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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/151/2017

ATA/162/2018 du 20.02.2018 ( TAXIS ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/151/2017-TAXIS ATA/162/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 février 2018

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Jacques Roulet, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR



EN FAIT

1) Monsieur A______, titulaire d’une carte professionnelle de chauffeur de taxi (ci-après : la carte professionnelle) délivrée le 5 octobre 2007, a été autorisé, en date du 13 décembre 2013, par le service du commerce, devenu depuis lors le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN ou le service), à exploiter en qualité d’indépendant un taxi de service public (ci-après : autorisation d’exploiter), conformément aux dispositions légales alors en vigueur (Loi sur les taxis et limousines ; transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles du 21 janvier 2005 - LTaxis).

2) Par ordonnance pénale du 9 juin 2016, le Ministère public a reconnu M. A______ coupable de lésions corporelles simples avec un objet dangereux – un tournevis à bout pointu – à l’encontre d’un chauffeur de limousine, infraction commise à tout le moins par dol éventuel. Le 10 janvier 2016, une altercation était survenue entre les deux hommes, M. A______ reprochant au chauffeur de limousine d’être stationné sur une place réservée aux taxis de service public et de travailler pour une société de transport avec chauffeur alors controversée. Selon l’expertise médicale, le chauffeur de limousine avait subi trois plaies superficielles au niveau du dos, compatibles avec le tournevis trouvé par la police dans le véhicule de M. A______. Un éventuel état de légitime défense était exclu, M. A______ ayant agi alors que son adversaire quittait les lieux. Ses motivations relevaient d’un comportement colérique mal maîtrisé aux dépens d’autrui.

M. A______ n’a pas fait opposition à l’ordonnance pénale, laquelle est entrée en force.

Les éléments factuels utiles seront détaillés en tant que de besoin dans les considérants en droit.

3) Le 31 août 2016, le service a informé M. A______ que la condamnation susmentionnée, ainsi qu’une infraction à la LTaxis qui finalement ne sera pas retenue et n’est donc plus litigieuse, étaient susceptibles d’entraîner une mesure administrative pouvant aller jusqu’à la révocation de sa carte professionnelle. Il était invité à faire parvenir ses éventuelles observations dans un délai fixé.

4) Le 30 septembre 2016, M. A______ a contesté que sa condamnation pénale soit de nature à entraîner la révocation de sa carte professionnelle. Il reconnaissait certes les faits mais il s’agissait d’une perte de maîtrise due au stress et à l’échange de coups dans le cadre d’une altercation au cours de laquelle lui-même avait été agressé. Il s’était défendu. Il s’agissait d’un acte isolé qu’il regrettait profondément. Il n’avait pas d’antécédents. Son activité professionnelle était indispensable pour l’entretien de son épouse sans activité lucrative et de leurs quatre enfants mineurs et la perte de sa carte professionnelle serait disproportionnée.

5) Par décision du 25 novembre 2016, le service a révoqué la carte professionnelle de M. A______ ainsi que l’autorisation d’exploiter. Il a en outre ordonné la restitution des plaques d’immatriculation de son véhicule, le tout assorti de la menace de la peine d’amende prévue à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0). Au moment du dépôt des plaques d’immatriculation, il aurait droit de percevoir un montant compensatoire de CHF 40'000.-.

Sa condamnation pénale portait sur des faits particulièrement graves, présentant un lien étroit avec son activité professionnelle, dès lors qu’ils avaient été commis dans l’exercice de cette dernière. L’absence d’antécédents ne permettait pas de compenser cette gravité. La condition de l’honorabilité nécessaire pour exercer la profession de chauffeur de taxi n’était plus remplie et ne le serait plus tant que la condamnation pénale figurerait au casier judiciaire de l’intéressé. Le retrait de la carte professionnelle entraînait de facto la révocation de l’autorisation d’exploiter un taxi de service public, la première étant une condition d’obtention de la seconde.

6) Le 13 janvier 2017, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant principalement à son annulation et, subsidiairement, au renvoi du dossier au PCTN pour nouvelle décision. Il reprenait sa détermination adressée au service, insistant sur le contexte de l’infraction, son caractère isolé et la disproportion de la mesure, qui portait gravement atteinte à sa liberté économique. Si sanction il devait y avoir à son encontre, elle devait être moins incisive.

7) Le 3 mars 2017, le PCTN a persisté dans sa décision et a conclu au rejet du recours. Le PCTN était lié par les constatations de l’autorité de poursuite pénale et était dès lors fondé à considérer que le comportement de M. A______, qui minimisait sa responsabilité et n’avait pas exprimé de repentir, remettait en cause son honorabilité et était incompatible avec l’exercice de sa profession. La révocation était la seule mesure adéquate pour assurer le respect de la sécurité publique, compromise par le comportement de M. A______. Celui-ci pourrait solliciter une nouvelle carte professionnelle trois ans après sa condamnation.

8) Le 7 avril 2017, M. A______ a exercé son droit à la réplique, persistant dans ses conclusions.

9) Le 13 avril 2017, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision du PCTN du 25 novembre 2016 révoquant la carte professionnelle et l’autorisation d’exploiter, dont le recourant est titulaire.

3) Le 1er juillet 2017 est entrée en vigueur la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (LTVTC - H 1 31) qui a abrogé la loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005 (LTaxis - H 1 30).

En l’espèce, les faits retenus dans la décision attaquée se sont tous déroulés entièrement sous l’ancien droit. La présente cause visant à déterminer si le recourant remplit ou non les conditions pour conserver sa carte professionnelle et son autorisation d’exploiter, elle est soumise à la LTaxis et à ses dispositions d’exécution.

4) a. La carte professionnelle confère au chauffeur le droit d'exercer son activité comme chauffeur de taxi ou de limousine indépendant ou comme employé d'un tel chauffeur, ainsi qu'en qualité d'employé d'une entreprise de taxis ou de limousines ou de locataire d'un véhicule d'une entreprise de taxis de service public (art. 6 al. 1 LTaxis). Cette carte est délivrée par le PCTN lorsque le requérant remplit les conditions posées par l’art. 6 al. 2 LTaxis, dont celle d’offrir des garanties de moralité et de comportement suffisantes (art. 6 al. 2 let. c LTaxis).

b. Le PCTN peut notamment considérer que n’offre pas ces garanties suffisantes le requérant qui, dans les trois ans précédant le dépôt de la requête, a commis un délit ou un crime au sens du code pénal dénotant un comportement pouvant mettre en péril le bon exercice d'une profession de transport de personnes (art. 3 al. 3 let. b du règlement d’exécution de la loi sur les taxis et limousines, transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles du 4 mai 2005 - Rtaxis - H I 30.01).

c. Le département révoque notamment les cartes professionnelles et les autorisations d’exploiter, lorsque les conditions de leur délivrance ne sont plus remplies. Les dispositions de la LTaxis relatives aux sanctions administratives sont réservées (art. 31 al. 1 LTaxis).

d. Dans la définition de la notion d'honorabilité, que l'on retrouve dans d'autres textes légaux genevois – loi concernant le concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (CES - I 2 14) ; loi sur la vente à l'emporter des boissons alcooliques du 22 janvier 2004 (LVEBA - I 2 24) ; loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49) ; loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) - il s'agit avant tout de déterminer si le comportement de la personne exerçant ou voulant exercer une activité soumise à autorisation, est compatible avec ladite activité (ATA/1570/2017 du 5 décembre 2017 consid. 8 a). Le Tribunal administratif, dont la chambre administrative a repris les compétences, a rendu plusieurs arrêts ayant trait à la notion d’honorabilité. Cette notion, uniforme, doit être comprise en rapport avec les faits reprochés à la personne concernée et à l’activité qu’elle entend déployer, une fois qu’elle aurait été reconnue comme honorable. Une condamnation pénale n’est pas le seul critère pour juger de l’honorabilité d’une personne, et ce même si le simple fait que celle-ci ait été impliquée dans une procédure pénale puisse suffire à atteindre son honorabilité. Cette question doit cependant être examinée en fonction de la nature des faits reprochés, de la position qu’elle a prise à l’égard de ceux-ci et de l’issue de la procédure proprement dite (ATA/565/2013 du 28 août 2013 et les références citées).

e. Concernant les chauffeurs de taxi, le Tribunal administratif a retenu qu’une violation grave des règles de la circulation routière et une tentative d’induction de la police en erreur ne suffisaient pas en soi à refuser la délivrance de la carte professionnelle de chauffeur de taxi plus de deux ans après les faits (ATA/770/2002 du 3 décembre 2002). En revanche, un chauffeur de taxi condamné pour lésions corporelles graves, qui avait commis un excès de vitesse trois ans après, ne remplissait plus les conditions d’exercice de la profession de chauffeur de taxi (ATA/206/2003 du 8 avril 2003). Il en allait de même d’un chauffeur de taxi condamné à trois reprises par voie d’ordonnances pénales pour des infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121 ; ATA/946/2003 du 16 décembre 2003), ou d’un chauffeur qui avait été condamné pour faux dans les certificats et à une peine d’emprisonnement (ATA/76/2005 du 15 février 2005).

En outre, dans deux cas où des actes de violence étaient reprochés à des chauffeurs de taxi, le Tribunal administratif a admis qu’un chauffeur de taxi condamné pour lésions corporelles graves en 1999, puis qui avait commis un excès de vitesse en septembre 2002, ne remplissait plus les conditions pour exercer la profession de chauffeur de taxi (ATA M. du 8 avril 2003). De même, un chauffeur de taxi qui avait été impliqué dans deux altercations à deux ans d’intervalle alors qu’il se trouvait au volant de sa voiture privée a été considéré comme ne remplissant pas la condition de l’honorabilité de l’art. 6 al. 2 let. c LTaxis, ce qui ne lui donnait pas droit à la carte professionnelle de chauffeur de taxi (ATA/126/2004 du 3 février 2004). En revanche, dans un cas d’altercation avec un collègue au sujet de la prise en charge d’une cliente, sanctionnée par une condamnation à une peine de douze jours-amende à CHF 35.-, assortie d’un sursis de trois ans, pour lésions corporelles simples de peu de gravité, la chambre administrative a retenu que le service ne pouvait pas, sur la base de cette seule condamnation, inférer que le chauffeur, qui n’avait aucun antécédent, était incapable de se contrôler et n’offrait plus des garanties de moralité et de comportement suffisantes, ce qui rendait nécessaire de révoquer sa carte professionnelle et son autorisation d’exploiter.

5) En l’espèce, le recourant a été condamné pour des faits survenus dans le cadre de son activité professionnelle, à l’occasion d’une altercation avec un chauffeur de limousine. Les faits se sont déroulés en deux temps, une première joute verbale s’étant terminée par échange de coups dont l’auteur du premier n’a pu être déterminé. À la suite de cela le chauffeur de limousine avait déplacé son véhicule, puis était revenu vers le recourant assis dans son taxi, et, selon un témoin, avait donné un coup dans sa direction à travers la fenêtre. Malgré ce déroulement particulier, le comportement du recourant est inadmissible et l’on ne peut le suivre lorsqu’il le présente comme une simple réaction de défense à une agression, l’ordonnance pénale excluant toute légitime défense dès lors que son adversaire était en train de quitter les lieux, qu’il l’avait rattrapé et l’avait légèrement blessé lors de l’échange de coup qui avait suivi.

Cela étant, le chauffeur de limousine n’a pas souhaité déposer plainte pénale et n’a pas pu être entendu par le Ministère public, d’abord parce qu’il était à l’étranger pour plusieurs missions, puis parce qu’il n’était plus joignable. Aucune confrontation n’a donc eu lieu, alors que les versions des protagonistes ne sont pas concordantes et, par ailleurs, qu’aucun des deux témoins auditionnés n’a entendu les échanges verbaux ni n’a assisté à toute l’altercation. En particulier, ceux-ci n’étaient pas présent lors du dernier accrochage au cours duquel le chauffeur de limousine a été blessé par le recourant. Sur ce point, les éléments retenus à l’encontre de ce dernier se fondent sur ses propres déclarations devant le procureur. Cela et le fait qu’il n’a pas fait opposition à l’ordonnance pénale alors qu’il ne pouvait ignorer les conséquences possibles d’une condamnation sur son activité professionnelle, permettent de retenir que le recourant n’a pas minimisé sa responsabilité.

Par ailleurs, le recourant n’a aucun antécédent sur le plan pénal et, à rigueur de dossier, n’a fait l’objet d’aucune mesure ou sanction administrative, pour des faits similaires ou d’autres incidents, depuis le début de son activité professionnelle.

Dans ces circonstances, en considérant sur la seule base d’une condamnation pénale sanctionnant un acte isolé que le recourant ne présentait plus les garanties de moralité et de comportement suffisantes pour exercer la profession de chauffeur de taxi et en révoquant en conséquence sa carte professionnelle et son autorisation d’exploiter, le service intimé a mésusé de son pouvoir d’appréciation. Le comportement du recourant devait être appréhendé sous l’angle des mesures et sanctions prévues aux art. 45 et 46 LTaxis.

Dès lors, la décision querellée sera annulée et le dossier retourné au PCTN pour nouvelle décision au sens des dispositions précitées, en tenant compte, s’il y lieu, de dispositions transitoires applicables de la législation actuellement en vigueur.

6) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement.

7) Aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée au recourant, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 janvier 2017 par Monsieur A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 25 novembre 2016 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 25 novembre 2016 ;

renvoie la cause au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Roulet, avocat du recourant, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Mme Junod, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :