéressé à la conduite de véhicules automobiles interviendra à l'issue de la procédure au fond (cf. ATF 125 II 492 consid. 2b ; arrêts du tribunal fédéral 1C_154/2018 du 4 juillet 2018 consid. 4.2 ; 1C_514/2016 du 16 janvier 2017 consid. 2.2).

13.         De jurisprudence constante, les limitations de vitesse, telles qu'elles résultent de la loi ou de la signalisation routière, valent comme limites au-delà desquelles la sécurité de la route est compromise. Elles indiquent aux conducteurs les seuils à partir desquels le danger est assurément présent. Leur respect est donc essentiel à la sécurité du trafic. En la matière, la jurisprudence a été amenée à fixer des règles précises afin d'assurer l'égalité de traitement entre conducteurs. Ainsi, selon la jurisprudence constante, le cas est objectivement grave, c'est-à-dire sans égard aux circonstances concrètes ou encore à la bonne réputation du conducteur, en présence d'un dépassement de la vitesse autorisée de 25 km/h ou plus à l'intérieur des localités, de 30 km/h ou plus hors des localités et sur les semi-autoroutes et de 35 km/h ou plus sur les autoroutes (ATF 132 II 234 consid. 3.1 et 3.2 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_580/2017 du 1er octobre 2018 consid. 2.1).

14.         Selon l'art. 90 al. 3 LCR, celui qui, par une violation intentionnelle des règles fondamentales de la circulation, accepte de courir un grand risque d'accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort, notamment en commettant des excès de vitesse particulièrement importants, est puni d'une peine privative de liberté d'un à quatre ans. L'alinéa 3 est toujours applicable lorsque la vitesse maximale autorisée a été dépassée d'au moins 50 km/h, là où la limite était fixée à 50 km/h (art. 90 al. 4 let. b LCR; ATF 140 IV 133 consid. 3.2).

15.         Le Tribunal fédéral a notamment considéré que plusieurs excès de vitesse massif (« délit de chauffard ») ou un autre comportement en matière de circulation routière qui se révèle être particulièrement dangereux sans égard pour autrui peuvent constituer des indices suffisants pour une possible inaptitude à la conduite. On peut en déduire des motifs caractériels ou de santé psychique, qui justifient un retrait préventif du permis de conduire (cf. art. 90 al. 3 et 4 et 15d al. 1 let. c ; arrêt 1C_658/2015 du 20 juin 2016 consid. 2). Même un premier excès de vitesse massif peut, dans certaines circonstances, faire douter de l'aptitude à la conduite, ce qui justifie un retrait préventif et une expertise psychologique (cf. notamment arrêts du Tribunal fédéral 1C_154/2018 du 4 juillet 2018 consid. 4.3 ; 1C_658/2015 consid. 2 et 3 ; 1C_604/2012 du 17 mai 2013 consid. 6.1 et 6.2).

Il a notamment retenu que pouvaient être considérées comme des indices permettant de mettre en doute l'aptitude caractérielle à la conduite d’un recourant sans antécédent, un dépassement de vitesse de 69 km/h, hors localité, sur une route ouverte au trafic motorisé dans les deux sens, où les voies n’étaient pas séparées par une barrière de sécurité et la vitesse limitée à 80 km/h. Des piétons et des cyclistes pouvant circuler le long de cette route, compte tenu de la vitesse élevée à laquelle roulait le recourant, un risque de collision avec un autre usager de la route était particulièrement élevé – malgré une bonne visibilité – et les conséquences d'une telle collision susceptibles d'être graves. Était également pris en compte le fait que le recourant ne s'était pas soucié de savoir à quelle vitesse il roulait et que son comportement ne lui avait pas paru dangereux pour lui-même ou pour des tiers. Au vu de ces éléments, il n'était pas arbitraire de considérer qu'un doute subsistait, au sens de l'art. 30 OAC, sur son aptitude à la conduite automobile. En effet, malgré les bonnes conditions météorologiques et routières, il avait commis un excès de vitesse massif avec une intention qualifiée en sortant volontairement du centre-ville afin de tester son nouveau motocycle (arrêt du Tribunal fédéral 1C_154/2018 du 4 juillet 2018 consid. 4.3).

16.         À teneur de l'art. 42 al. 1 de la convention sur la circulation routière du 8 novembre 1968 (RS 0.741.10), conclue à Vienne le 8 novembre 1968, entrée en vigueur pour la Suisse le 11 décembre 1992 et pour la France le 9 décembre 1971, les parties contractantes ou leurs subdivisions peuvent retirer à un conducteur qui commet sur leur territoire une infraction susceptible d'entraîner le retrait du permis de conduire en vertu de leur législation le droit de faire usage sur leur territoire du permis de conduire, national ou international, dont il est titulaire.

17.         Le droit suisse prévoit que l'usage d'un permis étranger peut être interdit en vertu des dispositions qui s'appliquent au retrait du permis de conduire suisse (art. 45 al. 1 OAC ; cf. ATA/390/2018 du 24 avril 2018 consid. 3b).

