Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2154/2020

ATAS/935/2023 du 30.11.2023 ( ARBIT ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2154/2020 ATAS/935/2023

ARRET

DU TRIBUNAL ARBITRAL

DES ASSURANCES

du 30 novembre 2023

En la cause

ASSURA -BASIS SA

CSS KRANKEN-VERSICHERUNG AG

MOOVE SYMPANY AG

SUPRA-1846 SA

CONCORDIA SCHWEIZ, KRANKEN- UND UNFALLVERSICHERUNG AG

AVENIR ASSURANCE MALADIE SA

KPT KRANKENKASSE AG

EASY SANA ASSURANCE MALADIE SA

SWICA GESUNDHEITSORGANISATION

MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA

SANITAS GRUNDVERSICHERUNGEN AG

PHILOS ASSURANCE MALADIE SA

HELSANA VERSICHERUNGEN AG

SANA24 AG

COMPACT GRUNDVERSICHERUNGEN AG

VISANA AG

Toutes représentées par SANTÉSUISSE

 

 

demanderesses

contre

 

 

A______

 

 

défendeur

 


EN FAIT

 

A.      Le docteur A______ (ci-après : le médecin ou le défendeur), né le ______ 1962, exploitait à Genève un cabinet en tant que spécialiste otorhinolaryngologue depuis le 9 décembre 1996.

Il était enregistré sous le code créancier 1______ (ci-après : RCC), lequel l’autorisait à facturer à charge de l’assurance obligatoire des soins.

B.       a. Des représentants de SANTÉSUISSE et le défendeur se sont réunis en 2011 afin de discuter des indices coûts moyens par patient de ce dernier pour l’année statistique 2009. Il a alors été admis que la pratique du défendeur ne pouvait pas sans autre être comparée à celle de ses confrères en raison de sa spécialisation en matière de pathologies de la trompe d'Eustache, laquelle justifiait la longueur de ses consultations et était à l'origine du coût des médicaments (IPP) qu'il prescrivait au titre de traitement de première intention avant une intervention. Il lui a ainsi été confirmé, par courrier du 24 mai 2011, qu'il en serait dorénavant tenu compte lors de l'évaluation de ses statistiques (cf. pièce 13 chargé dem. du 8 juillet 2020).

b. Par courriers des 21 février 2017, 23 avril 2018 et 18 novembre 2019, SANTÉSUISSE a attiré l’attention du défendeur sur le fait que ses coûts moyens par malade et ses indices avaient encore augmenté, pour les années statistique 2015 et 2018 plus particulièrement (cf. pièces 14, 15, 16 et 17 chargé dem. du 8 juillet 2020). Elle a souligné que « si votre spécificité, par rapport à vos collègues genevois, relève de votre spécialisation exclusive dans le traitement des pathologies de la trompe d'Eustache, et que celle-ci peut expliquer un dépassement d'indices, cela ne justifie pas pour autant une hausse permanente de vos coûts par patient et indices ».

Un entretien, qui avait été agendé pour le 16 janvier 2020, n'a pu avoir lieu en raison des problèmes de santé du défendeur. Celui-ci s'est excusé de son absence le 25 janvier 2020 et a produit un certificat établi le 16 janvier 2020 par le Dr  B______, spécialiste FMH en chirurgie plastique reconstructive et esthétique et chirurgie de la main, aux termes duquel il devait rester alité pour des raisons médicales dans un lit à air pulsé anti-escarres jusqu'à nouvel avis. Le défendeur a sollicité la tenue d'une nouvelle réunion, afin qu'il lui soit permis d'expliquer de façon plus approfondie « les particularités propres à ma pratique, non seulement ORL, mais surtout en tant qu'expert de longue date dans le domaine des pathologies diverses des trompes d'Eustache, tant sur le plan des examens tout comme des traitements, si possible conservateurs, mais également chirurgicaux dont je suis le pionnier dans la conception et le développement des nouvelles techniques chirurgicales, ainsi que des instruments nécessaires au traitement de cet organe ORL, que ce soit sur le plan international, étant entre autres instructeur régulier à l'Académie américaine ORL, que national ».

Le nouvel entretien, fixé le 2 avril 2020, a été annulé en raison de la crise sanitaire du Covid-19 (cf. pièces 18, 19 et 20 chargé dem. du 8 juillet 2020).

c. Le 7 mai 2020, SANTÉSUISSE a informé le défendeur qu’afin d'éviter que ses prétentions ne tombent sous le coup de la péremption, elle envisageait de déposer une requête en paiement auprès du Tribunal arbitral (cf. pièce 21 chargé dem. du 8 juillet 2020).

C.      a. Le 3 juillet 2020, 19 caisses-maladie, toutes représentées par SANTÉSUISSE, ont déposé auprès du Tribunal arbitral des assurances (ci-après : le Tribunal de céans) une demande portant sur l'année statistique 2018 et visant, principalement, au paiement par le défendeur de la somme de CHF 151'471.- calculée selon l’indice de régression, et, subsidiairement, de la somme de CHF 140'402.50 calculée selon l’indice ANOVA, ce, au titre de la violation du principe du caractère économique des prestations. La cause a été enregistrée sous le numéro A/2154/2020.

b. Une audience de conciliation a eu lieu le 29 septembre 2020. Le défendeur ne s’est pas présenté. Il est apparu selon le registre de l'Office cantonal de la population (extrait CALVIN) qu’il avait quitté Genève pour Cracovie (Pologne) le 1er décembre 2019.

Des renseignements ont alors été requis de la Mission permanente de la République de Pologne, de l’office cantonal de la population et des migrations, et du Dr B______, afin de connaître l’adresse précise du défendeur à Cracovie.

La copie du procès-verbal d’audience du 29 septembre 2020 a ainsi pu être communiquée au défendeur le 26 janvier 2021 et un délai lui être imparti pour détermination au 15 mars 2021.

c. Par courrier du 14 mars 2021, le défendeur a expliqué qu’il était parti se réfugier chez son père en Pologne, au motif qu'il souffrait de graves atteintes à la santé. Le 7 mai 2021, il a précisé qu’il avait subi « trois réanimations pour arrêt cardio-respiratoire, un mois de coma avec six chocs septiques successifs survenus à Genève, suivi de nombreuses chirurgies, elles-mêmes suivies de graves complications ayant abouti aujourd’hui à me rendre invalide sur fauteuil roulant et toujours fortement médicalisé et sous morphinique ».

d. Dans sa réponse du 13 juin 2021 le défendeur s'est expressément référé au courrier qu’il avait adressé à SANTÉSUISSE le 25 janvier 2020 (cf. pièce 18 chargé dem. du 8 juillet 2020) et fait valoir au surplus que :

« Voilà plus de 20 ans déjà que j'ai commencé à traiter les pathologies de la trompe d'Eustache en établissant de nouvelles normes et technique d'investigation tout comme de prise en charge de ces pathologies puis d'offrir différents choix thérapeutiques allant de traitements conservateurs jusqu'à la chirurgie micro endoscopique tubaire dont je suis le pionnier et le concepteur. Pour ce faire, j'ai également dû développer des nouveaux instruments chirurgicaux spécialisés pour cette chirurgie, notamment avec la société allemande STORZ (cf. catalogue ci-joint). Outre les nombreuses publications dans des journaux spécialisés internationaux et nationaux, livres et manuels d'ORL, conférences et cours comme instructeur spécialisé aux quatre coins du globe, j'ai également assuré l'organisation et la tenue de conférences et cours pour spécialistes ORL à Genève (cf. plusieurs tirés à parts et documents l'attestant ci-joints).

Déjà par le passé, SANTÉSUISSE a réussi à tenir compte de tous ces éléments très particuliers qui ont fait que ma pratique ORL s'écartait notoirement d'une pratique ORL standard en Suisse. Et ceci se traduisait par des différences quant à la prise en charge en cabinet au niveau des consultations plus compliquées et longues et sur le plan des différents traitements prescrits notamment conservateurs. Avec le temps le palmarès et la diversité des pathologies qui m'étaient adressées devenaient de plus en plus complexes et les patients qui m'étaient adressés et qui se présentaient à moi ont présenté des problèmes tubaires de plus en plus compliqués, notamment suite à certaines tentatives et initiatives chirurgicales malheureuses de certains médecins ORL encore pas ou pas suffisamment formés ou expérimentés. Vous comprendrez aisément que tout cela n'a fait qu'alourdir ma pratique et les solutions thérapeutiques parfois de sauvetage que je devais assumer. Cet élément peut aisément expliquer les fluctuations et surtout l'augmentation de mes indices de SANTÉSUISSE ».

Le défendeur a ajouté qu’il ne pouvait plus pratiquer en raison de son état de santé et qu’il s'était finalement résolu à quitter la Suisse pour vivre chez son père en Pologne. Il fait ainsi appel à la compréhension et à l’indulgence du Tribunal « vis‑à-vis d’un médecin qui a consacré toute sa vie à bien soigner ses patients, sincèrement, en tenant compte le plus possible des coûts, qui a également sacrifié sa vie à pousser plus loin les limites de la médecine ».

e. Dans leur réplique du 30 juillet 2021, les demanderesses ont en premier lieu relevé que l’abondante littérature jointe aux écritures du défendeur remontait aux années 1998, 2002 et 2003.

Elles rappellent qu’en 2011, elles avaient admis, en partie, les particularités invoquées par le défendeur s’agissant de l’année statistique 2009. Le coût moyen par malade s’élevait alors à CHF 1'050.- et l'indice ANOVA à 172 en coûts directs (sans les médicaments) et à 253 indice coûts totaux (cf. pièce 16 chargé dem. du 8 juillet 2020). En 2018, ces mêmes indices sont de 384 en ANOVA coûts directs et de 437 en ANOVA coûts totaux (cf. pièce 5 chargé dem. du 8 juillet 2020). L’indice de régression de 419 signifie que le coût moyen par patient est quatre fois plus élevé que le coût moyen d’un ORL « moyen » (cf. pièce 6 chargé dem. du 8 juillet 2020).

f. Par courrier du 31 août 2021, reçu le 6 septembre 2021, le défendeur a sollicité une « pause d’au moins trois mois » avant d’avoir à reprendre les échanges de courriers, en raison d’une « dramatique aggravation » de son état de santé. Il joint à son courrier un rapport médical rédigé en polonais le 6 juillet 2021 par le docteur C______.

Les 9 décembre 2021 et 19 février 2022, le défendeur a à nouveau requis l'octroi de délais supplémentaires pour transmettre sa duplique. Précisant qu’il était « toujours incapable de pouvoir me concentrer, préparer et rédiger correctement mes réponses officielles », il s'est en l'état borné à alléguer que si sa pratique médicale s'écarte effectivement du profil « statistiquement convenu » de ses confrères suisses, il parait évident que le moule actuel nécessitera certaines adaptations à « cette nouvelle médecine ORL, dont j'ai ouvert les portes ». Il affirme, cela étant, n'avoir commis aucun abus, et s'interroge sur la question de savoir s'il doit être puni « parce que j'ai eu le courage de m'écarter des sentiers connus et toujours inexplorés en pratique ORL existante avec ses nombreuses lacunes ».

Un ultime délai limité au 6 mai 2022 lui a finalement été accordé, ce par courrier du 17 mars 2022.

Le 3 mai 2022, le défendeur a complété sa duplique. Il rappelle que le doute profite d’ordinaire à l’accusé et que la Commission de SANTÉSUISSE avait accepté le fait que sa pratique ORL s’écartait d’une pratique courante et standard, ce qui expliquait ses résultats statistiques différents. Il souligne à cet égard que sa pratique est restée la même jusqu’à son dépôt de bilan et fermeture du cabinet pour raison médicale.

g. Les parties ont désigné leur arbitre respectivement les 24 mai et 8 juin 2022, soit, Monsieur Luciano DE TORO, pour les demanderesses, et le docteur Jacques-Alain WITZIG, pour le défendeur.

h. Les mêmes assureurs-maladie, à l'exception de MOOVE SYMPANY AG, SUPRA-1846 SA, VISANA AG, ARCOSANA AG et COMPACT GRUNDVERSICHERUNGEN AG, ayant déposé le 30 juin 2021 une nouvelle demande auprès du Tribunal de céans, tendant à la condamnation du défendeur pour l’année 2019 au paiement, principalement, de la somme de CHF 78'162.- calculée selon l’indice de régression, et, subsidiairement, de la somme de CHF 66'909.- calculée selon l’indice ANOVA. Cette nouvelle demande a été enregistrée sous le numéro de cause A/2285/2021.

i. Le Tribunal de céans a constaté l’échec des tentatives de conciliation selon le procès-verbal du 29 septembre 2020 pour la cause A/2154/2020 et selon le courrier du 17 mai 2022 pour la cause A/2285/2021.

