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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/5637/2021

ACJC/675/2024 du 29.05.2024 sur JTBL/537/2023 ( OBL ) , JUGE

Normes : CO.257.letf
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/5637/2021 ACJC/675/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MERCREDI 29 MAI 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 28 juin 2023, représenté par Me Rachel DUC, avocate, boulevard de Saint-Georges 72, case postale, 1211 Genève 8,

et

1) B______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par C______, ______ [GE],

2) Monsieur D______, domicilié ______ [VS], autre intimée.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/537/2023 du 28 juin 2023, le Tribunal des baux et loyers a déclaré efficace le congé notifié le 15 février 2021 pour le 31 mars 2021 à A______ et D______ par B______ SA concernant l'appartement de 4,5 pièces au 8ème étage de l'immeuble sis à la rue 1______ no. ______ à E______ [GE] (ch. 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

B. a. Par acte expédié le 30 août 2023 à la Cour de justice, A______ a formé appel contre ce jugement. Il a conclu à son annulation et, cela fait, à ce que la résiliation du 15 février 2021 de son bail du 5 novembre 2013 soit déclarée inefficace, subsidiairement, à ce que ladite résiliation soit annulée.

b. Dans sa réponse du 29 septembre 2023, B______ SA a conclu au rejet de l'appel et au déboutement de A______ de toutes autres ou contraires conclusions.

c. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions et B______ SA a renoncé à dupliquer.

d. Les parties ont été avisées le 6 décembre 2023 par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 5 novembre 2013, A______ et D______, locataires, et B______ SA, bailleresse, ont signé un contrat de bail portant sur la location d'un appartement de 4,5 pièces au 8ème étage de l'immeuble sis à la rue 1______ no. ______ à E______.

Le bail a été conclu pour une durée initiale de 5 ans et 15 jours, du 15 décembre 2013 au 31 décembre 2018, renouvelable ensuite tacitement d'année en année sauf résiliation respectant un préavis de trois mois. Le loyer mensuel était de 1'350 fr. et les acomptes pour le chauffage et l'eau chaude de 120 fr.

L'immeuble est géré par la régie C______ (ci-après : la régie).

b. L'ancien locataire de l'appartement loué par A______ et D______, F______, s'est plaint auprès de la régie de l'attitude de G______, habitant au 9ème étage de l'immeuble, notamment en raison des travaux permanents sur sa terrasse, même le dimanche, du bruit et des infiltrations d'eau. Il avait fait appel à sa protection juridique mais, durant les discussions, G______ ne lui avait jamais proposé de solution à leur litige et avait proféré des menaces à son encontre. F______ a finalement trouvé un arrangement avec la régie pour quitter l'appartement.

c. En juin 2016 et mai 2017, A______ s'est plaint auprès de la régie d'incivilités à son égard par le voisinage, notamment du fait que son paillasson servait d'urinoir et qu'il retrouvait des canettes et mégots dans sa boîte aux lettres, dont la plaquette avait au demeurant disparu. Il a indiqué également, photos à l'appui, que des affaires étaient entreposées sans droit dans les communs de l'immeuble.

d. Le 6 juin 2017, A______, soit pour lui H______ SA [protection juridique], a pris contact avec la régie afin de l'informer que le premier cité subissait toutes sortes de désagréments de la part de G______, dont des travaux dans l'appartement pendant plusieurs mois, des fêtes bruyantes tard le soir et des chutes d'eau et de feuilles mortes de sa terrasse sur son balcon. En outre, depuis que A______ s'était plaint à la régie, G______ le narguait et l'insultait. A______ trouvait également depuis des excréments et de l'huile sur son paillasson et son scooter ainsi que des mégots et des canettes dans sa boîte aux lettres, dont la plaquette avait également disparu. G______ refusant une médiation, l'aide de la régie était sollicitée.

Des échanges de courriers s'en sont suivis entre la régie, le conseil de G______ et H______ SA aux termes desquels G______ a contesté les reproches formulés à son égard.

G______ a quitté l'immeuble en 2018.

e. L'appartement de G______ a été repris par sa fille et son gendre, I______ et J______.

f. Le 21 juin 2018, H______ SA a informé la régie que "Mme I______" avait insulté A______ en tenant des propos injurieux, voire homophobes.

g. Le 4 mars 2020, A______ s'est plaint auprès de la régie du fait que ses voisins se seraient unis contre lui sous l'impulsion de la famille I______/J______ afin qu'il quitte l'immeuble, ce qui était inadmissible.

h. Le 13 novembre 2020, une pétition signée par 16 locataires de l'immeuble a été adressée à la régie. Il y est fait état du comportement de A______ à leur égard, à savoir des insultes chaque fois qu'ils entraient et sortaient de leurs appartements, des comportements agressifs, notamment avec une bombe lacrymogène ainsi que du bruit venant de son appartement (cris et claquements de portes). Le voisinage avait déjà fait appel à la police et avait déposé une main courante mais demandait à la régie d'agir afin de mettre un terme à cette situation.

Cette pétition a été rédigée par I______, en collaboration avec son mari et un autre locataire, K______. J______ et K______ ont fait du porte à porte chez leurs voisins pour leur faire signer la pétition.

i. Le 11 décembre 2020, la régie a informé A______ et D______ avoir reçu plusieurs plaintes à leur encontre quant à leur comportement à l'égard de leurs voisins (insultes, agressivité, menaces, dégradations des parties communes, cris et portes qui claquent en provenance de leur appartement). La régie les mettait ainsi en demeure de prendre les dispositions nécessaires afin de ne plus incommoder leur voisinage, sous menace de résiliation du bail.

j. Le 14 décembre 2020, A______ a écrit à la famille I______/J______ concernant le fait qu'elle claquerait la porte palière au lieu de la fermer doucement Il suggérait d'installer des joints de porte. Il lui demandait également de ne plus arracher les affiches qu'il avait mises dans l'ascenseur et qui rappelaient les règles de bon voisinage. Finalement, A______ a précisé qu'il avait gardé le dossier juridique concernant la famille I______/J______ en lien avec diverses insultes, menaces et déprédations, et qu'il n'hésiterait pas à le ressortir si besoin.

k. Par courriel du 16 décembre 2020 à la régie, A______ a contesté les faits qui lui étaient reprochés, considérant que les locataires de l'immeuble étaient "briefés" par les familles K______ et I______/J______, et a rappelé qu'il s'était lui-même plaint à plusieurs reprises du comportement de certains de ses voisins, à savoir des insultes, menaces et agressivité à son encontre ainsi que des déprédations dans les communs notamment.

l. Le 29 décembre 2020, une nouvelle pétition signée par 20 voisins a été envoyée à la régie indiquant que les comportements décrits dans la dernière pétition étaient toujours d'actualité malgré la mise en demeure qui avait été adressée à A______.

m. Le même jour, les familles K______ et I______/J______ ont écrit à A______ pour répondre aux courriers reçus de sa part. Elles ont contesté claquer les portes. Elles ont également fait état de harcèlement, d'insultes, de placardage d'affiches dans les communs et sur leur porte ainsi que d'un épisode lors duquel A______ avait sorti une bombe lacrymogène envers K______ alors que ce dernier était en présence de sa fille âgée de deux ans. Finalement, le courrier précisait que A______ faisait un amalgame entre G______ et la famille I______/J______ qu'il avait traitée de fasciste dès le départ sans la connaître.

n. Le 7 janvier 2021, A______ a à nouveau contesté les reproches adressés par la régie et l'a invitée à retirer sa menace de résiliation du bail.

o. La régie a confirmé les termes de son courrier du 11 décembre 2020 par lettre du 11 janvier 2021.

p. Par avis officiel du 15 février 2021 envoyé aux deux locataires, la régie a résilié le bail pour le 31 mars 2021 en application de l'article 257f CO, "conformément à [sa] mise en demeure" du 11 décembre 2020.

q. Par requête déposée le 18 mars 2021 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, déclarée non conciliée lors de l'audience de la Commission du 22 septembre 2021 et portée devant le Tribunal des baux et loyers le 20 octobre 2021, les locataires ont conclu, principalement, à la constatation de la nullité du congé, subsidiairement à son inefficacité et plus subsidiairement encore à son annulation.

r. Par mémoire réponse du 17 décembre 2021, la bailleresse a conclu au déboutement des locataires de leurs conclusions.

s. Il ressort ce qui suit des audiences qui se sont tenues devant le Tribunal les 25 février 2022, 20 mai 2022, 26 septembre 2022, 14 novembre 2022 et 20 mars 2023.

s.a A______ a contesté les reproches formulés à son encontre et a confirmé avoir eu un conflit avec G______ et K______. Ce dernier l'avait empêché de descendre de l'ascenseur et il l'avait alors menacé avec un spray au poivre pour pouvoir sortir. Certains voisins avec qui il entretenait de bons rapports ne lui parlaient plus. Il s'était plaint à la régie et directement aux personnes concernées de claquements de portes et il avait mis des affiches dans l'immeuble. Il ne fumait pas dans l'immeuble et n'avait jamais dégradé de boîtes aux lettres alors que la sienne l'avait été.

s.b L______, habitant de l'immeuble, a déclaré qu'il n'avait pas de problème avec A______. Il l'avait entendu crier et claquer la porte lorsqu'il habitait encore au 7ème étage. A deux reprises, A______ l'avait regardé d'un air énervé et avait refusé de le saluer. La deuxième fois, après avoir engagé la discussion, A______ s'était calmé et avait discuté de manière courtoise. Il avait signé la pétition pour ces faits et car les voisins des 7ème et 8ème étages se plaignaient constamment de A______.

s.c M______, habitant l'immeuble depuis 45 ans, a déclaré qu'elle n'avait jamais rencontré de problème avec A______ avec qui elle avait des échanges courtois, mais que son mari avait eu à deux reprises des disputes avec lui au sujet de l'emplacement de scooters, lors desquelles A______ avait fait des grimaces et dit des grossièretés. Par la suite, leurs noms sur leur boîte aux lettres avaient été arrachés à deux reprises sans qu'elle puisse dire que A______ était l'auteur de ces faits. Elle a ajouté qu'elle n'avait jamais eu de problème dans l'immeuble et qu'il y en avait toujours depuis l'arrivée de A______. Concernant la pétition, elle l'avait signée sur la base de ce que les voisins lui avaient rapporté. Elle avait signé la pétition pour soutenir ces derniers. Finalement, elle a précisé qu'elle n'avait jamais vu la boîte aux lettres de A______ endommagée.

s.d I______, fille de G______, J______, son mari, et K______ ont déclaré avoir été victimes d'insultes en présence de leurs jeunes enfants ("baiseur de chèvre", "fils de pute", "salope"), d'avoir été épiés (grattement derrière la porte dès que le voisin sort de chez lui en disant "je te vois") et d'agressions de la part de A______, ayant mené au dépôt de deux mains courantes, la deuxième ayant été déposée à la suite de la menace de A______ envers K______ avec une bombe lacrymogène. Ils ont tous trois fait état du fait que A______ leur reprochait de claquer les portes, dégradait leur boîte aux lettres en enlevant leur nom ou en gravant une croix gammée, en précisant toutefois qu'aucun d'entre eux n'avait vu A______ en action. Ils ont ajouté que A______ placardait sur leur porte et dans les communs de l'immeuble des affiches relatives au bruit et qu'il grattait derrière sa porte quand ils sortaient de chez eux puis les insultait depuis son balcon. Tous trois ont confirmé avoir été à une séance de médiation en présence de A______, mais avoir refusé de la poursuivre car ils ne supportaient pas d'être en face de lui et ses critiques.

I______ a ajouté qu'elle présumait que A______ ne l'aimait pas car elle était la fille de G______ et il l'avait traité de "______ de merde" notamment, en présence de sa fille, la menaçant également de la dénoncer au service social pour lui retirer la garde de son enfant. Il l'avait également insultée à travers sa porte et avait continué de le faire par le balcon lorsqu'elle sortait de chez elle. Depuis les pétitions, la situation s'était calmée. Elle ne souhaitait cependant pas le croiser.

J______ a ajouté que K______ était parti de son appartement à cause du comportement de A______. Ce dernier avait notamment eu une altercation avec A______ dans l'ascenseur, ce dernier pointant une bombe lacrymogène dans la direction du premier cité qui était avec sa fille de trois ans. La régie leur avait conseillé de rédiger des pétitions car selon elle, il était difficile de faire partir A______ qui était locataire depuis longtemps et qui était à l'assistance sociale.

K______ a déclaré qu'un jour, il avait ouvert sa porte à A______ pour lui demander pourquoi il était agressif et le prier d'arrêter de l'insulter. A______ avait alors sorti une bombe lacrymogène et lui avait ordonné de reculer alors qu'il était avec sa fille âgée de trois ans.

s.e N______ et O______, habitant l'immeuble, ont déclaré que deux personnes s'étaient présentées à leur porte pour leur demander de signer des pétitions concernant un voisin dont le comportement était inadéquat. Elles avaient signé lesdites pétitions, sans lire leur teneur, car ces deux personnes étaient insistantes et leur avaient dit que le voisin s'en prenait à leurs jeunes enfants. Elles n'avaient jamais eu de problèmes avec A______ et entretenaient des relations courtoises avec lui. O______ avait regretté avoir signé la pétition alors qu'elle ne savait pas au moment de la signature qu'elle concernait celui-ci et s'était excusée auprès de lui par la suite. Elle a ajouté qu'à l'exception des deux messieurs qui étaient venus à sa porte, elle n'avait entendu personne se plaindre de A______.

s.f P______, concierge de l'immeuble, a déclaré qu'il n'avait pas de problèmes avec A______ mais que deux ou trois locataires avaient déménagé à cause de lui, en lui reprochant de claquer les portes et de gratter les portes avec ses ongles, un locataire précisant avoir été menacé avec une bombe lacrymogène. Il avait constaté à une reprise une dispute entre A______ et une voisine, qui avait été traitée de "magrébine". A______ respectait tout le monde et depuis les pétitions, la situation semblait s'être améliorée. Finalement, il a précisé qu'il avait constaté la présence d'affiches et le fait que certaines boîtes aux lettres étaient endommagées, mais sans savoir qui en était l'auteur de ces actes.

t. A l'issue des audiences, les parties ont procédé aux plaidoiries finales et ont persisté dans leurs conclusions. La cause a ainsi été gardée à juger.

u. Dans son jugement du 28 juin 2023, le Tribunal a considéré que les enquêtes avaient permis d'établir que A______ avait adopté des comportements inappropriés envers les familles I______/J______ et K______. Il avait en effet été démontré qu'il avait insulté, épié et menacé ces familles. Les propos qu'il tenait à leur égard relevaient d'une certaine violence et étaient grossiers. En outre, bien que les circonstances de cet épisode soient floues, il apparaissait que A______ pouvait aller jusqu'à sortir une bombe lacrymogène à l'encontre de ses voisins, en présence d'un jeune enfant.

Les documents produits démontraient également que A______ faisait un amalgame entre les problèmes qu'il avait pu avoir avec G______ et I______ et son mari. Seuls I______, son mari et K______ étaient certes concernés par l'attitude de A______. Toutefois, bien que les autres témoins entendus aient tous déclaré entretenir des rapports courtois avec A______, certains avaient tout de même fait part d'épisodes durant lesquels ce dernier avait été agressif envers eux, notamment à cause de l'emplacement d'un scooter ou d'une rencontre fortuite dans les communs de l'immeuble. M______ avait précisé qu'il n'y avait pas de problème dans l'immeuble avant l'arrivée de A______. Le concierge de l'immeuble avait également rapporté un épisode lors duquel A______ avait tenu des propos racistes envers une habitante de l'immeuble. Il ressortait également des enquêtes que bien que personne n'ait vu A______ en action, il existait de forts indices que ce dernier enlève les plaquettes de boîtes aux lettres de certains voisins en guise de représailles lorsqu'il se sentait agressé par eux. Il avait également été démontré qu'il placardait dans les communs de l'immeuble des affichettes au sujet de bruits de claquements de portes auxquels il était particulièrement sensible alors que lui-même semblait claquer les siennes aux dires de certains témoins.

Ces faits, répétitifs, étaient d'une gravité suffisante pour justifier un congé extraordinaire, la continuation des rapports de bail étant rendue insupportable pour la défenderesse et les habitants de l'immeuble par l'attitude de A______. Le congé serait partant déclaré efficace.


 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

1.2 En l'espèce, le loyer annuel du logement, charges comprises, s'élève à 1'470 fr.

En prenant en compte la période de protection de trois ans, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 B______ SA, sans prendre de conclusion formelle à cet égard, soutient que l'appel serait irrecevable au motif qu'il n'avait pas été formé par le deuxième colocataire, D______. Il est toutefois rappelé que si les colocataires forment une consorité nécessaire dans l'action en annulation du congé notifié par le bailleur, il suffit que tous les colocataires soient parties au procès, de sorte qu'en cas de désaccord entre eux, un colocataire a qualité pour agir seul pour autant qu'il assigne aux côtés du bailleur le ou les colocataires qui ne veulent pas contester le congé (ATF 140 III 598, consid. 3), ce que A______ a précisément fait.

1.5 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. L'appelant invoque une violation de son droit d'être entendu au motif que le Tribunal n'a pas traité la question du congé représailles qu'il avait soulevée.

2.1 La jurisprudence a notamment déduit du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) un devoir minimum pour l'autorité d'examiner et de traiter les questions pertinentes; ce devoir est violé lorsque, par inadvertance ou malentendu, le juge ne prend pas en considération des allégués, arguments, preuves et offres de preuve présentés par l'une des parties et importants pour la décision à rendre; dans ce cas en effet, la partie est placée dans la même situation que si elle n'avait pas eu la possibilité de présenter ses arguments (ATF 133 III 235 consid. 5.2 et les arrêts cités). L'autorité ne doit toutefois pas se prononcer sur tous les moyens des parties; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 142 II 154 consid. 4.2; 141 V 557 consid. 3.2.1; 137 II 266 consid. 3.2; 136 I 229 consid. 5.2).

La jurisprudence admet par ailleurs qu'un manquement au droit d'être entendu puisse être considéré comme réparé lorsque la partie lésée a bénéficié de la faculté de s'exprimer librement devant une autorité de recours, pour autant que celle-ci dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure et puisse ainsi contrôler librement l'état de fait et les considérations juridiques de la décision attaquée (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 et les références citées).

2.2 En l'espèce, le Tribunal n'a pas spécifiquement examiné la question du congé représailles. Il a toutefois retenu que la résiliation anticipée du bail était motivée par la violation du devoir de diligence de l'appelant. Il a ainsi exclu, ne serait-ce qu'implicitement, que ladite résiliation ait été donnée à titre de représailles.

Le droit d'être entendu de l'appelant n'a dès lors pas été violé.

3. L'appelant, invoquant une constatation inexacte des faits et une violation de l'art. 257f CO, conteste que les conditions pour résilier son bail en application de cette disposition étaient remplies.

3.1 Aux termes de l'art. 257f al. 3 CO, lorsque le maintien du bail est devenu insupportable pour le bailleur ou les personnes habitant la maison parce que le locataire, nonobstant une protestation écrite du bailleur, persiste à enfreindre son devoir de diligence ou à manquer d'égards envers les voisins, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d'habitation et de locaux commerciaux peuvent être résiliés moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d'un mois.

Selon la jurisprudence, la résiliation prévue par l'art. 257f al. 3 CO suppose la réalisation des cinq conditions cumulatives suivantes : (1) une violation du devoir de diligence incombant au locataire, (2) un avertissement écrit préalable du bailleur, (3) la persistance du locataire à ne pas respecter son devoir en relation avec le manquement évoqué par le bailleur dans sa protestation, (4) le caractère insupportable du maintien du contrat pour le bailleur et, enfin, (5) le respect d'un préavis de trente jours pour la fin d'un mois (arrêt du Tribunal fédéral 4A_457/2013 du 4 février 2014 consid. 2 et les arrêts cités).

Le comportement du locataire doit constituer une violation de son devoir de diligence ou un usage de la chose en violation des stipulations du contrat (ATF 132 III 109, consid. 5; 123 III 124, consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_173/2017 du 11 octobre 2017 consid. 3.1.2). Le manquement reproché au locataire doit atteindre une certaine gravité. Cette question doit être résolue à la lumière de toutes les circonstances de l'espèce, antérieures à la résiliation du bail (ATF 134 III 300, consid. 3.1 p. 304).

L'avertissement écrit du bailleur, qui a pour but de permettre au locataire de se conformer à ses devoirs, doit indiquer précisément quelle violation est reprochée au locataire, afin que celui-ci puisse rectifier son comportement (Higi, Commentaire zurichois, 3ème éd. 1994, n° 51 ad art. 257f CO).

