Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/1252/2025 du 18.09.2025 sur JTBL/692/2024 ( OBL ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
| POUVOIR JUDICIAIRE C/15901/2023 ACJC/1252/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU JEUDI 18 SEPTEMBRE 2025 | ||
Entre
Monsieur A______ et Madame B______, domiciliés ______ [GE], appelants d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 20 juin 2024, tous deux représentés par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,
et
C______ SA, p.a. D______, ______, intimée, représentée par Me Olivier ADLER, avocat, BM AVOCATS, quai Gustave-Ador 26, case postale 6253, 1211 Genève 6.
A. Par jugement JTBL/692/2024 du 20 juin 2024, dont la motivation a été reçue par les parties le 1er novembre 2024, le Tribunal des baux et loyers a fixé le loyer de l'appartement occupé par A______ et B______ à 33'594 fr. par an, charges non comprises, dès le 1er novembre 2023 (chiffre 1 du dispositif), dit que le loyer mensuel s'élevait ainsi à 2'799 fr. 50 dès cette date (ch. 2), condamné les précités à s'acquitter de la différence de loyer, soit 129 fr. 50 par mois, depuis novembre 2023, avec intérêts à 5% dès le 1er novembre 2023 (ch. 3), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et dit que la procédure était gratuite (ch. 5).
B. a. Par acte déposé le 2 décembre 2024 au greffe de la Cour de justice, A______ et B______ ont formé appel de ce jugement, sollicitant son annulation. Cela fait, ils ont conclu, principalement, à ce que la Cour déboute [la société immobilière] C______ SA de toutes ses conclusions, subsidiairement, renvoie la cause au Tribunal pour instruction complémentaire en ce sens qu'il soit ordonné à la précitée de produire les pièces nécessaires à l'établissement d'un calcul de rendement, plus subsidiairement, renvoie la cause au Tribunal pour nouvelle décision dûment motivée.
b. Dans sa réponse, C______ SA a conclu au déboutement de A______ et B______ de toutes leurs conclusions et à la confirmation du jugement entrepris.
c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.
d. A______ et B______ se sont encore déterminés le 11 avril 2025.
e. Les parties ont été avisées le 13 mai 2025 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure:
a. C______ SA est propriétaire de l'immeuble sis no. ______, avenue 1 _______ à Genève (ci-après: l'immeuble), depuis plus de trente ans.
b. Le 1er décembre 2021, C______ SA, en qualité de bailleresse, et A______ et B______, en qualité de locataires, ont conclu un contrat de bail à loyer, pour une durée indéterminée, portant sur la location d'un appartement de six pièces au 12ème étage de l'immeuble (ci-après: l'appartement), dès le 16 janvier 2022.
Ce contrat était résiliable en tout temps dès le 31 janvier 2023, moyennant un préavis de trois mois pour la fin d'un mois.
Le loyer annuel initial a été fixé à 32'040 fr. nets, soit 2'670 fr. par mois, auxquels s'ajoutaient les provisions pour le chauffage et l'eau chaude (180 fr.), ainsi que pour les autres frais accessoires (200 fr.), soit un total de 3'050 fr. par mois. Ce loyer était basé sur le taux hypothécaire de référence de 1.25% du mois de septembre 2021, l'indice suisse des prix à la consommation (ci-après: ISPC) de 101.6 points du 31 octobre 2021 et une augmentation des coûts prise en compte jusqu'au 31 décembre 2020.
A teneur de l'avis de fixation du loyer initial, celui-ci était motivé par l'adaptation aux loyers usuels dans le quartier.
c. Depuis la conclusion de ce contrat, le taux hypothécaire de référence a augmenté à 1.5% le 2 juin 2023 et l'ISPC a augmenté à 106.3 en mai 2023.
La bailleresse a allégué que compte tenu de la hausse générale des prix, les autres coûts de l'immeuble avaient augmenté à raison d'au moins 0.6% depuis 2021, soit une augmentation de 0.3% par année, ce que les locataires n'ont pas contesté.
d. Par avis officiel du 27 juin 2023, le loyer mensuel net de l'appartement a été majoré de 146 fr., de sorte que celui-ci s'élevait à 2'816 fr. dès le
1er novembre 2023. Les provisions pour le chauffage, l'eau chaude et les autres frais accessoires n'ont pas augmenté.
Cette hausse du loyer était motivée par l'ajustement du taux de référence de 1.25% à 1.5% le 2 juin 2023, soit 80 fr. 10 par mois d'augmentation, la compensation du renchérissement de 101.6 points à 106.3 points au 31 mai 2023, soit 49 fr. 40 par mois d'augmentation, et l'augmentation générale des coûts compensée jusqu'au
31 décembre 2022, soit 16 fr. par mois d'augmentation.
e. A______ et B______ ont contesté cette hausse de loyer le 20 juillet 2023 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers.
f. Non conciliée le 2 novembre 2023, l'affaire a été portée par la bailleresse devant le Tribunal le 4 décembre 2023. Cette dernière a conclu à ce que celui-ci valide la majoration de loyer du 27 juin 2023, dise que le loyer mensuel net de l'appartement était fixé à 2'816 fr., hors charges, dès le 1er novembre 2023 et condamne les locataires à lui verser la différence de loyer, soit 146 fr. par mois, depuis le 1er novembre 2023 jusqu'à l'entrée en force du jugement, avec intérêts à 5% dès le 1er novembre 2023.
Elle a allégué que l'augmentation de loyer n'était pas abusive, celle-ci étant fondée sur des motifs prévus par la loi (art. 269a CO), qui constituaient des critères relatifs de fixation du loyer et qui pouvaient être cumulés.
g. Dans leur réponse, les locataires ont sollicité qu'il soit ordonné à la bailleresse de produire les pièces permettant d'effectuer un calcul de rendement et ont conclu au déboutement de celle-ci de toutes ses conclusions.
Ils ont fait valoir que la majoration de loyer était abusive, en application de la méthode absolue du rendement net, qui pouvait toujours être invoquée à titre défensif. L'immeuble était géré dans le cadre d'un fonds de placement de [la banque] D______, dont le rapport semestriel 2023 mentionnait que le prix de revient de l'immeuble était de 7'484'567 fr. et le revenu brut de 731'686 fr., ce qui correspondait à un rendement brut de près de 10%. En outre, le loyer majoré était supérieur aux loyers usuels dans le quartier, le loyer initial ayant été motivé, en 2022, par l'adaptation auxdits loyers, qui n'avaient pas pu augmenter en juin 2023.
h. Lors de l'audience du Tribunal du 21 mars 2024, la bailleresse a déclaré que la cause était en état d'être jugée sur la base du dossier. L'immeuble étant ancien, un calcul de rendement ne pouvait pas être effectué.
Les locataires ont notamment persisté à requérir les pièces nécessaires audit calcul.
i. Par ordonnance du 18 avril 2024, le Tribunal a notamment rejeté la requête des locataires tendant à la production de pièces, au motif qu'il n'y avait pas lieu de procéder à un calcul de rendement net, et informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.
D. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que, dans la mesure où l'immeuble était ancien, les locataires ne pouvaient pas se prévaloir du critère absolu du rendement net pour s'opposer à la hausse de loyer. Contrairement à ce que soutenaient ces derniers, il ne ressortait pas de la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 147 III 32 et 147 III 14) que l'inversion de la hiérarchie des critères absolus n'était pas applicable lorsque le rendement était utilisé comme moyen défensif par un locataire dans le cadre d'une majoration de loyer. Au contraire, les motifs ayant conduit le Tribunal fédéral à retenir cette inversion dans le cas des immeubles anciens étaient également valables en cas de majoration de loyer. Le fait que le Tribunal fédéral avait considéré que le bailleur conservait la possibilité, dans le cas d'un immeuble ancien, de démontrer qu'un loyer ne lui procurait pas un rendement abusif n'impliquait pas que le locataire pouvait imposer l'utilisation de la méthode absolue du rendement dans ce cas de figure.
Les locataires n'ayant pas valablement opposé un critère absolu, la majoration de loyer devait être examinée sur la seule base des critères relatifs invoqués par la bailleresse.