Il a ordonné le 16 juin 2022 la jonction des deux causes sous le numéro A/2154/2020

j. Par courrier du 4 juillet 2022, le Tribunal de céans a informé les parties qu’il envisageait de mettre en œuvre une expertise analytique au vu des difficultés rencontrées pour obtenir du défendeur, en raison de sa résidence en Pologne et de son état de santé précaire, des explications plus précises quant à l’exercice de sa pratique médicale. Il les a dès lors invitées à lui proposer des experts.

Le Tribunal de céans a expressément attiré l’attention du défendeur sur le fait qu’il lui incomberait, le cas échéant, de donner la possibilité à l’expert retenu d’examiner toutes les pièces dont celui-ci jugerait l'apport nécessaire à l’exécution de sa mission.

Il a également demandé au défendeur de désigner un nouvel arbitre, le Dr WITZIG s’étant récusé.

k. Par courrier du 25 août 2022, SANTÉSUISSE a fait part de sa grande surprise quant à l'éventualité qu'il soit procédé à une expertise analytique, au motif qu’une telle mesure engendrerait des dépenses disproportionnées, l’état de santé du défendeur et sa résidence à l’étranger ne lui permettant vraisemblablement pas de fournir ses dossiers médicaux à l’expert qui serait nommé, alors que la méthode statistique présentait l’immense avantage d’analyser l’ensemble de la pratique du médecin concerné et non seulement un échantillon qui pourrait ne pas s’avérer représentatif.

l. Invité à se déterminer sur l’éventualité de mettre en œuvre une expertise et sur les observations des assureurs à cet égard, le défendeur s’est contenté d'indiquer, le 2 janvier 2023, qu’il choisissait le docteur Michael FEUSIER comme arbitre.

m. Le 18 janvier 2023, SANTÉSUISSE a versé au dossier le Datenpool 2018 et les procurations des assureurs non membres de l'association.

n. Rappelant encore une fois au défendeur que l'expert qui serait mandaté devrait être en mesure de consulter les dossiers de ses patients pour les années statistiques 2018 et 2019, le Tribunal de céans s'est tout particulièrement enquis, par courriers des 30 janvier et 13 mars 2023, de l'endroit où les documents étaient entreposés.

Le défendeur a révélé, le 7 avril 2023, que « concernant les dossiers, en quittant définitivement la Suisse dans un état de santé grave, j'avais décidé, par sécurité, de détruire tous les dossiers dans une benne spéciale destructrice à papier, de sorte que personne ne puisse y avoir accès. Donc il sera impossible à l'expert de les consulter ».

Par courrier du 17 avril 2023, le Tribunal de céans a informé les parties qu'il renonçait, dans ces conditions, à mettre en œuvre l'expertise envisagée.

Le 19 juillet 2023, il a encore requis de SANTÉSUISSE la production des éventuels procès-verbaux pris lors des échanges intervenus en 2011 notamment.

SANTÉSUISSE a répondu qu'aucun procès-verbal n'avait été établi.

D.      Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 


 

EN DROIT

1.

1.1 Selon l’art. 89 al. 1 de la loi fédérale sur l’assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal), les litiges entre assureurs et fournisseurs sont jugés par le Tribunal arbitral. Est compétent le Tribunal arbitral du canton dont le tarif est appliqué ou dans lequel le fournisseur de prestations est installé à titre permanent (art. 89 al. 2 LAMal). Le Tribunal arbitral est aussi compétent si le débiteur de la rémunération est l’assuré (système du tiers garant, art. 42 al. 1 LAMal) ; en pareil cas, l’assureur représente, à ses frais, l’assuré au procès (art. 89 al. 3 LAMal). La procédure est régie par le droit cantonal (art. 89 al. 5 LAMal).

1.2 En l’espèce, la qualité de fournisseur de prestations au sens des art. 35ss LAMal et 38ss de l’ordonnance sur l’assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal) du défendeur n’est pas contestée. Quant aux demanderesses, elles entrent dans la catégorie des assureurs au sens de la LAMal. La compétence du Tribunal arbitral du canton de Genève est également acquise ratione loci, dans la mesure où le défendeur travaille dans un cabinet installé à Genève à titre permanent.

1.3 Les demanderesses ont déposé à l'encontre du défendeur deux demandes auprès du Tribunal arbitral les 3 juillet 2020 et 30 juin 2021 enregistrées sous les numéros de cause A/2154/2020 et A/2285/2021. La présidente du Tribunal a constaté l’échec des tentatives de conciliation selon le procès-verbal du 29 septembre 2020 pour la première cause et selon le courrier du 17 mai 2022 pour la seconde. Des arbitres ont été désignés. Le Tribunal a ainsi été constitué.

1.4 Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Les demandes des 3 juillet 2020 et 30 juin 2021 respectent les conditions de forme prescrites par les art. 64 al. 1 et 65 de la loi cantonale sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA), de sorte qu'elles sont recevables.

Elles ont été jointes par ordonnance du 16 juin 2022 sous le n° de cause A/2154/2020.

3.        Le litige porte sur la question de savoir si la pratique du défendeur pendant les années statistiques 2018 et 2019 est ou non contraire au principe de l’économicité, et dans l'affirmative, si, et dans quelle mesure, les demanderesses sont habilitées à lui réclamer le trop-perçu.

4.        Aux termes de l’art. 56 al. 1 et 2 LAMal, le fournisseur de prestations doit limiter ses prestations à la mesure exigée par l’intérêt de l’assuré et le but du traitement. La rémunération des prestations qui dépasse cette limite peut être refusée et le fournisseur de prestations peut être tenu de restituer les sommes reçues à tort au sens de cette loi.

 

 

5.         

5.1 Le point de savoir si une partie a la qualité pour agir (ou légitimation active) ou la qualité pour défendre (légitimation passive) - question qui est examinée d'office (ATF 110 V 347 consid. 1 ; ATF non publié 9C_40/2009 du 27 janvier 2010, consid. 3.2.1) - se détermine selon le droit applicable au fond, également pour la procédure de l'action soumise au droit public. En principe, c'est le titulaire du droit en cause qui est autorisé à faire valoir une prétention en justice de ce chef, en son propre nom, tandis que la qualité pour défendre appartient à celui qui est l'obligé du droit et contre qui est dirigée l'action du demandeur (RSAS 2006 p. 46 ; cf. ATF 125 III 82 consid. 1a). La qualité pour agir et pour défendre ne sont pas des conditions de procédure, dont dépendrait la recevabilité de la demande, mais constituent des conditions de fond du droit exercé. Leur défaut conduit au rejet de l'action, qui intervient indépendamment de la réalisation des éléments objectifs de la prétention du demandeur, et non pas à l'irrecevabilité de la demande (SVR 2006 BVG n° 34 p. 131 ; cf. ATF 126 III 59 consid. 1 et ATF 125 III 82 consid. 1a).

5.2 Selon l'art. 56 al. 2 let. b LAMal, ont qualité pour demander la restitution les assureurs dans le système du tiers-payant. Selon la jurisprudence, il s'agit de l'assureur qui a effectivement pris en charge la facture. Par ailleurs, les assureurs, représentés le cas échéant par leur fédération, sont habilités à introduire une action collective à l'encontre du fournisseur de prestations, sans spécifier pour chaque assureur les montants remboursés. Ainsi, il ne saurait être question, dans le cadre de l'art. 56 al. 2 let. a LAMal, d'exiger de chaque assureur maladie séparément qu'il entame une action en restitution du trop-perçu contre le fournisseur de prestations en cause; les assureurs - représentés cas échéant par SANTÉSUISSE - peuvent introduire une demande globale de restitution à l'encontre d'un fournisseur de prestations et, à l'issue de la procédure, se partager le montant obtenu au titre de restitution de rétributions perçues sans droit (ATF 127 V 281 consid. 5d). Le fait d'agir collectivement, par l'intermédiaire d'un représentant commun et de réclamer une somme globale qui sera répartie à la fin de la procédure ne contrevient donc pas au droit fédéral (ATF 136 V 415 consid. 3.2). Il est dès lors sans importance que certains assureurs n'aient remboursé aucun montant pendant une période déterminée. Ils ne participeront pas au partage interne (ATFA non publié K 6/06 du 9 octobre 2006, consid. 3.3 non publié in ATF 133 V 37, mais in SVR 2007 KV n° 5 p. 19 ; ATF 127 V 281 consid. 5d p. 286 s.).

Néanmoins, la prétention en remboursement appartient à chaque assureur-maladie, raison pour laquelle son nom doit figurer dans la demande, ainsi que dans l'intitulé de l'arrêt. Lorsqu'un groupe d'assureurs introduit une demande globale, il peut dès lors seulement réclamer le montant que les membres de ce groupe ont payé en trop, mais non la restitution de montants payés par d'autres assureurs ne faisant pas partie du groupe, à moins d'être au bénéfice d'une procuration ou d'une cession de créance de la part de ces derniers. Dans l'hypothèse où une violation du principe d'économicité est retenue, seuls devraient être restitués par le médecin recherché les montants effectivement remboursés par les caisses-maladie parties à la procédure (arrêt non publié 9C_260/2010 du 27 décembre 2011 consid. 4.7 ; arrêt non publié 9C_167/2010 du 14 janvier 2011 consid. 2.2). Enfin, la production, par une assurance-maladie, d'une seule facture pour l'année litigieuse suffit à admettre sa légitimation active (arrêt non publié cause K 61/99 du 8 mars 2000 consid. 4.c).

5.3 En l’occurrence, la première action en justice est conduite par SANTÉSUISSE, représentant 19 caisses-maladie agréées pour la Suisse, et la seconde, 14. On ne saurait exiger de chaque assureur, au vu de ce qui précède, qu’il entame une action en restitution du trop-perçu, de sorte que SANTÉSUISSE est autorisée à introduire une demande globale (ATAS/1118/2012 consid. 7b ; ATAS/1090/2012 consid. 7b.a ; ATAS/150/2016 consid. 9b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_778/16 consid. 6).

Il importe de rappeler que SANTÉSUISSE ne fait que représenter les assureurs faisant partie de son organisation faîtière. Aussi n'agit-elle pas pour elle-même, mais pour les caisses-maladie qu'elle représente. Il n'est donc pas question de sa qualité pour agir, mais de son droit de représenter ses membres. Or, de jurisprudence constante, ce droit est admis (cf. notamment ATF 9C_968/2009 du 15 décembre 2010, consid. 3.2).

Les demanderesses ont produit les documents nommés « Datenpool » pour les années 2018 et 2019 (cf. pièce 1 chargés dem. des 30 juin 2021 et 18 janvier 2023), lesquels décomposent les montants pris en charge par chaque assureur, tant pour les années en cause, que pour les coûts directs. Ces documents permettent de savoir quels assureurs ont pris en charge des soins pour les années concernées et quels assureurs n'en ont pas pris.

Il résulte de ces documents, lesquels ont valeur probante (cf. notamment ATAS/27/2020), que les demanderesses mentionnées dans l’intitulé des demandes des 3 juillet 2020 et 30 juin 2021 ont toutes remboursé des coûts directs, de sorte qu'elles pourront participer à l'éventuel partage interne.

5.4 SANTÉSUISSE a produit les procurations des demanderesses non-membres de SANTÉSUISSE (cf. pièce 4 chargé dem. du 30 juin 2021, pièce 3 chargé dem. du 3 juillet 2020 et pièce 2 chargé dem. du 18 janvier 2023).

5.5 Le Tribunal de céans admet en conséquence la qualité pour agir des demanderesses figurant dans le rubrum du présent arrêt, celles-ci étant membres de SANTÉSUISSE ou ayant produit une procuration valable et ayant remboursé des coûts directs selon les Datenpools des années 2018 et 2019.

6.         

6.1 Aux termes de l'art. 25 al. 2 LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, le droit de demander la restitution s'éteint un an après le moment où l'institution d'assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Le même délai s'applique aux prétentions en restitution fondées sur l'art. 56 al. 2 LAMal (ATF 133 V 579 consid. 4.1).

À noter que depuis le 1er janvier 2021, le délai de péremption a été porté à trois ans (art. 25 al. 2 LPGA). L’application du nouveau délai de péremption aux créances déjà nées et devenues exigibles sous l’empire de l’ancien droit est admise, dans la mesure où la péremption était déjà prévue sous l’ancien droit et que les créances ne sont pas encore périmées au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit (ATF 134 V 353 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_540/2014 du 5 janvier 2015, consid. 3.1). Si, au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le délai de péremption relative ou absolue en vertu de l’ancien art. 25 al. 2 LPGA a déjà expiré et que la créance est déjà périmée, celle-ci reste périmée.

