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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11951/2023

ACPR/75/2024 du 01.02.2024 sur OTCO/89/2023 ( TCO ) , ADMIS

Descripteurs : AVOCAT D'OFFICE;RELATION DE CONFIANCE
Normes : CPP.134

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11951/2023 ACPR/75/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 1er février 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, ______, agissant en personne,

recourant,

contre l'ordonnance de refus de remplacement du défenseur rendue le 17 novembre 2023 par la direction de la procédure du Tribunal correctionnel,

et

LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève, case postale 3715, 1211 Genève 3,

intimé.

.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 20 novembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 novembre 2023, notifiée le 20 suivant, par laquelle la direction de la procédure du Tribunal correctionnel a refusé de relever son défenseur d'office, Me C______, de sa mission.

Le recourant confirme ses griefs à l'égard de Me C______ et demande la nomination pour sa défense de Me D______.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        A______ a été arrêté le 3 juin 2023 et prévenu le 5 suivant de lésions corporelles simples (art. 123 CP), injure (art. 177 CP), menace (art. 180 CP) et contrainte (art. 181 CP).

b.        Une défense d'office en sa faveur, en la personne de Me C______, a été ordonnée par le Ministère public le 5 novembre 2023.

c.         Par acte d'accusation du 12 octobre 2023, A______ a été renvoyé devant le Tribunal correctionnel pour tentative de meurtre (art. 111 cum 22 CP) subsidiairement tentative de lésions corporelles graves (art. 122 cum 22 CP) et alternativement mise en danger de la vie d'autrui (art. 129 CP), séquestration (art. 183 CP), menaces (art. 180 CP), injures (art. 177 CP), lésions corporelles simples (art. 123 CP) et contrainte (art. 181 CP).

d.        Par courrier daté du 4 novembre 2023 et remis au greffe de B______ le 9 suivant, A______ a sollicité, du président du Tribunal correctionnel, un changement d'avocat au motif, en substance, que "par ses actions ou ses non-actions [sa] mandataire a trahi [sa] confiance", fournissant par ailleurs le nom de trois avocats susceptibles d'assurer sa défense en lieu et place de Me C______.

Il avait dû réclamer à son avocate son dossier complet par courrier recommandé du 18 septembre 2023, qui lui avait été remis le 23 suivant. Cette dernière avait, en outre, menti de manière "éhontée" en indiquant, à la direction de la procédure du Tribunal correctionnel, qu'il n'avait pas de réquisitions de preuves alors qu'il souhaitait l'audition de quatre témoins, ce dont il avait informé son conseil. Il a joint à sa demande, son courrier du 23 octobre 2023 adressé à son conseil dans lequel il lui demandait de faire convoquer quatre témoins – son conseil était venu le voir le 25 suivant – et la réponse du 27 octobre 2023 de cette dernière mentionnant ce qui suit: "Lors de notre entretien du 24 octobre 2023, vous nous avez indiqué avoir envoyé ce courrier mais que vous ne souhaitiez finalement pas formuler de telles réquisitions de preuves. Aussi nous ne tiendrons pas compte de votre courrier du 23 octobre 2023". Il a également annexé la copie du courrier destiné au Bâtonnier de l'Ordre des avocats, dans lequel il fait état, en substance, des mêmes griefs et sollicite l'"avis" du Bâtonnier sur les agissements de sa consœur.

e.         Dans sa détermination du 15 novembre 2023, Me C______ a contesté tout manquement dans le traitement de la procédure et affirmé avoir toujours agi dans le sens des instructions et conformément aux intérêts de A______. Néanmoins, les accusations portées à son encontre, remettant notamment sa probité en question, lui laissaient penser que, pour des motifs qu'elle ignorait, le lien de confiance entre A______ et elle-même était irrémédiablement rompu, de sorte qu'elle appuyait la demande formulée par ce dernier, ajoutant qu'il refusait ses visites à la prison de B______, de sorte qu'une défense convenable n'était plus possible.

f.         Par courrier du 29 novembre 2023, Me C______ a demandé au Tribunal correctionnel le report de l'audience de jugement fixée les 6 et 7 décembre 2023, dans l'attente de l'issue du recours pendant devant la Chambre de céans; elle réitérait qu'elle allait appuyer le recours dans ses observations auprès de ladite Chambre.

g.        Par réponse du même jour, le Président du Tribunal correctionnel a maintenu l'audience de jugement auxdites dates.

