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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/5238/2021

ACPR/166/2024 du 05.03.2024 sur OMP/23632/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PARTIE À LA PROCÉDURE;PERSONNE PROCHE;PARTIE CIVILE
Normes : CPP.116

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5238/2021 ACPR/166/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 5 mars 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, représentée par Me Corinne DUFLON-DUCARROZ, avocate, DMS Avocats, boulevard Georges-Favon 13, 1204 Genève,

recourante,


contre l'ordonnance de refus de qualité de partie plaignante rendue le 14 décembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 28 décembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 précédent, notifiée le 18 décembre 2023, par laquelle le Ministère public lui a refusé la qualité de partie plaignante.

La recourante conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et à l'admission de sa qualité de partie plaignante.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ et B______ ont deux filles, C______ et D______, nées respectivement les ______ 2006 et ______ 2014.

Le couple s'est séparé durant l'été 2020. Depuis, les filles vivent avec leur mère, seule représentante légale.

b. Le 3 février 2021, à la police, C______ a, accompagnée de sa mère, déposé plainte contre son père.

Le 27 janvier 2021, il l'avait giflée, à plusieurs reprises, au visage et au cou, plaquée contre un mur, fait chuter au sol et lui avait tiré les cheveux. En outre, il lui avait régulièrement craché dessus et l'avait fouettée avec un câble au niveau du cou.

c. Le 8 mars 2021, le Ministère public a ouvert une instruction contre B______ pour lésions corporelles simples (art. 123 CP), voies de fait (art. 126 CP) et violation du devoir d'assistance et d'éducation (art. 219 CP).

d. Par la suite, au cours de la procédure, le prénommé s'est vu reprocher d'autres comportements sur ses filles – notamment morsure sur D______ le 23 novembre 2020, ainsi que des violences sur C______ les 1er avril 2017 et 27 octobre 2019 –.

Il a en substance contesté les faits reprochés.

e. Le 5 mai 2021, sur demande du Ministère public, le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après: TPAE) a nommé un curateur aux fins de représenter les mineures dans le cadre de la procédure pénale.

f. Au cours de l'instruction, le Ministère public a tenu plusieurs audiences les 13 avril, 28 septembre et 1er décembre 2021 et le 17 novembre 2022 lors desquelles A______ a été convoquée en qualité de partie plaignante.

À l'une de ces occasions, elle a confirmé vouloir participer comme partie plaignante au pénal et au civil pour ses filles, en sa qualité de représentante légale.

g. Par courrier du 28 mai 2021, A______ a transmis au Ministère public copie des conversations Whatsapp échangées avec B______, à teneur desquelles, selon elle, il la sollicitait quotidiennement pour parler à D______, jusqu'à en devenir menaçant en l'absence de réponse. En outre, elle a ajouté que, depuis les faits dénoncés et l'audience du 13 avril 2021, il lui faisait constamment subir des pressions afin qu'elle mette un terme aux procédures civiles et pénales.

h. En parallèle à la procédure pénale, les relations personnelles entre B______ et ses filles ont fait l'objet de différentes décisions du TPAE pour finalement être suspendues le 28 octobre 2022.

i. Par courrier du 22 juin 2023, le Ministère public a informé A______ vouloir statuer sur sa qualité de partie plaignante et lui a demandé, à cet égard, de lui indiquer si elle entendait formuler des conclusions à titre personnel.

j. Le 18 août 2023, A______ a fait valoir, à titre de prétentions civiles personnelles: des frais médicaux correspondant aux montants non remboursés par l'assurance pour les suivis médicaux de ses filles et d'elle-même, en raison des actes commis par B______; des frais d'avocat pour sa défense dans le cadre de la procédure pénale; ainsi qu'un dédommagement pour tort moral, en raison des agissements de B______ envers leurs filles et du comportement harcelant de ce dernier (appels intempestifs, non-respect de l'interdiction de voir ses filles, présence devant l'école de D______ afin de l'emmener sans droit, esclandre en public, refus de s'excuser, etc.), ce qui lui avait causé des souffrances. Enfin, les tourments causés aux filles par leur père l'avaient forcément atteinte en tant que mère.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a considéré que A______ n'apparaissait pas touchée par les actes allégués par ses filles avec une intensité analogue à celle qui frapperait un parent ayant perdu son enfant. En outre, elle n'avait pas formulé de prétentions civiles propres qui apparaîtraient, avec une certaine vraisemblance, fondées et en lien direct avec les faits incriminés. Pour le surplus, les intérêts des mineures étaient dûment défendus par le curateur nommé à cet effet.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que la qualité de proche devait lui être reconnue, dès lors qu'elle faisait valoir des prétentions civiles propres, soit celles mentionnées dans son pli du 18 août 2023, lesquelles étaient en lien de causalité naturelle et adéquate avec les infractions reprochées à B______. S'agissant du tort moral, elle avait dû affronter seule les traumatismes de ses filles, les protéger et les rassurer. Elle avait également fait face à différentes procédures tant pénales que civiles et avait dû se rendre à de nombreux rendez-vous auprès du Service de protection des mineurs, des curateurs, des enseignants ou de la direction des écoles, des médecins et psychologues de ses filles, tout en jonglant avec son emploi. Tout ceci lui avait créé une détresse psychologique, la conduisant à consulter son médecin généraliste et un psychiatre.

À l'appui de son recours, elle produit différentes factures et décomptes de prestations d'assurance, une note d'honoraires, ainsi que des certificats médicaux attestant qu'elle présentait des troubles psychologiques de type anxiété majeure avec épuisement émotionnel réactionnels à des conflits familiaux pour lesquels une procédure pénale était en cours – 30 août 2023 – et des troubles du sommeil, une anhédonie, une inappétence avec perte pondérale, des troubles d'attention et de concentration et une baisse d'élan vital compatibles avec un épisode dépressif d'intensité légère à moyenne – 25 septembre 2023 –.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours.

A______ ne pouvait pas se prévaloir de la qualité de lésée en raison des infractions commises sur ses filles, celles-ci étant représentées par un curateur depuis le 5 mai 2021, de sorte que, depuis cette date, leurs droits étaient exercés exclusivement par ce dernier. En outre, s'agissant de ses frais médicaux, il n'était pas établi qu'ils étaient directement liés à la procédure pénale ni, en particulier, aux faits reprochés au prévenu, ceux-ci s'étant déroulés en 2017 et 2019, ainsi que sur une période allant jusqu'en janvier 2021, date de la plainte, alors que les pièces versées concernaient les années 2022 et 2023.

c. Dans sa réplique, A______ persiste dans ses conclusions et détaille les frais médicaux laissés à sa charge. S'agissant de ses frais de défense, quand bien même un curateur avait été nommé, le Ministère public l'avait, tout au long de la procédure, convoquée en qualité de partie plaignante. Ainsi, l'autorité précédente, alors qu'elle aurait pu requérir l'audition de ses filles, s'était tournée vers elle pour recueillir des informations et des preuves, de sorte qu'elle n'avait pas eu d'autre choix que de participer activement à la procédure.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner d'une personne qui s'est vu refuser la qualité de partie plaignante et qui a donc qualité pour recourir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 104 al. 1 let. b, 118 et 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante reproche au Ministère public de lui avoir dénié la qualité de partie plaignante à titre personnel.

2.1. Selon l'art. 116 CPP, on entend par victime, le lésé qui, du fait d'une infraction, a subi une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle (al. 1). Le proche de la victime est défini à l'art. 116 al. 2 CPP. Il s'agit notamment des parents de celle-ci.

Le droit d'un proche au sens de l'art. 116 al. 2 CPP de se constituer partie plaignante implique, ce que confirme la combinaison des art. 117 al. 3 et 122 al. 2 CPP, qu'il fasse valoir des prétentions civiles propres. Pour bénéficier des droits procéduraux conférés par le CPP, ces prétentions doivent paraître crédibles au vu des allégués. Sans qu'une preuve stricte ne soit exigée, il ne suffit cependant pas d'articuler des conclusions civiles sans aucun fondement, voire fantaisistes; il faut, avec une certaine vraisemblance, que les prétentions invoquées soient fondées (ATF
139 IV 89 consid. 2.2; arrêts du Tribunal fédéral 1B 512/2022 du 17 novembre 2022 consid. 3.1 et 1B_62/2019 du 19 mars 2019 consid. 3).

C'est le droit civil matériel qui établit dans quelle mesure les proches de la victime visés par l'art. 122 al. 2 CPP ont des droits propres contre l'auteur de l'infraction. En vertu de l'art. 47 CO, le juge peut, en cas de mort d'homme, tenir compte de circonstances particulières et allouer une indemnité équitable à la famille au titre de réparation morale. Selon l'art. 49 CO, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d'argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l'atteinte le justifie et que l'auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement. Selon la jurisprudence relative à l'art. 49 CO, les proches d'une personne victime de lésions corporelles peuvent aussi obtenir réparation du tort moral qu'ils subissent de ce chef si leurs souffrances revêtent un caractère exceptionnel, c'est-à-dire s'ils sont touchés de la même manière ou plus fortement qu'un cas de décès (ATF 139 IV 89 consid. 2.4 ; 125 III 412 consid. 2a et 117 II 50 consid. 3a; ACPR/354/2012 du 28 août 2012).

La notion de prétentions personnelles doit être clairement circonscrite à l'infraction commise par le prévenu (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du code de procédure pénale, Bâle 2016, n. 7 ad art. 122). Ainsi, les prétentions civiles doivent trouver leur cause dans les faits desquels l'autorité de poursuite pénale déduit l'infraction poursuivie (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1117/2016 du 6 mai 2016 consid. 3.5 et ATF 126 IV 147 consid. 2).

2.2. En l'espèce, il est constant que les mineures ont été directement lésées par les infractions reprochées à leur père, soit une violation des art. 123, 126 et 219 CP. Elles sont représentées par un curateur depuis le 5 mai 2021.

Dans ce contexte, si la recourante, représentante légale, était habilitée à agir au nom de ses filles mineures et à les représenter, en tant que plaignante, en début de procédure (art. 304 CC ; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 6 et 7 ad art. 106), elle n'est, depuis la nomination du curateur de représentation, plus légitimée à intervenir au nom et pour le compte de celles-ci: leurs droits sont désormais exercés exclusivement par le curateur (cf. ACPR/272/2019 consid. 2.2 et 2.3). Elle ne peut donc pas se prévaloir de la qualité de lésée en raison des infractions qui auraient été commises sur ses filles.

2.3. La recourante allègue en outre bénéficier de la qualité de partie plaignante aussi à titre personnel, en sa qualité de proche, étant, selon elle, directement lésée par les faits dénoncés.

Or, il ressort des éléments au dossier, y compris des déclarations de la recourante, que les souffrances vécues, justifiant ses frais médicaux et un dédommagement à titre de tort moral, résulteraient de différentes causes, en particulier, du comportement du prévenu vis-à-vis de leurs filles, de manière générale, et de la recourante, ainsi que des désagréments liés notamment aux procédures civiles les impliquant. Dans ces circonstances, on ne peut retenir que les préjudices allégués trouvent leur origine uniquement dans les faits objets de la présente procédure pénale.

En tout état de cause, même à considérer que tel serait le cas, s'il est compréhensible que l'impact de la situation détaillée par la recourante et ses filles ait une conséquence psychologique sur celle-là, les éléments décrits sont bien en-deçà des exigences légales et jurisprudentielles rappelées ci-dessus.

Partant, la recourante ne démontre pas que les souffrances explicitées et attestées par les certificats médicaux produits revêtiraient un caractère exceptionnel, assimilable à la souffrance qui aurait été la sienne en cas de décès de ses filles.

Par ailleurs et à toutes fins utiles, les frais médicaux relatifs à ces dernières ne concernent pas directement la recourante, de sorte qu'elle ne peut les réclamer à titre de prétentions civiles propres.

Par conséquent, c'est à bon droit que le Ministère public lui a dénié la qualité de partie plaignante.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

4.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/5238/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

715.00

Total

CHF

800.00