La question de la péremption doit être examinée d'office par le juge saisi d'une demande de restitution (ATF 140 V 521 consid. 2.1). Avant l'entrée en vigueur de la LPGA en date du 1er janvier 2003, l'art. 47 al. 2 de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (ci-après : LAVS) était applicable par analogie pour ce qui concerne la prescription des prétentions en restitution, selon la jurisprudence (ATF 103 V 153, consid. 3). Cette disposition avait la même teneur que l'art. 25 al. 2 LPGA, de sorte que l'ancienne jurisprudence concernant la prescription reste valable.

Le délai commence à courir au moment où les statistiques déterminantes sont portées à la connaissance des assureurs suisses (ATFA non publié du 16 juin 2004, cause K 124/03, consid. 5.2). Selon le Tribunal fédéral, il n'est pas arbitraire, faute d'éléments établissant le contraire, de retenir comme point de départ du délai de péremption, la date figurant sur les documents intitulés « préparation des données » et correspondant à la prise de connaissance par les caisses-maladie des statistiques légitimant leurs réclamations (arrêts 9C_593/2021 du 6 septembre 2022 consid. 3.3.3 et 9C_968/2009 du 15 décembre 2010 consid. 2.3).

6.2 Il y a lieu de constater qu'en l'espèce, les statistiques de SANTÉSUISSE concernant l'année 2018 ont été portées à la connaissance des demanderesses au plus tôt le 17 juillet 2019 (cf. pièces 5, 6 et 7 chargé dem. du 3 juillet 2020), date correspondant à celle de la préparation des données figurant sur ces statistiques et confirmée par la SASIS AG. Celles de l'année 2019, pour laquelle les calculs concernant l'analyse de régression en deux étapes ont été validés et certifiés par POLYNOMICS AG, l'ont été le 20 juillet 2020 (cf. pièces 6 et 7 chargé dem. du 5 juillet 2021).

6.3 Dans la mesure où les demandes ont été déposées les 3 juillet 2020 et 30 juin 2021, il sied ainsi de conclure que celles-ci respectent le délai légal d'une année prévu à l'art. 25 al. 2 LPGA, selon sa teneur jusqu'au 31 décembre 2020.

 

 

7.       

7.1 Pour établir l’existence d’une polypragmasie, le Tribunal fédéral des assurances admet le recours à trois méthodes : la méthode statistique, la méthode analytique ou une combinaison des deux méthodes (consid. 6.1 non publié de l’ATF 130 V 377, ATF 119 V 453 consid. 4). Les tribunaux arbitraux sont en principe libres de choisir la méthode d’examen. Toutefois, la préférence doit être donnée à la méthode statistique par rapport à la méthode analytique, qui en règle générale est appliquée seulement lorsque des données fiables pour une comparaison des coûts moyens font défaut (arrêts du Tribunal fédéral op. cit.).

7.2 La méthode statistique ou de comparaison des coûts moyens consiste à comparer les frais moyens causés par la pratique d'un médecin particulier avec ceux causés par la pratique d'autres médecins travaillant dans des conditions semblables (ATFA K 6/06 du 9 octobre 2006, consid. 4.2). Cette méthode est concluante et peut servir comme moyen de preuve, si les caractéristiques essentielles des pratiques comparées sont similaires, si le groupe de comparaison compte au moins dix médecins, si la comparaison s'étend sur une période suffisamment longue et s'il est pris en compte un nombre assez important de cas traités par le médecin contrôlé. Il y a donc polypragmasie lorsque les notes d'honoraires communiquées par un médecin à une caisse-maladie sont, en moyenne, sensiblement plus élevées que celles des autres médecins pratiquant dans une région et avec une clientèle semblable alors qu'aucune circonstance particulière ne justifie la différence de coûts (ATF 119 V 448 consid. 4b et les références).

Pour présumer l'existence d'une polypragmasie, il ne suffit pas que la valeur moyenne statistique (indice de 100, exprimé généralement en pour cent) soit dépassée. Il faut systématiquement tenir compte d'une marge de tolérance (ATF 119 V 448 consid. 4c) et, cas échéant, d'une marge supplémentaire à l'indice-limite de tolérance (RAMA 1988 n° K 761 p. 92). La marge de tolérance ne doit pas dépasser l'indice de 130 afin de ne pas vider la méthode statistique de son sens et doit se situer entre les indices de 120 et de 130 (ATFA non publié K 6/06 du 9 octobre 2006, consid. 4.2 ; ATFA non publié K 150/03 du 18 mai 2004, consid. 6.1 et les références ; SVR 1995 KV p. 125). La marge de tolérance sert à tenir compte des particularités et des différences entre cabinets médicaux ainsi que des imperfections de la méthode statistique en neutralisant certaines variations statistiques (arrêt non publié 9C_260/2010 du 27 décembre 2011, consid. 4.3).

7.3 Le Tribunal fédéral a réaffirmé dernièrement le caractère admissible du recours à la méthode statistique comme moyen de preuve permettant d'établir le caractère économique ou non des traitements prodigués par un médecin donné (ATF 136 V 415 consid. 6.2). Outre le fait que la méthode n'a jamais été valablement remise en cause (cf. par exemple ATF non publiés 9C_205/2008 du 19 décembre 2008 et 9C_649/2007 du 23 mai 2008 ; ATFA non publiés K 130/06 du 16 juillet 2007, K 46/04 du 25 janvier 2006, K 93/02 du 26 juin 2003 et K 108/01 du 15 juillet 2003) et qu'il ne s'agit pas d'une preuve irréfragable, dans la mesure où le médecin recherché en remboursement a effectivement la possibilité de justifier une pratique plus onéreuse que celle de confrères appartenant à son groupe de comparaison (pour une énumération des particularités justifiant une telle pratique, cf. notamment ATFA non publiés K 150/03 du 18 mai 2004, consid. 6.3 et K 9/99 du 29 juin 2001, consid. 6c), on rappellera que cette méthode permet un examen anonyme, standardisé, large, rapide et continu de l'économicité (Valérie JUNOD, Polypragmasie, analyse d'une procédure controversée in Cahiers genevois et romands de sécurité sociale n° 40-2008, p. 140 ss) par rapport à une méthode analytique coûteuse, difficile à réaliser à large échelle et mal adaptée lorsqu'il s'agit de déterminer l'ampleur de la polypragmasie et le montant à mettre à charge du médecin (ATF 99 V 193 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_821/2012 ; V. JUNOD, op. cit., p. 140 ss). Enfin, la méthode statistique comprend une marge de tolérance qui permet de prendre en considération les spécificités d'une pratique médicale et de neutraliser certaines imperfections inhérentes à son application (ATF 136 V 415 consid. 6.2).

Selon la jurisprudence, les particularités suivantes liées à la pratique médicale du médecin peuvent justifier un coût moyen plus élevé: une clientèle composée d’un nombre plus élevé que la moyenne de patients nécessitant souvent des soins médicaux (RAMA 1986 p. 4 consid. 4c), un nombre plus élevé de la moyenne de visites à domicile et une très grande région couverte par le cabinet (SVR 1995 p. 125 consid. 4b), un pourcentage très élevé de patients étrangers (RAMA 1986 p. 4 consid. 4c), une clientèle composée d’un nombre plus élevé de patients consultant le praticien depuis de nombreuses années et étant âgés (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 152/98 du 18 octobre 1999) ou le fait que le médecin s’est installé depuis peu de temps à titre indépendant (réf. citée dans l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 150/03 du 18 mai 2004). Constitue une particularité de la pratique médicale toute caractéristique des prestations qui est plus souvent présente que dans la majorité des cabinets du groupe de comparaison et qui engendre un besoin de prestations plus élevé (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 142/05 du 1er mars 2006).

En présence de telles particularités, deux méthodes de calcul ont été admises (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 50/00, résumé dans PJA 2005 p. 1099). D’une part, une marge supplémentaire peut être ajoutée à la marge de tolérance déterminée au préalable (SVR 2001 KV n° 19 p. 52 [K 144/97] consid. 4b, 1995 KV n° 40 p. 125 consid. 4). D’autre part, il est permis de quantifier les particularités en question au moyen de données concrètes recueillies à cette fin, puis de soustraire le montant correspondant des coûts totaux découlant des statistiques (SVR 1995 KV n° 140 p. 125 consid. 4b).

7.4 Lors de l'examen de la question de l'économicité, l'indice de l'ensemble des coûts est en principe déterminant (ATF 133 V 37 consid. 5.3). Lorsque ces coûts se situent dans la marge de tolérance de 30, le principe de l'économicité est respecté. Dans la négative, il sied d'examiner si l'indice des coûts directs dépasse la marge de tolérance. Si tel est le cas, une violation de ce principe est présumée. L'obligation de restituer en application de l'art. 56 al. 2 LAMal n'englobe toutefois que les coûts directement liés à la pratique du médecin (y compris les médicaments délivrés par lui; ATF 137 V 43 consid. 2.5.6).

L'exclusion des coûts indirects de l'obligation de restitution ne modifie en rien la pratique selon laquelle l'examen du caractère économique de la pratique médicale doit se faire sur la base d'une vision d'ensemble, au sens de la jurisprudence publiée aux ATF 133 V 37, et qu'une part plus importante que la moyenne de prestations directement délivrées par le médecin par rapport aux prestations déléguées peut s'expliquer par une pratique médicale spécifique pouvant justifier des surcoûts (consid. 2.5.6).

7.5 Contrairement à la méthode statistique qui s'appuie essentiellement sur la comparaison chiffrée des médecins, la méthode analytique entre dans le détail de la pratique du médecin soupçonné de polypragmasie (JUNOD, op. cit., p. 137). Lorsque le tribunal arbitral décide d'appliquer cette méthode, il ordonne la sélection d'un nombre représentatif de dossiers du médecin concerné (RAMA 1987 p. 349s).

Le tribunal décide s'il examine lui-même ces dossiers ou s'il les confie à un ou plusieurs médecins mandatés à titre d'expert. L'expert examine en détail le contenu des dossiers afin de déterminer si chaque décision du médecin était correcte dans le cas particulier. Le médecin mis en cause doit généralement soutenir activement le travail de l'expert. Il a ainsi l'opportunité de discuter les cas considérés a priori douteux par l'expert et d'apporter ses justifications (ATFA non publié K 124/03 du 16 juin 2004, consid. 6 et 7 ; ATFA non publié K 130/06 du 16 juillet 2007, consid. 5 ; (ATF C_282/13) ; V. JUNOD, op. cit., p. 138).

8.        Dans la mesure où la méthode statistique consiste en une comparaison des coûts moyens, dont le second terme repose sur des données accessibles seulement aux assureurs maladie et à leur organisation faîtière, le médecin recherché en restitution doit avoir la possibilité de prendre connaissance des données mentionnées pour être à même de justifier les spécificités de sa pratique par rapport à celle des médecins auxquels il est comparé, faute de quoi son droit d'être entendu est violé. L'accès aux données des deux termes de la comparaison permet également aux autorités arbitrales et judiciaires amenées à se prononcer d'exercer leur contrôle (ATF 136 V 415 consid. 6.3.1). À cet égard, les droits du médecin recherché pour traitements non économiques ont été renforcés. C'est ainsi qu'en plus des informations dont il a la maîtrise dans la mesure où elles résultent de sa propre pratique, le médecin considéré doit avoir accès à ses propres données traitées par SANTÉSUISSE ainsi qu'à certaines données afférentes aux membres du groupe de comparaison, soit le nom des médecins composant le groupe de référence et, sous forme anonymisée, la répartition des coûts pour chaque médecin du groupe de comparaison, à savoir les mêmes données anonymisées que celles produites par SANTÉSUISSE le concernant pour chacun des médecins du groupe mentionné (« données du pool de données SANTÉSUISSE »).

9.        Il convient de prendre en considération pour l’examen de l’économicité l’indice de l’ensemble des coûts, à savoir aussi bien les coûts de traitement directs que de traitements indirects (coût des médicaments et autres coûts médicaux occasionnés par le médecin auprès d’autres fournisseurs de prestations), lorsque l’ensemble des coûts est inférieur aux coûts directs. Toutefois, lorsqu’il existe des indices concrets que les coûts inférieurs dans un domaine sont dus à des circonstances extérieures sans lien de causalité avec la façon de pratiquer du médecin, il n'y a pas lieu de procéder à une prise en compte de l’ensemble des coûts (ATF 133 V 39 ss consid. 5.3.2 à 5.3.5).

