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C/4926/2023

ACJC/293/2024 du 01.03.2024 sur OTPI/634/2023 ( SP ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/4926/2023 ACJC/293/2024

ARRÊT

 

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 1ER MARS 2024

Entre

A______ SA, sise ______ (VD) et
B______ SA, sise ______ (GE),
appelantes d'une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 9 octobre 2023, représentées par Me Mathieu SIMONA, avocat, Chabrier Avocats SA, rue du Rhône 40, case postale 1363, 1211 Genève 1,

et

FONDATION C______, sise ______ (GE), intimée, représentée par
Me Romaine ZÜRCHER, avocate, Rhône Avocat.e.s SA, rue du Rhône 100,
1204 Genève.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/634/2023 du 9 octobre 2023, reçue par les parties le 13 octobre 2023, le Tribunal de première instance, statuant par voie de mesures provisionnelles, a rejeté la requête en inscription provisoire d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs formée par A______ SA et B______ SA contre la FONDATION C______ le 17 mars 2023 (ch. 1 du dispositif), révoqué en conséquence l'ordonnance de mesures superprovisionnelles rendue le 17 mars 2023 dans la présente cause (ch. 2), dit que les chiffres 1 et 2 susmentionnés ne seraient exécutoires qu'après expiration du délai d'appel de l'article 314 al. 1 CPC et, en cas d'appel, pour autant que l'effet suspensif n'ait pas été accordé (ch. 3), mis à la charge de A______ SA et B______ SA les frais judiciaires en 1'800 fr. (ch. 4), les a condamnées conjointement et solidairement, à payer à la FONDATION C______ 6'900 fr. à titre de dépens (ch. 5) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

B. a. Le 23 octobre 2023, A______ SA et B______ SA ont formé appel de cette ordonnance, concluant à ce que la Cour de justice l'annule, constate que les conditions pour l'inscription provisoire d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs sont remplies, valide l'ordonnance de mesures superprovisionnelles du 17 mars 2023, maintienne l'inscription provisoire de l'hypothèque légale sur le bien-fonds n° 1______, commune de D______ [GE], propriété de la FONDATION C______, lui impartisse un délai de trois mois pour ouvrir action au fond, dise que l'inscription restera valable jusqu'à l'expiration de ce délai ou jusqu'à l'échéance d'un délai de 60 jours dès l'entrée en force du jugement au fond et la dispense de fournir des sûretés, le tout avec suite de frais et dépens.

b. Par arrêt ACJC/1445/2023 du 31 octobre 2023, la Cour a admis la requête de A______ SA et B______ SA tendant à l'octroi de l'effet suspensif à leur appel.

c. Le 6 novembre 2023, la FONDATION C______ a conclu préalablement à ce que la Cour condamne ses parties adverses à lui verser 100'000 fr. de sûretés "pour le dommage causé par l'inscription provisoire de l'hypothèque légale" sur le bien-fonds dont elle est propriétaire et, principalement, confirme l'ordonnance querellée, avec suite de frais et dépens.

Elle a produit une pièce nouvelle.

d. Les parties ont répliqué et dupliqué respectivement les 17 et 30 novembre 2023, persistant dans leurs conclusions.

Elles ont encore déposé des déterminations spontanées les 13 et 22 décembre 2023.

e. Elles ont été informées le 23 janvier 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. A______ SA et B______ SA sont liées par un contrat d'association d'entreprises conclu le 7 août 2020 sous le nom de consortium A______/B______.

Depuis le 6 octobre 2021, la FONDATION C______ est propriétaire des parcelles n° 2______ et 1______ de la commune de D______.

b. Par contrat du 17 octobre 2016, E______ SA a été mandatée par F______ SA, précédente propriétaire des parcelles susvisées, pour entreprendre la construction de cinq bâtiments industriels et artisanaux dans le cadre du projet nommé G______.

Dans ce cadre, par contrat du 4 septembre 2020, E______ SA a sous-traité au consortium A______/B______ la réalisation de travaux d'installations électriques dans les bâtiments 4______ et 3______ dudit projet, sis, respectivement sur les parcelles n° 2______ et 1______ susvisées, pour un prix de 4'229'917 fr. 50 TTC.

Des avenants au contrat de sous-traitance ont par la suite été signés. Les parties ont notamment conclu le 3 février 2022 un avenant n° 4, modifiant le prix de l'ouvrage suite à l'acceptation par E______ SA de plusieurs devis complémentaires. Cet avenant se référait, entre autres, à un devis n° 6______ du 29 novembre 2021, intitulé "Complément cuisine 5______ [H______], attique bâtiment".

c. L'attique du bâtiment 3______ était destiné notamment à abriter des locaux pour H______ [institution caritative], comprenant un restaurant.

d. Selon un tableau d'avancement des travaux établi par le consortium le 6 septembre 2021, les travaux d'électricité commandés par E______ SA pour les locaux de H______ étaient entièrement terminés en août 2021.

e. Selon un procès-verbal de réception de l'ouvrage du 30 septembre 2021, le bâtiment 3______ a été livré par E______ SA à F______ AG le 30 septembre 2021.

L'ouvrage était considéré comme reçu avec des défauts mineurs. Les documents annexés attestent notamment de la remise des clés et badges d'accès au bâtiment.

Le document daté du 30 septembre 2021 récapitulant les réserves de réception ne mentionne pas de réserve significative en lien avec les travaux d'électricité effectués par le consortium.

Ce procès-verbal de réception a été communiqué au consortium le 17 décembre 2021 par l'intermédiaire de la plate-forme informatique prévue à cet effet. Le consortium n'a pas émis de remarque s'agissant d'éventuels travaux restant encore à effectuer par ses soins.

f. Le 8 octobre 2021, une visite a eu lieu entre E______ SA et H______, future occupante des locaux, au terme de laquelle un état de lieux mettant en évidence quelques réserves mineures a été établi.

g. Il résulte d'un procès-verbal de réception de l'ouvrage signé entre F______ SA et E______ SA que le "Restaurant I______" et les locaux de H______ situés en attique du bâtiment 3______, achevés conformément au contrat d'entreprise du 17 octobre 2016, ont été reçus par le maître de l'ouvrage, avec des défauts mineurs, le 8 avril 2022.

h. Par courrier du 29 avril 2022, E______ SA a adressé au consortium une proposition de décompte final pour le projet G______ en lien, notamment, avec le contrat de sous-traitance relatif au bâtiment 3______. Elle relevait qu'une grande partie des devis remis par le consortium en cours de chantier correspondaient à des prestations incluses dans les contrats. Elle soulignait que l'ouvrage avait été remis depuis six mois aux propriétaires et espérait pouvoir trouver rapidement un accord pour clôturer ce projet.

Le 23 mai 2022 le consortium a répondu que ses devis concernaient des prestations réalisées, qui n'étaient pas incluses dans le contrat initial. Quatorze devis, concernant des prestations nécessaires, n'avaient pas été acquittés par E______ SA, pour un montant total de 908'904 fr. 12, soit 978'929 fr. 44 TTC.

i. Le 30 juin 2022, le consortium a adressé à E______ SA sa facture finale.

j. Le 3 octobre 2022, A______ SA a fait parvenir à J______, de la société K______ [architecture, ingénierie], deux devis suite à ses demandes des 18 et 19 août 2022 concernant [le projet] G______, H______, "Bâtiment 3______ - cuisine 5______".

Le premier devis, en 6'800 fr., portait sur l'installation du courant fort et des prises dans la cuisine en attique, la pose et raccordement de fiches T13, le raccordement des équipements de cuisine, appareils et luminaires (chambre froide, préparation chaude et envoi, fourneau, zone laverie). Ce devis prévoyait notamment des câblages et raccordements des appareils dans les interrupteurs de révision.

Le second, en 5'700 fr., portait sur l'installation du courant fort, prises et éclairage, le raccordement d'appareils, des fours, de la hotte et la modification de prises. Ce devis prévoyait également le raccordement direct dans les interrupteurs de révision et la mise à terre de meubles.

Ces deux devis ont été acceptés le 6 octobre 2022.

k. Le 22 novembre 2022, H______, désignée comme maître de l'ouvrage, représentée par la société K______, soit pour elle J______, direction des travaux, d'une part, et A______ SA, d'autre part, ont signé un procès-verbal de réception de l'ouvrage portant sur des travaux d'électricité effectués dans la cuisine de H______ selon les offres signées le 6 octobre 2022. Ce procès-verbal indique que l'ouvrage est considéré comme reçu, après l'élimination des défauts mineurs constatés (raccordement du dernier four, enroulement du câble de la braisière, correction de détails en lien avec la chambre froide).

Les montants dus selon les offres acceptées le 6 octobre 2022 ont été intégralement payés par H______.

l. Le consortium a produit plusieurs rapports de sécurité prévus par l'OIBT (Ordonnance sur les installations électriques à basse tension). Le rapport de contrôle final pour les bâtiments 4______ et 3______ date du 1er décembre 2022. Selon le contrôle du 29 septembre 2021, la cuisine et le restaurant du 6ème étage n'étaient pas terminés. Selon le rapport du 10 février 2022, il restait à contrôler l'"Installation I______" et H______.

m. Par acte déposé au greffe du Tribunal de première instance le 17 mars 2023, A______ SA et B______ SA ont formé une requête de mesures suerprovisionnelles et provisionnelles tendant à l'inscription provisoire d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs d'un montant de 978'929 fr. 44 plus intérêts sur la parcelle n° 1______ de la commune de D______, dont la FONDATION C______ est propriétaire.

Elles ont en outre conclu à ce que le Tribunal leur impartisse un délai pour introduire action au fond.

Elles ont notamment allégué que les travaux dans le bâtiment 3______ avaient été achevés le 22 novembre 2022, date à laquelle elles avaient procédé à la mise en place de la cuisine de H______, située au niveau de l'attique du bâtiment. Cette mise en place avait consisté en travaux de "cheminement", de câblage, de raccordement et mise en service de deux fours, d'une braisière, d'une salamandre, de deux plaques à induction, de deux hottes, d'une chambre froide, d'une cellule froide, de cinq tiroirs froids, ainsi que de mise à la terre des éléments de la cuisine en inox. Elles se sont prévalues du fait que les travaux dans la cuisine de H______ étaient mentionnés dans l'annexe 1 au contrat de sous-traitance. Elles ont produit ladite annexe, dans une version toutefois illisible.

n. Par ordonnance du 17 mars 2023, le Tribunal a fait droit à la requête sur mesures superprovisionnelles.

o. La réquisition d'inscription de l'hypothèque légale a été déposée au Registre foncier le ______ mars 2023.

p. Le 8 mai 2023, la FONDATION C______ a conclu au rejet de la requête.

Elle a notamment contesté le respect du délai de quatre mois pour l'inscription de l'hypothèque légale. Le bâtiment 3______ dans son ensemble, puis l'aménagement spécifique que constituait le restaurant de H______, avaient été livrés par E______ SA à F______ SA respectivement les 30 septembre 2021 et 8 avril 2022. Les travaux réceptionnés le 22 novembre 2022 étaient sans lien avec le contrat de sous-traitance conclu entre le consortium et E______ SA.

q. Par réplique du 2 juin 2023, A______ SA et B______ SA ont persisté dans leurs conclusions.

r. Par duplique du 30 juin 2023, la FONDATION C______ en a fait de même.

s. Les parties ont encore déposé des déterminations spontanées les 14 et 31 juillet 2023, persistant dans leurs conclusions.

La FONDATION C______ a nouvellement conclu, dans sa dernière écriture, à ce que ses parties adverses soient astreintes à fournir des sûretés d'un montant de 100'000 fr. pour le dommage causé par l'inscription provisoire de l'hypothèque légale.

t. La cause a été gardée à juger par le Tribunal le 1er septembre 2023.

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC), lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

En l'espèce, l'appel a été introduit en temps utile, selon la forme prescrite par la loi (art. 311 al. 1 CPC) et porte sur des conclusions supérieures à 10'000 fr.

Il est donc recevable.

1.2 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). La requête en inscription provisoire d'une hypothèque légale étant soumise à la procédure sommaire (art. 248 let. d et 249 let. d ch. 5 CPC), elle peut s'en tenir à la vraisemblance des faits allégués et à un examen sommaire du droit (ATF 127 III 474 consid. 2b/bb, JdT 2002 I 352; arrêt du Tribunal fédéral 5A_297/2016 du 2 mai 2017 consid. 2.2).

2. L'intimée a produit une pièce nouvelle.

2.1 Selon l'article 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard et s'ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise.

2.2 En l'espèce, la pièce produite par l'intimée est une attestation émanant d'un fournisseur de cuisines établie suite à une demande de l'intimée du 1er novembre 2023. L'intimée aurait pu obtenir ce document plus tôt et le fournir au Tribunal, de sorte qu'elle est irrecevable.

3. Les appelantes ont formulé différents griefs à l'encontre de l'état de fait rédigé par le Tribunal. Celui-ci a été complété de manière à y intégrer tous les faits pertinents pour l'issue du litige.

4. Le Tribunal a retenu qu'il était hautement vraisemblable que le délai de quatre mois dès l'achèvement des travaux prévu par l'art. 839 al. 2 CC pour requérir l'inscription de l'hypothèque légale n'avait pas été respecté. L'avis de réception des travaux du 22 novembre 2022 invoqué par les appelantes à l'appui de leur requête ne concernait pas le contrat de sous-traitance litigieux conclu par les appelantes avec E______ SA mais des travaux commandés par un tiers, à savoir H______, lesquels avaient été entièrement réglés. Les appelantes se prévalaient d'une annexe illisible au contrat pour soutenir que les travaux réceptionnés le 22 novembre 2022 faisaient partie de prestations commandées par E______ SA. L'achèvement des travaux à une date antérieure au 22 novembre 2022 était corroborée par le fait que le tableau d'avancement des travaux, daté d'août 2021, mentionnait que ceux portant sur les locaux de H______ avaient été exécutés à 100 %. De plus, le rapport OIBT avait été établi à la suite d'une visite au mois de février 2022.

Les appelantes font valoir que "compte tenu de l'absence de procès-verbal de réception d'ouvrage fourni par E______ SA" pour les travaux d'installation électrique dans la cuisine de H______, elles sont "parties du principe" que l'avis de réception du 22 novembre 2022 valait également "pour les travaux complémentaires requis par E______ SA". L'avis de réception du 8 avril 2022 ne concernait pas les travaux exécutés par leurs soins dans la cuisine de H______ mais seulement dans le restaurant. Les travaux de la cuisine ne pouvaient pas être achevés avant la livraison des meubles et équipement en novembre 2022. Le tableau d'avancement des travaux d'août 2021 n'était pas déterminant car il ne mentionnait ni les postes installations à courant fort et faible relatifs à la cuisine de H______, ni ceux correspondant à l'avenant n° 4. Les travaux réceptionnés le 22 novembre 2022 comprenaient des "interrupteurs de révision" dont la pose était indispensable pour des raisons de sécurité et qui étaient inclus dans le contrat de sous-traitance, conformément à l'OIBT et la NIBT 2020. Se référant à un devis du 7 mai 2020, les appelantes allèguent ainsi être intervenues "fin novembre 2022" dans la cuisine de H______ "pour le compte de E______ SA et de H______".

4.1 L'art. 837 al. 1 ch. 3 CC prévoit un droit à l'inscription d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs. L'inscription peut être requise dès le moment de la conclusion du contrat (art. 839 al. 1 CC) et doit être obtenue, à savoir opérée au registre foncier, au plus tard dans les quatre mois qui suivent l'achèvement des travaux (art. 839 al. 2 CC). Il s'agit d'un délai de péremption qui ne peut être ni suspendu ni interrompu, mais il peut être sauvegardé par l'annotation d'une inscription provisoire (ATF 126 III 462 consid. 2c/aa; arrêt du Tribunal fédéral 5A_518/2020 du 22 octobre 2020 consid. 3.1).

Le sous-traitant a un droit propre et indépendant à obtenir l’inscription d’une hypothèque légale sur le fonds d’un propriétaire avec qui il n’entretient pas de rapports contractuels. Ce droit peut être exercé parallèlement à celui de l’entrepreneur général et même si ce dernier a été payé par le propriétaire (BOVEY, CR-CC II, n. 24 et 25 ad art. 839 CC).

Il y a achèvement quand tous les travaux qui constituent l'objet du contrat d'entreprise ont été exécutés et que l'ouvrage est livrable. Ne sont considérés comme travaux d'achèvement que ceux qui doivent être exécutés en vertu du contrat d'entreprise et du descriptif, non les prestations commandées en surplus sans qu'on puisse les considérer comme entrant dans le cadre élargi du contrat. Des travaux de peu d'importance ou accessoires différés intentionnellement par l'artisan ou l'entrepreneur, ou bien encore des retouches (remplacement de parties livrées mais défectueuses, correction de quelque autre défaut) ne constituent pas des travaux d'achèvement (ATF 102 II 206 consid. 1a; arrêt du Tribunal fédéral 5A_518/2020 du 22 octobre 2020 consid. 3.1).

Les travaux effectués par l'entrepreneur en exécution de l'obligation de garantie prévue à l'article 368 al. 2 CO n'entrent pas non plus en ligne de compte pour la computation du délai. En revanche, lorsque des travaux indispensables, même d'importance secondaire, n'ont pas été exécutés, l'ouvrage ne peut pas être considéré comme achevé; des travaux nécessaires, notamment pour des raisons de sécurité, même de peu d'importance, constituent donc des travaux d'achèvement. Les travaux sont ainsi jugés selon un point de vue qualitatif plutôt que quantitatif (arrêt du Tribunal fédéral 5A_282/2016 du 17 janvier 2017 consid. 4.1).

Le délai de l'art. 839 al. 2 CC commence à courir dès l'achèvement des travaux, et non pas dès l'établissement de la facture; il s'ensuit que, lorsque des travaux déterminants sont encore effectués après la facturation et ne constituent pas des travaux de réparation ou de réfection consécutifs à un défaut de l'ouvrage, ils doivent être pris en compte pour le dies a quo du délai. Le fait que l'entrepreneur présente une facture pour son travail donne toutefois à penser, en règle générale, qu'il estime l'ouvrage achevé (arrêt du Tribunal fédéral 5A_518/2020 du 22 octobre 2020 consid. 3.1).

Il incombe à l'entrepreneur d'établir, ou à tout le moins de rendre vraisemblable que le délai de quatre mois a été respecté (BOVEY, op. cit., n. 87 ad art. 839 CC).

L'hypothèque légale des artisans et entrepreneurs ne peut être inscrite que si le montant du gage est rendu vraisemblable par la reconnaissance du propriétaire ou par la décision du juge (art. 839 al. 3 et 961 al. 3 CC).

Selon l'art. 961 al. 3 CC, le juge statue sur la requête et autorise l'inscription provisoire si le droit allégué lui paraît exister. Vu la brièveté et la nature péremptoire du délai de l'art. 839 al. 2 CC, l'inscription provisoire de l'hypothèque légale ne peut être refusée que si l'existence du droit à l'inscription définitive du droit de gage paraît exclue ou hautement invraisemblable. Le juge tombe dans l'arbitraire lorsqu'il rejette la requête en présence d'une situation de fait ou de droit mal élucidée, qui mérite un examen plus ample que celui auquel il peut procéder dans le cadre d'une instruction sommaire; en cas de doute, lorsque les conditions de l'inscription sont incertaines, il doit ordonner l'inscription provisoire (ATF 102 Ia 81 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5D_116/2014 du 13 octobre 2014 consid. 5.3).

4.2 En l'espèce, les appelantes font valoir qu'elles ont une créance de 978'929 fr. 44 à l'encontre de l'intimée en paiement de travaux d’électricité effectués par leurs soins dans les bâtiments 4______ et 3______ construits sur la parcelle de l'intimée, en application du contrat de sous-traitance conclu entre elles-mêmes et E______ SA le 4 septembre 2020.

Dans leur requête, elles ont allégué que les travaux dans le bâtiment 3______ s'étaient achevés le 22 novembre 2022, les dernières opérations ayant été effectuées dans la cuisine de H______ genevoise. Elles ont produit à l'appui des allégations précitées, un procès-verbal de réception de l'ouvrage daté du 22 novembre 2022.

Or, ce procès-verbal n'atteste pas de la réception de travaux effectués en application du contrat de sous-traitance conclu entre les appelantes et E______ SA le 4 septembre 2020. Il a trait à la réception de travaux commandés le 6 octobre 2022 par H______, représentée par le bureau K______, soit pour lui J______.

Les travaux objet du procès-verbal du 22 novembre 2022 ne sont ainsi pas des travaux commandés par E______ SA et ne sont pas compris dans le contrat de sous-traitance de septembre 2020. La comparaison de l'offre acceptée par H______ avec les travaux décrits dans la requête d'hypothèque légale comme étant les derniers travaux effectués permet en effet de retenir qu'il s'agit des mêmes travaux.

Or, il ressort du dossier que les factures émises par les appelantes suite à l'achèvement de ces travaux ont été entièrement réglées par H______.

L'ouvrage en lien avec lequel les appelantes allèguent avoir des créances a quant à lui été réceptionné par le maître de l'ouvrage, à savoir F______ SA, le 8 avril 2022, comme cela ressort du procès-verbal de réception du même jour signé par cette dernière et par E______ SA.

Aucun élément du dossier ne permet de retenir que l'avis de réception de l'ouvrage du 8 avril 2022 ne concerne pas la cuisine de H______ et seulement le restaurant L______, contrairement à ce qu'allèguent les appelantes. En effet, ledit procès-verbal mentionne les locaux de H______ dans leur ensemble, sans faire de réserve en lien avec la cuisine. Si les travaux commandés à E______ SA par le maître de l'ouvrage pour la cuisine de H______ n'avaient pas été terminés à cette date, cela aurait certainement fait l'objet d'une mention dans le procès-verbal de réception de l'ouvrage, ce qui n'a pas été le cas.

La réception de l'intégralité des locaux destinés à H______ en date du 8 avril 2022 est confirmée par le fait que, le 29 avril 2022, E______ SA a adressé aux appelantes une proposition de décompte final. Il ressort de plus de la réponse des appelantes à ce courrier, datée du 23 mai 2022, que les travaux faisant l'objet des factures qu'elles font valoir dans la présente procédure avaient tous été effectués à cette date (soit quatorze devis pour un montant total de 978'929 fr. 44 TTC).

A cela s'ajoute que les appelantes ont adressé leur facture finale à E______ SA le 30 juin 2022, ce qui confirme qu'elles considéraient que les travaux qui leur avaient été confiés par celle-ci étaient terminés à cette date.

Les allégations de l'intimée selon lesquelles les travaux ont été achevés bien avant le 22 avril 2022 sont qui plus est confirmées, comme l'a relevé à bon droit le Tribunal, par le tableau d'avancement des travaux établi par les appelantes en août 2021. Ce tableau indique en effet que les travaux en lien avec les locaux de H______ étaient entièrement terminés à cette date. Le fait que les postes installations à courant fort et faible ne soient pas mentionnés séparément dans ce tableau n'est pas déterminant. En effet, s'il restait des tâches à effectuer en lien avec les locaux de H______, les appelantes n'auraient pas indiqué sur ce tableau que ces travaux étaient terminés à 100%. Aucun élément du dossier ne rend par ailleurs vraisemblable que les postes correspondant à l'avenant n° 4 au contrat de sous-traitance manquaient dans ce tableau.

Par ailleurs, si, comme l'allèguent les appelantes, des "interrupteurs de révision", indispensables pour des raisons de sécurité à l'achèvement des travaux et inclus dans le contrat de sous-traitance, manquaient au moment de la réception de l'ouvrage intervenue le 8 avril 2022, cette omission aurait certainement été relevée par le maître de l'ouvrage et portée au procès-verbal de réception. Or, celui-ci ne mentionne rien de tel. En tout état de cause, l'offre acceptée par H______ le 6 octobre 2022 porte sur le raccordement aux interrupteurs de révision et non sur la pose de ceux-ci. La formulation de ladite offre implique ainsi que, en octobre 2022, lesdits interrupteurs avaient déjà été posés.

Il ne résulte pas non plus des dispositions prévues par l'OIBT et la NIBT (Norme sur les installations à basse tension), invoquées par les appelantes dans un raisonnement peu clair, que les travaux commandés par E______ SA se seraient achevés en novembre 2022.

Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, le fait que la cuisine n'était pas entièrement équipée le 8 avril 2022 n'est pas déterminant. En effet, la question à résoudre est celle de savoir à quelle date les travaux prévus par le contrat de sous-traitance ont été terminés, indépendamment de savoir si lesdits travaux comportaient ou non toutes les installations nécessaires à ce que la cuisine soit immédiatement fonctionnelle. Or, la pièce à laquelle se réfèrent les appelantes n'établit pas que les travaux d'électricité réceptionnés le 22 novembre 2022, concernant notamment le raccordement des équipements et meubles garnissant la cuisine, étaient inclus dans le contrat de sous-traitance. Le fait que H______ a elle-même commandé et réglé ces travaux postérieurement à la réception de l'ouvrage par F______ SA atteste au demeurant du contraire.

Au fil d'une argumentation confuse, les appelantes semblent soutenir que les derniers travaux effectués dans la cuisine de H______ étaient compris à la fois dans ceux commandés par E______ SA, suite à un devis du 29 novembre 2021, et dans ceux commandés par H______. Ces allégations ne sont étayées par aucune pièce du dossier, étant précisé que l'intimée soutient que le devis du 29 novembre 2021 ne concernait pas des travaux relatifs aux interrupteurs de révision ou aux fours, contrairement aux allégations des appelantes. Au demeurant, une facturation à double des mêmes travaux, à deux entités différentes, paraît difficilement justifiable. A cela s'ajoute que les appelantes n'expliquent pas pourquoi elles auraient attendu novembre 2022 pour effectuer des travaux commandés en novembre 2021.

Les appelantes se prévalent par ailleurs d'une soumission datée du 7 mai 2020, mais aucun élément du dossier ne permet de retenir que cette soumission, qui est antérieure à la conclusion du contrat de sous-traitance litigieux, aurait été intégrée à celui-ci, ni que les travaux y figurant auraient été effectivement exigés par E______ SA et exécutés. L'on ignore également à quelle date se seraient terminés les travaux en question, étant précisé que cette soumission du 7 mai 2020 n'est mentionnée nulle part dans le procès-verbal de réception du 22 novembre 2022.

Il ressort de ce qui précède que la requête d'hypothèque légale déposée par les appelantes le 17 mars 2023 est tardive, les travaux faisant l'objet du contrat du sous-traitance du 4 septembre 2020 ayant été achevés au plus tard le 8 avril 2022.

L'ordonnance querellée sera par conséquent confirmée.

5. Dans la mesure où il n'est pas fait droit aux conclusions des appelantes tendant à l'inscription d'une hypothèque légale sur l'immeuble dont l'intimée est propriétaire, il n'y a pas lieu d'ordonner le versement de sûretés. L'intimée ne fournit d'ailleurs aucune motivation à l'appui de ses conclusions en ce sens.

6. Les appelantes, qui succombent, seront condamnées aux frais d'appel (art. 106 al. 1 CPC).

Les frais judiciaires d'appel seront fixés à 1'640 fr. (art. 13, 26 et 35 RTFMC) et compensés avec l'avance versée par les appelantes, acquise à l'Etat de Genève.

Une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens d’appel, TVA et débours inclus, sera allouée à l'intimée (art. 84, 85, 88 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ SA et B______ SA contre l'ordonnance OTPI/634/2023 rendue le 9 octobre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/4926/2023 SP.

Au fond :

Confirme l'ordonnance querellée.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Met à la charge de A______ SA et B______ SA, solidairement entre elles, les frais judiciaires d'appel, fixés à 1'640 fr. et compensés avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne solidairement A______ SA et B______ SA à verser 5'000 fr. à la FONDATION C______ à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.