C. Dans sa décision querellée, la direction de la procédure du Tribunal correctionnel a retenu que les motifs à l'origine de l'octroi de la défense d'office subsistaient. Il ressortait du dossier que depuis le début de la procédure, Me C______ avait défendu de manière continue les intérêts de son mandant, référence étant faite, notamment, aux déterminations, étayées, régulièrement formulées devant le Tribunal des mesures de contrainte, au recours interjeté contre la prolongation de la détention provisoire, respectivement aux réquisitions de preuves présentées devant le Ministère public. Il n'était dès lors pas possible de retenir que l'intéressée n'aurait pas exercé son mandat comme on l'attendait d'un défenseur d'office. Ni la demande de A______ ni les pièces annexées à celle-ci ne rendaient vraisemblable que Me C______ aurait, sciemment, agi de manière contraire aux instructions, respectivement aux intérêts de son mandant, s'agissant des réquisitions de preuves devant le Tribunal correctionnel. Me C______ soutenait avoir toujours agi dans le sens des instructions et conformément aux intérêts du précité, ce qui n'était pas contredit par les éléments objectifs de la procédure. Si une incompréhension ponctuelle entre A______ et son conseil ne pouvait être totalement exclue, celle-ci ne pouvait pas, en tout état de cause, être considérée comme suffisante pour retenir qu'une défense efficace n'était plus assurée. Dès lors, la relation de confiance entre A______ et son défenseur n'était pas, objectivement, gravement perturbée, et A______ bénéficiait toujours d'une défense efficace

D. a. Dans son recours, A______ réaffirme que Me C______ avait gravement abusé de sa confiance en lui mentant régulièrement, en n'exécutant pas les démarches cohérentes pour assurer sa défense; elle s'était en outre autorisée à lui réclamer des honoraires, alors qu'elle était commise d'office. Il demandait la nomination de Me D______.

b. La direction de la procédure du Tribunal correctionnel s'est référée à sa décision sans autre observation.

c. Dans ses observations du 29 novembre 2023, Me C______, rappelle que A______ refusait ses visites à B______; soulevait une rupture du lien de confiance; prétendait qu'elle ne lui communiquait pas les pièces du dossier et avait dénoncé son manque de diligence au Bâtonnier. Elle avait appuyé la demande de A______ en soulignant la rupture du lien de confiance évidente qui ressortait des allégations de ce dernier, tout en contestant tout manquement dans le traitement du dossier.

La rupture du lien de confiance était désormais manifeste et irrémédiable; il ne s'agissait plus d'un état de fait passager. Elle se réfère notamment à un courrier du 3 novembre 2023 de son client, soumis à censure, adressé à son frère, dans lequel A______ persistait à remettre en question sa probité, en lui prêtant un comportement totalement inadéquat, contraire à la profession d'avocat et au Code pénal en ces termes: "Maintenant, j'ai mon ex-avocate qui commet des infractions contre moi mais effrontément, j'ai aussi des preuves et pire elle m'a menti avec des preuves formelles et écrites. J'ai chacun de ses 5 mensonges écrits et copiés, le tribunal de l'ordre des avocats se chargera de cette dame selon l'article 483 du Code pénal. "

d. A______ réplique et conteste avoir renoncé aux réquisitions de preuves; son conseil mentait à ce sujet. En outre, dans un courrier, Me C______ lui avait écrit qu'il ne voulait pas recourir contre le jugement alors qu'il avait clairement demandé à y réfléchir. Les mensonges écrits et la mauvaise foi délibérée de son conseil étaient des éléments très largement objectifs justifiant d'accéder à sa demande de changement d'avocat.

E. a. Par jugement du 7 décembre 2023, le Tribunal correctionnel a condamné A______, lequel était assisté de Me C______, pour mise en danger de la vie d'autrui (art. 129 CP), lésions corporelles simples aggravées (art. 123 ch. 1 et 2 aCP), séquestration (art. 183 ch. 1 CP) et injure (art. 177 al. 1 CP).

b. Par courrier du 29 décembre 2023, A______ a annoncé faire appel du jugement.

c. La cause est pendante devant la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé dans le délai et la forme prescrits (art. 396 al. 1 et 385 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP), pour les motifs prévus par la loi (art. 393 al. 2 let. a CPP), et émaner du prévenu, qui a qualité pour agir (art. 104 al. 1 let. a CPP) et un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou la modification de l'ordonnance entreprise (art. 382 al. 1 CPP).

2. Le recourant, agissant en personne, demande la nomination d'un autre avocat d'office, au motif d'une rupture du lien de confiance avec son défenseur d'office, à qui il fait moults reproches.

2.1. Selon l'art. 134 al. 2 CPP, lorsque la relation de confiance entre le prévenu et le défenseur d'office est gravement perturbée ou qu'une défense efficace n'est plus assurée pour d'autres raisons, la direction de la procédure confie la défense d'office à une autre personne.

La défense d'office a pour but de permettre à l'accusé de bénéficier d'une défense compétente, assidue et efficace. De simples divergences d'opinion quant à la manière d'assurer la défense des intérêts du prévenu dans le cadre de la procédure ne constituent à cet égard pas un motif justifiant un changement d'avocat. Il appartient en effet au défenseur d'office de décider de la conduite du procès, n'étant pas simplement le porte-parole sans esprit critique de l'accusé, qui se limiterait à se faire l'interprète des sentiments et des arguments de son client (ATF 116 Ia 102 consid. 4b/bb p. 105 ; 105 Ia 296 consid. 1e p. 304).

Le simple fait que la partie assistée n'a pas confiance dans son conseil d'office ne lui donne pas le droit d'en demander le remplacement lorsque cette perte de confiance repose sur des motifs purement subjectifs et qu'il n'apparaît pas de manière patente que l'attitude de l'avocat d'office est gravement préjudiciable aux intérêts de la partie (ATF 114 Ia 101 consid. 3 p. 104; 138 IV 161 consid. 2.4 p. 164; arrêt du Tribunal fédéral 1B_375 2012 du 15 août 2012 consid. 1.1).

2.2. L'avocat d'office qui souhaite être relevé de son mandat doit indiquer, avec réserve, les raisons justifiant sa requête. Il reste en effet tenu par le secret professionnel au sens de l'art. 320 CP. L'autorité devrait se contenter des explications, générales, données par ce dernier (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 2ème éd., Bâle 2016, n. 7 ad art. 134).

2.3. Selon l'art. 133 CPP, le défenseur d'office est désigné par la direction de la procédure compétente au stade considéré (al. 1); lorsqu'elle nomme le défenseur d'office, la direction de la procédure prend en considération les souhaits du prévenu dans la mesure du possible (al. 2).

2.4. En l'occurrence, le recourant a motivé sa requête de changement d'avocat par le fait qu'il n'avait plus confiance en son avocat d'office qui, selon lui, avait menti en affirmant qu'il avait renoncé à des réquisitions de preuves alors qu'il en avait fait la demande par écrit. Or, il s'agit là de motifs contestés par son conseil. Le recourant assure que son conseil lui avait menti et ne respectait pas ses instructions, la dernière fois s'agissant de l'appel contre le jugement du Tribunal correctionnel. Aucun élément du dossier ne permet de retenir que la défense du recourant ne serait pas assurée de manière efficace.

Cela étant, force est de constater que Me C______ a, elle aussi, invoqué l'existence d'une grave rupture du lien de confiance et demandé à ce que son mandat d'office soit révoqué. L'absence, dorénavant, de toute communication avec son client, telle qu'elle l'a relatée dans ses observations, apparaît suffisante pour s'en convaincre. Dans ces circonstances, on ne saurait lui imposer la poursuite de la défense d'office du recourant qui ne veut plus de sa présence à ses côtés, ce d'autant qu'il vient d'être condamné et souhaite faire appel du jugement.

3. L'ordonnance querellée sera donc annulée. Le Ministère public n'étant plus saisi de la cause, la Chambre de céans, en sa qualité de direction de la procédure dans le cadre du recours, désignera un nouveau défenseur d'office en faveur du recourant en la personne de Me D______.

4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5. Le recourant a formé recours en personne, de sorte qu'aucune indemnité, qu'il n'a du reste pas demandée, ne lui sera allouée.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et désigne, en lieu et place de Me C______,
Me D______ comme défenseur d'office de A______.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, en personne, à Me C______ et au Tribunal correctionnel.

Le communique, pour information, à Me D______ et à la Chambre pénale d'appel et de révision.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).