10.    On ajoutera qu'en vertu de l'art. 59 al. 1 LAMal, les fournisseurs de prestations qui ne respectent pas les exigences relatives au caractère économique et à la garantie de la qualité des prestations qui sont prévues dans la loi (art. 56 et 58 LAMal) ou dans un contrat font l'objet de sanctions, dont notamment la restitution de tout ou partie des honoraires touchés pour des prestations fournies de manière inappropriée (let. b). Bien qu'elle soit désignée sous le terme de "sanction", l'obligation de restitution des honoraires ne présuppose aucune faute de la part du fournisseur de prestation (ATF 141 V 25 consid. 8.4 p. 29). Le Tribunal arbitral au sens de l'art. 89 LAMal prononce la sanction appropriée sur proposition d'un assureur ou d'une fédération d'assureurs (art. 59 al. 2 LAMal). 

11.    Enfin, le Tribunal établit les faits d'office et apprécie librement les preuves (art. 45 al. 3 LaLAMal).

La preuve d'un traitement non économique doit être apportée selon le degré de la vraisemblance prépondérante (TFA K 23/03 consid. 5). La comparaison arithmétique des valeurs moyennes n'est pas seulement un indice d'une prestation non économique au sens de l'art. 56 LAMal, mais en est la preuve intégrale, selon la jurisprudence constante (ATF 136 V 415 consid. 6.2 ; RSKV 1970 65 82 consid. 4). Lorsque la valeur du traitement du médecin en cause est supérieure à la moyenne du groupe de comparaison, marge de tolérance en sus, la preuve que sa pratique n'est pas économique est établie. Il appartient au médecin statistiquement hors norme de réfuter, en établissant les particularités de sa pratique, cette présomption de polypragmasie.

12.    Le Tribunal fédéral admet depuis longtemps le recours à la méthode statistique comme moyen de preuve permettant d'établir le caractère économique ou non des traitements prodigués par un médecin donné (cf. chronologiquement les arrêts du Tribunal fédéral des assurances K 24/69 du 31 décembre 1969 consid. 4, in RJAM 1970 p. 82; K 56/78 du 25 avril 1980 consid. 3a, non publié in ATF 106 V 40 ; ATF 119 V 448 consid. 4c p. 454 ; K 148/04 du 2 décembre 2005 consid. 3.3.1) et n'entend pas modifier sa pratique (ATF 136 V 415).

Il a jugé que seules les statistiques RSS fournissaient les données qui permettaient une comparaison valable entre les différents fournisseurs de prestations et ainsi de se prononcer sur le respect ou la violation du principe de l'économicité (ATFA non publié du 18 mai 2004, K 150/03 consid. 6.4.2). De surcroît, la jurisprudence a développé des moyens pour compenser les défauts des statistiques RSS (ATFA non publié du 18 mai 2004, K 150/03 consid. 6.4.1).

On ne saurait ainsi retenir qu'il n'y a pas de méthode scientifique fiable et validée pour établir l'existence d'une polypragmasie.

13.    En l'espèce, le Tribunal de céans a envisagé de mettre en œuvre une expertise analytique, afin que l'économicité de la pratique du défendeur durant les années statistiques 2018 et 2019 puisse être examinée, et en a informé les parties. Il a en effet constaté que le défendeur se heurtait à de grandes difficultés pour faire valoir ses droits en raison de son état de santé et sollicitait systématiquement la prolongation des délais qui lui étaient accordés, ceux-ci étant déjà d'emblée retardés par le fait de sa résidence en Pologne. Le défendeur a par ailleurs précisé qu'il ne pouvait se permettre de mandater un avocat, n'en ayant plus les moyens financiers et vivant dorénavant à la charge de son père.

13.1 Les demanderesses s'y sont opposées. Elles s'inquiètent de ce que l'expert qui serait mandaté par le Tribunal de céans ne pourrait obtenir tous les documents utiles à sa mission, eu égard à l’état de santé du défendeur et à sa résidence à l’étranger.

13.2 Le défendeur ne s'est quant à lui pas expressément déterminé sur la question de la mise en œuvre d'une expertise, ce, nonobstant les deux courriers explicatifs qui lui ont été adressés. Son attention a été plus particulièrement attirée sur le fait qu’il lui incomberait, le cas échéant, de donner la possibilité à l’expert retenu d’examiner toutes les pièces dont celui-ci jugerait l'apport nécessaire à l’exécution de sa mission. Il ne s'est pas exprimé à cet égard. Il n'a pas non plus proposé de nom d'experts. On pourrait donc en conclure que, selon lui, une expertise serait inutile.

Cela étant, il allègue que sa pratique médicale s'écartait de celle de ses confrères, dans la mesure où il s'était spécialisé dans le traitement des pathologies de la trompe d'Eustache, avait établi de nouvelles normes d'investigation et de prise en charge de ces pathologies et offert différents choix thérapeutiques allant des traitements conservateurs jusqu'à la chirurgie micro endoscopique tubaire dont il était le pionnier et le concepteur. Il conteste ce faisant devoir être comparé aux autres médecins otorhinolaryngologues, et, partant, se voir appliquer les statistiques, ce qui pourrait être interprété, a contrario, par le souhait qu'une expertise soit ordonnée.

13.3 Les méthodes statistique et analytique ou une combinaison de ces deux méthodes sont admises par le Tribunal fédéral pour établir l'existence d'une polypragmasie (ATF 133 V 37 ; ATF 130 V 377 consid 6.1 ; ATF 119 V 448 consid. 4 [afférent à l'art. 23 LAMA mais demeurant valable sous l'empire de l'art. 56 LAMal ; arrêt K 43/99 du 22 décembre 2000 consid. 6a in RAMA 2001 n° KV 158 p. 155]; voir également Gebhard Eugster, Wirtschaftlichkeitskontrolle ambulanter ärztlicher Leistungen mit statistischen Methoden, thèse, Zurich 2003, p. 74 ss et 89 ss ; Christian Schürer, Honorarrückforderung wegen Überarztung bei ambulanter ärztlicher Behandlung - Materiellrechtliche Aspekte, in Schaffhauser/ Kieser [édit.], Wirtschaftlichkeitskontrolle in der Krankenversicherung, St-Gall 2001, p. 78 ss). Les tribunaux arbitraux restent en principe libres de choisir la méthode d'examen même si la préférence doit être donnée à la méthode statistique par rapport à la méthode analytique qui est en règle générale appliquée seulement lorsque des données fiables pour une comparaison des coûts moyens font défaut.

La méthode statistique ou de comparaison des coûts moyens consiste à comparer les frais moyens causés par la pratique d'un médecin particulier avec ceux causés par la pratique d'autres médecins travaillant dans des conditions semblables (notamment ATF 133 V 37 consid. 4.2). Cette méthode est concluante seulement si les caractéristiques essentielles des pratiques comparées sont similaires, si le groupe de comparaison compte au moins dix médecins, si la comparaison s'étend sur une période suffisamment longue et s'il est pris en compte un nombre assez important de cas traités par le médecin contrôlé (Gebhard Eugster, Krankenversicherung in Soziale Sicherheit, SBVR, 2e éd., n° 793 p. 662). Il y a donc polypragmasie (Überarztung) lorsque les notes d'honoraires communiquées par un médecin à une caisse maladie sont, en moyenne, sensiblement plus élevées que celles des autres médecins pratiquant dans une région et avec une clientèle semblable alors qu'aucune circonstance particulière ne justifie la différence de coût (ATF 119 V448 consid. 4b). Pour présumer l'existence d'une polypragmasie, il ne suffit pas que la valeur moyenne statistique (indice de 100, exprimé généralement en pour cent) soit dépassée. Il faut systématiquement tenir compte d'une marge de tolérance (ATF 119 V 448 consid. 4c) et, cas échéant, d'une marge supplémentaire à l'indice-limite de tolérance (arrêt du Tribunal fédéral K 97/85 du 19 octobre 1987 consid. 4c in RAMA 1988 n° K 761 p. 92). La marge de tolérance ne doit pas dépasser l'indice de 130 afin de ne pas vider la méthode statistique de son sens et doit se situer entre les indices de 120 et de 130 (arrêt du Tribunal fédéral K 6/06 du 9 octobre 2006 consid. 4.2 ; ATF 133 V 37; arrêt du Tribunal fédéral K 150/03 du 18 mai 2004 consid. 6.1 ; ATF 130 V 377 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral K 44/94 du 12 septembre 1994 consid. 4b in SVR 1995 KV n° 40 p. 125). La marge de tolérance sert à tenir compte des particularités et des différences entre cabinets médicaux ainsi que des imperfections de la méthode statistique en neutralisant certaines variations statistiques (notamment arrêt du Tribunal fédéral K 113/03 du 10 août 2004 consid. 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral K 134/99 du 28 novembre 2001 consid. 6d). 

Le point de savoir s'il convient d'appliquer la méthode analytique présuppose que la méthode statistique employée par les demanderesses ne permet pas d'aboutir à des résultats fiables, singulièrement que la pratique du défendeur présente des particularités telles qu'il se justifie de s'écarter des données statistiques.

Dans le cadre d'une expertise analytique, il ne s'agit en effet pas de faire référence aux médecins du groupe de comparaison, mais d'examiner les dossiers in concreto, afin de vérifier que le fournisseur de prestations incriminé n'a pas multiplié les prestations inutilement ou abusé dans la facturation de celles-ci.

13.4 Il résulte de ce qui précède qu'il se justifierait de privilégier la méthode analytique au vu des circonstances particulières du cas d'espèce, qu'il y a toutefois lieu de constater qu'en l'espèce, l'expert qui serait mandaté n'aurait accès à aucun document utile, et serait ainsi dans l'incapacité de mener à bien sa mission, le défendeur ayant procédé, lorsqu'il a quitté la Suisse le 1er décembre 2019 selon l'extrait Calvin, à la destruction de tous ses dossiers, « par mesure de sécurité ». Force est dès lors de se fonder uniquement sur la méthode statistique.

14.    Reste à veiller, au regard des circonstances particulières du cas d'espèce, au respect du droit d'être entendu.

14.1

14.1.1 Dans un arrêt de principe du 15 décembre 2010, le Tribunal fédéral a indiqué que lorsque la méthode statistique est appliquée pour établir le caractère économique ou non des traitements prodigués par un médecin donné, celui-ci doit, en raison de la garantie du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), avoir la possibilité de prendre connaissance non seulement de ses propres données traitées par SANTÉSUISSE, mais également de certaines données afférentes aux membres du groupe de comparaison, soit le nom des médecins composant le groupe de référence et, sous forme anonymisée, la répartition des coûts pour chaque médecin du groupe de comparaison, à savoir les mêmes données anonymisées que celles produites par SANTÉSUISSE le concernant pour chacun des médecins du groupe mentionné (« données du pool de données SANTÉSUISSE ») (ATF 136 V 415 consid. 6.3.2 et 6.3.3 p. 418; voir aussi SVR 2011 KV n° 15 p. 57 [arrêt 9C_732/210 du 7 avril 2011]) ; ATAS 1065/2021 - 9C_622/2021).

14.1.2 Il importe de relever à cet égard que SANTÉSUISSE a dûment produit la liste des noms du groupe spécialisé de médecins ORL tant pour 2018 que pour 2019 (cf. pièce 12 chargé dem. du 3 juillet 2020 et pièce 13 chargé dem. du 30 juin 2021).

Il convient également de rappeler que la valeur de l’indice est déterminée par rapport au coût par patient, et non par rapport au chiffre d’affaires, de sorte que le droit d’être entendu du défendeur n’impose pas qu’il connaisse les statistiques détaillées de chacun des médecins de son groupe.

14.1.3 Force est ainsi de constater que le défendeur a disposé de toutes les informations nécessaires.

14.2

14.2.1 Selon la maxime inquisitoire qui régit la procédure devant le tribunal arbitral des assurances, il appartient au tribunal arbitral d'établir les faits déterminants pour la solution du litige et d'administrer, le cas échéant, les preuves nécessaires (art. 89 al. 5 LAMal). Cette maxime doit être relativisée par son corollaire, soit le devoir de collaborer des parties, lequel comprend l'obligation d'apporter, dans la mesure où cela est raisonnablement exigible, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, autrement dit d'étayer leurs propres thèses en renseignant le juge sur les faits de la cause et en lui indiquant les moyens de preuve disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître. Si le principe inquisitoire dispense les parties de l'obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve, dans la mesure où, en cas d'absence de preuve, c'est à la partie qui voulait en déduire un droit d'en supporter les conséquences, sauf si l'impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse. Cette règle ne s'applique toutefois que s'il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d'établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 139 V 176 consid. 5.2 et les références). En l'absence de collaboration de la partie concernée par de tels faits et d'éléments probants au dossier, l'autorité qui met fin à l'instruction du dossier en considérant qu'un fait ne peut être considéré comme établi, ne tombe pas dans l'arbitraire et ne viole pas l'art. 8 CC.

La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.), en particulier, le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d'avoir accès au dossier, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 143 V 71 consid. 4.1 ; ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 p. 52 s. ; ATF 141 V 557 consid. 3.1 p. 564 ; ATF 135 I 279 consid. 2.3 p. 282 ; arrêts 2C_782/2015 du 19 janvier 2016 consid. 3.1 ; 4A_178/2015 du 11 septembre 2015 consid. 3.2, non publié in ATF 141 III 433).

L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références).

Une preuve est considérée comme apportée lorsque le tribunal est convaincu, d'un point de vue objectif, de la véracité d'une affirmation factuelle. Une certitude absolue ne peut pas être exigée. Il suffit que le tribunal n'ait plus de doutes sérieux quant à l'existence du fait allégué ou que les doutes qui subsistent éventuellement paraissent légers. Les exceptions à cette règle de la preuve, dans lesquelles une probabilité prépondérante est considérée comme suffisante, découlent d'une part de la loi elle-même et ont d'autre part été élaborées par la jurisprudence et la doctrine. Ces exceptions se fondent sur l'idée que l'application du droit ne doit pas échouer en raison de difficultés de preuve qui surviennent typiquement dans certains états de fait (cf. ATF 128 III 271 consid. 2b/aa p. 275).

L'allègement de la preuve présuppose donc un « besoin de preuve ». Cette condition est remplie lorsqu'une preuve stricte n'est pas possible ou pas raisonnablement exigible en raison de la nature de l'affaire, en particulier lorsque les faits allégués par la partie chargée de la preuve ne peuvent être prouvés qu'indirectement par des indices. Le fait qu'un fait qui, de par sa nature, pourrait sans autre faire l'objet d'une preuve directe, ne puisse pas être prouvé parce que la partie chargée de la preuve ne dispose pas des moyens de preuve, ne constitue pas en soi une difficulté de preuve. De simples difficultés de preuve dans un cas concret ne peuvent pas conduire à un allégement de la preuve (ATF 130 III 321 ; arrêt du Tribunal fédéral 5C.175/1997 du 17 octobre 1997, consid. 2 et 3 ; en général : HOHL, Procédure civile, t. I : Introduction et théorie générale, Berne 2001, N. 1098 p. 210, et en détail in : Le degré de la preuve, Festschrift Vogel, Fribourg i.Üe. 1991, p. 125 ss, 151 s).

Dans un arrêt du 24 septembre 2014 (ATF 140 I 285), le Tribunal fédéral, constatant que la recourante qui reprochait à la juridiction cantonale de n'avoir ordonné aucun acte d'instruction propre à établir un lien entre la rémunération et la qualité du travail effectué par les nettoyeurs, n'avait toutefois fait état d'aucun acte d'instruction qu'elle aurait elle-même requis et auquel les juges auraient refusé de donner suite, en a déduit que, sous cet angle, on ne pouvait considérer que son droit d'être entendu aurait été violé.

Dans une autre affaire jugée le 24 juin 2022 (9C_180/2021) en revanche, le Tribunal fédéral, se prononçant sur la question du droit d'être entendu d'un fournisseur de prestations, qui avait déclaré en instance cantonale ne plus être en possession de l'ensemble des garanties de prise en charge délivrées à ses patients pour l'année en cause, et qui a fait valoir, en instance fédérale, que les assureurs auraient dû les produire, a considéré que, compte tenu des affirmations du fournisseur de prestations, selon lesquelles plusieurs de ses patients s'étaient vu délivrer par les caisses-maladie intimées des garanties de prise en charge durant l'année concernée, le tribunal arbitral était tenu d'instruire plus avant ce point. Il ne pouvait se borner à invoquer les règles sur le fardeau de la preuve, celles-ci ne s'appliquant que s'il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire, d'établir un état de fait qui correspond à la réalité, au degré de la vraisemblance prépondérante. Or les caisses-maladie intimées n'avaient jamais prétendu ne pas avoir délivré de garanties de prise en charge ou ne pas être en mesure de les produire. Le Tribunal fédéral a ainsi jugé que le grief de violation du droit d'être entendu était fondé.

Il y a enfin lieu de rappeler que les parties sont tenues de collaborer à la constatation des faits, en vertu de l'art. 22 de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA ; RS E 5 10). L'autorité peut aussi inviter les parties à la renseigner, notamment à se prononcer sur les faits constatés ou allégués, selon l'art. 24 al. 1 LPA. La maxime d'office n'implique ainsi pas que l'autorité saisie doive établir seule les faits. L'instruction repose aussi sur la coopération des parties. La portée de la maxime inquisitoire est en effet restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 125 V 195 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 I 183 consid. 3.2). Le devoir du juge de constater les faits pertinents ne dispense donc pas les parties de collaborer à l'administration des preuves en donnant des indications sur les faits de la cause ou en désignant des moyens de preuve (ATF 130 I 184 consid. 3.2, 128 III 411 consid. 3.2).

14.2.2 La preuve d'un traitement non économique doit être apportée selon le degré de la vraisemblance prépondérante (TFA K 23/03 consid. 5). Lorsque la valeur du traitement du médecin en cause est supérieure à la moyenne du groupe de comparaison, marge de tolérance en sus, la preuve que sa pratique n'est pas économique est établie. Il appartient au médecin statistiquement hors norme de réfuter, en établissant les particularités de sa pratique, cette présomption de polypragmasie.

Le médecin faisant l'objet d'une procédure en remboursement en raison d'une polypragmasie, doit établir par des exemples concrets pourquoi une certaine catégorie de ses malades engendrerait un surcoût. Il ne suffit pas de l'affirmer, de requérir l'intervention d'un expert ou de produire une liste de patients. Il appartient au contraire au médecin de rendre vraisemblable que sa pratique diffère fondamentalement de celle des autres médecins composant son groupe (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_205/2008 du 9 décembre 2008 consid. 4.6.2 et 4.7.3).

Le Tribunal de céans a eu l'occasion de juger le cas d'un fournisseur de prestations qui ne s'était pas manifesté lorsque la demande en restitution lui avait été adressée et avait quitté Genève sans prendre la précaution de laisser une adresse aux demanderesses. Il en a déduit que la défenderesse avait renoncé à se présenter devant lui, respectivement à exercer son droit d'être entendu dans le cadre de la présente procédure. Rappelant que la collaboration des parties était exigible et constatant que celle de la défenderesse faisait en l'occurrence totalement défaut, il n'a dès lors pas admis le renversement du fardeau de la preuve (ATAS 1185/2019).

14.2.3 L'application du droit ne doit toutefois pas échouer parce que les exigences posées à la mesure de la preuve sont trop élevées ou hétérogènes (cf. sur l'ensemble : ATF 118 II 235 E. 3c ; ATF 98 II 231 consid. 5 ; SCHMID, op. cit., n° 17 ad art. 8 CC ; HOHL, Le degré de la preuve dans les procès au fond, in : Der Beweis im Zivilprozess, La preuve dans le procès civil, p. 127 ss, p. 137 s. ; ISAAK MEIER, Das Beweismass - ein aktuelles Problem des schweizerischen Zivilprozessrechts, in : BJM 1989 p. 57 ss, p. 77 s.).

Les exceptions à la règle de la preuve, dans lesquelles une probabilité prépondérante ou une simple vraisemblance sont considérées comme suffisantes, découlent d'une part de la loi elle-même et ont d'autre part été mises en évidence par la jurisprudence et la doctrine. Ces exceptions reposent sur l'idée que l'application du droit ne doit pas échouer en raison de difficultés de preuve qui surviennent typiquement dans certains états de fait (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa).

14.3 En l'espèce, il est vrai qu'il s'avère difficile, voire impossible, pour le défendeur, au vu de son état de santé et de sa résidence en Pologne, d'exposer précisément, dans le cadre de la présente procédure, les particularités de sa pratique médicale pour justifier sa position face à la demande en restitution des caisses-maladie, d'une part, et pour le Tribunal de céans, d'ordonner une audience de comparution personnelle des parties, d'autre part. Il convient toutefois de constater que dans ses courriers adressés à SANTÉSUISSE et au Tribunal de céans, le défendeur a eu l'occasion d'expliquer pour quelles raisons il considérait que sa pratique était conforme au principe de l'économicité. Il a également produit divers documents. Des délais – au demeurant prolongés à diverses reprises - lui ont été accordés pour se déterminer. Le Tribunal de céans a au surplus tenté d'obtenir de SANTÉSUISSE la production de documents complémentaires, tels que des procès-verbaux de séances.

14.4 Le défendeur a ainsi été en mesure de faire valoir ses arguments. Aussi peut-on en conclure qu'il a valablement exercé son droit d'être entendu, étant rappelé quoi qu'il en soit que la preuve d'un traitement non économique doit être apportée selon le degré de la vraisemblance prépondérante (cf. à cet égard ATF 128 III 271 consid. 2b/aa susmentionné).

15.    La méthode statistique - en l'espèce préférée à la mise en œuvre d'une expertise analytique pour les raisons décrites ci-dessus - consiste à procéder à une comparaison chiffrée de la pratique du défendeur avec celle de confrères appartenant à son groupe de comparaison.

15.1 L'attribution à un groupe de comparaison est effectuée par le registre des codes-créanciers. Le groupe de comparaison doit, d'une manière générale, correspondre au statut effectif du fournisseur de prestations (arrêt du Tribunal fédéral 9C_282/2013 du 31 août 2013 consid. 5.1). La pratique de celui-ci doit être examinée en fonction de celle des médecins constituant le groupe de comparaison auquel il appartient.

15.2 En l'espèce, le défendeur est titulaire du titre post-grade d'otorhinolaryngologue (ORL). C'est ainsi à juste titre que le groupe de comparaison retenu par SANTÉSUISSE est celui des médecins ORL.

Ce groupe de comparaison comprend 374 médecins ORL exerçant en Suisse, titulaires de numéros RCC/cabinets pour l'année 2018, et de 384 pour l'année 2019, étant rappelé que ces titulaires présentant des coûts directs inférieurs à CHF 100'000.-, ou ayant moins de 50 patients, pour l'année statistique concernée n'ont pas été pris en compte (cf. pièce 12 chargé dem. du 3 juillet 2020 et pièce 13 chargé dem. du 30 juin 2021).

Les conditions posées par la jurisprudence relative à ce groupe de comparaison sont réalisées puisque le groupe en question comporte suffisamment de médecins, que les éléments statistiques ont été rassemblés d'une manière analogue (données fournies par le biais du registre des codes créanciers [RCC] et le pool de données de SANTÉSUISSE et que la comparaison s'est étendue sur plusieurs années. (cf. ATF 119 V 448 consid. 4b p. 448 ; arrêt K 6/06 du 9 octobre 2006 consid. 4.2 non publié in ATF 133 V 37 et les arrêts cités ; 9C_282/2013).

15.3 Le défendeur allègue toutefois qu'il est spécialisé dans le traitement des pathologies de la trompe d'Eustache, ce qui le distinguerait très clairement de ses confrères. Il considère ainsi que les médecins du groupe de comparaison ne travaillent pas dans des conditions semblables aux siennes.

Il importe à ce stade de rappeler que les groupes de comparaison retenus pour déterminer s'il y a ou non polypragmasie comprennent en principe aussi des médecins qui ont bénéficié d'une formation spécifique dans un domaine médical particulier et traitent de ce fait une catégorie de patients, lesquels nécessitent des mesures diagnostiques et thérapeutiques s'écartant de celles prodiguées en règle générale par leurs collègues (K 148/04, consid. 5.2).

La spécialisation invoquée par le défendeur n'est certes pas pratiquée par tous les ORL figurant dans le groupe de comparaison ; on ne saurait toutefois considérer qu'il s'agit-là d'une spécialisation dont on devrait tenir compte pour le choix de la méthode à appliquer (ATAS 85/2021). En effet, seule celle acquise au terme d'une formation universitaire reconnue par la FMH est admise. Il n'est pas tenu compte de la formation continue que peut avoir suivie le médecin (K 148/04 consid. 52). Si une formation spéciale amène le médecin à traiter une clientèle sensiblement différente de celle de ses collègues du groupe de référence, ce fait peut en revanche être pris en compte comme particularité de sa pratique médicale (K 108/01 consid. 11.1).

De nouvelles techniques qui ne seraient pas pratiquées par tous les médecins figurant dans le groupe de comparaison peuvent de même le cas échéant être prises en considération, non pas pour écarter le groupe de comparaison retenu par les caisses-maladie, mais à titre de particularité de la pratique du médecin en cause.

Aussi le défendeur ne peut-il rien déduire en sa faveur de sa spécialisation dans le traitement des pathologies de la trompe d'Eustache, s'agissant de la composition du groupe auquel il est comparé.

Il est vrai que lorsque les caractéristiques essentielles des pratiques comparées ne sont pas similaires, la méthode statistique de comparaison des coûts moyens n'est pas considérée comme étant suffisamment concluante. Le Tribunal fédéral a à cet égard jugé que lorsqu'une comparaison des coûts moyens est impossible en raison d'une trop grande différence entre les caractéristiques essentielles des cabinets du groupe de comparaison et celles du médecin contrôlé, il y avait lieu d'appliquer la méthode analytique (9C_167/2010). La méthode statistique, toutefois, est la seule applicable en l'espèce. On ne peut en effet que se référer à la pratique des médecins du groupe de comparaison, l'examen in concreto des dossiers du cabinet du défendeur étant exclue.

15.4 Il y a quoi qu'il en soit lieu de conclure que la pratique du défendeur est ainsi valablement comparée à celle des médecins du groupe pris en considération par SANTÉSUISSE, étant rappelé que la spécialisation dont il se prévaut pourra constituer une éventuelle particularité de sa pratique qu'il conviendra d'examiner pour déterminer si une marge supplémentaire doit être retenue.

16.    Il s'agit précisément de déterminer à ce stade si la pratique médicale du défendeur et sa patientèle comportent des particularités qui justifieraient un coût moyen par patient plus élevé et, partant, l'admission d'une marge supplémentaire qui viendrait s'ajouter à la marge de tolérance (arrêt du Tribunal fédéral K 5/07 consid. 3.2).

Selon la jurisprudence, les particularités suivantes liées à la pratique médicale du médecin peuvent justifier un coût moyen plus élevé : une clientèle composée d’un nombre plus élevé que la moyenne de patients nécessitant souvent des soins médicaux (RAMA 1986 p. 4 consid. 4c), un nombre plus élevé que la moyenne de visites à domicile et une très grande région couverte par le cabinet (SVR 1995 p. 125 consid. 4b), un pourcentage très élevé de patients étrangers (RAMA 1986 p. 4 consid. 4c), une clientèle composée d’un nombre plus élevé de patients consultant le praticien depuis de nombreuses années et étant âgés (ATFA non publié du 18 octobre 1999, K 152/98) ou le fait que le médecin s’est installé depuis peu de temps à titre indépendant (réf. citée dans l’ATFA non publié du 18 mai 2004, K 150/03).

17. Le défendeur relève que « déjà par le passé, SANTÉSUISSE a réussi à tenir compte de tous ces éléments particuliers qui ont fait que ma pratique ORL s'écartait notoirement d'une pratique ORL standard en Suisse ». Le défendeur soulève ce faisant la question de savoir s'il peut se prévaloir du principe de la bonne foi.

17.1 L'art. 56 al. 2 LAMal règle l'obligation de restitution du fournisseur de prestations. Cette obligation est toutefois limitée par la protection de la bonne foi (ATF 133 V 582 9C_571/2019 du 23 juillet 2020 consid. 2.2).

Selon la jurisprudence, le droit à la protection de la bonne foi est soumis à la réalisation de cinq conditions cumulatives. Un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que : a) l'autorité ait donné un renseignement sans aucune réserve ; b) le renseignement se réfère à une situation concrète touchant l'administré personnellement ; c) l'autorité ait agi dans les limites de ses compétences ou l'administré eût des raisons suffisantes de la tenir pour compétente ; d) l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu ; e) l'administré se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice ; f) la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée ; g) l'intérêt au respect du droit objectif n'est pas prépondérant par rapport à la protection de la bonne foi (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1 ; arrêt 8D_2/2021 du 15 mars 2022 consid. 6.2). Une autorité ne peut toutefois pas valablement promettre le fait d'une autre autorité (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 7/04 du 27 janvier 2005 consid. 3.1).

17.2 Il y a en effet lieu de constater que pour l'année statistique 2009, SANTÉSUISSE a expressément admis, par courrier du 24 mai 2011, que la situation du défendeur n'était pas comparable à celle des autres ORL en raison de sa spécialisation des pathologies de la trompe d'Eustache, et indiqué qu'elle tiendrait dorénavant compte de cette particularité lors de l'évaluation de ses statistiques. SANTÉSUISSE a ainsi renoncé à diriger des actions en restitution contre le défendeur depuis 2009.

Les cinq conditions de la bonne foi sont à ce moment-là réalisées, le défendeur étant persuadé que la spécialisation dont il se prévaut justifie ses indices, plus élevés que ceux de ses confrères.

17.3 En vertu du principe de la bonne foi, l'autorité doit éviter les comportements contradictoires. Cette exigence est indispensable à la sécurité juridique et elle trouve application chaque fois que l'autorité crée une apparence de droit. Elle est à ce titre liée par les conséquences qui découlent de son activité. Elle ne concerne toutefois que la même autorité, agissant à l'égard des mêmes justiciable, dans la même affaire ou à l'occasion d'affaires identiques (ATF 111 V 81 consid. 6 p. 87).

L'interdiction de comportements contradictoires n'a pas une portée absolue, en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à des changements de pratique, pour autant que ceux-ci soient motivés par des raisons pertinentes (Précis de droit STAMFLI, Droit constitutionnel suisse, Giorgio MALINVERNI, volume II : Les droits fondamentaux, 4ème édition, pp. 643-644).

La pratique, et donc les instructions, doivent être modifiées chaque fois que l'administration, après une étude approfondie et sérieuse, parvient à la conviction que le sens réel de la loi est différent de celui qui a été admis jusqu'à présent, ou que des changements dans les circonstances de fait exigent un autre exercice du pouvoir d'appréciation conforme aux obligations. Si l'administration a décidé de changer de pratique, la nouvelle pratique doit en principe être appliquée immédiatement et partout. La nouvelle pratique s'applique, qu'elle soit généralement approuvée ou non, que son bien-fondé soit contesté ou non, voire qu'elle soit contestée comme contraire au droit, jusqu'à ce que l'administration elle-même la remplace éventuellement par une autre (ATF 108 IA 124 ; ATF 102 Ib 46 consid. 1a avec références).

17.4 Il résulte de ce qui précède qu'il appartenait en principe à SANTÉSUISSE de s'abstenir d'avoir un comportement contradictoire, soit un comportement consistant en l'espèce à renoncer à diriger des actions en restitution contre le défendeur depuis 2009, pour ensuite déposer une telle action le 3 juillet 2020 pour l'année 2018 et le 30 juin 2021 pour l'année 2019, ce à moins que le changement de pratique soit motivé par des raisons pertinentes.

17.5 Il y a ainsi lieu d'examiner s'il existe en l'espèce de telles raisons qui justifieraient un changement, étant rappelé que selon la jurisprudence, une pratique antérieure doit être modifiée en raison de l'évolution des circonstances ou de l'augmentation des abus (ATF 133 V 96).

En l'espèce, SANTÉSUISSE a toléré des indices de régression et RSS à hauteur de 200 points pour l'année statistique 2009, quand bien même ils étaient plus élevés que ceux des médecins ORL composant le groupe de comparaison, au motif que la spécialisation des pathologies de la trompe d'Eustache dont se prévalait le défendeur le permettait. Elle a toutefois informé le défendeur le 21 février 2017, pour l'année statistique 2015, le 23 avril 2018, pour l'année statistique 2016, et le 18 novembre 2019, pour l'année statistique 2018, que ses coûts moyens par patient avaient sensiblement augmenté et lui a demandé de lui en expliquer les raisons. Pour cette dernière année, elle a observé que les indices du défendeur avaient dépassé le nombre de 400 points, et en a conclu quoi qu'il en soit que le principe du caractère économique des prestations était dorénavant violé.

Force est de constater que l'indice de régression a plus que doublé. Il a passé de 200 pour l'année statistique 2009 à 419 pour l'année statistique 2018 (cf. pièce 6 chargé dem. du 8 juillet 2020) et à 355 pour l'année statistique 2019 (cf. pièce 7 chargé dem. du 2 juillet 2021). Le coût moyen par patient est pour l'année statistique 2009 de CHF 1'050.- et de CHF 1'784.25 pour l'année statistique 2018, ce qui représente une différence de CHF 735.-. L'indice ANOVA pour 2009 est de 172 en coûts directs (sans les médicaments) et de 253 en coûts totaux (cf. pièce 16 chargé dem. du 8 juillet 2020), alors que pour 2018, ces mêmes indices sont de 384 en coûts directs et de 437 en coûts totaux (cf. pièce 5 chargé dem. du 8 juillet 2020).

SANTÉSUISSE était fondée à considérer, sur la base de ces chiffres, que la spécialisation dans le traitement des pathologies de la trompe d'Eustache mise en avant par le défendeur ne suffisait plus à justifier la hausse permanente des coûts par patient et indices constatée chaque année, et en a dûment informé le défendeur, avant de saisir le Tribunal de céans d'une demande en restitution les 3 juillet 2020 et 30 juin 2021.

17.6 Il y a en conséquence lieu de constater que le changement d'appréciation de SANTÉSUISSE quant à la pratique médicale du défendeur pour les années statistiques 2018 et 2019 était en l'occurrence motivé par des raisons pertinentes, de sorte que le principe de la bonne foi n'est pas violé.

18. Le défendeur souligne avoir eu le courage de s'écarter « des sentiers connus et toujours inexplorés en pratique ORL existante avec ses nombreuses lacunes », de sorte que sa pratique ne pouvait être comparée à celle qu'il qualifie de « standard en Suisse ». Il met en avant le fait que « Voilà plus de 20 ans déjà que j'ai commencé à traiter les pathologies de la trompe d'Eustache en établissant de nouvelles normes et technique d'investigation tout comme de prise en charge de ces pathologies puis d'offrir différents choix thérapeutiques allant de traitements conservateurs jusqu'à la chirurgie micro endoscopique tubaire dont je suis le pionnier et le concepteur ».

18.1 Il apparaît que la spécialisation des pathologies de la trompe d'Eustache du défendeur, dont il a été admis pour l'année statistique 2009 qu'elle venait distinguer la pratique du défendeur de celle de ses confrères, peut certes justifier, en partie tout au moins, des indices et des coûts par patient plus élevés, mais elle peut difficilement expliquer une augmentation aussi importante que celle qui a été constatée chaque année depuis 2015.

18.2 Il n'est pas question de contester que le défendeur ait été un pionnier en matière de chirurgie micro endoscopique tubaire, utilisant plus particulièrement de nouvelles techniques pour traiter les pathologies de la trompe d'eustache (cf. pièces chargé déf. du 13 juin 2021). Il convient en revanche de relever que les publications versées au dossier par le défendeur concernant les nouveaux traitements chirurgicaux « laser eustachian turboplasty », datent, d'il y a une vingtaine d'années déjà, de sorte qu'on peut imaginer que d'autres médecins ORL se sont engagés dans cette voie eux aussi depuis. Il est à cet égard intéressant de constater que c'est depuis les années 1980 que l'endoscopie ORL détrône ou complète l'utilisation du microscope. La vision directe et dynamique des zones anatomiques et des lésions permet un geste chirurgical précis, rapide, atraumatique, des voies d'abord a minima. En postopératoire, le contrôle direct des cavités est un atout majeur (www.lequotidiendumedecin.fr/archives/lendoscopie-une-technique-devenue-indispensable-en-orl).

Il est hautement vraisemblable, au vu de ce qui précède, que le défendeur ne peut plus être considéré comme étant le seul à traiter les patients souffrant de pathologies liées à la trompe d'Eustache.

18.3 Il ne le nie du reste pas, alléguant toutefois que ces pathologies se sont alourdies et complexifiées, et qu'il se trouve au surplus contraint d'intervenir pour réparer « certaines tentatives et initiatives chirurgicales malheureuses de ses confrères ORL encore pas ou pas suffisamment formés ou expérimentés ».

18.3.1 Il fait à cet égard valoir qu'il pratique la chirurgie micro-endoscopique.

Il ne s'agit toutefois pas là d'une spécialité acquise au terme d'une formation universitaire reconnue par la FMH, raison pour laquelle le Tribunal de céans a considéré que le groupe de comparaison retenu par SANTÉSUISSE et composé de médecins spécialistes ORL ne pouvait être que confirmé (cf. consid. 17.3 ci‑dessus). Le défendeur n'allègue pas non plus avoir suivi une formation approfondie en chirurgie cervico-faciale (soit une sous-spécialité de l'ORL qui s'intéresse à la prise en charge chirurgicale des affections de la face et du cou), laquelle permet aux médecins ORL d'acquérir les connaissances et techniques qui les rendront capables de pratiquer, en toute indépendance et sous leur propre responsabilité, la chirurgie dans le domaine de leur discipline (www.siwf.ch). Il y a lieu d'ajouter que le titre post-grade décerné par la Confédération constitue un titre de spécialiste qui confère à son détenteur le droit d'exercer sous sa propre responsabilité dans la spécialité admise, alors que l'attestation de formation continue ne fait que démontrer que le médecin a bien exécuté 50 heures par année sur 3 ans de formation continue. Elle est établie sur simple présentation des justifications de participation à des congrès et séminaires.

Le défendeur n'allègue quoi qu'il en soit pas non plus être au bénéfice d'une telle attestation.

Il sied également de relever, à l'instar de SANTÉSUISSE, qu'aucune position TARMED 35 "salle d'opération, salle de réveil, clinique de jour" n'est mentionnée dans la facturation du défendeur pour l'année 2018 (Tarifpool 2018, cf. pièce 22 chargé dem. du 30 juillet 2021). Aucun acte chirurgical non plus, sous son n° RCC.

18.3.2 Le défendeur met par ailleurs en avant que pour exercer cette chirurgie micro endoscopique tubaire, il a lui-même développé de nouveaux instruments chirurgicaux spécialisés, plus particulièrement avec la société allemande STORZ, société dont il a du reste produit le catalogue. Les partenariats avec des industriels comme Karl Storz ont certes permis l'amélioration considérable des endoscopes. Les techniques ont été bouleversées grâce aux optiques connectées à des vidéos, des moniteurs couleur, des magnétoscopes. Elles ont amené les spécialistes à revisiter l'anatomie complexe des structures ORL et à développer de nouvelles gestuelles peropératoires (www.lequotidiendumedecin.fr/archives/lendoscopie-une-technique-devenue-indispensable-en-orl). On peine toutefois à comprendre et à admettre, au degré de vraisemblance requis par la jurisprudence, que le développement de ces instruments ait pu avoir un impact direct sur l'indice de coûts du défendeur. Il n'a pas non plus été allégué que ces instruments étaient particulièrement coûteux.

19.    Force est de constater que le défendeur n'explique pas pourquoi les traitements dispensés aux patients présentant des problèmes liés à la trompe d'Eustache seraient devenus plus compliqués, ni pourquoi les actes chirurgicaux de « réparation » impliqueraient une augmentation de ses indices.

On ignore tant le nombre des patients du défendeur, traités pour des « problèmes tubaires de plus en plus compliqués », que le nombre de ceux qui ont nécessité une intervention de « sauvetage » de sa part. Les données fournies par le défendeur ne permettent pas de chiffrer le pourcentage de ces cas, qui pourraient être considérés comme étant « lourds », sur l'ensemble de sa pratique en cabinet durant l'année statistique en cause. Il aurait également été intéressant de connaitre le nombre de patients qui lui auraient été adressés, en tant que spécialiste, par ses confrères.

19.1 Il est important de rappeler à ce stade que selon la maxime inquisitoire, il appartient au tribunal arbitral d'établir les faits déterminants pour la solution du litige et d'administrer, le cas échéant, les preuves nécessaires. En cas d'absence de preuve, c'est à la partie qui voulait en déduire un droit d'en supporter les conséquences, sauf si l'impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse.

En l'espèce toutefois, le défendeur est retenu en Pologne en raison de son état de santé, de sorte qu'aucune audience ne peut être organisée, et la maladie l'affecte au point qu'il ne peut que difficilement se déterminer.

19.2 Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération (ATF 135 V 39 consid. 6.1 p. 45 et les références ; voir également arrêt 9C_717/2009 du 20 octobre 2009 consid. 3.3).

Des réponses auraient en l'occurrence pu être apportées aux différentes interrogations par le médecin qui aurait été mandaté pour établir une expertise analytique. Une telle expertise ne peut toutefois être ordonnée vu la destruction des dossiers du cabinet médical.

19.3 Il s'agit en conséquence d'établir, aussi précisément que possible, un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 139 V 176 consid. 5.2 et les références).

20. Les arguments du défendeur selon lesquels, d'une part, les pathologies qu'il avait à traiter étaient devenues de plus en plus complexes, et d'autre part, qu'il était amené à « assumer des solutions thérapeutiques, parfois de sauvetage » - ce qui expliquait que ses indices avaient augmenté - peuvent être examinés sur la base de la jurisprudence relative aux « cas lourds ».

20.1 Il est en effet admis qu'un médecin qui traite des « cas lourds » peut avoir des coûts par patient plus élevés que ceux de ses collègues (ATAS 85/2021).

De tels cas sont en effet censés nécessiter des soins plus intensifs, ce qui a un impact sur le montant des frais, sur le nombre de médicaments prescrits, ainsi que sur la longueur du traitement et, partant, sur la durée et le nombre de consultations (9C_570/2015). Il a par exemple été considéré que le cas de patients souffrant de traumatismes complexes dus à un vécu spécifique lié à la fuite du pays d'origine suite à des conflits armés et à des violences physiques, psychiques et/ou sexuelles subies dans ce cadre, pouvait être qualifié de « lourd » (ATAS 85/2021).

Dans une affaire portant sur l'économicité d'un cabinet d'oncologie, il a également été reconnu que le médecin soignait des « cas lourds », s'agissant de localisation tumorale connue pour leur pronostic défavorable, ainsi que du stade plus avancé de la maladie. Le tribunal cantonal avait alors considéré, en se fondant uniquement sur des données lui ayant été fournies par l'intimé, que celui-ci pratiquait plus de chimiothérapies que ses confrères (ATAS/867/2009). Le Tribunal fédéral, après avoir relevé que même s'il est notoire que ces traitements sont coûteux, cela ne saurait justifier l'indice de coûts particulièrement élevé de l'intimé, et rappelé que le but visé par la réglementation sur la polypragmasie consiste précisément à empêcher une mise en œuvre excessive de thérapies coûteuses, s'est demandé si le taux élevé de chimiothérapies pratiquées par l'intimé était justifié du point de vue du rapport coût-efficacité, ce qui nécessitait de comparer sa pratique avec celle d'autres oncologues ayant une proportion similaire de patients atteints de cancers à un stade avancé de la maladie. Constatant qu'une comparaison des coûts moyens était impossible en raison d'une trop grande différence entre les caractéristiques essentielles des cabinets du groupe de comparaison et celles du médecin contrôlé, il a annulé le jugement attaqué et renvoyé la cause au tribunal arbitral afin qu'il mette en œuvre une expertise analytique, puis rende un nouveau jugement (9C_167/2010).

20.2 Déterminer si des cas traités par le défendeur devraient ou non être qualifiés de « cas lourds », revient en l'occurrence à comparer le nombre de ses patients, le nombre et la durée de ses consultations et la quantité de prescriptions de médicaments, avec ceux de ses confrères.

20.2.1 En l'espèce, le défendeur a traité 223 patients pour 2017, 162 pour 2018 et 109 pour 2019, alors que ceux des médecins du groupe de comparaison, n'ont pas dépassé le nombre de 60 pour chacune des trois années (cf. pièce chargé dem. du 2 juillet 2021).

Or, une patientèle plus importante en termes de quantité ne plaide pas en faveur de l'existence de « cas lourds », bien au contraire (ATAS 1065/2021). Traiter davantage de patients tend plutôt à indiquer une patientèle « ordinaire ».

20.2.2 Le nombre de consultations et leur durée sont en revanche de nature à fournir un indice pertinent sur la présence de « cas lourds » dans la patientèle du fournisseur de prestations. Une patientèle composée de "cas lourds" peut en effet avoir un impact sur la durée du traitement, et partant, sur le nombre de consultations.

20.2.2.1 Dans un arrêt du 30 septembre 2021 (ATAS/1065/21), le Tribunal arbitral a admis, dans l'affaire qui lui était en l'occurrence soumise, que les « cas lourds » nécessitaient des consultations plus longues, pour finalement constater que la durée moyenne d’une consultation de ce fournisseur de prestations (31 minutes) était plus ou moins comparable à celle des médecins de son groupe de comparaison (38 minutes) et ne permettait dès lors pas à elle seule à augmenter la marge de tolérance.

Dans ce même arrêt, le fournisseur de prestations alléguait au contraire que ce sont les cas « ordinaires », en lien par exemple avec la petite chirurgie, qui font l'objet de consultations plus nombreuses.

20.2.2.2 En l'espèce, l'indice de prestations de base par malade (nombre de consultations) du défendeur est de 2,5 pour chacune des années 2017 et 2018 et de 2,2 pour 2019. Celui du groupe de comparaison est plus bas; il est le même pour les trois années, soit 1,9 (cf. pièce 7 chargé dem. du 2 juillet 2021).

20.2.2.3 Il est ainsi possible que la différence entre l'indice du défendeur et celui de ses confrères soit due à la présence de « cas lourds », de sorte que la marge de tolérance pourrait être augmentée. On ignore toutefois à quelle hauteur.

20.2.3 Le traitement de « cas lourds » peut également se répercuter sur la prescription de médicaments.

20.2.3.1 Lorsque le médecin dispense plus de médicaments que la moyenne de ses confrères exerçant dans le même canton, il est possible de conclure qu'il traite un nombre supérieur à la moyenne de "cas lourds", pour autant que les prescriptions des médicaments aient été justifiées dans tous les cas (9C_570/2015). Un indice de coûts indirects relatifs aux médicaments élevé rend en effet vraisemblable que le médecin concerné traite des patients avec des pathologies lourdes.

Ainsi, dans un arrêt du 20 février 2008, le tribunal arbitral, se fondant sur les statistiques anonymisées d'un médecin, dont la clientèle était constituée de plus de 80% de « cas lourds » toxicomanes, produites par SANTÉSUISSE, a, sur cette base, considéré que le traitement de « cas lourds » se répercutait sur la prescription de médicaments, et admis que le coût élevé des médicaments prescrits était justifié (ATAS/227/2008).

20.2.3.2 En l'espèce, le total de médicaments/patient pour le défendeur est très haut, soit 545 pour 2017, 470 pour 2018 et 486 pour 2019, contre 40, 39 et 38 respectivement, pour les médecins du groupe de comparaison (cf. pièce 7 chargé dem. du 2 juillet 2021). L'indice de régression médicaments est de 1149, de 1003 et de 948 pour chacune de ces années.

20.2.3.3 Il résulte de ce qui précède que de tels chiffres permettraient de considérer, au degré de vraisemblance prépondérante, que la patientèle du défendeur comprend des « cas lourds », dans la mesure où le traitement de ces cas se répercute sur la prescription de médicaments. Il pourrait ainsi être admis que le défendeur a suivi en 2018 et 2019 un nombre important de patients qualifiés de « cas lourds », par rapport aux autres médecins, et que ces patients ont engendré des coûts moyens par patient considérables, sans aucune comparaison avec le coût moyen par patient de l'ensemble des médecins de sa spécialité.

Il est vrai qu'à aucun moment, le défendeur n'apporte une explication quant à la raison pour laquelle son indice de coûts des médicaments dépasse autant celui de ses confrères. On ne comprend en particulier pas pourquoi les pathologies liées à la trompe d'Eustache impliqueraient la prescription de médicaments plus nombreux et plus coûteux.

Il n'en est pas moins vrai que des « cas lourds » étaient traités par le défendeur et qu'ils ne peuvent qu'être pris en considération à titre de particularités.

21.    Force est, au vu de ce qui précède, d'admettre, au degré de vraisemblance requis par la jurisprudence, que la pratique médicale du défendeur comporte des particularités qui justifieraient un coût moyen par patient plus élevé et, partant, l'admission d'une marge supplémentaire qui viendrait s'ajouter à la marge de tolérance déterminée au préalable (arrêt du Tribunal fédéral K 5/07 consid. 3.2).

22.    SANTÉSUISSE a en l'espèce pris en compte une marge de tolérance de 20%, tant pour 2018 que pour 2019.

Selon la jurisprudence, la marge de tolérance permet de tenir compte des particularités et différences entre les cabinets médicaux, ainsi que des imperfections de la méthode statistique en neutralisant certaines variations statistiques (arrêt du Tribunal fédéral 9C_260/2010 du 27 décembre 2011 consid. 4.3). Elle ne doit pas dépasser l'indice de 130 afin de ne pas vider la méthode statistique de son sens et doit se situer entre les indices de 120 et de 130 (arrêt du Tribunal fédéral K 6/06 du 9 octobre 2006 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral K 150/03 du 18 mai 2004 consid. 6.1).

Il y a lieu d'observer que les assureurs prennent généralement en compte un indice de tolérance de 130 pour calculer le montant dont ils réclament la restitution au fournisseur de prestations auprès du tribunal arbitral. SANTÉSUISSE a toutefois retenu un indice de 120 en l'espèce pour les années 2018 et 2019, au motif qu'elle a appliqué l'analyse de régression, et envisage même de fixer la limite supérieure en dessous des 120 points d'indice dorénavant, au vu des optimisations que présente la nouvelle méthode.

On peut en effet admettre dans le cas d'espèce qu'un indice de 120 est fondé, dès lors que l'analyse de régression constitue précisément le développement de la méthode ANOVA, est plus précise et tend à améliorer la qualité de la procédure d'examen de l'économicité des médecins de façon significative.

23.    Cela étant, il résulte de l'examen auquel il a été procédé plus haut, au considérant 20, que des particularités de la pratique médicale du défendeur doivent être prises en compte, ce qui implique que cet indice de tolérance de 120 soit augmenté.

Il y a à cet égard lieu de rappeler qu'il appartient au juge de motiver clairement l'indice supplémentaire retenu (K 148/04).

Or, un calcul pour déterminer les effets de ces particularités, et partant, l'ampleur de cette augmentation, est difficile à établir, compte tenu des circonstances du cas d'espèce. On ne saurait toutefois envisager que, pour cette seule raison, on n'en tienne pas compte.

Il importe de constater que SANTÉSUISSE avait admis que la spécialisation des pathologies de la trompe d'Eustache du défendeur venait distinguer sa pratique de celle de ses confrères, considérant qu'elle justifiait la longueur de ses consultations et était à l'origine du coût des médicaments (IPP) qu'il prescrivait au titre de traitement de première intention avant une intervention. Elle avait, en conséquence, toléré des indices RSS à hauteur de 250 points pour chacune des années statistique 2009 et 2010, de 227 pour 2011, de 221 pour 2012 et de 253 pour 2013, quand bien même ces indices étaient plus élevés que ceux des médecins ORL composant le groupe de comparaison. Elle a toutefois considéré que l'augmentation aussi importante que celle qui était constatée chaque année depuis 2015, ne pouvait plus être expliquée par la spécialisation des pathologies de la trompe d'Eustache.

Certes ne peut-on pas reprendre, pour les années 2018 et en 2019, ces indices RSS allant de 221 à 253 points, dès lors que si le défendeur apparaissait comme un pionnier en la matière en 2009, tel n'est plus le cas en 2018 ou en 2019. Comme il l'a été constaté au considérant 18.2, il est en effet hautement vraisemblable que le défendeur ne peut plus être considéré comme étant le seul à traiter les patients souffrant de pathologies liées à la trompe d'Eustache.

On peut en revanche se fonder sur la moyenne des indices RSS de 2009 à 2014, années durant lesquelles ils étaient acceptés par SANTÉSUISSE, ce qui donne le nombre de 244 points. Il apparait ensuite équitable de réduire ce nombre de moitié, pour tenir compte, d'une part, du fait que le défendeur ne peut plus être considéré comme un pionnier en la matière en 2018 et 2019, et d'autre part, qu'il s'agit d'indices RSS, en l'occurrence plus élevés que les indices de régression. L'indice supplémentaire est en conséquence fixé à 122 points.

24.    Reste à déterminer quelle méthode statistique doit être utilisée pour calculer le montant de la somme à restituer.

En l’espèce, les demanderesses réclament au défendeur, pour les années statistiques 2018 et 2019, la restitution, principalement, de montants calculés selon l’indice de régression et, subsidiairement, selon l’indice ANOVA.

22.1 Selon l'art. 56 al. 6 LAMal, entré en vigueur le 1er janvier 2013, les fournisseurs de prestations et les assureurs conviennent d'une méthode visant à contrôler le caractère économique des prestations. La disposition transitoire relative à cette modification prescrit que le Conseil fédéral fixe pour les fournisseurs de prestations visés à l'art. 35 al. 2 let. a LAMal la méthode visant à contrôler le caractère économique des prestations, si les assureurs et les fournisseurs de prestations ne sont pas convenus d'une méthode dans un délai de 12 mois suivant l'entrée en vigueur de la présente modification.

Le 27 décembre 2013 / 16 janvier 2014, les fournisseurs de prestations, par l'intermédiaire de la Fédération des médecins suisses (FMH), et les assureurs-maladie, représentés par SANTÉSUISSE et CURAFUTURA, ont conclu un accord, aux termes duquel le contrôle de l'économicité de la pratique médicale est effectué sur la base de la méthode ANOVA. Le Tribunal fédéral a jugé que cet accord n'était pas contraire à la loi.

Le Tribunal fédéral s'est déjà prononcé sur l'application du modèle d'analyse de variance (méthode ANOVA) pour le contrôle du caractère économique des prestations en relation avec la restitution des honoraires en raison d'une pratique non économique. Il a admis que l'accord des fournisseurs de prestations et des assureurs (FMH ainsi que SANTÉSUISSE et CURAFUTURA) sur la méthode ANOVA pour ledit contrôle ne pouvait pas être qualifié d'illégal (ATF 144 V 79), malgré la critique exprimée par une partie de la doctrine à ce sujet (cf. les références dans l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_267/2017 du 1er mars 2018 consid. 6.2 in fine ; cf. aussi Gebhard Eugster, KVG Baustelle statistische Wirtschaftlichkeitsprüfung, Jusletter du 27 août 2012 n° 13 s., 61 et 80 s.) et les possibilités d'améliorer le système prévu (arrêt du Tribunal fédéral 9C_517/2017 du 8 novembre 2018 consid. 5.2 et les références). 

La méthode ANOVA n'a ainsi pas été remise en cause, ni en relation avec la base de données statistiques RSS (Rechnungssteller-Statistik), ni en tant que modèle mathématique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_150/2020 ; ATF 144 V 79 consid. 5 ; ATAS/27/2020).

22.2 La Fédération des médecins suisses - FMH, SANTÉSUISSE et CURAFUTURA ont, en collaboration avec POLYNOMICS SA, perfectionné la méthode ANOVA en une analyse de régression en deux étapes (méthode de screening). Par convention des 10 juillet / 15 août / 23 août 2018, les parties contractantes se sont engagées à adopter et appliquer cette nouvelle méthode. De ce fait, la méthode ANOVA a été remplacée par l’analyse de régression en deux étapes qui s’applique désormais comme nouvelle méthode au sens de l’art. 56 al. 6 LAMal, la première fois pour l’année statistique 2017.

La nouvelle analyse de régression en deux étapes est, partant, le développement de la méthode ANOVA.

La première étape a pour but de quantifier la part des coûts totaux par malade qui ne peut s'expliquer par des critères de morbidité par rapport aux coûts moyens d'un médecin du même groupe spécialisé de médecins en Suisse. À la différence de la méthode ANOVA, l'analyse de régression inclut non seulement, comme par le passé, les critères de morbidité de l'âge et du sexe, mais également, en plus - afin d'optimiser la méthode de screening statistique - les critères « franchise à option », « séjour dans un hôpital ou dans un établissement médico-social l'année précédente », ainsi que les « pharmaceutical cost groups - PCG ». Ces critères choisis ne peuvent pas être influencés par le médecin, mais représentent le profil clinique de ses patients. Dans ce cadre, ce n'est pas l'effet d'un critère individuel sur les coûts de traitement d'un médecin qui est déterminant, mais l'addition de leurs influences indépendantes les unes des autres.

Lors de la deuxième étape de l'analyse de régression, le solde des coûts inexplicables du médecin en question est corrigé par deux critères supplémentaires. Il s'agit, d'une part, du critère du canton d'établissement du cabinet médical (en raison des différences de valeur du point tarifaire TARMED, des coûts de loyer et de personnel, etc.), au demeurant déjà pris en considération dans la méthode ANOVA, et, d'autre part, de critères spécifiques liés à la spécialisation du groupe de médecins. Avec ces derniers critères, il est tenu compte du fait que certains groupes spécialisés de médecins fournissent typiquement des prestations plus chères que d'autres. Il s'agit de facteurs qui sont constants par médecin et qui ne varient ainsi pas au sein d'une communauté de patients. Après ces corrections, on obtient la part des coûts par malade qui est potentiellement non économique.

À partir de l'effet du cabinet médical ainsi épuré en deux étapes, on calcule ensuite, au moyen de l'analyse de régression, un indice, appelé indice de régression. Cet indice démontre par combien de points de pourcentage les coûts par malade d'un médecin diffèrent des coûts moyens du groupe de comparaison. Les médecins qui dépassent la valeur moyenne de l'indice de 100 points de manière significative sont considérés comme statistiquement hors norme. Pour tous les types de coûts (coûts totaux, coûts directs du médecin, coûts directs et indirects de pharmacies, de laboratoires et de LiMA ainsi que des physiothérapies prescrites), une analyse de régression propre avec des indices séparés est effectuée. Pour l'examen de l'économicité (polypragmasie), c'est l'indice des coûts totaux qui est déterminant.

22.3 Le Tribunal fédéral a clairement confirmé le caractère admissible du recours à la méthode statistique comme moyen de preuve permettant d'établir le caractère économique ou non des traitements prodigués par un médecin donné, considérant que cette méthode permet un examen anonyme, standardisé, large, rapide et continu de l'économicité par rapport à une méthode analytique coûteuse, difficile à réaliser à large échelle et mal adaptée lorsqu'il s'agit de déterminer l'ampleur de la polypragmasie et le montant à mettre à charge du médecin, en deuxième lieu, que la méthode statistique comprend une marge de tolérance qui permet de prendre en considération les spécificités d'une pratique médicale et de neutraliser certaines imperfections inhérentes à son application, le médecin gardant en effet la possibilité de justifier une pratique plus onéreuse que celle des confrères appartenant à son groupe de comparaison.

22.4 Si la méthode ANOVA a été reconnue par le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 9C_774/2020 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C 264/2017), tel n'est pas le cas en l'état de la nouvelle analyse de régression.

Dans un arrêt rendu le 7 juillet 2023 (ATAS 567/2023), le Tribunal de céans a toutefois jugé que rien ne faisait obstacle à l'application de la méthode de régression, considérant qu'elle représentait un moyen efficace d'identifier, de manière encore plus précise qu'avec la méthode ANOVA, les fournisseurs de prestations dont les coûts sont statistiquement élevés, ce même si elle restait perfectible. Aussi a-t-il établi le montant de la restitution sur la base de cette méthode. Cet arrêt est entré en force de chose jugée sur ce point.

Le même raisonnement peut être tenu en l'espèce.

25.    Il résulte de ce qui précède que le trop-perçu des prestations doit être établi sur la base de la méthode de régression et avec un indice de tolérance de 242 (120 + 122). Les chiffres suivants sont ainsi pris en considération :

2018 2019

Coûts totaux (CT) CHF 289'048.- CHF 171'652.-

Coûts totaux directs (CTD) CHF 212'262.- CHF 118'074.-

Indice de régression

des coûts totaux (IR) 419 points 355 points

Indice de tolérance (IT) 242 points 242 points

 

Aussi, selon la formule mathématique applicable CT / IR x (IR-IT) x CTD / CT, les montants à restituer par le défendeur sont-ils de CHF 89'667.- [289'048 / 419 x (419 – 242) x 212'262 / 289'048] pour l'année statistique 2018 (cf. pièce 6 chargé dem. du 8 juillet 2020) et de CHF. 37'584.- [171'652 / 355 x (355 – 242) x 118'074 / 171'652] pour l'année statistique 2019 (cf. pièce 7 chargé dem. du 5 juillet 2021).

La demande est en conséquence partiellement admise et le défendeur condamné à payer à SANTESUISSE la somme totale de CHF 127'251.-, à charge pour elle de la répartir en faveur des demanderesses.

26.    La procédure devant le Tribunal arbitral n’est pas gratuite. Conformément à l’art. 46 al. 1 LaLAMAL, les frais du tribunal et de son greffe sont à la charge des parties. Ils comprennent les débours divers (notamment indemnités de témoins, port, émolument d’écriture), ainsi qu’un émolument global n’excédant pas CHF 15'000.-. Le tribunal fixe le montant des frais et décide quelle partie doit les supporter (art. 46 al. 2 LaLAMAL).

En l'occurrence, SANTÉSUISSE obtient gain de cause à raison du 55% de ses conclusions de CHF 229'633.- pour 2018 et 2019. Par conséquent, les frais seront mis à sa charge à raison de 45% et à la charge du défendeur à raison de 55%.

Ceux-ci comprennent un émolument de justice de CHF 4'000.- et les frais du Tribunal de céans de CHF 13'051.25.


PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL ARBITRAL DES ASSURANCES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare la demande recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Condamne le défendeur à verser à SANTÉSUISSE, à charge pour elle de la répartir entre les demanderesses, la somme de CHF 127'251.-.

4.        Met un émolument de justice de CHF 4'000.- et les frais du Tribunal de céans de CHF 13'051.25 à la charge du défendeur à raison de 55% et à la charge des demanderesses à raison de 45%.

5.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente suppléante

 

 

 

Doris GALEAZZI

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le