Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/198/2025 du 07.02.2025 sur JTBL/728/2024 ( SP ) , MODIFIE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/9605/2024 ACJC/198/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU VENDREDI 7 FEVRIER 2025 |
Entre
A______ SÀRL, sise ______, appelante contre une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 1er juillet 2024, représentée par Me Daniel ZAPPELLI, avocat, rue Charles-Bonnet 2, 1206 Genève,
et
B______ SA, sise ______, intimée, représentée d'abord par Me Nathalie SUBILIA, avocate, puis en personne.
A. Par ordonnance JTBL/728/2024 du 1er juillet 2024, communiquée pour notification aux parties le même jour, le Tribunal des baux et loyers a déclaré irrecevable la requête formée le 23 avril 2024 par A______ SÀRL à l’encontre de B______ SA (ch. 1 du dispositif), révoqué l’ordonnance rendue le 25 avril 2024 sur mesures superprovisionnelles (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).
Le Tribunal a retenu qu’en l’absence de volonté de posséder les locaux litigieux, A______ SÀRL n’avait aucun intérêt digne de protection au dépôt d’une requête tendant à la restitution de la possession des locaux concernés et par conséquent que la requête devait être déclarée irrecevable, faute d’intérêt digne de protection.
B. a. Par acte expédié le 12 juillet 2024 à la Cour de justice, A______ SÀRL forme appel contre cette ordonnance. Elle conclut à la confirmation de l’ordonnance rendue le 25 avril 2024 sur mesures superprovisionnelles et ainsi à ce qu’il soit ordonné à B______ SA de restituer immédiatement la possession des locaux, à ce qu’il soit dit que faute d’exécution dans les trois jours dès l’entrée en force de l’arrêt à rendre, B______ SA sera condamnée à une amende d’ordre de 1'000 fr. par jour d’inexécution, à ce qu’elle soit dispensée de fournir des sûretés et à ce qu’un délai de soixante jours lui soit fixé pour déposer son action au fond, le tout sous suite de frais et dépens.
A l’appui de son appel, A______ SÀRL produit deux pièces nouvelles, à savoir le procès-verbal d’une audience tenue le 5 juillet 2024 par-devant le Ministère public ainsi qu’un jugement JTBL/675/2024 rendu par le Tribunal des baux et loyers le 13 juin 2024.
b. Dans sa réponse du 26 juillet 2024, B______ SA conclut, principalement, à l’irrecevabilité de l’appel et, subsidiairement, à la confirmation de l’ordonnance entreprise, sous suite de frais et dépens.
c. Les parties ont été avisées le 23 août 2024 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. Le 23 octobre 2023, B______ SA ainsi que A______ SÀRL ont conclu un « contrat de management » selon lequel B______ SA s’est notamment engagée à exploiter, un café-restaurant à l’enseigne « B______ » sis rue 1______ no. ______ à Genève.
Le contrat a débuté le 1er octobre 2023 et son échéance a été fixée au 31 décembre 2025. Il prévoit par la suite un renouvellement tacite, sauf résiliation notifiée 180 jours avant l’échéance annuelle.
Selon l’article 1 de l’annexe 1 du contrat, B______ SA s’est engagée à exploiter le café-restaurant au minimum six jours sur sept. Selon l’article 2 de l’annexe 1 du contrat, A______ SÀRL s’est engagée, pendant toute la durée du contrat, à entretenir la surface d’exploitation propre et en bon état ainsi que l’ensemble des meubles et équipements, à fournir, nettoyer et entretenir les meubles et équipements nécessaires à l’exploitation du café-restaurant, à nettoyer la surface d’exploitation et à y effectuer les menus travaux d’entretien et de réparations courantes, à conclure les assurances adéquates requises en relation avec l’exploitation du café-restaurant, à mettre à disposition, instruire et surveiller le personnel nécessaire pour l’exploitation du café-restaurant, à émettre et encaisser, au nom et pour le compte de B______ SA, les factures des clients du café-restaurant, à commander et acheter, au nom et pour le compte de B______ SA, l’ensemble des produits et autres éléments nécessaires pour l’exploitation du café-restaurant, à communiquer à B______ SA les chiffres et éléments nécessaires pour la tenue de la comptabilité relative au café-restaurant et en tout état de cause à respecter les exigences de la « LADB » et du « RLADB ». Il a en outre été convenu que l’intégralité du chiffre d’affaires résultant de l’activité déployée sur la surface d’exploitation était attribuée à B______ SA et que celle-ci prendrait en charge les frais liés aux achats de produits et autres éléments nécessaires à l’exploitation du café-restaurant (art. 1 de l’annexe 6). B______ SA s’est également engagée à verser à A______ SÀRL une rémunération égale à « CA Net - Frais B______ - X (la « rémunération A______ ») » (art. 2 annexe 6). A______ SÀRL s’est également engagée à verser à B______ SA, au plus tard le 1er jour de chaque trimestre, des acomptes trimestriels d’un montant égal à « Y/4 », « Y » correspondant à un montant mensuel de 0 fr. en 2023, de 6'000 fr. en 2024 et de 7'000 fr. pour la suite (art. 2 et 4 de l’annexe 6).
b. Par courrier du 30 novembre 2023 adressé à B______ SA, A______ SÀRL a résilié le contrat avec effet au 31 décembre 2023 au motif que B______ SA ne bénéficiait pas de l’autorisation événementielle musicale, ce qui limitait considérablement sa capacité à offrir une expérience complète à ses clients, et que la terrasse se révélait impraticable en hiver, sans qu’il ne soit possible d’y installer une véranda.
c. Par courrier du 15 décembre 2023, B______ SA a sommé A______ SÀRL de prendre les mesures nécessaires pour éviter des nuisances sonores excessives et de remettre le logo dans l’état initial convenu.
d. Par courrier du 3 janvier 2024 adressé à B______ SA, A______ SÀRL a déclaré maintenir sa résiliation du contrat avec effet au 31 décembre 2023, les conditions contractuelles, à savoir la gestion de l’établissement avec des autorisations pour la musique et l’installation d’une véranda en terrasse pour une exploitation hivernale, n’étant pas réalisables. A______ SÀRL mettait également B______ SA en demeure de lui rembourser des frais d’investissement ainsi que les frais de management de l’établissement.
e. Par courrier du 9 janvier 2024, B______ SA a indiqué à A______ SÀRL qu’elle considérait que son courrier de résiliation du 30 novembre 2023 ainsi que son courrier de confirmation du 3 janvier 2024 étaient dépourvus d’effets juridiques, dans la mesure où ils étaient intervenus avant le terme contractuel. Il n’existait pas de motif justifiant une résiliation avant terme. Le contrat ne faisait pas mention d’une autorisation pour les événements musicaux et par conséquent l’absence d’autorisation ne pouvait être un motif de résiliation. Le contrat stipulait en outre que la terrasse était située sur l’espace public, qui par définition, devait rester accessible au public et ne pouvait être encombré d’une véranda. La résiliation n’ayant aucun effet, B______ SA invitait A______ SÀRL à s’acquitter d’une facture du 22 novembre 2023 de 18'640 fr. et d’une facture du 2 janvier 2024 de 44'721 fr., notamment pour des loyers ainsi que des redevances.
f. Par courrier recommandé du 19 janvier 2024 adressé à A______ SÀRL, B______ SA a résilié le contrat de management avec effet immédiat au motif que les loyers en souffrance n’auraient pas été réglés. Elle a sommé A______ SÀRL de libérer, avec effet immédiat, les locaux de tous ses biens et de restituer tous les biens de l’établissement en sa possession, au plus tard le 26 janvier 2024.
Le 2 février 2024, B______ SA a adressé à A______ SÀRL par pli simple son courrier recommandé du 19 janvier 2024, qui n’avait pas été réclamé.
g. Le 29 janvier 2024, B______ SA a vendu le fonds de commerce de l’établissement, avec effet au 1er février 2024.
h. Le 30 janvier 2024, C______, administrateur avec signature individuelle de B______ SA, a déposé plainte pénale contre A______ SÀRL et D______, associée gérante avec signature individuelle de A______ SÀRL, pour violation de domicile et vol d’une dizaine de chaises ainsi que d’une machine à café.
i. Par courriers des 7 et 16 février 2024 adressés à B______ SA, A______ SÀRL a considéré que la résiliation du 19 janvier 2024, reçue le 6 février 2024, était nulle car elle ne respectait pas les formes légales. Elle a requis la remise immédiate des clés des locaux et lui a fixé un délai au 19 février 2024 à cet effet.
j. Par courrier du 20 février 2024, B______ SA a soutenu que A______ SÀRL avait résilié le contrat avec effet au 31 décembre 2023 et que sa volonté de mettre un terme au contrat était indiscutable dès lors qu’elle avait vidé les locaux en emportant notamment des chaises de l’établissement ainsi que la machine à café. Elle a ajouté n’être plus titulaire des baux des locaux de l’établissement.
Par courrier du 27 février 2024, A______ SÀRL a répondu qu’elle avait résilié le contrat avec effet au 31 décembre 2023, mais que B______ SA avait invalidé cette résiliation par courrier du 9 janvier 2024 au motif qu’elle n’était pas conforme au contrat. Elle avait poursuivi l’exploitation du café-restaurant jusqu’à ce que l’administrateur de B______ SA change les serrures de l’établissement rendant les locaux inaccessibles et inexploitables. La résiliation du 19 janvier 2024 était par ailleurs nulle de plein droit. Elle sollicitait des explications documentées quant au fait que B______ SA n’était plus titulaire des baux portant sur les locaux de l’établissement.
k. Par demande du 5 avril 2024 adressée au Tribunal des baux et loyers et dirigée contre B______ SA, A______ SÀRL a conclu à ce que soit constatée la nullité de la résiliation du 19 janvier 2024.
l. Le 9 avril 2024, l’Office des poursuites a fait notifier à A______ SÀRL un commandement de payer, poursuite 2______, portant sur les sommes de 18'640 fr., avec intérêts à 5% l’an dès le 3 octobre 2023 au titre de « facture Q4-2023 relative au contrat de management due au 2 octobre 2023 », et 44'721 fr., avec intérêts à 5% l’an dès le 12 janvier 2024 au titre de « facture Q1-2024 relative au contrat de management due au 11 janvier 2024 ».
Le commandement de payer a été frappé d’une opposition totale le 15 avril 2024.
m. Par requête reçue par le greffe du Tribunal des baux et loyers le 25 avril 2024, A______ SÀRL a conclu, à titre de mesures superprovisionnelles, à ce qu’il soit ordonné à B______ SA de lui restituer la possession des locaux, sous menace de la peine prévue par l’art. 292 CP, et à ce qu’il soit dit que faute d’exécution dans les trois jours dès l’entrée en force de la décision, B______ SA serait condamnée à une amende d’ordre de 1'000 fr. par jour d’inexécution, sous suite de frais et dépens, et, à titre de mesures provisionnelles, à ce que soit confirmé l’ordre de lui restituer la possession des locaux, sous la menace de la peine prévue par l’art. 292 CP, à ce qu’il soit dit que, faute d’exécution dans les trois jours dès l’entrée en force de la décision, B______ SA serait condamnée à une amende d’ordre de 1'000 fr. par jour d’inexécution, à ce qu’elle soit dispensée de fournir des sûretés et à ce qu’un délai de soixante jours lui soit fixé pour ouvrir action au fond, sous suite de frais et dépens.
n. Par ordonnance du 25 avril 2024, le Tribunal, statuant sur mesures superprovisionnelles, a ordonné à B______ SA de restituer immédiatement à A______ SÀRL la possession des locaux et de lui remettre les clés de la serrure apposée sur le local.
o. Dans sa réponse du 27 mai 2024, B______ SA a conclu à l’irrecevabilité de la requête et à ce que A______ SÀRL soit déboutée de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.
p. Lors de l’audience du 10 juin 2024 devant le Tribunal, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions.
q. Par jugement JTBL/675/2024 du 13 juin 2024, le Tribunal des baux et loyers a constaté la nullité de la résiliation du 19 janvier 2024. En substance, il a considéré que le congé était nul faute d’avoir été précédé d’une mise en demeure assortie d’une menace de résiliation et faute d’avoir été notifié au moyen d’une formule officielle. B______ SA a formé appel contre ce jugement.
r. Lors d’une audience du 5 juillet 2024 par-devant le Ministère public dans le cadre de la procédure P/3______/2024, D______ et E______ ont pris note qu’une procédure préliminaire était ouverte contre eux et qu’il leur était reproché d’avoir changé la serrure de l’établissement, empêchant C______ d’y pénétrer et dérobé une dizaine de chaises en cuir ainsi qu’une machine à café. C______ a pris note qu’une procédure préliminaire était ouverte contre lui et qu’il lui était reproché d’avoir changé la serrure de l’établissement le 30 janvier 2024, empêchant ainsi D______ et E______ d’y pénétrer, dérobé dans l’établissement des meubles et des bouteilles d’alcool et dénoncé à l’autorité, le 30 janvier 2024, dans le cadre de la plainte pénale qu’il a déposée, D______ comme étant l’auteur de vol et contrainte commises à son encontre, alors qu’il la savait innocente.
1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).
Selon l'art. 91 CPC, la valeur du litige est déterminée par les conclusions (al. 1). Lorsque l'action ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent déterminée, le tribunal détermine la valeur litigieuse si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point ou si la valeur qu'elles avancent est manifestement erronée (al. 2).
L'art. 92 CPC prévoit par ailleurs que les revenus et prestations périodiques ont la valeur du capital qu'ils représentent (al. 1). Si la durée des revenus et prestations périodiques est indéterminée ou illimitée, le capital est constitué du montant annuel du revenu ou de la prestation multiplié par vingt; s'il s'agit de rentes viagères, le montant du capital correspond à sa valeur actualisée (al. 2).
Pour les mesures provisionnelles, la valeur litigieuse est celle de la demande au fond qui a été déposée ou qui le sera (Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, 2ème éd., 2019, p. 271).
D'après la jurisprudence, l'action possessoire en réintégrande est de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_859/2010 du 3 mars 2011 consid. 1.2). Il peut être admis que la valeur litigieuse correspond à la valeur représentée par le montant du loyer, qui correspond à la valeur d'utilisation des locaux.
1.2 En l’espèce, l’appelante s’est engagée à verser à l’intimée une redevance de 6'000 fr. en 2024 et 7'000 fr. pour la suite. La valeur litigieuse est ainsi largement supérieure à 10'000 fr. (6'000 fr. + [7'000 fr. x 19 ans]).
1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.
1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).
2. L’appelante produit des pièces nouvelles.
2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2e éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).
2.2 Les pièces nouvelles produites ont été établies postérieurement à la date à laquelle la cause a été gardée à juger par le Tribunal, de sorte qu'elles sont recevables, ainsi que les allégués de fait s'y rapportant.
3. L’appelante reproche aux premiers juges d’avoir retenu qu’elle n’avait pas d’intérêt digne de protection au dépôt de sa requête tendant à la restitution de la possession des locaux, faute de volonté de posséder ceux-ci.
3.1.
3.1.1 Aux termes de l'art. 261 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable.
Dans le cadre des mesures provisionnelles, le juge peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 131 III 473 consid. 2.3). L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; arrêts du Tribunal fédéral 5A_931/2014 du 1er mai 2015 consid. 4; 5A_791/2008 du 10 juin 2009 consid. 3.1; Bohnet, Commentaire romand, 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC). La preuve est (simplement) vraisemblable lorsque le juge, en se fondant sur des éléments objectifs, a l'impression que les faits pertinents se sont produits, sans pour autant qu'il doive exclure la possibilité que les faits aient pu se dérouler autrement (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 130 III 321 consid. 3.3 = JdT 2005 I 618).
Les conditions de la mesure provisionnelle n'ont pas à être prouvées de manière absolue. Le requérant doit les rendre vraisemblables ou plausibles. Un fait est rendu vraisemblable si le juge, en se basant sur des éléments objectifs, a l'impression que le fait invoqué s'est produit, sans pour autant devoir exclure la possibilité qu'il ait pu se dérouler autrement (ATF 144 III 65 consid. 4.2.2 ;
142 II 49 consid. 6.2; 140 III 610 consid. 4.1; 132 III 715 consid. 3.1; 130 III 321 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_45/2023 du 1er septembre 2023 consid. 3.2). Le juge peut en outre se limiter à un examen sommaire des questions de droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 108 II 69 consid. 2a).
L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond (ATF 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5D_219/2017 du 24 août 2018 consid. 4.2.2), autrement dit faire un pronostic sur celles-ci, et admettre ou refuser la mesure selon que l'existence du droit allégué apparaît plus vraisemblable que son inexistence (arrêt du Tribunal fédéral 4A_177/2022 du 8 septembre 2022 consid. 4.2.1; simple vraisemblance; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.3).
Le requérant doit également rendre vraisemblable que, sur la base d'éléments objectifs, un danger imminent menace son droit de même que l'existence d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; Bohnet, op. cit., 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC; Hohl, procedure civile, Tome I., n. 1774, p. 325).
Le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause; qu'en d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets; qu'est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2011 consid. 4). En d'autres termes, la condition de l'urgence doit être considérée comme remplie lorsque sans mesures provisionnelles, le requérant risquerait de subir un dommage difficile à réparer au point que l'efficacité du jugement rendu à l'issue de la procédure ordinaire au fond en serait compromise (arrêt du Tribunal fédéral 5A_629/2009 du 25 février 2010 consid. 4.2). Il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).
La mesure ordonnée doit respecter le principe de proportionnalité, ce qui signifie qu'elle doit être à la fois apte à atteindre le but visé, nécessaire, en ce sens que toute autre mesure se révèlerait inapte à sauvegarder les intérêts de la partie requérante, et proportionnée, en ce sens qu'il ne doit pas exister d'alternatives moins incisives (Hohl, op. cit., p. 323 s.).
3.1.2 Parmi les conditions de recevabilité de l'action que le Tribunal doit vérifier d'office figure l'intérêt du requérant, qui doit être digne de protection (art. 59 al. 1 et 2 let. a CPC; ATF 130 III 102 consid. 1.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_90/2015 du 1er avril 2015 consid. 1.1). L'absence d'un intérêt digne de protection doit être relevée d'office, à tous les stades de la procédure. L'intérêt doit exister au moment du jugement (arrêt du Tribunal fédéral 4P_239/2005 du 21 novembre 2005 consid. 4.1). La condition de l'intérêt digne de protection implique en particulier que la ou les conclusions en question aient une utilité concrète pour la partie qui les formule (Zürcher, in Sutter-Somm/Hasenböhler/Leuenberger, ZPO Kommentar., 3ème éd., 2016, n. 13 ad art. 59 CPC).
3.1.3 Les actions possessoires des art. 927 s. CC ont pour objet la défense de la possession comme telle et permettent de réagir contre une voie de fait apparente. Elles ne visent ainsi qu'au rétablissement et au maintien de l'état de fait antérieur (arrêt du Tribunal fédéral 5A_63/2019 du 19 juillet 2019 consid. 5.2). Sous réserve de l'art. 927 al. 2 CC, qui prévoit l'exception tirée du meilleur droit, elles ne conduisent pas à un jugement sur la conformité au droit de cet état de fait. Elles n'assurent au demandeur qu'une protection provisoire, seule une procédure engagée sur le terrain du droit (action pétitoire) pouvant mettre fin aux effets de la décision portant sur la protection de la possession (action possessoire).
L'action possessoire de l'art. 927 al. 1 CC a pour objet la défense de la possession comme telle et vise à rétablir rapidement l'état antérieur. Le demandeur à l'action réintégrande doit prouver la réalisation de deux conditions, à savoir qu'il avait la possession de la chose et qu'il a perdu cette possession à la suite d'un acte d'usurpation illicite; l'acte d'usurpation qui enlève au possesseur sa possession sur la chose est illicite lorsqu'il n'est justifié ni par la loi, ni par le consentement du possesseur (ATF 144 III 145 consid. 3.2). Le défendeur ne peut exciper du droit préférable qu'il aurait sur la chose, comme le rappelle l'art. 927 al. 1 in fine CC (ATF 113 II 243 consid. 1b). Il ne peut que contester l'usurpation illicite en invoquant le consentement du demandeur ou une justification tirée de la loi.
L'art. 927 al. 2 CC apporte toutefois une exception à ce principe pour le cas où le défendeur établit aussitôt un droit – réel ou contractuel (ATF 40 II 559 consid. 3) – préférable qui l'autoriserait à reprendre la chose au demandeur (ATF 113 II 243 consid. 1b in fine). Cette disposition vise, dans un souci d'économie de procédure, à ne pas donner gain de cause au demandeur à la réintégrande qui aurait certainement tort dans un procès au pétitoire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_98/2010 du 7 mai 2010 consid. 4.1.1).
L'existence d'un bail, d'un bail tacite, d'une sous-location, la validité de la résiliation du bail et la conclusion d'un nouveau contrat de bail sont des questions qui touchent au droit sur la chose, et qui, sous réserve de l'exception prévue par l'art. 927 al. 2 CC, ne jouent aucun rôle dans le procès sur le possessoire. Lorsqu'il doit prononcer le rétablissement de l'état de fait antérieur, le juge doit uniquement rechercher qui, du demandeur ou du défendeur, avait la maîtrise effective de la chose précédemment, c'est-à-dire avant l'acte d'usurpation illicite (arrêt du Tribunal fédéral 5A_98/2010 du 7 mai 2010 consid. 4.1.1 et 4.1.2).
L’article 927 CC régit l’action en protection de la possession en cas d’usurpation illicite d’une chose. L’action vise la restitution de la chose au possesseur auquel la chose a été usurpée illicitement. La légitimation passive appartient en premier lieu à celui qui a pris possession illicitement. Si l’auteur de l’acte d’usurpation illicite s’est dessaisi de la chose, elle peut être tenu de verser des dommages et intérêts. Dans ce cas, le possesseur actuel, même de bonne foi, peut être condamné à restituer la chose (art. 934 et 935 CC) (Ernst / Zogg, in : Basler Kommentar, Schweizerische Zivilgesetzbuch, 7ème éd. 2023, n. 1 ad art. 927 CC).
3.2 En l’espèce, l’appelante conteste ne plus avoir la volonté de posséder les locaux. Cela étant, elle a résilié le bail pour le 31 décembre 2023, ce qui rend à tout le moins vraisemblable sa volonté de ne plus les occuper ni les exploiter. La résiliation du bail étant un acte irrévocable, elle ne peut par ailleurs pas se raviser. De plus, pour rendre vraisemblable sa volonté de posséder les locaux, l'appelante ne peux pas se prévaloir du fait qu'en violation de ses obligations résultant de la fin du bail qu'elle a résilié, elle n’a pas restitué les locaux ou a conservé les clés de ceux-ci, étant relevé qu'au 31 décembre 2023, elle ne savait pas que l'intimée résilierait à son tour le contrat le 19 janvier 2024.
En outre, l'appelante soutient qu'elle serait empêchée d'exercer ses activités, ce qui lui causerait une perte financière; l'intimée lui réclamerait par ailleurs des sommes importantes. Elle ne rend toutefois pas vraisemblable, par cette simple affirmation, qu'elle serait susceptible de subir un préjudicie qui pourrait être qualifié de difficilement réparable et ne pourrait pas être entièrement supprimé même si un jugement au fond lui donnait ultérieurement gain de cause.
Au vu de ce qui précède, il doit être considéré que les conditions pour le prononcé des mesures provisionnelles requises ne sont pas remplies. Ainsi, la requête de mesures provisionnelles n'est pas irrecevable, comme l'a retenu le Tribunal, mais infondée. Le chiffre 1 du dispositif de l'ordonnance attaquée sera dès lors annulé et l'appelante déboutée de ses conclusions.
4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).
* * * * *
La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté par A______ SÀRL le 12 juillet 2024 contre l’ordonnance JTBL/728/2024 rendue le 1er juillet 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/9605/2024.
Au fond :
Annule le chiffre 1 de l’ordonnance entreprise.
Déboute l’appelante de ses conclusions.
Confirme l’ordonnance entreprise pour le surplus.
Dit que la procédure est gratuite.
Siégeant :
Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur
Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.