La persistance du locataire à ne pas respecter ses devoirs exige que les perturbations se poursuivent malgré la mise en demeure (arrêt du Tribunal fédéral 4A_173/2017 du 11 octobre 2017 consid. 3.1.2).

Comme la résiliation doit respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité, il faut que le maintien du bail soit insupportable pour le bailleur ou pour les personnes habitant la maison.

Le bailleur qui notifie un congé fondé sur l'art. 257f al. 3 CO doit prouver les faits qui en sont la condition (arrêt du Tribunal fédéral 4A_367/2010 du 4 octobre 2010 consid. 2.2). Le juge du fait apprécie librement, dans le cadre du droit et de l'équité selon l'art. 4 CC, si le manquement imputable au locataire est suffisamment grave pour justifier la résiliation anticipée du contrat, en prenant en considération tous les éléments concrets du cas d'espèce (ATF 136 III 65 consid. 2.5; 132 III 109 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_173/2017 du 11 octobre 2017 consid. 3.1.2).

Le congé qui ne remplit pas l'une ou l'autre des cinq conditions précitées est un congé inefficace (ATF 135 III 441; arrêts du Tribunal fédéral 4A_173/2017 du 11 octobre 2017 consid. 3.1.1, 4A_347/2016 du 10 novembre 2016 consid. 3.1.2).

3.2 En l'espèce, il convient d'examiner si les conditions d'application de l'art. 257f CO étaient remplies, en particulier, d'une part, si l'appelant a violé son devoir de diligence (1ère condition) et, d'autre part, si l'appelant a persisté à enfreindre ledit devoir nonobstant la protestation écrite du bailleur (3ème condition).

3.2.1 Concernant les reproches formulés à l'encontre de l'appelant, il convient en premier lieu de relever que le Tribunal ne peut être suivi lorsqu'il retient de "forts indices", non désignés, que l'appelant enlève les plaquettes de boîtes aux lettres de certains voisins en guise de représailles lorsqu'il se sent agressé par eux, et ce alors même qu'il précise que personne n'a vu l'appelant "en action". Or, aucun locataire n'a vu l'appelant commettre des dégradations. Ce dernier s'est d'ailleurs lui-même plaint d'avoir été victime de tels agissements. De plus, le reproche qui lui est adressé de placarder dans les communs de l'immeuble des affichettes au sujet de bruits de claquements de portes ne constitue pas une violation de son devoir de diligence que l'intimée lui aurait explicitement reprochée dans sa mise en demeure du 11 décembre 2020.

Ensuite, deux pétitions – préparées par les locataires I______/J______ et K______, sur conseil de la régie afin de faciliter le départ de l'appelant – ont été adressées à l'intimée, signées par plusieurs locataires. La valeur de ces pétitions et des reproches qu'elles contiennent doit être relativisée dans la mesure où il ne ressort pas des déclarations des signataires qui ont été entendus par le Tribunal que ces personnes auraient personnellement des reproches à adresser à l'appelant, mais que certaines d'entre elles avaient signé la pétition car les personnes qui s'étaient présentées à elles, soit les locataires I______/J______ et K______, s'étaient montrées insistantes.

Ainsi, L______ a déclaré qu'il n'avait pas de problème avec l'appelant, lequel l'avait simplement regardé avec un air énervé et avait refusé de le saluer à deux reprises, et qu'il avait signé la pétition car les voisins des 7ème et 8ème étages se plaignaient constamment de l'appelant.

M______ a exposé qu'elle n'avait jamais rencontré de problème avec l'appelant avec qui elle avait des échanges courtois. Son mari avait certes eu, à deux reprises, des disputes avec lui au sujet de l'emplacement de scooters, lors desquelles l'appelant avait fait des grimaces et dit des grossièretés, sans que l'on sache toutefois de quand datent ces épisodes. Elle a également déclaré qu'elle avait signé la pétition sur la base de ce que les voisins lui avaient rapporté, pour les soutenir.

De même N______ et O______ ont témoigné que deux personnes s'étaient présentées à leur porte pour leur demander de signer des pétitions concernant un voisin dont le comportement était inadéquat et qu'elles l'avaient signée sans lire leur teneur, car ces deux personnes étaient insistantes et leur avaient dit que le voisin s'en prenait à leurs jeunes enfants. Elles n'avaient toutefois jamais eu de problèmes avec l'appelant et entretenaient des relations courtoises avec lui. O______ a également précisé qu'à l'exception des deux personnes qui s'étaient présentées à sa porte, elle n'avait entendu personne se plaindre de l'appelant.

Quant au concierge de l'immeuble, P______, il a déclaré qu'il n'avait pas de problèmes avec l'appelant mais que deux ou trois locataires avaient déménagé à cause de lui, sans toutefois préciser les motifs qui auraient justifié ces déménagements ni quand ils avaient eu lieu. Même s'il avait constaté, à une reprise, une dispute entre l'appelant et une voisine, à une date qui est toutefois inconnue et qui peut dès lors être également postérieure à la résiliation du bail, le concierge a déclaré que l'intéressé respectait tout le monde et que depuis les pétitions, la situation semblait s'être améliorée.

Il apparaît donc, en définitive, que les reproches adressés à l'appelant proviennent uniquement de trois locataires habitant l'immeuble, soit les époux I______ et J______ ainsi que K______, avec lesquels l'appelant est en conflit, les uns et les autres s'adressant des reproches réciproques.

Les précités ont déclaré avoir été victimes d'insultes en présence de leurs jeunes enfants et d'agressions de la part l'appelant ainsi que d'avoir été épiés. La valeur probante de leurs déclarations est toutefois réduite par l'important conflit qui les oppose à l'appelant. Les précités ont également porté diverses accusations contre l'appelant, tout en admettant qu'ils n'avaient pas vu celui-ci commettre les dégradations reprochées.

Il ressort donc de ce qui précède que des reproches adressés à l'appelant reposent essentiellement sur les dires de trois locataires, lesquels ne se fondent pour certains que sur des suppositions. Il ne peut par ailleurs pas être retenu, sur la base des éléments recueillis, que l'appelant serait à l'origine de ce conflit ou qu'il en serait l'unique responsable.

L'existence d'une violation suffisamment grave de son devoir de diligence par l'appelant pour justifier la résiliation anticipée du bail n'est dès lors pas établie.

3.2.2 Il doit ensuite être relevé ce qui suit en ce qui concerne la persistance de l'appelant à enfreindre son devoir de diligence nonobstant la protestation écrite du bailleur.

L'intimée a mis en demeure l'appelant le 11 décembre 2020 de ne plus incommoder le voisinage, sous menace de résiliation du bail et elle a résilié le bail peu après, par avis officiel du 15 février 2021. Elle avait certes reçu une nouvelle pétition des locataires dans l'intervalle, le 29 décembre 2020. Ladite pétition se limite cependant à se référer à la mise en demeure et à indiquer que la situation n'a pas changé, sans toutefois mentionner aucun événement précis qui se serait produit depuis ladite mise en demeure. Le courrier accompagnant l'avis de résiliation se borne à se référer à la mise en demeure précédemment adressée à l'appelant, sans indiquer que le bail était résilié en raison de la persistance du mauvais comportement de l'appelant.

Il n'est dès lors pas établi que l'appelant aurait persisté dans les comportements qui lui étaient reprochés malgré l'avertissement reçu.

3.2.3 En définitive, les conditions pour une résiliation de bail en application de l'art. 257f CO n'étaient pas remplies.

L'appel est ainsi fondé, le jugement attaqué sera dès lors annulé, il sera statué à nouveau dans le sens que le congé notifié à l'appelant et à son colocataire le 15 février 2021 pour le 31 mars 2021 sera déclaré inefficace.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 30 août 2023 par A______ contre le jugement JTBL/537/2023 rendu le 28 juin 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/5637/2021.

Au fond :

Annule le jugement. Cela fait :

Déclare inefficace le congé notifié le 15 février 2021 pour le 31 mars 2021 à A______ et D______ par B______ SA concernant l'appartement de 4,5 pièces au 8ème étage de l'immeuble sis à la rue 1______ no. ______ à E______.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Dit que la procédure est gratuite.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Serge PATEK, Madame Sibel UZUN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.