Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/140/2024 du 04.03.2024 ( PC ) , REJETE
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
A/3320/2023 ATAS/140/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 4 mars 2024 Chambre 6 |
En la cause
A______
| recourant |
contre
SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES | intimé |
A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’intéressé ou le recourant), né le ______ 1948 a soumis une demande de prestations complémentaires à l’AVS/AI au service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC ou l’intimé) le 6 avril 2023.
Il a notamment indiqué dans le formulaire de demande qu’il était propriétaire d’une résidence secondaire en France dont la valeur vénale s’élevait à CHF 178'150.00 et la valeur locative à CHF 2'808.-. Le forfait relatif aux frais d’entretien était pour sa part fixé à CHF 2'188.-.
b. Le 23 juin 2023, suite à une demande de renseignements complémentaires, l’intéressé a notamment expliqué au SPC qu’il était en fait copropriétaire à 50% du bien immobilier sis en France voisine, ce qui était confirmé par une attestation de vente notariée du 15 octobre 2002 qu’il produisait. Il a également soumis au SPC une estimation non datée dudit bien, par une agence immobilière, faisant état d’une valeur totale de EUR 430'290.-.
B. a. Suite à ces informations, le SPC a rejeté la demande de prestations le 31 juillet 2023, dans la mesure où la fortune nette de l’intéressé dépassait le seuil admissible pour une personne seule, soit CHF 100'000.-. En effet, à teneur de l’estimation fournie, la part du bien immobilier en France appartenant à l’intéressé avait une valeur nette de CHF 212'458.56.
b. L’intéressé s’est opposé à cette décision le 27 août 2023. Il a indiqué occuper le bien immobilier dont il était question, de sorte qu’il ne devait pas être pris en compte dans le cadre de l’examen du seuil de fortune. De plus, la copropriétaire détentrice des 50% résiduels dudit bien n’entendait pas s’en séparer, ce qui rendait toute vente impossible.
c. Le 14 septembre 2023, le SPC a rejeté l’opposition de l’intéressé. Soit le recourant occupait le bien immobilier en France et il ne pouvait dès lors prétendre à des prestations complémentaires en Suisse, faute d’y vivre. Soit il ne l’occupait pas et il convenait de prendre en compte la valeur nette du bien immobilier en tant que fortune dans l’évaluation du seuil d’exclusion du droit aux prestations complémentaires. Dans les deux cas de figure, il convenait de rejeter la demande.
Enfin, si la copropriétaire faisait obstacle à la vente du bien, il appartenait à l’intéressé d’entreprendre toute mesure utile, telle qu’une action en justice.
C. a. L’intéressé a recouru contre la décision sur opposition le 12 octobre 2023, concluant à son annulation et à ce que son droit aux prestations complémentaires soit établi sans qu’il ne soit tenu compte du bien immobilier en France dans le cadre de l’évaluation de sa fortune. Il utilisait ledit bien comme résidence secondaire. Ses revenus se montaient à CHF 2'019.- par mois et il n’avait pas les moyens de trouver un logement, raison pour laquelle il vivait chez un ami à Vernier. Il avait épuisé toutes ses économies et s’était même endetté.
b. Le 10 novembre 2023, le SPC a conclu au rejet du recours.
c. Le 5 décembre 2023, le recourant a persisté.
d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.
1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
2. Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC). En matière de prestations complémentaires cantonales, la LPC et ses dispositions d’exécution fédérales et cantonales, ainsi que la LPGA et ses dispositions d’exécution, sont applicables par analogie en cas de silence de la législation cantonale (art. 1A LPCC).
3. Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA; art. 43 LPCC; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA-GE - E 5 10] et art. 43 LPCC).
Interjeté dans les forme et délai légaux, le recours est recevable (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA; art. 9 de la loi cantonale du 14 octobre 1965 sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité [LPFC - J 4 20]; art. 43 LPCC).
4. Le litige porte sur le droit aux prestations complémentaires du recourant pour 2023, singulièrement sur la prise en compte de la valeur vénale de son bien immobilier sis en France au titre de fortune.
5.
5.1 Pour ce qui est des PCF, l’art. 9 al. 1 LPC dispose que le montant de la PC annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants, mais au moins au plus élevé des montants suivants: la réduction des primes la plus élevée prévue par le canton pour les personnes ne bénéficiant ni de PC ni de prestations d’aide sociale (al. 1); 60 % du montant forfaitaire annuel pour l’assurance obligatoire des soins au sens de l’art. 10 al. 3 let. d LPC (let. b).
5.2 En vertu de l'art. 11 al. 1 let d. LPC, les revenus déterminants comprennent notamment un quinzième de la fortune nette, un dixième pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse, dans la mesure où elle dépasse CHF 30'000.- pour les personnes seules, CHF 50'000.- pour les couples et CHF 15'000.- pour les orphelins et les enfants donnant droit à des rentes pour enfant de l’AVS ou de l’assurance-invalidité (ci-après: AI); si le bénéficiaire de PC ou une autre personne comprise dans le calcul de ces prestations est propriétaire d’un immeuble qui sert d’habitation à l’une de ces personnes au moins, seule la valeur de l’immeuble supérieure à CHF 112'500.- entre en considération au titre de la fortune (let. c); les rentes, pensions et autres prestations périodiques, y compris les rentes de l’AVS et de l’AI.
Par fortune au sens de l’art. 11 al. 1 LPC, il faut comprendre toutes les choses mobilières et immobilières ainsi que les droits personnels et réels qui sont la propriété de l’assuré et qui peuvent être transformés en argent liquide (par le biais d’une vente ou d’un nantissement par exemple) pour être utilisés ; font ainsi notamment partie de la fortune : les gains à la loterie, la valeur de rachat d’une assurance-vie, l’épargne, les actions, les obligations, les parts à des successions, les versements en capital d’assurances, l’argent liquide, ou encore les prêts accordés (ATAS/442/2022 du 18 mai 2022 consid. 6.2 ; ATAS/359/2022 du 21 avril 2022 consid. 8.2 ; ATAS/314/2022 du 7 avril 2022 consid. 5.2). Il suffit que l’assuré puisse effectivement disposer de l’élément de fortune en cause (ATF 146 V 331 consid. 4.1 ; ATF 127 V 248 consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_831/2016 du 11 juillet 2017 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_333/2016 du 3 novembre 2016 consid. 4.3.1). Un élément de fortune doit ainsi être pris en compte quand bien même la personne assurée n'en demanderait pas le versement, car - en vertu du principe général prévalant en matière d'assurances sociales voulant qu'elle réduise le dommage - il lui revient de tout mettre en œuvre pour concrétiser les possibilités de gain dont elle dispose, par exemple en demandant le versement d'un capital de prévoyance déposé sur un compte de libre passage (ATF 140 V 201 consid. 2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_612/2012 du 28 novembre 2012 consid. 3.3 ; 9C_41/2011 du 16 août 2011 consid. 6.2 ; ATAS/1080/2018 du 19 novembre 2018 consid. 6a ; Michel VALTERIO, op. cit. n. 44 ad art. 11).
L’origine d’un élément de fortune n’a pas d’importance (arrêt du Tribunal fédéral 9C_612/2012 du 28 novembre 2012 consid. 3.2 ; Michel VALTERIO, Commentaire de la Loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, 2015, n. 43 ad. art. 11 LPC ; Erwin CARIGIET/Uwe KOCH, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, 2ème éd. 2008, p. 162).
5.3 Par ailleurs, aux termes de l'art. 9a LPC – en vigueur depuis le 1er janvier 2021 –, les personnes dont la fortune nette est inférieure aux seuils suivants ont droit à des PC: CHF 100'000.- pour les personnes seules (let. a); CHF 200'000.- pour les couples (let. b); CHF 50'000.- pour les enfants ayant droit à une rente d’orphelin ou donnant droit à une rente pour enfant de l’AVS ou de l’AI (let. c; al. 1). L’immeuble qui sert d’habitation au bénéficiaire de PC ou à une autre personne comprise dans le calcul de ces prestations et dont l’une de ces personnes au moins est propriétaire n’est pas considéré comme un élément de la fortune nette au sens de l’al. 1 (al. 2). Les parts de fortune visées à l’art. 11a al. 2 à 4 LPC font partie de la fortune nette au sens de l’al. 1 (al. 3). Le Conseil fédéral peut ajuster ces valeurs de manière appropriée s’il modifie les prestations visées à l’art. 19 LPC (al. 4).
Il découle de cette nouvelle disposition légale, appliquée a contrario, que le droit même à des PCF est désormais exclu pour les personnes assurées dont la fortune nette dépasse l'un de ces seuils fixés à l'art. 9a LPC.
5.4 Concernant la fortune nette au sens des dispositions légales ci-dessus, s'appliquent notamment les règles qui suivent.
L'art. 17 al. 1 de l'ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC-AVS/AI - RS 831.301) – dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2021 comme les autres articles de cette ordonnance mentionnés ci-après – dispose que la fortune nette est calculée en déduisant les dettes prouvées de la fortune brute.
Conformément à l'art. 17a OPC-AVS/AI, la fortune prise en compte doit être évaluée selon les règles de la législation sur l’impôt cantonal direct du canton du domicile (al. 1). Lorsque des immeubles ne servent pas d’habitation au requérant ou à une personne comprise dans le calcul de la PC, ils seront pris en compte à la valeur vénale (al. 4).
5.5 Pour le surplus, en l'absence d'une révision législative de la LPCC à la suite de la réforme de la LPC entrée en vigueur le 1er janvier 2021 (et donc en l'absence d'une disposition cantonale divergente), le canton de Genève applique également depuis cette date le seuil d'entrée sur la fortune pour l'octroi des PCC du fait du renvoi général qu'opère la LPCC à la LPC, la loi cantonale étant muette à ce sujet (ATAS/521/2023 du 29 juin 2023, consid. 12).
6. L'obligation générale de diminuer le dommage impose à celui qui requiert des prestations de prendre toutes les mesures qu'une personne raisonnable adopterait dans la même situation si elle ne pouvait attendre aucune indemnisation de tiers (ATF 133 V 504 consid. 4.2).
7. En l’espèce, il est établi que le recourant possède, en copropriété, une maison en France. Selon ses propres dires, il s’agit d’une résidence secondaire. Il vit à Vernier chez un ami. S’agissant d’un bien immobilier ne lui servant pas d’habitation, il doit être pris en compte à sa valeur vénale, dans le calcul de son droit à des prestations complémentaires. Dans la mesure où ce bien est situé à l’étranger, le recourant a transmis à l’intimé une estimation officielle émanant d’une agence immobilière française et qu’il date de 2018. Il en ressort une valeur vénale du bien d’Euros 430'290.-. Le recourant étant propriétaire de la moitié dudit bien, la valeur de sa part est d’Euros 215'290.-, soit CHF 212'412.66 au taux de change applicable au stade de la décision sur opposition.
Si les parties s’accordent sur la valeur de la part de copropriété, elles s’opposent sur sa prise en compte en tant que fortune dans le cadre de l’examen du seuil prévu par l’art. 9a LPC (CHF 100'000.- pour une personne seule).
Le recourant considère en effet qu’il convient d’exclure ce montant de CHF 212'412.66 de sa fortune dans la mesure où : d’une part, il occupe personnellement ce logement puisqu’il s’agit de sa résidence secondaire et, d’autre part, il ne pourrait de toute manière pas le réaliser librement l’autre copropriétaire s’opposant à la vente.
Aucun de ces arguments ne saurait cependant être suivi.
Le recourant ne conteste pas que son domicile et sa résidence principale se situent en Suisse (à défaut de quoi il ne pourrait d’ailleurs prétendre à des prestations complémentaires à Genève) et non à l’adresse du bien immobilier litigieux. En tant que besoin, le registre informatisé de l’office cantonal de la population et des migrations (OCPM) confirme que l’intéressé est bien domicilié à Vernier, de sorte que sa maison sise en France est effectivement, comme il l’indique, une résidence secondaire. C’est ainsi à juste titre qu’elle a été prise en compte par l’intimé à sa valeur vénale conformément à l’art. 17 al. 4 OPC-AVS/AI (cf. ATAS/72/2022 du 31 janvier 2022, consid. 9).
Quant au fait que l’autre copropriétaire du bien immobilier s’opposerait de toute manière à sa vente, il n’est pas démontré, ni même rendu vraisemblable par un quelconque élément au dossier. Si tant est qu’il soit avéré, il ne serait de toute manière pas déterminant dans la mesure où, comme le relève l’intimé, il appartiendrait alors à l’intéressé, en vue notamment de son obligation de diminuer son dommage, d’entreprendre les démarches, extra-judiciaires ou judiciaires, en vue de la vente de son bien. Rien n’ayant été allégué en ce sens, ce grief est également écarté.
8. Compte tenu de ce qui précède, le recours est rejeté.
9. Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. Le rejette.
3. Dit que la procédure est gratuite.
4. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Pascale HUGI |
| La présidente
Valérie MONTANI |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le