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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1674/2024

JTAPI/472/2024 du 17.05.2024 ( MC ) , CONFIRME

REJETE par ATA/681/2024

Descripteurs : MESURE DE CONTRAINTE(DROIT DES ÉTRANGERS);DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION
Normes : LEI.78.al1; LEI.83.al4; CEDH.3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1674/2024 MC

JTAPI/472/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 17 mai 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Paul COSMOVICI, avocat

 

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1985, est ressortissant turc.

2.             Par décision du 6 juillet 2020, confirmée par arrêt du Tribunal administratif fédéral du 22 août 2023, le Secrétariat d'Etat aux migrations (ci-après : le SEM) a rejeté sa demande d'asile formée le 27 novembre 2019 et ordonné son renvoi de Suisse. Le délai de départ octroyé à l'intéressé pour ce faire a été reporté au 7 septembre 2023. Un nouveau report a été refusé à l’intéressé le 18 septembre 2023.

3.             Entendu par l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : l'OCPM) le 5 octobre 2023, M. A______ a exposé n'avoir entrepris aucune démarche en vue de retourner dans son pays d'origine. Il souhaitait connaître quelles démarches entreprendre pour rester en Suisse.

4.             Par décision du 8 décembre 2023, le SEM a rejeté la demande de réexamen de sa décision du 6 juillet 2020 formée par M. A______.

5.             Le 16 novembre 2023, l'OCPM a mandaté la police genevoise aux fins d'exécuter le renvoi de Suisse de M. A______. Un billet d'avion à destination de la Turquie a été réservé en sa faveur pour le 25 mars 2024. M. A______ devait préalablement être présenté au consulat turc afin qu’il lui délivre un laisser-passer.

6.             Le 21 mars 2024, M. A______ a été interpellé par la police genevoise aux fins d'être présenté au consulat de son pays d'origine, lequel a délivré le laissez-passer nécessaire à son retour en Turquie.

7.             Le même jour, à 12h10, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l'encontre de M. A______ pour une durée de 60 jours.

8.             Par jugement du 22 mars 2024 (JTAPI/260/2024), le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) a confirmé l'ordre de mise en détention administrative pour une durée de 60 jours, soit jusqu’au 19 mai 2024.

9.             Le 25 mars 2024, M. A______ a refusé de prendre le vol qui lui avait été réservé.

10.         Le lendemain, un vol, sous escorte policière, a été réservé en sa faveur à destination d’Istanbul pour le 13 mai 2024.

11.         Par arrêt du 10 avril 2024 (ATA/461/2024), la chambre administrative de la Cour de justice a rejeté le recours interjeté par M. A______ contre le jugement du tribunal du 22 mars 2024.

12.         Le 13 mai 2024, M. A______ a fait échouer son retour en avion, sous escorte policière.

13.         Le 16 mai 2024, à 15h45, le commissaire de police a ordonné la mise en détention administrative de M. A______ pour une durée d'un mois sur la base de l'art. 78 al. 1 (détention pour insoumission) de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). Il faisait l’objet d’une décision de renvoi prononcée le 6 juillet 2020, laquelle n’avait toujours pas été exécutée en raison de son opposition. Selon les dernières informations reçues du SEM, les vols spéciaux à destination de la Turquie étaient, pour l'heure, impossibles. Dès lors, la collaboration de M. A______ était indispensable pour procéder à son renvoi.

Au commissaire de police, M. A______ a déclaré qu'il n'entendait toujours pas retourner en Turquie. Sa vie y était en danger.

14.         Cet acte a été soumis le même jour au tribunal en vue du contrôle de sa légalité.

15.         Entendu ce jour par le tribunal, M. A______ a déclaré qu'avant son incarcération, il travaillait dans un restaurant libanais comme cuisinier et gagnait CHF 4'500.- brut par mois. Il vivait au Foyer B______, n'était pas marié et n'avait pas d'enfants. C'était à cause de la tyrannie turque qu'il était en Suisse. Il ne rentrerait pas en Turquie même sous la contrainte. Il y avait trop d'injustice et de terreurs. Malheureusement, même en Suisse il avait trouvé l'injustice. S'il rentrait en Turquie c'était la mort. Il ne voulait absolument pas rentrer en Turquie avec la politique d'Erdogan. Si la Suisse lui donnait la garantie que rien ne lui arriverait en Turquie, il rentrerait. Rien ne lui ferait changer d'avis. Il pouvait rester une centaine d'années en prison en Suisse, mais pas retourner en Turquie sous Erdogan avec sa politique de pression contre les kurdes.

Le représentant du commissaire de police a indiqué qu'actuellement, il n'était pas possible d'organiser des vols spéciaux à destination de la Turquie et pour tous les pays d'Europe. Il, n'en connaissait pas la raison mais des négociations étaient en cours depuis plusieurs mois entre les autorités fédérales suisses et les autorités turques à ce sujet. Il était envisageable d'organiser un vol avec escorte policière pour M. A______ s'il entendait collaborer. Il a conclu à la confirmation de l’ordre de mise en détention administrative pour insoumission pour une durée d'un mois.

Le conseil de l'intéressé a conclu à la levée immédiate de la détention de son client.

EN DROIT

1.            Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner d'office la légalité et l’adéquation de la détention administrative en vue de renvoi ou d’expulsion (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.            En l'espèce, le tribunal a été valablement saisi dans le délai de nonante-six heures prévu par l'art. 80 al. 2 LEI, l’ordre de mise en détention ayant été émis le 16 mai 2024.

3.            Statuant ce jour, le tribunal respecte le délai fixé par l'art. 78 al. 4 LEI et l’art. 9 al. 3 LaLEtr, qui énoncent qu'il lui incombe de statuer dans les 96 heures qui suivent sa saisine. Il peut confirmer, réformer ou annuler la décision du commissaire ; le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l’étranger.

4.            La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101; ATF 135 II 105 consid. 2.2.1) et de l'art. 31 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu'elle repose sur une base légale et respecte le principe de la proportionnalité.

5.            En vertu de l'art. 78 al. 1 LEI, si l'étranger n'a pas obtempéré à l'injonction de quitter la Suisse dans le délai prescrit et que la décision exécutoire de renvoi ou d'expulsion ne peut être exécutée en raison de son comportement, il peut être placé en détention afin de garantir qu'il quittera effectivement le pays, pour autant que les conditions de la détention en vue du renvoi ou de l'expulsion ne soient pas remplies et qu'il n'existe pas d'autres mesures moins contraignantes susceptibles de conduire à l'objectif visé.

6.            Selon la jurisprudence, le but de la détention pour insoumission est de pousser un étranger, tenu de quitter la Suisse, à changer de comportement, lorsqu’à l’échéance du délai de départ, l’exécution de la décision de renvoi, entrée en force, ne peut être assurée sans la coopération de celui-ci malgré les efforts des autorités (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 et la jurisprudence citée). La détention pour insoumission constitue une ultima ratio, dans la mesure où il n’existe plus d’autres mesures permettant d’aboutir à ce que l’étranger se trouvant illégalement en Suisse puisse être renvoyé dans son pays.

7.            La prise d’une telle mesure doit respecter le principe de la proportionnalité, ce qui suppose d’examiner l’ensemble des circonstances pour déterminer si elle apparaît appropriée et nécessaire. Cet examen suppose de tenir compte de l'ensemble des circonstances, parmi lesquelles figurent la durée de la détention déjà accomplie, la persistance du détenu à ne pas collaborer, ses relations familiales, son âge, son état de santé et ses antécédents (arrêts 2C_639/2011 du 16 septembre 2011 consid. 3.1; 2C_624/2011 du 12 septembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_936/2010 du 24 décembre 2010 consid. 1.3 ; 2C_984/2013 du 14 novembre 2013 consid. 3.2). Le seul refus explicite de collaborer de la personne concernée ne constitue qu’un indice parmi d’autres éléments à prendre en considération dans cette appréciation (ATF 135 II 105 et la jurisprudence citée ; ATA/1053/2016 du 14 décembre 2016) et n'entraîne pas en soi une libération de la détention (ATF 134 I 92 consid. 2.3.2 p. 97).

8.            La détention peut être ordonnée pour une période d’un mois et prolongée de deux mois en deux mois. Moyennant le consentement de l’autorité judiciaire cantonale et dans la mesure où l’étranger n’est pas disposé à modifier son comportement et à quitter le pays, elle peut être prolongée de deux mois en deux mois (art. 78 al. 2 LEI). Elle doit être levée notamment lorsqu’un départ de Suisse, volontaire et dans le délai prescrit, n’est pas possible malgré la collaboration de l’intéressé (art. 78 al. 6 let. a LEI ; ATA/1053/2016 précité).

9.            La durée de la détention pour insoumission ne doit pas excéder, avec la détention en vue du renvoi et la détention en phase préparatoire, dix-huit mois (art. 78 al. 2 LEI et 79 al. 1 et 2 LEI ; ATF 140 II 409 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_188/2020 du 15 avril 2020 consid. 7.3).

10.        En l'espèce, M. A______ fait l'objet d'une décision de renvoi exécutoire depuis le 22 août 2023. Depuis lors, il n’a entrepris aucune démarche pour quitter la Suisse et s’est opposé aux deux tentatives de renvoi qui ont eu lieu les 25 mars et 13 mai 2024. Il continue à affirmer qu'il n'est pas d'accord de retourner en Turquie, même sous la contrainte et préfère rester cent ans en prison plutôt que de retourner dans son pays d'origine. Il est ainsi clair que l'intéressé n'entend absolument pas se soumettre aux instructions des autorités.

11.        Au vu des éléments décrits ci-dessus, la détention basée sur l'art. 78 LEI est fondée, étant rappelé que les vols spéciaux à destination de la Turquie ne sont pas réalisables actuellement et que la collaboration de l'intéressé est indispensable à son renvoi.

12.        Son retour en Turquie pourrait être effectué très rapidement puisque les autorités de ce pays l'ont reconnu comme étant l'un de leurs ressortissants. Ces circonstances constituent typiquement celles qui autorisent une mise en détention pour insoumission au sens de l’art. 78 LEI.

13.        Par ailleurs, l'intérêt public au renvoi de M. A______ de Suisse continue de justifier sa privation de liberté et aucune autre mesure moins incisive ne serait envisageable pour l'amener à modifier son comportement puisque l'intéressé a clairement affirmé qu'il ne retournerait pas en Turquie et n'entendait pas collaborer à son renvoi. Au vu de ces éléments et de son opposition à son refoulement lors des deux vols qui lui ont été réservés, il est manifeste qu'il ne se présenterait pas spontanément auprès des autorités si un vol de ligne lui était réservé. Enfin, il pourrait décider de lui-même qu'il soit mis un terme à sa détention, en acceptant de retourner en Turquie.

14.        Pour le surplus, la mesure litigieuse est aussi conforme au principe de célérité, l'autorité compétente ayant déjà entrepris les démarches utiles pour assurer l'exécution de son départ.

15.        Enfin, la durée de la détention de M. A______ demeure pour l'heure tout à fait conforme au principe de proportionnalité.

16.        M. A______ invoque l’impossibilité de son renvoi pour son pays d’origine car il y trouverait la mort sous un régime de tyrannie.

17.        La détention doit être levée si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion s'avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles (art. 80 al. 6 let. a LEI).

18.        Les raisons juridiques ou matérielles doivent être importantes (« triftige Gründe »), l'exécution du renvoi devant être qualifiée d'impossible, soit lorsque le rapatriement est pratiquement exclu, même si l'identité et la nationalité de l'étranger sont connues et que les papiers requis peuvent être obtenus (arrêt du Tribunal fédéral 2C_672/2019 du 22 août 2019 consid. 5.1). Il s'agit d'évaluer si l'exécution de la mesure d'éloignement semble possible dans un délai prévisible respectivement raisonnable avec une probabilité suffisante (arrêt du Tribunal fédéral 2C_597/2020 du 3 août 2020 consid. 4.1).

19.        L’art. 3 CEDH proscrit la torture ainsi que tout traitement inhumain ou dégradant. Une mise en danger concrète de l'intéressé en cas de retour dans son pays d'origine peut ainsi constituer une raison rendant impossible l'exécution du renvoi (ATF 125 II 217 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_672/2019 du 22 août 2020 consid. 5.1). Pour apprécier l'existence d'un risque réel de mauvais traitements, il convient d'appliquer des critères rigoureux. Il s'agit de rechercher si, eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause, il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on le renvoie dans son pays, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'art. 3 CEDH (arrêts du Tribunal fédéral 6B_908/2019 du 5 novembre 2019 consid. 2.1.2 ; 2D_55/2015 du 9 mai 2016 consid. 4.1et les références citées).

20.        Selon l'art. 83 al. 4 LEI, l'exécution peut ne pas être raisonnablement exigée si le renvoi ou l'expulsion de l'étranger dans son pays d'origine ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale.

21.        Le juge de la détention administrative n'a pas à revoir le bien-fondé de la décision de renvoi de Suisse, sauf si celle-ci est manifestement contraire au droit ou clairement insoutenable au point d'apparaître nulle (ATF 130 II 56 consid. 2 ; 128 II 193 consid. 2.2.2 ; 125 II 217 consid. 2 ; 121 II 59 consid. 2c.

22.        En l’espèce, en faisant valoir que l'exécution du renvoi mettrait sa vie en danger, M. A______ ne s'en prend pas à la détention, mais uniquement à son renvoi. Or, celui-ci ne fait pas l'objet de l'examen du juge de la détention, à moins que la décision de renvoi n'apparaisse manifestement inadmissible, soit arbitraire ou nulle. Tel n’est cependant pas le cas. En effet, le SEM, puis le TAF, ont procédé à un examen circonstancié de la situation de l'intéressé et constaté que l'exécution de son renvoi était licite, notamment parce qu'il ne démontrait pas qu'il existait pour lui un véritable risque concret et sérieux d'être victime de tortures ou de traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays. Rien ne permet de considérer que les décisions rendues par le SEM et le TAF seraient arbitraires ou nulles.

23.        Partant, le renvoi de M. A______ pour la Turquie est possible au sens de l’art. 83 al. 4 LEI.

24.        Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative pour insoumission de M. A______ pour une durée d'un mois.

25.        Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l'ordre de mise en détention administrative pour insoumission émis le 16 mai 2024 à 15h45 par le commissaire de police à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée d'un mois, soit jusqu'au 15 juin 2024 ;

2.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière