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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/26076/2023

ACPR/241/2024 du 12.04.2024 sur ONMMP/4891/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;INFRACTIONS CONTRE L'HONNEUR;AVOCAT
Normes : CPP.310; CP.173; CP.174; CP.14

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/26076/2023 ACPR/241/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 12 avril 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______ [BE], agissant en personne,

recourante,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 6 décembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 14 décembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 6 décembre 2023, notifiée le 11 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante, sans prendre de conclusions formelles, "forme appel" contre l'ordonnance susmentionnée, demande à ce qu'elle soit annulée et que MB______ soit poursuivie pour diffamation et calomnie.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par courrier daté du 25 novembre 2023, A______ a déposé plainte contre MB______, avocate de son mari dans les procédures les opposant, pour diffamation et calomnie.

Elle reprochait à la prénommée d'avoir affirmé dans de nombreux courriers ainsi que lors de chacune des audiences du divorce qu'elle [A______] n'aurait toujours eu qu'un "intérêt matériel" pour son époux. La calomnie la plus récente figurait dans le mémoire réponse à la requête de mainlevée provisoire adverse du 15 novembre 2023. Bien que MB______ était en possession de pièces infirmant sa thèse, cette dernière ne cessait de propager, depuis quatre ans, des propos portant gravement atteinte à son honneur, sa réputation et sa santé. Elle souhaitait que cela cesse et exigeait réparation.

b. À l'appui de sa plainte, elle a produit une copie des trois premières pages du mémoire précité, dont le préambule est ainsi libellé : "1. Monsieur  C______ ne peut malheureusement que déplorer quelles ont finalement été les réelles motivations – exclusivement financières – de Madame A______ durant leur seconde union en particulier. 2. En effet, si le cité s'est pour sa part marié deux fois avec la même femme par amour, l'on ne saurait en dire autant de Madame A______ qui, sans conteste, n'a toujours eu pour seule préoccupation que les questions financières – notamment les expectatives successorales de Monsieur C______ auxquelles elle ne peut pourtant prétendre –, comme le démontre encore la requête à laquelle ce dernier se voit contraindre de répondre".

Il ressort du document que les époux A______/C______ avaient déjà été mariés une première fois. Dans ce cadre, un acte notarié avait été signé et A______ entendait désormais s'en prévaloir, tandis que C______ en contestait l'application, compte tenu du premier jugement de divorce, qui prévoyait expressément que les rapports patrimoniaux des parties avaient été liquidés.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a relevé que, faute d'allégation suffisamment précise – absence de circonstances et de dates – démontrant que les propos dénoncés auraient été tenus à plusieurs reprises, seuls ceux figurant dans le mémoire produit pouvaient être pris en compte.

Or, ils avaient été transmis à une autorité judiciaire dans le cadre d'une procédure contentieuse, par laquelle A______ réclamait, à son mari, une somme d'argent. Ce litige s'inscrivait dans le cadre d'une procédure de divorce. Dans un tel contexte, les parties et les avocats étaient amenés à alléguer des faits et à exprimer des jugements de valeur. Les éventuelles atteintes à l'honneur qui étaient susceptibles d'en résulter étaient inévitables et, à ce titre, pénalement indifférents (art. 14 CP), comme c'était le cas présentement. Celui qui était mis aux poursuites par son conjoint pouvait, sans encourir les foudres de la loi, déplorer sa cupidité.

À titre subsidiaire, une atteinte à l'honneur n'était pas établie, faute pour les propos dénoncés d'atteindre une intensité suffisante.

D. a. Dans son recours, A______ conteste l'application de l'art. 14 CP, aucune loi n'autorisant, à sa connaissance, les avocats à la diffamation et à la calomnie. En outre, dans la mesure où la procédure dans laquelle le mémoire précité avait été déposé avait pour unique but de recouvrer une créance dont elle était détentrice, elle contestait également l'utilisation du terme "cupidité" à son égard. Enfin, en déclarant que ses "réelles motivations" étaient "exclusivement financières", Me B______ portait une grave atteinte à son honneur, dès lors que le comportement décrit l'assimilait à celui d'une prostituée, et ce pour toute sa vie, puisqu'elle avait été mariée durant trois décennies.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

3.2.1. L'art. 173 ch. 1 CP réprime le comportement de quiconque, en s'adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, de même que quiconque propage une telle accusation ou un tel soupçon.

3.2.2. La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations propagées sont fausses (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1).

3.2.3. L'honneur protégé par ces dispositions est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'homme. Tel est le cas lorsqu'on évoque une infraction pénale ou un comportement clairement réprouvé par les conceptions morales généralement admises (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.2). Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon la signification qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer. S'agissant d'un texte, l'analyse ne doit pas s'opérer exclusivement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais selon le sens général qui se dégage du texte pris dans son ensemble (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3).

3.3. Selon la jurisprudence, des déclarations objectivement attentatoires à l'honneur peuvent être justifiées par le devoir d'alléguer des faits dans le cadre d'une procédure judiciaire (art. 55 al. 1 CPC notamment). Tant la partie que son avocat peuvent se prévaloir de l'art. 14 CP – qui prévoit que quiconque agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du code pénal ou d'une loi – à condition de s'être exprimé de bonne foi, de s'être limité à ce qui est nécessaire et pertinent et d'avoir présenté comme telles de simples suppositions (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.1; 123 IV 97 consid. 2c/aa; 118 IV 248 consid. 2c et d; 116 IV 211 consid. 4a; arrêts du Tribunal fédéral 6B_541/2019 du 15 juillet 2019 consid. 2.2 et 6B_175/2007 du 24 août 2007 consid 5.1 et 5.2.).

3.4. En l'espèce, il apparaît utile de rappeler que la mise en cause défend les intérêts de l'époux de la recourante dans les différentes procédures civiles opposant celui-ci à cette dernière, en particulier la procédure de divorce. Le comportement reproché consiste en deux passages d'un mémoire-réponse – déposé dans le cadre d'une procédure parallèle de mainlevée provisoire ouverte par la recourante à l'encontre de son mari –, à savoir, d'avoir écrit : que les "réelles motivations" de la recourante, lorsqu'elle avait contracté le second mariage avec son époux, étaient "exclusivement financières"; et que cette dernière avait eu pour seule préoccupation des questions financières, "notamment les expectatives successorales".

Dans ces circonstances, si les termes dénoncés ont certes une portée dépréciative, ils ne revêtent pas une intensité suffisante pour être qualifiés d'attentatoire à l'honneur. Dans le contexte sus-décrit, le fait de soutenir que la future ex-conjointe de son client, laquelle réclame des sommes considérées par celui-ci comme non dues, était mue par des motivations pécuniaires, n'est en effet pas de nature à ternir la réputation de la personne visée au point de l'exposer au mépris en tant qu'être humain.

En outre, replacés dans leur contexte, les termes dénoncés paraissent justifiés sous l'angle de l'art. 14 CP, en lien avec le devoir d'allégation dans le cadre d'une procédure judiciaire. En effet, il ressort du dossier que la recourante prétend avoir conservé une créance à l'encontre du client de la mise en cause, issue du premier mariage, ce que ce dernier conteste.

À titre superfétatoire, on ne saurait suivre la recourante lorsqu'elle estime que les termes utilisés à son intention assimileraient son comportement à celui d'une prostituée. Et quand bien même tel serait le cas, au vu de l'évolution jurisprudentielle, il n'est pas certain que de prétendre qu'une personne s'adonnerait à la prostitution soit attentatoire à l'honneur, le contrat de prostitution ne pouvant plus être qualifié systématiquement de contraire aux mœurs (arrêt du Tribunal fédéral 6B_572/2020 du 8 janvier 2021 consid. 5.1 et 5.2; ACPR/804/2021 du 23 novembre 2021 consid. 5.2.2).

Partant, les propos tenus par la mise en cause ne peuvent être réprimés par l'art. 173 CP, ni a fortiori par l'art. 174 CP, cette infraction étant une forme qualifiée de diffamation. C'est donc à bon droit que le Ministère public n'est pas entré en matière sur la plainte déposée par la recourante.

Au surplus, le grief portant sur les termes utilisés par l'ordonnance querellée dépasse le cadre du litige, qui est circonscrit à la plainte. Il ne sera dès lors pas traité.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

5.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/26076/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00