1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales de première instance si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).
En matière de contestation de hausses de loyers, la valeur litigieuse est déterminée par les conclusions restées litigieuses devant l'autorité précédente
(art. 91 al. 1 CPC); si la durée de prestations périodiques est indéterminée, le montant annuel est multiplié par vingt (art. 92 al. 2 CPC). La valeur litigieuse correspond à la différence entre l'augmentation proposée et le montant accepté par le locataire par mois, annualisée et capitalisée sur vingt ans
(arrêt du Tribunal fédéral 4A_484/2011 du 2 novembre 2011 consid. 1).
En l'occurrence, l'intimée a demandé une augmentation de loyer de 146 fr. par mois, que les appelants ont entièrement contestée. Ce montant, annualisé et capitalisé sur vingt ans, donne une valeur litigieuse de plus de 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.
1.2 Interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi
(art. 130, 131, 142 al. 3, 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.
1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), mais uniquement dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4).
1.4 La procédure simplifiée s'applique aux litiges portant sur des baux et loyers d'habitation et de locaux commerciaux en ce qui concerne la consignation du loyer, la protection contre les loyers abusifs, la protection contre les congés ou la prolongation du bail (art. 243 al. 2 let. c CPC).
La maxime inquisitoire sociale régit la procédure (art. 247 al. 2 let. a CPC). Les parties ne sont toutefois pas dispensées de collaborer activement à l'établissement des faits (ATF 142 III 402 consid. 2.1).
2. Les appelants font grief au Tribunal de ne pas avoir retenu l'application du critère absolu du rendement net invoqué à titre défensif. Ils reprochent également au Tribunal d'avoir violé leur droit d'être entendus en n'examinant pas le caractère abusif du loyer majoré par rapport aux loyers usuels dans le quartier.
2.1.
2.1.1 A teneur de l'art. 269d al. 1 CO, le bailleur peut en tout temps majorer le loyer pour le prochain terme de résiliation. L'avis de majoration du loyer, avec indication des motifs, doit parvenir au locataire dix jours au moins avant le début du délai de résiliation et être effectué au moyen d'une formule agréée par le canton.
Le Tribunal fédéral distingue deux méthodes d'examen du loyer: la méthode absolue et la méthode relative. Selon la méthode absolue, le juge se contente de vérifier si le loyer, examiné à un moment donné, est en soi abusif. Il mesure ce loyer à la seule aune du rendement de la chose louée (art. 269 et 269a let. c CO) ou des loyers usuels (art. 269a let. a CO). Les accords des parties sont ignorés. Selon la méthode relative, le juge ne fait qu'examiner si le loyer est devenu abusif depuis sa dernière fixation, en raison d'une modification des paramètres invoqués par les parties (Lachat/Stastny, Le bail à loyer, 2019, p. 678).
Si le locataire demande une baisse de loyer fondée sur la méthode relative (art. 270a CO), le bailleur peut toujours, à titre de moyen de défense, exiger du juge qu'il vérifie au moyen de la méthode absolue du rendement si le loyer en vigueur est abusif ou non. Si le bailleur invoque la méthode relative pour augmenter le loyer en fonction de la hausse du taux hypothécaire de référence (art. 269d CO), le locataire peut invoquer, de son côté (c'est-à-dire comme moyen de défense), que la majoration est abusive en se prévalant de la méthode absolue du rendement (ATF 147 III 32 consid. 3.4.1).
2.1.2 La méthode absolue sert à vérifier concrètement que le loyer ne procure pas un rendement excessif au bailleur compte tenu des frais qu'il doit supporter ou des prix du marché. Dans l'application de cette méthode, les deux critères absolus que sont le critère du rendement net (fondé sur les coûts) et le critère des loyers du marché (c'est-à-dire les loyers comparatifs appliqués dans la localité ou le quartier) sont antinomiques, et partant exclusifs l'un de l'autre
(ATF 147 III 14 consid. 4.1).
Le critère du rendement net de l'art. 269 CO se base sur le rendement net des fonds propres investis. Le loyer doit, d'une part, offrir un rendement raisonnable par rapport aux fonds propres investis et, d'autre part, couvrir les charges immobilières. Le loyer est ainsi contrôlé sur la base de la situation financière de la chose louée à un moment donné, sans égard aux accords antérieurs passés avec le locataire, lesquels ne sont pris en considération que dans l'application de la méthode relative (ATF 147 III 14 consid. 4.1.1).
Le critère absolu des loyers usuels de la localité ou du quartier de l'art. 269a let. a CO est fondé sur les loyers du marché. L'art. 11 de l'ordonnance du Conseil fédéral du 9 mai 1990 sur le bail à loyer et le bail à ferme d'habitations et de locaux commerciaux (OBLF; RS 221.213.11) détermine les loyers déterminants pour le calcul de ceux-là: il s'agit des loyers de logements comparables à la chose louée quant à l'emplacement, la dimension, l'équipement, l'état et l'année de construction (al. 1), à l'exclusion des loyers découlant du fait qu'un bailleur ou un groupe de bailleurs domine le marché (al. 3). Les statistiques officielles doivent être prises en considération (al. 4; ATF 147 III 14 consid. 4.1.2).
La preuve des loyers usuels dans la localité ou le quartier (art. 269a let. a CO) peut être apportée au moyen de deux méthodes (cf. art. 11 al. 1 et 4 OBLF). Premièrement, il est possible de se baser sur des logements de comparaison, lesquels doivent être au nombre minimal de cinq et présenter, pour l'essentiel, les mêmes caractéristiques que le logement litigieux quant à l'emplacement, la dimension, l'équipement, l'état et l'année de construction, tout en tenant compte de l'évolution récente de leurs loyers au regard du taux hypothécaire et de l'ISPC. Secondement, le juge peut appliquer la méthode des statistiques officielles
(art. 11 al. 4 OBLF). Celles-ci doivent satisfaire aux exigences de
l'art. 11 al. 1 OBLF et, partant, contenir des données chiffrées suffisamment différenciées et dûment établies selon les critères précités
(ATF 147 III 14 consid. 4.1.2, 4.1.2.1 et 4.1.2.2).
Pour que le juge puisse appliquer la méthode des statistiques officielles, il faut qu'il existe de telles statistiques au niveau cantonal, satisfaisant aux exigences de l'art. 11 al. 1 OBLF (ATF 141 III 569 consid. 2.2.1 et 2.2.2;
123 III 317 consid. 4a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_271/2022 du 15 août 2023 consid. 5.1.1).
A l'heure actuelle, il n'existe pas à Genève de statistiques officielles au sens de l'art. 11 al. 4 OBLF (ATF 123 III 317 consid. 4c/cc; arrêt du Tribunal fédéral 4A_63/2024 du 17 juin 2024 consid. 5.2). Le recours à celles-ci est admissible lorsque le juge est amené à fixer le loyer initial présumé abusif
(ATF 148 III 209 consid. 3.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_271/2022
du 15 août 2023 consid. 5.2.3). Cette possibilité n'est en revanche pas ouverte dans le contexte d'une hausse de loyer motivée par les loyers usuels du quartier (arrêt du Tribunal fédéral 4A_271/2022 précité consid. 5.2.3). La question des loyers usuels doit ainsi être appréciée au moyen de la méthode des logements comparatifs (arrêt du Tribunal fédéral 4A_215/2021 du 22 octobre 2021
consid. 7.2).
Le bailleur ne peut prétendre à une adaptation au taux des loyers usuels (dans la localité ou dans le quartier) que si le marché a évolué depuis la dernière fixation du loyer, et cela au cours d'une période suffisante au regard des lois de la statistique (ATF 118 II 130 consid. 3.b, in JdT 1993 I p. 143).
2.1.3 Le critère absolu du rendement net a la priorité sur celui des loyers usuels de la localité ou du quartier, en ce sens que le locataire peut toujours tenter de prouver que le loyer permet au bailleur d'obtenir un rendement excessif
(art. 269 CO), et ce n'est donc qu'en cas de difficulté ou d'impossibilité de déterminer le caractère excessif du rendement net qu'il pourra être fait application du critère des loyers usuels de la localité ou du quartier (ATF 147 III 14 consid. 4.2).
Pour les immeubles anciens, la hiérarchie des critères absolus est inversée: le critère des loyers usuels de la localité ou du quartier l'emporte sur le critère du rendement net des fonds propres investis. Pour de tels immeubles, en effet, les pièces comptables nécessaires pour déterminer les fonds propres investis en vue de calculer le rendement net font fréquemment défaut ou font apparaître des montants qui ne sont plus en phase avec la réalité économique actuelle
(ATF 147 III 14 consid. 4.2; 140 III 433 consid. 3.1). Pour que soit respecté le principe de l'égalité des armes, le critère des loyers usuels de la localité ou du quartier doit valoir aussi bien dans les procédures de majoration du loyer et de contestation du loyer initial que dans celles de baisse du loyer
(arrêt du Tribunal fédéral 4A_400/2017 du 13 septembre 2018 consid. 2.2.1, non publié in ATF 144 III 514). Pour un immeuble ancien, le bailleur peut donc se prévaloir de la prééminence du critère des loyers usuels de la localité ou du quartier; le fait que ce critère ait la priorité ne l'empêche toutefois pas d'établir que l'immeuble ne lui procure pas un rendement excessif à l'aide du rendement net
(ATF 147 III 14 consid. 4.2).
2.1.4 A teneur de la jurisprudence du Tribunal fédéral, le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., n'est pas une fin en soi, même s'il s'agit d'une garantie constitutionnelle de caractère formel. Il constitue un moyen d'éviter qu'une procédure judiciaire ne débouche sur un jugement vicié en raison de la violation du droit des parties de participer à la procédure, notamment à l'administration des preuves. Lorsqu'on ne voit pas quelle influence la violation du droit d'être entendu a pu avoir sur la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée (arrêts du Tribunal fédéral 6B_93/2014 du 21 août 2014
consid. 3.1.3 et 4A_153/2009 du 1er mai 2009 consid. 4.1).
Au surplus, une violation du droit d'être entendu peut être réparée dans le cadre de la procédure de recours lorsque l'irrégularité n'est pas particulièrement grave et pour autant que la partie concernée ait la possibilité de s'exprimer et de recevoir une décision motivée de la part de l'autorité de recours disposant d'un pouvoir d'examen complet en fait et en droit. Une réparation du vice procédural est également possible lorsque le renvoi à l'autorité inférieure constitue une vaine formalité, provoquant un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2; 133 I 201 consid. 2.2).
2.2.
2.2.1 En l'espèce, en se fondant sur le considérant 3.4.1 de l'ATF 147 III 32, les appelants soutiennent qu'ils pourraient invoquer le critère absolu du rendement pour s'opposer à la majoration de loyer litigieuse et ce, même si l'immeuble est ancien – ce qui est le cas in casu, ce fait n'étant pas contesté.
L'ATF 147 III 32, qui ne concernait pas un immeuble qualifié d'ancien, permet certes au locataire de se prévaloir, à titre défensif, de la méthode absolue du rendement pour contester une hausse de loyer fondée sur des critères relatifs. Cela étant, cette jurisprudence n'autorise pas le locataire à exiger l'application d'un des critères absolus, dans le cadre de la méthode absolue, l'ordre de priorité entre le critère du rendement net et celui des loyers du marché étant défini par la jurisprudence en fonction de l'ancienneté de l'immeuble.
En effet, dans l'ATF 147 III 14, le Tribunal fédéral a défini cet ordre de priorité en considérant que le critère des loyers usuels du quartier l'emportait sur celui du rendement net en présence d'un immeuble ancien, en raison du défaut fréquent des pièces comptables nécessaires pour déterminer les fonds propres investis et au motif que lesdites pièces faisaient apparaître des montants qui n'étaient plus en phase avec la réalité économique actuelle.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, le principe d'égalité des armes ne saurait modifier cet ordre de priorité clairement défini. En effet, permettre au locataire d'exiger le calcul du rendement net d'un immeuble ancien reviendrait à vider entièrement cette jurisprudence de sa substance, ce qui n'est pas envisageable.