Les règles et principes énoncés ci-dessus sont donc applicables mutatis mutandis à l'interdiction de faire usage du permis de conduire étranger, notamment français, sur le territoire suisse.

18.         D'entrée de cause, le tribunal relèvera qu’il n'appartient ni au recourant ni, à ce stade, au tribunal de se déterminer sur la question de l'aptitude à la conduite de celui-là, à laquelle l'expertise requise par l'OCV doit répondre. La seule question qui se pose ici revient en effet à savoir s'il existe ou non des doutes sérieux quant à cette aptitude, susceptible de justifier la mise en œuvre d'une telle expertise, respectivement l'interdiction préventive de conduire en Suisse faite au recourant.

19.         En l’espèce, selon les éléments du rapport de police - qui suffisent au stade de la procédure de retrait préventif pour se prononcer selon le degré de vraisemblance, le recourant a commis un excès de vitesse de 55 km/h (95/40 km/h), marge de sécurité déduite, sur une route limitée à 40 km/h, soit plus du double de la vitesse maximale autorisée à l’endroit considéré.

L’infraction a été commise en début de matinée, à 5h53, sur la route de Cartigny qui est ouverte au trafic motorisé dans les deux sens, les voies n’étant pas séparées par une barrière de sécurité et qui comprend une bande cyclable par sens de marche. Des piétons et cyclistes peuvent circuler le long de la route et sont donc directement exposés au trafic. Même si, à cette heure de la journée, le trafic était sans doute fluide, le risque de collision avec un autre usager de la route demeurait très important à une vitesse de l’ordre de 95 km/h en localité – malgré les bonnes conditions météorologiques et routières – et les conséquences d’une telle collision auraient inévitablement été d’une gravité extrême, voire mortelles, en particulier pour des piétons ou des cyclistes dont la présence ne pouvait être d’emblée exclue. Qu’il n’y en ait pas eu ne diminue en rien le risque qu’a pris le recourant sur le moment.

Certes, le recourant n’a pas d’antécédents en matière d’infractions à la circulation routière, du moins en Suisse, et il invoque un stress exceptionnel durant la période considérée, en raison du prochain accouchement de sa femme et d'une surcharge professionnelle. Concernant son état psychologique durant la période considérée, celui-ci aurait au contraire dû alerter le recourant sur un possible manque de concentration et l'inciter à redoubler de prudence au guidon de sa moto, ce d'autant plus qu'il faisait encore nuit au moment de l'infraction. Quant au fait que les abords de la route ne se distingueraient pas entre le tronçon limité à 40 km/h et celui limité à 80 km/h, cet argument ne lui est d'aucun secours puisqu'il a expliqué qu'il empruntait quotidiennement ce parcours pour se rendre à son travail, ce qui permet de conclure qu'il n'ignorait pas la limitation de vitesse à 40 km/h à cet endroit, lui signalant par ailleurs qu'il pénétrait en localité.

Ainsi, vu les circonstances, en particulier l’importance de l’excès de vitesse sur une route dépourvue de barrières de sécurité et l’attitude pour le moins désinvolte du recourant, qui ne s’est pas soucié de savoir à quelle vitesse il roulait ni du danger qu’il représentait pour les autres usagers de la route, sur un tronçon qu'il connaissait, l'OCV pouvait retenir que des doutes sérieux sur l’aptitude caractérielle à la conduite du recourant existaient. Ces doutes sont suffisants selon la jurisprudence du Tribunal fédéral pour justifier le retrait préventif du permis de conduire et l'expertise ordonnée à l’égard du recourant en application des art. 30 OAC 15d al.1 let. c LCR.

En regard de l'intérêt public à la protection des usagers de la route, largement prépondérant, l'atteinte à l'intérêt privé de ce dernier demeure proportionnée. Sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit (art. 61 al. 2 LPA), le tribunal ne saurait substituer son appréciation à celle de l'autorité intimée, étant souligné que lorsque le législateur a voulu conférer à l'autorité de décision un pouvoir d'appréciation dans l'application d'une norme, le juge qui, outrepassant son pouvoir d'examen, corrige l'interprétation ou l'application pourtant défendable de cette norme à laquelle ladite autorité a procédé, viole lui-même le principe de l'interdiction de l'arbitraire (cf. ATF 140 I 201 consid. 6.1 et les références citées).

Enfin, il sera rappelé que lorsqu'il s'agit d'un retrait préventif, et mutatis mutandis d’une interdiction de faire usage en Suisse d’un permis étranger, il n'est pas critiquable de ne pas attendre l'issue de la procédure pénale et de statuer sans délai (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_604/2012 du 17 mai 2013 consid. 5.2), le recourant ayant d’ailleurs admis l’intégralité des faits devant la police.

20.         La mesure querellée ne prête pas le flanc à la critique. Dès lors, le recours, mal fondé, sera rejeté.

21.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 21 février 2024 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal des véhicules du 12 février 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 700.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.


Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière