Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1200/2021 du 29.11.2021 ( ICC ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
république et | canton de genève | |||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 29 novembre 2021
|
dans la cause
Maître A______ et Monsieur B______, représentés par Me Damien BONVALLAT, avocat, avec élection de domicile
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
1. Monsieur B______ (ci-après : le contribuable, puis le recourant), né en 1927, et Madame C______, née en 1945, se sont mariés en 1993 sous le régime matrimonial de séparation de biens. ![endif]>![if>
2. Le contribuable était seul propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de D______, d’une surface de 464 m2 et comportant un immeuble locatif de sept étages et un garage souterrain de 1'460 m2, sur laquelle deux servitudes d'usufruit étaient constituées, l’une à son profit et l’autre en faveur de son épouse. ![endif]>![if>
3. A teneur du bordereau que l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a notifié aux époux, le 3 juin 2020, pour les impôts cantonal et communal (ICC) 2019, la valeur de cet immeuble lors de cette année s’élevait à CHF 7'628'159.-, les loyers encaissés étant de CHF 298'887.-.![endif]>![if>
4. Par convention du 25 novembre 2020, légalisée le 22 décembre suivant, qu’ils ont signée par-devant Me A______, notaire, les époux, alors âgés de respectivement 93 et 75 ans, ont convenu que Mme C______ « renon[çait] » au bénéfice de sa servitude d’usufruit sur cet immeuble, « moyennant le paiement d'une somme de CHF 1'300'000.- » par le contribuable (art. 2). Me A______ a été mandatée aux fins de procéder à la radiation de cette servitude auprès du registre foncier (ci-après : RF) dès le versement de cette somme, le contribuable s’engageant à l’effectuer d’ici au 31 janvier 2021 au plus tard (art. 2). ![endif]>![if>
5. Par pacte successoral du même jour, instrumenté par Me A______, les époux ont renoncé réciproquement « à tous [leurs] droits, même réservataires, auxquels [ils] pourrai[en]t prétendre » dans leurs successions respectives, « dont [ils] ne ser[aient] par conséquent pas [héritiers] ». En outre, ils renonçaient « à invoquer toute exception et à intenter toute action judiciaire de ce chef (notamment en réduction) à l’ouverture de [leurs] succession[s] ». ![endif]>![if>
Cet acte ne comporte aucune précision sur la valeur des parts successorales respectives auxquelles les époux renonçaient. Il y est par ailleurs mentionné que le contribuable n’était pas en mesure de lire cet acte, mais seulement de le signer, et que le notaire en avait fait une lecture aux comparants qui avaient déclaré bien comprendre les dispositions y contenues et affirmé qu’elles contenaient « exactement l’expression de leurs dernières volontés ».
6. Par « convention de divorce » du 21 décembre 2020, les époux ont notamment convenu de leur « divorce par consentement mutuel », précisant qu’ils s’étaient séparés « définitivement d’un commun accord en 2020 » et qu’ils ne requéraient aucune contribution d’entretien, chacun étant économiquement indépendant l’un de l’autre. ![endif]>![if>
7. Le 22 décembre 2020, Me A______ a requis auprès du RF la radiation de la servitude d’usufruit de Mme C______ et, le même jour, a soumis cette opération à l’enregistrement auprès de l'AFC-GE, en produisant la convention du 25 novembre 2020.![endif]>![if>
8. Par bordereau de droits d’enregistrement du 23 décembre 2020, l'AFC-GE a fixé les droits dus sur cette opération à CHF 39'000.-, qu’elle a calculés sur une valeur de CHF 1'300'000.-, selon le taux de 3 % prévu à l’art. 33 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30). ![endif]>![if>
9. Le 1er février 2021, Me A______ a formé réclamation contre ce bordereau. ![endif]>![if>
L'assiette sur laquelle avait été calculée la valeur de l'usufruit de Mme C______ pouvait être estimée à « la valeur nette de CHF 3'940'000.- ». Le calcul de la valeur de l’usufruit, basé sur cette estimation et sur l'âge de Mme C______ en vertu de l'art. 26 al. 1 let. d LDE, aboutissait à un montant de CHF 492'500.-. Le contribuable avait versé à son épouse un montant de CHF 1'300'000.-, à charge pour celle-ci de renoncer à son usufruit valant CHF 492'500.-. La charge « imposée » à Mme C______ représentait donc environ 38 % de la prestation de son époux. En application de la « pratique constante » de l'AFC-GE, cette opération entre époux pouvait être considérée comme une « pure » donation et taxée comme telle.
Subsidiairement, si cette renonciation d’usufruit devait être soumise aux droits de vente de 3 %, il y aurait alors lieu de ne taxer à ce taux que le montant de CHF 492'500.-, celui-ci correspondant « à la renonciation du bénéfice de la servitude d’usufruit », et non pas l’entier de la somme versée par le contribuable. Le solde devait être taxé au taux des droits de donation entre époux, soit 0 %.
Elle n’a pas évoqué ni produit le pacte successoral du 25 novembre 2020.
10. Par jugement du 9 février 2021, le Tribunal de première instance a notamment dissous par le divorce le mariage des époux, a homologué leur convention de divorce du 21 décembre 2020 et leur a donné acte de ce qu’ils avaient liquidé à l’amiable leur régime matrimonial. ![endif]>![if>
11. Par décision du 24 février 2021, l'AFC-GE rejeté la réclamation au motif que l’opération lui étant soumise devait être taxée conformément à l’art. 116 let. h LDE et aux stipulations de la convention des époux, à savoir comme une radiation d’une servitude donnant lieu à une prestation, rien ne permettant de retenir que le contribuable souhaitait faire une donation partielle à son épouse. ![endif]>![if>
12. Par acte du 25 mars 2021, sous la plume de leur conseil, le contribuable et Me A______ (ci-après : les recourants) ont recouru conjointement contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à celle du bordereaux y relatif et à ce que la radiation de l’usufruit de Mme C______ soit soumise à un droit d’enregistrement fixe de CHF 2.-, plus centimes additionnels.![endif]>![if>
En été 2020, les époux étaient venus consulter la recourante avec pour objectif de liquider rapidement leurs rapports patrimoniaux et successoraux, puis dans un deuxième temps, de divorcer d’un commun accord. Le recourant, qui vivait dans un EMS, voulait que, dans le cadre de cette liquidation, son épouse soit dotée d’un capital suffisant lui permettant de vivre convenablement à l’avenir et désirait qu’elle renonce à l’usufruit qu’il lui avait octroyé sur l’immeuble. Il souhaitait en outre que son épouse et lui-même renoncent à tous leurs droits dans leurs successions respectives, en cas de décès avant l’entrée en force de leur divorce, du moment que la situation matrimoniale était réglée. Le versement d’un capital leur permettait d’éviter tout débat au sujet d’une éventuelle contribution d’entretien, en garantissant durablement la situation financière de l’épouse, une telle contribution pouvant cesser en cas de décès « statistiquement plus probable » du recourant avant celui de l’épouse. Mme C______ était elle-aussi d’accord de régler rapidement ces questions économiques et successorales, acceptant de renoncer à son usufruit et à tous ses droits dans la succession de son mari, moyennant le versement d’une somme de CHF 1'300'000.-. C’était exactement ce que la recourante avait confirmé au fils du recourant, dans un courriel qu’elle lui avait adressé le 6 août 2020.
La teneur dudit courriel du 6 août 2020 est la suivante :
« Je fais suite aux échanges de correspondances entre Monsieur D______ et vous-même. J’ai pris bonne note de l’accord de votre père pour le versement de la somme de CHF 1'300'000.- à son épouse, laquelle renoncera, d’une part, à son usufruit sur l’immeuble et, d’autre part, à tous ses droits dans la succession de votre père. Je vous informe que je vais prendre contact avec [Mme C______] dès mon retour de vacances et lui faire signer les documents discutés. Je vous confirmerai la date de rendez-vous afin que votre père soit également présent ».
Après avoir vérifié la volonté des époux, la recourante avait préparé, d’une part, une convention par laquelle l’épouse « renonçait à son usufruit moyennant paiement » d’une somme de CHF 1'300'000.- et, d’autre part, un pacte successoral prévoyant le renoncement réciproque à toute part successorale, même réservataire. Ces deux actes avaient été signés simultanément par les deux époux, le même jour, et ne se comprenaient pas l’un sans l’autre, car la valeur de l’usufruit était inférieure à CHF 500'000.-. Le paiement d’une somme de CHF 1'300'000.- ne se justifiait donc pas sur la base de la seule convention d’abandon de l’usufruit. En effet, l’immeuble en question avait une valeur estimée de CHF 3'940'000.-.
Ces deux actes constituaient à l’évidence un tout. L’abandon de l’usufruit sur « l’ancienne maison conjugale », lequel n’avait plus de sens depuis que l’épouse s’était constituée un autre domicile, était l’un des éléments formant l’accord « global » voulu par le couple. La rédaction de deux actes séparés s’expliquait par le fait que le pacte successoral nécessitait une forme particulière (acte authentique en présence de deux témoins), alors que l’abandon de l’usufruit se faisait sous seing privé. Il était néanmoins « impossible » d’analyser ces deux actes de façon séparée. En les examinant ensemble, on y voyait bien qu’il n’y avait aucune volonté de racheter la servitude à laquelle renonçait Mme C______ ; il s’agissait simplement de l’une des composantes de la liquidation des rapports patrimoniaux au sein du couple. De fait, en versant CHF 1'300'000.- à son épouse, le recourant lui payait à l’avance sa part successorale, fixée à l’amiable, obtenant en contrepartie qu’elle renonce à l’usufruit, à toute part dans sa succession et toute contribution d’entretien. La convention sous seing privé du 25 novembre 2020 ne contenait donc pas de prix ou de prestation quelconque en échange de l’abandon de l’usufruit. La radiation de la servitude ne devait donc faire l’objet que du droit fixe de CHF 2.- de l’art. 116 LDE.
Subsidiairement, cette convention devait être considérée comme une donation entre vif, puisque la valeur de l’usufruit, calculée selon l’art. 26 al. 1 let. d LDE, se montait à CHF 492'500.-, soit à 1/8 de la valeur de l’immeuble (CHF 3'940'000.-). Ainsi, le recourant obtenait une prestation correspondant à cette valeur contre le versement d’une somme de CHF 1'300'000.-. Il s’agissait donc clairement d’une donation, ce que l'AFC-GE n’aurait du reste pas manqué de prétendre s’il s’agissait d’un acte entre parents éloignés ou tiers. En effet, si ce versement ne pouvait pas être interprété en lien avec le pacte successoral et le divorce, alors il ne pouvait s’agir que d’une donation entre époux exonérée de droits, puisque le recourant souhaitait que son épouse dispose d’un capital suffisant pour le restant de ses jours. Par ailleurs, même si l’on considérait que ce versement à Mme C______ excédait ses droits dans la liquidation du régime matrimonial, sans tenir compte de l’abandon des expectatives successorales, l’art. 69 (cum art. 27A) LDE exonérait aussi une telle attribution.
13. Dans sa réponse du 23 juin 2021, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours. ![endif]>![if>
La LDE imposait de taxer chaque acte pour lui-même et de tenir compte de chaque acte soumis à l'enregistrement individuellement. En effet, le caractère formaliste de l'enregistrement impliquait une interprétation restrictive des dispositions contenues dans la LDE. Ces droits était prélevés à chaque fois qu'un acte était soumis à l'enregistrement. Les cas d'exonération devaient donc être examinés de manière restrictive.
En l’occurrence, la recourante lui avait soumis à l'enregistrement l'acte de radiation de la servitude d'usufruit du 22 décembre 2020, dans lequel figurait le prix de CHF 1'300'000.-. Elle avait donc soumis cette modification de la servitude aux droits de l’art. 116 let. h LDE, soit ceux de vente de 3 % prévus à l’art. 33 LDE. Le calcul des droits avait été effectué sur la base du montant indiqué dans l'acte qui représentait la valeur de l'usufruit ayant été radié, usufruit que le recourant avait racheté à son épouse. Celle-ci avait renoncé à son usufruit sur le bien immobilier de son mari moyennant versement du prix de CHF 1'300’000.-, ce que l'acte de radiation avait dûment formalisé. Elle avait obtenu cette somme pour céder son usufruit à son mari afin que celui-ci puisse disposer à nouveau sans réserve de son immeuble. La taxation contestée était donc conforme à la loi.
Suivre les recourants reviendrait à aller à l'encontre des dispositions claires de la LDE, en particulier de l'art. 116 let. h LDE. Le pacte successoral qui avait été invoqué seulement au stade du recours ne modifiait en rien sa position, chaque acte étant taxé pour lui-même, aux termes de la LDE. Il ne saurait être tenu compte d'autres actes et opérations dans le cadre de la taxation en droits d'enregistrement, chaque pièce devant être prise en considération pour elle-même. Le pacte successoral conclu entre les époux, dont il n'avait curieusement pas été fait état au stade de la réclamation, alors même qu'il aurait été signé le même jour que la convention, dans un contexte d'opération globale, n'avait pas été soumis à l'enregistrement, un tel pacte étant soumis aux droits lors de sa signature ou lors du décès de la personne concernée. En tout état, une fois le divorce des époux prononcé, ce qui était le cas depuis le 9 février 2021, ce pacte successoral n'avait plus de raison d'être. Le contexte dans lequel la convention avait été conclue importait peu et l'existence d'un pacte successoral n'avait aucune influence sur l'issue du présent litige.
On peinait au surplus à suivre les recourants s'agissant de la prétendue absence de volonté du recourant de racheter la servitude concédée à son épouse, quelques mois avant le prononcé de leur divorce, alors même que l'acte formalisait le versement de CHF 1'300'000.- pour la radiation de l'usufruit. En tout état, que l'on qualifiât l'opération convenue de rachat ou de renonciation à un usufruit, il était incontestable que sa radiation avait été obtenue contre paiement du prix convenu de CHF 1'300'000.-.
Finalement, les recourants ne pouvaient être suivis lorsqu'ils tentaient, à titre subsidiaire, de réduire la valeur de l'usufruit à CHF 492’500.-, étant rappelé que selon le bordereaux ICC 2019 des époux, la valeur de l’immeuble était de CHF 7'628'159.- et les loyers encaissés de CHF 298’887.-.
14. Par réplique du 19 juillet 2021, sous la plume de leur conseil, les recourants ont maintenu leurs conclusions. ![endif]>![if>
Reprenant en substance leur argumentation précédente, ils ont ajouté que la meilleure preuve de ce que l’opération litigieuse résultait « globalement d’une décision unique » résidait dans le courriel que la recourante avait adressé le 6 août 2020 au fils du recourant, soit bien avant la rédaction et la signature des deux actes en question. Par ailleurs, le fait que le pacte successoral n’avait pas été évoqué au stade de la réclamation n’ôtait rien à sa valeur probante et à l’explication qu’il contenait de l’opération effectuée. Enfin, même en considérant que la valeur de l’immeuble correspondait à celle retenue par l'AFC-GE pour l’ICC (CHF 7'628'159.-), on aboutirait à une valeur d’usufruit de CHF 953'759.-, alors que celui-ci n’était en réalité qu’un « demi-usufruit », le recourant en bénéficiant également sur le même immeuble, ce qui était une preuve de plus de l’absence de corrélation entre la somme convenue et l’abandon de l’usufruit.
15. Par duplique du 6 août 2021, l'AFC-GE a elle aussi persisté dans ses conclusions, relevant que les recourants n’avançaient aucun argument nouveau pouvant influer sur le sort du litige. ![endif]>![if>
1. Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE en matière de droits d’enregistrement (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 179 al. 1 LDE).![endif]>![if>
2. Interjetés en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 178 al. 7 et 179 al. 1 et 2 LDE et 63 al. 1 et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).![endif]>![if>
La recourante, qui a instrumenté l’acte litigieux, dispose, en sa qualité de débiteur des droits d'enregistrement litigieux, de la qualité pour recourir (cf. art. 161 al. 1 let. a et 179 al. 1 LDE).
3. Toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et, en général, toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire, soumise soit obligatoirement, soit facultativement à la formalité de l’enregistrement, fait l’objet d’un impôt dénommé « droits d’enregistrement » (art. 1 al. 1 LDE). ![endif]>![if>
a) Sont soumis obligatoirement à l’enregistrement les actes, écrits et pièces portant réquisition au registre foncier du canton de Genève (art. 3 let. b LDE).![endif]>![if>
Les réquisitions de radiation au registre foncier sont soumises au droit fixe de CHF 2.-. Toutefois, si elles donnent lieu à un prix ou à une prestation quelconque, le droit de 3% prévu à l’art. 33 LDE est exigible. Dans les autres cas, les droits prévus par cette loi selon la nature de l’acte ou de l’opération sont exigibles. Les parties sont tenues de donner dans l’acte ou dans une annexe toutes précisions nécessaires à la perception des droits (cf. 116 let. h LDE).
b) Sont également soumises obligatoirement à l’enregistrement les donations et autres avantages semblables (art. 3 let. h LDE), étant précisé que tous les actes et opérations obligatoirement soumis à l'enregistrement, notamment les donations, doivent être déposés en vue de cette formalité dans le délai de 2 mois à compter de la date de l’acte ou de l’opération (art. 160 LDE dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2020).![endif]>![if>
Selon l’art. 11 LDE, est une donation toute disposition entre vifs par laquelle une personne physique ou morale cède, sans contrepartie correspondante, à une autre personne physique ou morale, tout ou partie de ses biens ou de ses droits, en propriété, en nue-propriété ou en usufruit (al. 1). Est également réputé donation, tout abandon de biens, de droits ou d’autres avantages semblables concédés à titre gratuit (al. 2). La différence de valeur constatée dans un acte à titre onéreux entre les prestations des parties, est présumée donation, sauf preuve contraire (al. 3). L’estimation des biens donnés s’établit d’après leur valeur au jour de la donation et par la déclaration des parties et/ou toutes pièces justificatives (art. 14 LDE).
L’art. 26 al. 1 LDE cité par les recourants précise quant à lui que lorsque la donation a pour objet l’exercice d’un droit d’usufruit, son abandon ou sa cession, la valeur de cet usufruit se détermine, pour la perception des droits, en tenant compte de l’âge de l’usufruitier et de la valeur du bien grevé de l’usufruit ; si l’usufruitier est âgé de plus de 69 ans, la valeur de l’usufruit correspond à 1/8 de la valeur du bien concerné (let. d).
La donation est la disposition entre vifs par laquelle une personne cède tout ou partie de ses biens à une autre sans contreprestation correspondante (art. 239 al. 1 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 - Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220). La donation est un contrat unilatéral - car une seule des parties s'oblige - et un acte bilatéral, car la concordance des volontés est exigée (art. 1 et 239 CO). La concordance des volontés des parties s'exprime par la volonté des parties - du donateur et du donataire - de conclure un contrat selon lequel le donateur consent à faire une attribution à titre gratuit que le donataire est prêt à accepter. Le donateur et le donataire doivent être conscients des éléments du contrat, qui sont objectivement et subjectivement essentiels pour l'un d'eux ou pour les deux. Sans cette concordance des volontés, la donation n'est pas valable (Margareta BADDELEY in Luc THÉVENOZ/Franz WERRO, Code des obligations I, Commentaire romand, 2012, ad art. 239 CO p. 1605 n. 5 à 7).
La donation se caractérise par un élément subjectif, la volonté du donateur de donner sans contre-prestation correspondante, et par deux critères objectifs, la diminution du patrimoine du donateur et l'enrichissement du donataire. La volonté de donner doit se manifester par l'appauvrissement du donateur, lequel est la contrepartie de l'enrichissement du donataire (arrêts du Tribunal fédéral 2C_961/2010 du 30 janvier 2012, consid. 5.2 ; 4A_201/2009 du 24 juin 2009 ; Margareta BADDELEY, op. cit., ad art. 239 p. 1612 n. 37). La condition, objective, de la gratuité de l'attribution est réalisée lorsque le donataire ne fournit pas, pour le don, de contre-prestation en faveur du donateur (ATF 146 II 6 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_148/2020 du 19 janvier 2021 consid. 7.3). La condition, subjective, de l'animus donandi signifie que le donateur doit avoir la conscience et la volonté d'effectuer une attribution à titre gratuit en faveur du donataire (ATF 146 II 6 consid. 7.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.3 ; Roman SIEBER/Markus OEHRLI, in Erbschafts- und Schenkungssteuerrrecht, 2020, § 14 p. 156 n. 52). Selon la jurisprudence, il n'y a pas d'animus donandi lorsque la prestation n'est pas effectuée librement, mais en vertu d'une obligation juridique (ATF 146 II 6 consid. 7.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_703/2017 du 15 mars 2019 consid. 3.3.2 ; 2P.296/2005 du 29 août 2006 traduit in RDAF 2006 II 501 ; 2A.668/2004 du 22 avril 2005 consid. 3.4.3). Cette obligation juridique peut être légale, statutaire ou contractuelle (Roman SIEBER/Markus OEHRLI, in op. cit., § 14 p. 157 n. 54). La donation doit donc avoir un caractère discrétionnaire : un donateur donne ce qu'il veut, à qui il veut et quand il le veut (Roman SIEBER/Markus OEHRLI, in op. cit., § 14 p. 157 n. 55). Il ne peut y avoir volonté de donner lorsque la prestation n'est pas faite à titre gratuit, mais procède de l'accomplissement d'une obligation juridique, quelle qu'en soit la cause (arrêt du Tribunal fédéral 2C_703/2017 du 15 mars 2019 consid. 3.3.2).
Selon la jurisprudence, la mise à disposition de patrimoine, le caractère gratuit et la volonté de donner sont communes au droit civil et au droit fiscal. La notion de donation peut être plus large en droit fiscal qu'en droit civil (arrêt du Tribunal fédéral 2C_597/2017 du 27 mars 2018 consid. 3.1.2 ; ATF 118 Ia 497 consid. 2b.cc ; ATA/1848/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4a).
Selon l'art. 239 CO, le fait de renoncer à un droit avant de l'avoir acquis ou de répudier une succession ne constitue pas une donation (al. 2). Il en est de même de l'accomplissement d'un devoir moral (al. 3).
4. Dans le système LDE, est déterminante pour la fixation des droits, la nature réelle des actes et opérations ainsi que celle des stipulations qui y sont contenues (art. 8 al. 1). Lorsque dans un acte ou une opération quelconque, il existe plusieurs dispositions indépendantes ou ne découlant pas nécessairement les unes des autres, chacune d'elles, selon sa nature, est soumise au droit fixé par cette loi (art. 8 al. 2 LDE). ![endif]>![if>
Aux termes de l’art. 9 LDE, les droits sont calculés sur les sommes et valeurs indiquées dans les actes et opérations soumis à l’enregistrement (al. 1). Si les sommes et valeurs n’y sont pas déterminées, les parties doivent suppléer à cette lacune, par une déclaration estimative signée ou par toute autre pièce justificative certifiée conforme, déposée en même temps que l’acte ou la déclaration d’opération (al. 2).
5. Le caractère formaliste de l'enregistrement implique une interprétation restrictive des dispositions contenues dans la loi sur les droits d'enregistrement. Il faut déterminer pour chaque acte, pris séparément, s'il donne lieu à une exonération. L'exonération constituant l'exception à la perception des droits d'enregistrement, il convient d'interpréter les conditions de celle-ci de manière stricte (ATA/163/2021 du 9 février 2021 consid. 2g ; JTAPI/1136/2017 du 30 octobre 2017 consid. 8 ; JTAPI/756/2015 du 22 juin 2015 ; JTAPI/533/2015 du 4 mai 2015 ; JTAPI/706/2012 du 30 mai 2012 ; JTAPI/782/2011 du 12 juillet 2011).![endif]>![if>
6. Il appartient à celui qui prétend bénéficier d’une réduction ou d’une exonération de droits de fournir toutes justifications nécessaires et d’en faire état dans l’acte soumis à l’enregistrement (art. 8 al. 6 LDE). ![endif]>![if>
En matière fiscale plus généralement, le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d'impôts. S'agissant de ces derniers, il lui appartient non seulement de les alléguer, mais encore d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve, ces règles s'appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 146 II 6 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.5 ; ATA/1077/2020 du 27 octobre 2020 consid. 7).
Par ailleurs, en procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2ème phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n'est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/978/2019 du 4 juin 2019 consid. 4b et les arrêts cités).
En principe, l'appréciation fiscale se base en premier lieu sur les circonstances de droit civil, notamment les contrats conclus par les parties. Pour interpréter un contrat de droit civil, le juge doit tout d'abord s'attacher à rechercher la réelle et commune intention des parties. Pour ce faire, le juge prendra en compte non seulement la teneur des déclarations de volonté, mais aussi les circonstances antérieures, concomitantes et postérieures à la conclusion du contrat. Ce que les parties savaient, ont voulu ou ont effectivement compris lors de la conclusion du contrat relève du fait. Lorsqu'une partie au contrat manifeste sa volonté par l'intermédiaire d'un représentant, l'interprétation du contrat quant à son contenu se détermine en fonction de ce que voulait le représentant. La détermination de cette volonté subjective des parties repose sur l'appréciation des preuves par le juge (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_528/2019 du 5 décembre 2019 consid. 3.4 et l’ATF 140 III 86 consid. 4.1 cité).
L'argumentation que le contribuable peut présenter en cours de procédure pour s'opposer aux droits d'enregistrement ne revêt aucune pertinence pour déterminer la volonté des parties ressortant de l'acte instrumenté (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_528/2019 du 5 décembre 2019 consid. 3.7).
7. En l’espèce, les termes clairs que les époux ont employés à l’art. 2 de leur convention du 25 novembre 2020 ne laissent aucun doute quant à leur réelle volonté, à savoir que l’épouse abandonnait son usufruit sur l’immeuble appartenant au recourant « moyennant » le versement par celui-ci d’une somme de CHF 1'300'000.-, si bien qu’ils ne se prêtent pas à interprétation. En effet, à teneur de cet acte, il s’agit de toute évidence de l’échange d’une seule prestation contre une autre, ce document ne comportant aucun élément permettant de discerner l’existence d’une quelconque prestation gratuite entre époux, en particulier pas celle alléguée par les recourants, soit un abandon gratuit de l’usufruit. Du reste, les recourants affirment eux-mêmes, après coup et de manière contradictoire, qu’en versant CHF 1'300'000.- à son épouse, le recourant lui aurait payé à l’avance sa part successorale, obtenant « en contrepartie qu’elle renonce à l’usufruit, à toute part dans sa succession et à toute contribution d’entretien », ce qui corrobore le caractère onéreux de l’abandon de l’usufruit. Si, comme ils le prétendent, le versement de cette somme n’avait pour but que de compenser la part successorale et la contribution d’entretien de l’épouse, on voit mal les raisons pour lesquelles cette convention ne l'aurait pas exprimé aussi simplement que le font les recourants dans la présente procédure, et pourquoi il n'en est fait état ni dans le pacte successoral du même jour, ni dans la convention sur les effets accessoires de divorce du 21 décembre 2020. De plus, s’il était effectivement question d’une quelconque donation, les recourants et/ou l’épouse étaient tenus de la soumettre obligatoirement à l’enregistrement dans un délai de deux mois, ce qu’à teneur du dossier, ils n’ont fait à aucun moment. ![endif]>![if>
Pour le surplus, même en suivant les recourants sur leur proposition d'une lecture commune de la convention et du pacte successoral du 25 novembre 2020, on n'arrive pas pour autant à la conclusion qu'ils soutiennent. En effet, ces actes ne font état d’aucune compensation chiffrée pour le renoncement par l’épouse à sa part successorale, étant relevé que le pacte successoral du 25 novembre 2020 précise que ses dispositions contiennent « exactement l’expression de dernières volontés » des époux. Or, ces dispositions se limitent à régler seulement le renoncement réciproque et simultané à leurs parts successorales respectives, sans aucune contreprestation supplémentaire de l’un à l’autre, ce qui démontre plutôt que leurs prétentions ou droits dans leurs successions respectives étaient définitivement liquidées et satisfaites de cette manière, étant rappelé que le fait de renoncer à un droit avant de l'avoir acquis ne constitue pas une donation (art. 239 al. 2 CO). S’il est certes vrai qu’à teneur du courriel de la recourante du 6 août 2020, il apparaît que le versement de CHF 1'300'000.- à l’épouse aurait eu également pour but de compenser son renoncement à la succession de son époux, cet élément n'a pas véritablement d'incidence dans la mesure où il n’a été reporté dans aucun des deux actes conclus quatre mois plus tard, ni dans la convention de divorce du 21 décembre 2020. Il est aussi parfaitement envisageable qu’au moment de la conclusion de ces actes, les parties avaient modifié ou renoncé à ce qu’elles avaient envisagé dans le cadre des négociations qu’elles avaient menées quatre mois plus tôt, ce qui est tout aussi compréhensible.
Enfin, l’argumentation subsidiaire des recourants (selon laquelle la convention du 25 novembre 2020 devrait être considérée comme une donation entre vif, puisque la valeur de l’usufruit, calculée selon l’art. 26 al. 1 let. d LDE, se monte à seulement CHF 492'500.-) semble perdre de vue que le calcul prévue par cette disposition légale n’entre en ligne de compte que « lorsque la donation a pour objet l’exercice d’un droit d’usufruit, son abandon ou sa cession », ce qui, comme on l’a vu plus haut, n’est manifestement pas le cas en l’occurrence. Il en résulte que la question de la valeur de l’immeuble concerné par l’usufruit est sans portée déterminante. Ainsi, même si on admettait, sur le principe, qu’une partie de la somme de CHF 1'300'000.- compensait le renoncement à la succession et à la contribution d’entretien, et le solde l’abandon de l’usufruit, il ne serait pas possible d’en déterminer les montants respectifs, étant donné qu’aucun des actes versés au dossier ne les précisent, ni du reste les recourants.
Au vu de ce qui précède, la décision contestée et le bordereau y relatif ne prêtent pas le flanc à la critique, si bien qu’ils doivent être confirmés.
8. Partant, le recours doit être rejeté. ![endif]>![if>
9. Vu cette issue, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge des recourants, qui succombent (art. 87 al. LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03) ; il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 700.- versée à la suite du dépôt du recours. ![endif]>![if>
10. Pour les mêmes motifs, les recourants n’ont pas le droit à une indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA a contrario). ![endif]>![if>
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 25 mars 2021 par Me A______ et Monsieur B______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 24 février 2021 ;![endif]>![if>
2. le rejette ;![endif]>![if>
3. met à la charge des recourants, conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1’000.-, lequel est partiellement couvert par leur avance de frais de CHF 700.- ;![endif]>![if>
4. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;![endif]>![if>
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.![endif]>![if>
Siégeant: Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Nicole FRAGNIÈRE MEYER et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
Le président
Olivier BINDSCHEDLER TORNARE
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| La greffière |