Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/1093/2025 du 14.08.2025 sur JTBL/268/2025 ( SBL ) , CONFIRME
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/29041/2024 ACJC/1093/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU JEUDI 14 AOUT 2025 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______, appelant et recourant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 17 mars 2025, représenté par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,
et
B______ SA, sise c/o C______ SA [société fiduciaire], ______, intimée, représentée par D______ [régie immobilière].
A. Par jugement JTBL/268/2025 du 17 mars 2025, le Tribunal des baux et loyers, statuant par voie de procédure sommaire, a condamné A______ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec lui l'appartement de 4 pièces n° 1______ au 3ème étage de l'immeuble sis rue 2______ n° ______ à Genève (ch. 1 du dispositif), autorisé B______ SA à requérir l'évacuation par la force publique de A______ dès l'entrée en force du jugement (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).
En substance, les premiers juges ont retenu que les conditions d'une résiliation selon l'article 257d al. 1 CO étaient réunies, le locataire n'ayant pas rendu vraisemblable que l'une ou l'autre d'entre elles ferait défaut. Depuis l'expiration du terme fixé, le précité ne disposait plus d'aucun titre juridique l'autorisant à rester dans les locaux, de sorte que son évacuation devait être prononcée. Le locataire n'indiquait pas en quoi un délai humanitaire de huit mois se justifierait, les problèmes de santé de son frère, qui ne figurait par ailleurs pas sur le bail n'apportant aucun élément dans ce sens. Il n'avait entrepris aucune démarche auprès de la propriétaire depuis la résiliation, mais avait attendu la convocation de l'audience pour réagir. Enfin, le locataire n'avait pas allégué avoir entrepris des démarches en vue de se reloger. L'octroi d'un délai humanitaire ne se justifiait pas.
B. a. Par acte déposé le 28 mars 2025 à la Cour de justice, A______ (ci‑après : le locataire ou l'appelant) a formé appel, subsidiairement recours, contre ce jugement, sollicitant son annulation. Il a conclu à ce que la Cour, principalement, déclare irrecevable la requête en évacuation et demande en paiement du 24 novembre 2024, et, subsidiairement, à l'annulation du chiffre 2 du dispositif de ce jugement et à l'octroi d'un délai humanitaire jusqu'au 30 novembre 2025.
b. Par réponse du 8 avril 2025, B______ SA (ci-après : l'intimée ou la bailleresse ou B______ SA) a conclu à la confirmation du jugement entrepris.
c. Par réplique du 17 avril 2025, le locataire a persisté dans ses conclusions et produit une pièce nouvelle (preuve du paiement d'un montant de 2'050 fr. le 31 mars 2025).
L'intimée en a fait de même dans un courrier du 24 avril 2025.
L'appelant s'est encore exprimé dans des courriers des 9 mai et 2 juin 2025, produisant deux pièces nouvelles (preuves du paiement de 2'050 fr. les 1er mai et 2 juin 2025).
d. Les parties ont été avisées par plis du greffe de la Cour du 3 juin 2025 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. Le 29 novembre 2022, A______ a conclu un contrat de bail à loyer avec E______ et F______, représentées par la Régie G______, portant sur un appartement de 4 pièces n° 1______ au 3ème étage de l'immeuble sis rue 2______ n° ______ à Genève.
Le montant du loyer et des charges a été fixé en dernier lieu à 2'050 fr. par mois.
b. Par avis comminatoire du 14 août 2024, les bailleresses (respectivement la succession de E______), représentées par la régie, ont mis en demeure A______ de leur régler dans les 30 jours le montant de 3'111 fr. 20, à titre d'arriéré de loyer et de charges et de frais de rappel, pour la période du 1er juillet 2024 au 30 août 2024, et l'ont informé de leur intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.
c. Considérant que la somme susmentionnée n'avait pas été intégralement réglée dans le délai imparti, la régie, représentant les bailleresses, a, par avis officiel du 19 septembre 2024, résilié le bail pour le 31 octobre 2024.
d. Par requête déposée le 13 novembre 2024, les bailleresses ont introduit une action en évacuation selon la procédure en cas clair devant le Tribunal et ont en outre sollicité l'exécution directe de l'évacuation du locataire et le paiement de la somme de 9'211 fr. 20.
e. Par courrier du 6 mars 2025, la Régie D______, nouvellement en charge de l'immeuble sis rue 2______ n° ______, a confirmé que celui-ci avait été vendu à B______ SA en décembre 2024.
f. Lors de l'audience du Tribunal du 17 mars 2025, la représentante de la bailleresse a indiqué que l'arriéré s'élevait à 17'411 fr. 20, un dernier versement de 2'050 fr. ayant été effectué le 24 juin 2024 et a déposé un décompte actualisé. A______ a allégué, pièces à l'appui, avoir fait un autre paiement de 2'050 fr. le 12 mars 2025, avoir été licencié en juillet 2024 mais avoir trouvé un emploi depuis janvier 2025 et gagner 4'400 fr. bruts par mois. Il a également produit un extrait du registre des poursuites du 12 mars 2025, dont il ressort qu'il fait l'objet de poursuites pour plusieurs dizaines de milliers de francs. Son frère, lequel souffrait de problèmes psychologiques (schizophrénie) vivait avec lui dans l'appartement et était en attente d'une décision de l'assurance invalidité; il en assumait seul l'entretien. Son conseil a ajouté vouloir faire une demande de dons pour solder l'arriéré et que son mandant avait désormais la possibilité de payer l'indemnité courante. De ce fait, une nouvelle audience était sollicitée en présence de la bailleresse.
La représentante de la bailleresse s'est opposée à une reconvocation au vu du montant de l'arriéré accumulé au jour de l'audience et du fait que le locataire avait été contacté en décembre 2024 mais qu'il n'avait rien fait jusqu'au moment où il avait reçu la convocation du Tribunal; elle a aussi relevé un problème de location par [le site de relocation] H______ ainsi que des problèmes avec l'ancienne gérance; elle s'est dès lors opposée à l'octroi d'un délai supplémentaire.
Le conseil du locataire a plaidé et invoqué le droit au logement (art. 38 Cst) pour conclure principalement au rejet de la requête, subsidiairement à l'octroi d'un délai humanitaire de 8 mois.
A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.
1. 1.1 La voie de l'appel est ouverte contre les décisions d'évacuation, lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).
Les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1; 4A_72/2007 du 22 août 2007 consid. 2).
Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans (ATF 144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3 - JdT 2019 II 235 pp. 236 et 239; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid.1; Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, Lausanne 2019, pp. 69-70).
En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. La voie de l'appel est donc ouverte contre le prononcé de l'évacuation.
En revanche, contre les mesures d'exécution, seule la voie du recours est ouverte (art. 309 let. a CPC).
1.2 L'appel et le recours, écrits et motivés, doivent être introduits auprès de la deuxième instance dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 et 321 al. 1 CPC). Le délai est de dix jours pour les décisions prises en procédure sommaire (art. 314 al. 1 et 321 al. 2 CPC), ce qui est le cas des procédures en protection des cas clairs (art. 248 let. b et 257 CPC).
En l'espèce, l'appel et le recours, formés dans le délai et la forme prescrits par la loi, sont recevables.
1.3 Dans le cadre d'un appel, la Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (art. 321 al. 1 CPC; cf. arrêts du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5; 5A_89/2014 du 15 avril 2011 consid. 5.3.2).
Le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).
Le recours n'est recevable que pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art 320 CPC).
2. L'appelant a produit des pièces nouvelles.
2.1 En l'espèce, la recevabilité des pièces produites par l'appelant, relatives à des paiements effectués après que la cause a été gardée à juger par le Tribunal, peut demeurer indécise, celles-ci n'étant en tout état pas pertinentes pour l'issue du litige.
3. L'appelant reproche au Tribunal d'avoir constaté les faits de manière inexacte.
L'état de faits ci-dessus a été complété dans la mesure utile.
4. L'appelant ne prétend pas que les conditions posées par les art. 257 CPC et 257d CO ne seraient pas réalisées. Il se limite à invoquer son droit au logement (art. 38 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012
(Cst./GE – A 2 00 et art. 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966).
4.1 Les rapports entre particuliers relèvent directement des seules lois civiles et pénales et c'est donc par celles-ci que l'individu est protégé contre les atteintes que d'autres sujets de droit privé pourraient porter à ses droits constitutionnels (ATF 107 Ia 277 consid. 3a p. 280 s.; arrêt du Tribunal fédéral 5A_252/2017 du 21 juin 2017 consid. 5; 4A_265/2011 du 8 juillet 2011 consid. 3.2.1).
