Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/25502/2022

ACPR/100/2024 du 13.02.2024 sur ONMMP/4995/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SOUPÇON;VIOLATION DU SECRET DE FONCTION(DROIT PÉNAL);E-MAIL
Normes : CP.320; CPP.310

 

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/25502/2022 ACPR/100/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 13 février 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], agissant par lui-même,

recourant

 

en déni de justice et contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 11 décembre 2023 par le Ministère public

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3

intimé

 


EN FAIT :

A.           a. Par acte déposé le 12 décembre 2023 au greffe universel, A______ recourt pour déni de justice en raison du délai pris par le Ministère public pour statuer sur sa plainte du 23 novembre 2022 contre B______ et C______, en leurs qualités de juges au Tribunal civil. Il ne prend aucune conclusion.

b. Par acte déposé au greffe de la Cour le 21 décembre 2023, il recourt contre l’ordonnance de non-entrée du 11 précédent, notifiée le 16 décembre 2023, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur ladite plainte. Il conclut à l’annulation de cette décision et à l’instruction des circonstances dans lesquelles un échange, objet de sa plainte pénale, de courriels entre les deux magistrats prénommés était parvenu à la connaissance de tiers non autorisés.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.             Le 9 janvier 2015, A______ a requis une extension de l’assistance judiciaire (dont il bénéficiait pour mener un procès civil contre les personnes, physiques et morales, qu’il rend responsables de son éviction du café D______, à E______ [GE]), afin d’être exonéré du paiement de sûretés que C______, chargée du procès, lui réclamait, à la demande des défendeurs (au titre de cautio judicatum solvi).

b.             B______, alors vice-président du Tribunal civil et, comme tel, chargé de se prononcer sur les requêtes d’assistance judiciaire, a partiellement fait droit à la demande, le 4 juin 2015. A______ a attaqué cette décision par-devant la Cour de justice.

c.              B______ en a fait part dans un courriel du 26 juin 2015 à C______ se terminant par : « Voilà qui te permettra de procrastiner un peu plus dans cette procédure… ». Après que la prénommée en eut accusé réception, il lui a écrit : « Tu n’auras plus qu’à suivre la recette de la Cour pour le fond du dossier si elle continue dans l’idée de l’élagage du litige ». Ces messages ont été imprimés et versés au dossier de la cause au fond par C______.

d.             Estimant que, par cet échange de messages électroniques, les deux juges s’étaient rendus coupables d’abus d’autorité, A______ a déposé plainte pénale le 23 novembre 2022.

e.              Le Ministère public a recueilli les observations écrites de B______ et de C______, qui ont contesté tout abus. B______ a concédé que les mots utilisés par lui étaient « inadéquats et susceptibles de diverses interprétations » ; il a produit sa décision sur l’exonération demandée, ainsi que celle de la Cour de justice, rendue sur recours de A______ (décisions sur chacune desquelles les défendeurs à l’action au fond, demandeurs en cautio judicatum solvi, avaient préalablement pris position). C______ a produit l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral rejetant le recours interjeté par A______ contre la décision de la Cour de justice (arrêt 4A_614/2015 du 25 avril 2016).

f.              Dans l’intervalle, soit le 22 février 2023, A______ s’était inquiété du sort de sa plainte. Après avoir été relancé le 12 juin 2023, le Ministère public lui a communiqué les déterminations des deux juges. Le 28 suivant, A______ a pris position, s’étonnant que les messages électroniques litigieux eussent été en possession de ses parties adverses et du Ministère public, alors que, selon lui, ces parties ne pouvaient pas revêtir une telle qualité dans la procédure d’assistance judiciaire ; il y voyait une violation du secret de fonction.

g.             Les 23 août, 25 septembre, 18 octobre et 20 novembre 2023, il s’est à nouveau inquiété du sort de sa plainte.

C.           Dans la décision querellée, le Ministère public écarte toute commission d’un abus d’autorité et toute violation du secret de fonction.

Sur ce point – seul litigieux dans le recours du 21 décembre 2023 –, il retient que les messages échangés entre B______ et C______ ne communiquaient aux parties aucun élément qu’elles ignoraient jusque-là. La situation financière de A______ n’était pas non plus inconnue d’elles, puisqu’elle avait motivé la demande de sûretés. Quant à l’évaluation, par l’emploi du vocable « élagage », des chances de succès de l’action en paiement, les défendeurs, qui n’ignoraient rien de la situation financière de A______, avaient d’emblée soulevé une exception de prescription [qui sera accueillie dans le jugement au fond et confirmée tant en appel qu’au Tribunal fédéral], de sorte que le versement desdits messages au dossier de la cause ne divulguait aucun secret.

D.           a. À l'appui de son recours en déni de justice, A______ se plaint du temps écoulé depuis le dépôt de sa plainte pénale.

b. À l'appui de son recours contre l’ordonnance de non-entrée en matière, A______ affirme que les messages litigieux étaient illicitement « sortis » du Palais de justice et tombés dans les mains de ses parties adverses, alors que celles-ci n’auraient pas dû en avoir connaissance, pour n’avoir pas été parties à la procédure d’assistance juridique ni n’avoir eu le droit de consulter le dossier y relatif. Sur ce point, la procédure devait se poursuivre d’office.

Il produit une copie de ces messages avec la mention certifiée conforme d’un notaire, en date du 20 juillet 2021.

c. À réception des recours, les causes ont été gardées à juger.

EN DROIT :

1.             Les deux recours, exercés auprès de la Chambre de céans contre des actes du Ministère public omis ou prononcés, sont a priori recevables, le premier n’étant soumis à aucun délai (art. 396 al. 2 CPP) et le second, interjeté en temps utile (art. 310 al. 2, 322 al. 2 et 393 al. 1 let. a CPP). Il est expédient de les traiter par une seule décision.

2.             Le recourant, partie plaignante, a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation ou à la modification de la décision de non-entrée en matière (art. 382 al. 1 et 104 al. 1 let. b CPP).

En revanche, cette décision-là a rendu sans objet sa contestation, antérieure, d’un retard injustifié à statuer. En effet, lorsque le Ministère public, avant que l'autorité de recours n'ait tranché, rend une nouvelle décision, qui, matériellement, va dans le sens attendu par le recourant, ce recours devient sans objet, et la cause est rayée du rôle (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 p. 143 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1336/2018 du 19 février 2019 consid. 1.2 ; ACPR/190/2020 du 11 mars 2020 consid. 3.3.). Ainsi en ira-t-il de l’acte du 12 décembre 2023, indépendamment de sa conformité formelle à l’art. 385 CPP.

3.             Le recourant estime implicitement que le contenu des messages électroniques échangés entre les deux magistrats était soumis au secret de fonction et que, pour être parvenu à la connaissance d’une partie adverse, une infraction à l’art. 320 CP avait nécessairement été commise.

3.1.       Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore. Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 146 IV 68 consid. 2.1). La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1).

Une non-entrée en matière vise aussi des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310).

3.2.       L'art. 320 CP réprime le comportement de celui qui aura révélé un secret à lui confié en sa qualité de membre d'une autorité ou de fonctionnaire, ou dont il avait eu connaissance à raison de sa charge ou de son emploi. L'infraction ne peut être commise que par un membre d'une autorité ou un fonctionnaire. Par membre d'une autorité, il faut entendre une personne physique qui exerce, individuellement ou au sein d'un collège, l'un des trois pouvoirs de l'État (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 3e éd., Berne 2010, n. 6 ss ad art. 320 CP). Constituent un secret les faits qui ne sont connus ou accessibles qu'à un cercle restreint de personnes, que celui qui en est maître veut garder confidentiels et autant qu'il y ait un intérêt légitime (ATF 142 IV 65 consid. 5.1; ATF 127 IV 122 consid. 1 et les références). La définition de l'infraction repose sur une conception matérielle du secret. Il n'est dès lors pas nécessaire que le fait concerné ait été présenté par les autorités compétentes comme étant secret. Seul est déterminant qu'il s'agisse d'un fait qui n'est à l'évidence ni public ni généralement accessible et à l'égard duquel le détenteur du secret n'a pas seulement un intérêt légitime, mais aussi une volonté affichée, expresse ou tacite, au maintien du secret (ATF 142 IV 65 consid. 5.1).