Ainsi, le fait que le bailleur puisse, à titre de moyen de défense, choisir d'établir que l'immeuble ancien ne lui procure pas un rendement excessif au moyen du critère du rendement net ne saurait conférer le même droit au locataire pour établir le contraire.
Le fait que l'intimée disposerait, par hypothèse, des pièces comptables permettant de réaliser un calcul de rendement net n'est dès lors pas pertinent. Il en va de même du fait que cette dernière, en qualité de propriétaire institutionnel, serait soumise à une obligation de conservation de dix ans pour les livres et les pièces comptables. Cette obligation a d'ailleurs pour seul objectif de favoriser le contrôle de la comptabilité et de la présentation des comptes et ne saurait avoir une quelconque incidence dans la résolution d'une question relevant spécifiquement du droit du bail (cf. ATF 144 III 514 consid. 3.3).
Les premiers juges étaient ainsi fondés à retenir que, dans la mesure où l'immeuble était ancien, les appelants ne pouvaient pas exiger le calcul du rendement net pour démontrer l'éventuel caractère abusif de la majoration de loyer litigieuse.
Le jugement entrepris sera donc confirmé à cet égard, de sorte qu'il ne se justifie pas de renvoyer la cause aux premiers juges pour instruction complémentaire afin qu'il soit ordonné à l'intimée de produire les pièces relatives à l'établissement dudit calcul.
2.2.2 Les appelants font également valoir s'être opposés à la hausse de loyer litigieuse en invoquant le critère absolu des loyers usuels du quartier, ce que les premiers juges n'auraient pas examiné en violation de leur droit d'être entendus.
Les premiers juges ont toutefois répondu, de manière implicite, à cet argument, en considérant, à juste titre, que les appelants n'avaient pas valablement opposé de critère absolu à la majoration de loyer litigieuse.
En effet, la preuve des loyers du marché ne peut être apportée qu'au moyen de deux méthodes, soit celle des logements de comparaison ou celle des statistiques officielles. Comme rappelé sous consid. 2.1.2 supra, il n'existe pas de telles statistiques à Genève. Par ailleurs, même s'il peut y être recouru pour fixer le loyer initial, ce n'est pas le cas pour démontrer qu'une hausse de loyer serait abusive. La question des loyers usuels doit donc être appréciée au moyen de la méthode des logements comparatifs.
Les appelants n'ont toutefois produit aucune pièce relative à des logements de comparaison. Ils se sont limités à soutenir que la hausse de loyer serait abusive, celle-ci s'écartant du loyer initial fixé par l'intimée en 2022 – non contesté par eux – sur la base des loyers usuels du quartier, lesquels ne pouvaient évoluer qu'au cours d'une période suffisante, non réalisée en l'espèce. Or, dans le cadre de l'application de la méthode absolue, les accords antérieurs des parties ne sont pas pris en considération.
Ainsi, dans la mesure où les appelants n'ont présenté aucun exemple de logements comparatifs, c'est à raison que les premiers juges ont considéré qu'ils avaient échoué à opposer un critère absolu à la hausse de loyer litigieuse.
Même à admettre une violation du droit d'être entendus des appelants pour un défaut de motivation sur ce point, celle-ci a été réparée devant la Cour, qui dispose d'un pouvoir d'examen complet en fait et en droit. Il ne se justifie donc pas d'annuler le jugement entrepris et de renvoyer la cause aux premiers juges pour nouvelle décision dûment motivée.
2.2.3 L'examen des premiers juges relatif au bien-fondé de la hausse de loyer n'étant, pour le surplus, pas remis en cause, le jugement entrepris sera confirmé.
3. Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).
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La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 2 décembre 2024 par A______ et B______ contre le jugement JTBL/692/2024 rendu le 20 juin 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/15901/2023.
Au fond :
Confirme le jugement entrepris.
Dit que la procédure est gratuite.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Mathias ZINGGELER, Madame Nevena PULJIC, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.