Le Tribunal fédéral a laissé ouvert le point de savoir si l'article 38 Cst./GE constituerait une disposition constitutionnelle conférant un droit directement invocable en justice. Dans la mesure où les locataires n'étaient pas parvenus à établir qu'ils n'avaient pas la possibilité d'obtenir un logement, l'on ne saisissait pas d'emblée en quoi la garantie déduite de cette disposition s'appliquerait (arrêt du Tribunal fédéral 5A_232/2020 du 14 mai 2020 consid. 5.2).
S'agissant en particulier du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 (Pacte I ONU – RS 0.103.1), ses dispositions se bornent à prescrire aux Etats, sous la forme d'idées directrices, des objectifs à atteindre dans les divers domaines considérés. Elles leur laissent la plus grande latitude quant aux moyens à mettre en œuvre pour réaliser ces objectifs. Dès lors, elles ne revêtent pas, sauf exception (par exemple l'art. 8 al. 1 let. a, relatif au droit de former des syndicats et de s'affilier au syndicat de son choix), le caractère de normes directement applicables (cf. ATF 121 V 246 consid. 2c; 121 V 229 consid. 3b et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 4C_15/2001 du 22 mai 2001 consid. 4).
4.2 En l'espèce, dans la mesure où les articles 38 Cst./GE ainsi que 11 Pacte I ONU n'ont pas vocation à s'appliquer directement au litige de droit privé qui oppose les parties, c'est en vain que l'appelant se prévaut du droit au logement garanti par ces dispositions.
Par conséquent, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné l'appelant à évacuer le logement en cause, les conditions posées par les art. 257 CPC et 257d CO étant réalisées. Partant, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
5. Le recourant reproche au Tribunal de ne pas lui avoir accordé un sursis humanitaire de 8 mois.
5.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'expulsion d'un locataire est réglée par le droit fédéral (cf. art. 335 et ss CPC).
En procédant à l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. L'expulsion ne saurait être conduite sans ménagement, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. En tout état de cause, l'ajournement ne peut être que relativement bref et ne doit pas équivaloir en fait à une prolongation de bail (ATF 117 Ia 336 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7; 4A_207/2014 du 19 mai 2019 considl 3.1).
L'art. 30 al. 4 LaCC concrétise le principe de la proportionnalité en cas d'évacuation d'un logement, en prévoyant que le tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire ou du fermier. Cette disposition s'applique, selon ses propres termes, aux logements, c'est-à-dire aux habitations (arrêt du Tribunal fédéral 4A_207/2014 du 19 mai 2014 précité consid. 3.1).
S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité"; sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé; en revanche, la pénurie de logements ou le fait que l'expulsé entretient de bons rapports avec ses voisins ne sont pas des motifs d'octroi d'un sursis (ACJC/422/2014 du 7 avril 2014 consid. 4.2; ACJC/187/2014 du 10 février 2014 consid. 5.2.1; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1990 p. 30 et réf. cit.).
Le juge ne peut pas différer longuement l'exécution forcée et, ainsi, au détriment de la partie obtenant gain de cause, éluder le droit qui a déterminé l'issue du procès. Le délai d'exécution ne doit notamment pas remplacer la prolongation d'un contrat de bail à loyer lorsque cette prolongation ne peut pas être légalement accordée à la partie condamnée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7; 4A_389/2017 du 26 septembre 2017 consid. 8; 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).
5.2 En l'espèce, le fait que le recourant se soit trouvé en situation de défaut de paiement du loyer à cause de la perte de son emploi n'est pas déterminant. En effet, quand bien même il a retrouvé un travail, l'arriéré du loyer demeure important et les poursuites dont il fait l'objet permettent de douter qu'il puisse l'éponger. Comme l'a retenu justement le Tribunal, on voit mal en quoi l'octroi d'un sursis de huit mois permettrait de remédier à la situation du frère du recourant, lequel ne figure en tout état pas sur le bail. Enfin, le recourant a tardé à réagir après la réception du congé et n'a pas entrepris la moindre démarche en vue de se reloger. Dès lors, le Tribunal a équitablement tenu compte des intérêts en présence en prononçant des mesures d'exécution immédiates.
Le jugement sera confirmé sur ce point également.
6. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers.
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PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevable l'appel et le recours interjetés le 28 mars 2025 par A______ contre le jugement JTBL/268/2025 rendu le 17 mars 2025 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/29041/2024.
Au fond :
Confirme ce jugement.
Dit que la procédure est gratuite.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Victoria PALLUD, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.