3.3.       En l’occurrence, le recourant ne s’est pas prévalu d’emblée d’une possible violation de l’art. 320 CP ; il ne l’a fait qu’après avoir pris connaissance des déterminations écrites des magistrats mis en cause, mais sans qu’il n’explique ce qui, dans celles-ci, pourrait lui avoir laissé soupçonner que les messages électroniques litigieux auraient été, comme il le prétend, diffusés à ses parties adverses (ou à l’une d’entre elles), voire au Ministère public. Rien ne l’atteste dans le dossier, quand bien même, dans sa motivation de la décision attaquée, le Ministère public semble partir de l’hypothèse que tel aurait été le cas. La certification notariale de la copie jointe à l’acte de recours ne laisse pas deviner par elle-même que la pièce était parvenue à une partie adverse du recourant. Quant à lui, le Ministère public eût pu s’en faire remettre une copie pour les besoins d’une procédure pénale (art. 194 al. 1 CPP), de sorte que le secret de fonction ne lui eût pas été opposable.

Quoi qu’il en soit, on ne voit pas de quel secret – touchant un intérêt protégé du recourant – traitaient ces messages, échangés entre des magistrats saisis, pour l’un, d’une demande en paiement formée par le recourant et, pour l’autre, d’une requête d’exonération de la cautio judicatum solvi qu’entendaient exiger consécutivement de lui les parties défenderesses. On ne voit pas pourquoi l’existence de son recours contre la décision rendue par le vice-président du Tribunal civil – puisque tel est l’objet factuel des messages – aurait dû être gardée secrète envers les défendeurs, que l’issue du recours intéressait tout autant que le recourant.

Du reste, les deux décisions cantonales rendues en la matière établissent que les défendeurs ont été interpellés à ce sujet, comme ils devaient l’être, dès lors que l’art. 119 al. 2, 2e phrase, CPC en faisait l’obligation au juge. La jurisprudence que le recourant cite à l’appui (ATF 139 III 324 consid. 4.3) a simplement précisé que la partie ainsi entendue n’avait pas droit à des dépens dans cette procédure-là. Or, aucune des deux décisions cantonales sur cautio judicatum solvi n’a mis de dépens à la charge du recourant.

Par ailleurs, si le vice-président a concédé, dans sa prise de position à l’attention du Ministère public, que les mots utilisés par lui dans ses messages électroniques étaient « inadéquats et susceptibles de diverses interprétations », cela ne fait pas pour autant de ces mots des « faits » protégés par l’art. 320 CP.

4.             La non-entrée en matière était par conséquent justifiée, et le recours interjeté contre elle pouvait être rejeté d’emblée sans échange d’écritures ni débats (art. 390 al. 2 a contrario CPP).

5.             Le recourant supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

En revanche, quand bien même le recours en déni de justice est devenu sans objet, le recourant n'a pas succombé sur ce point (ACPR/98/2013 du 13 mars 2013 ; ACPR/207/2013 du 10 mai 2013). Aussi ne supportera-t-il pas les frais y relatifs.

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Déclare sans objet le recours en déni de justice.

Rejette le recours contre la non-entrée en matière.

Condamne sur ce dernier point A______ aux frais de l’instance, arrêtés à CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.

Le communique, pour information, à B______ et C______.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 


P/25502/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10 03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

715.00

Total

CHF

800.00