Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/8063/2022

ACPR/54/2024 du 24.01.2024 sur ONMMP/3904/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;PRESCRIPTION;DÉBUT;DÉLIT CONTINU;BAIL À LOYER
Normes : CPP.310; CP.109; CP.98; LGFL.5; LGFL.9

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8063/2022 ACPR/54/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 24 janvier 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, représentée par Me B______, avocat, ______ [AG],

recourante,


contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 4 octobre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 12 octobre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 4 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a renoncé à entrer en matière s'agissant de l'infraction à la loi genevoise protégeant les garanties fournies par les locataires (LGFL; RS I 4 10) reprochée à C______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance, au constat que l'action pénale n'est pas prescrite et à ce que C______ soit poursuivi pour infraction à la LGFL.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 7 avril 2022, A______ a déposé plainte contre C______, pour violation des art. 3 et 9 LGFL, voire abus de confiance (art. 138 CP).

En substance, elle lui reprochait de ne pas avoir, en sa qualité de bailleur, placé sur un compte bancaire bloqué la garantie de loyer qu'elle lui avait versée. Le prénommé refusait de le faire, respectivement de la lui rembourser.

À l'appui, elle a produit un contrat de bail à loyer signé le 28 avril 2020 par C______ et elle-même, relatif notamment à la sous-location d'un "bureau", valable une année, renouvelable, pour un loyer mensuel de CHF 600.-. Sous le chiffre 5, il était précisé que le montant de la garantie de loyer était de CHF 1'200.- et que celle-ci "d[eva]it être déposée auprès d'une banque sur un compte ouvert au nom du/des locataire(s)". Elle joignait aussi le récépissé de CHF 1'200.- versés en faveur du prénommé le 6 mai 2020.

b. À teneur du dossier, A______ avait déjà déposé, le 17 décembre 2020, une plainte contre C______, lui reprochant de ne pas lui avoir restitué la caution à la suite de la résiliation du bail.

Ladite plainte a fait l'objet d'une ordonnance de non-entrée en matière du 20 suivant (P/2______/2021), le Ministère public ayant considéré que le comportement de C______ ne réunissait pas les éléments constitutifs d'une infraction pénale et le litige revêtait un caractère essentiellement civil.

c. Entendu le 31 janvier 2023 sur demande du Ministère public, C______ a contesté les faits reprochés et précisé que A______ n'avait pas introduit d'action au fond après la délivrance de l'autorisation de procéder. La précitée cherchait ainsi à obtenir, par la voie pénale, ce à quoi elle avait renoncé sur le plan civil.

À l'appui de ses déclarations, il a notamment produit:

- un extrait bancaire en allemand, pour la période allant du 26 septembre au 27 octobre 2022. Le document est adressé à "C______, [code postal] Genève". Il est mentionné "D______ Sparkonto CHF" et "Rubrik: CONTE LOCATAIRE A______" (sic). S'agissant des mouvements, il apparait que le 18 octobre 2022, le montant de CHF 1'200.- a été versé sur ce compte avec la mention "Saläreingang";

- un courrier de A______ du 17 janvier 2022, adressé au Tribunal civil, duquel il ressort que le bail a été résilié pour la fin du mois de mars 2022;

- une autorisation de procéder délivrée à A______ le 3 octobre 2023, ensuite de l'échec de la conciliation (C/1______/2022).

d. Par ordonnance du 21 mars 2023, le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte de A______ du 7 avril 2022.

e. Saisie du recours interjeté par A______ contre cette ordonnance, la Chambre de céans l'a, dans un arrêt du 21 août 2023 (ACPR/656/2023), annulée en ce sens que C______ devait être poursuivi pour infraction à la LGFL.

Un montant de CHF 1'200.- avait été versé le 6 mai 2020 au prénommé à titre de garantie de loyer. Conformément à ses obligations légales et contractuelles, C______ était tenu de bloquer cet argent sur un compte dédié, ce qu'il n'avait pas fait; à la place, il avait transféré, le 18 octobre 2022, la somme en question sur un compte épargne ouvert à son nom seul.

Cet arrêt n'a pas fait l'objet d'un recours.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public constate que, conformément à l'art. 3 LGFL, C______ disposait d'un délai de dix jours à compter du 6 mai 2020 pour déposer la somme de CHF 1'200.- sur un compte bloqué, ce qu'il n'avait pas fait. Dans la mesure toutefois où plus de trois ans s'étaient écoulés depuis la fin de ce délai, l'action pénale était prescrite.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que l'obligation légale stipulée à l'art. 3 LGFL, érigée en infraction en cas de manquement par l'art. 9 LGFL, constituait un délit continu ("Dauerdelikt") et que la prescription ne commençait à courir qu'à partir du moment où les agissements coupables cessaient. Comme C______ admettait lui-même ne lui avoir toujours pas restitué la garantie de loyer de CHF 1'200.-, il enfreignait encore son obligation légale et l'action pénale n'était, dès lors, pas prescrite. En outre, l'ordonnance querellée retenait de manière erronée que la somme de CHF 1'200.- avait été versée sur un compte "bloqué", alors qu'il s'agissait d'un compte épargne, ouvert au nom de C______ et soumis à la discrétion de ce dernier.

b. Dans ses observations, le Ministère public argue que la prescription courait à partir du onzième jour suivant le versement de la garantie de loyer (art. 3 LGFL). Par ailleurs, il n'avait fait que se référer aux déclarations de C______ au moment de désigner le type de compte crédité des CHF 1'200.-.

c. Dans sa réplique, A______ persiste dans ses développements.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante conteste que l'action pénale soit prescrite.

2.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. b CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police qu'il existe des empêchements de procéder, telle la prescription de l'action publique (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND (éds), Petit commentaire CPP, 2ème éd., Bâle 2016, n. 13 ad art. 310).

2.2. Les règles sur la prescription de l'action pénale prévue par le CPP s'appliquent à titre supplétif pour une infraction prévue par le droit genevois (art. 1 al. 1 let. a LPG).

2.3.1. En cas de contravention, l'action pénale se prescrit par trois ans (art. 109 CP).

La prescription court dès le jour où l'auteur a exercé son activité coupable ou dès le jour où les agissements coupables ont cessé s'ils ont eu une certaine durée (art. 98 let.  a et c CP cum 104 CP).

2.3.2. À propos de l'art. 98 let. c CP, on parle alors d'infraction continue, en ce sens que les actes qui créent la situation illégale forment une unité avec les actes qui la perpétuent ou avec l'omission de la faire cesser, pour autant que le comportement visant au maintien de l'état de fait délictueux soit expressément ou implicitement


contenu dans les éléments constitutifs de l'infraction (ATF 132 IV 49 consid. 3.1.2.2). Le délit continu se caractérise par le fait que la situation illicite créée par un état de fait ou un comportement contraire au droit se poursuit; il est réalisé sitôt accompli le premier acte délictueux, mais n'est achevé qu'avec la fin ou la suppression de l'état contraire au droit (ATF 135 IV 6 consid. 3.2; 132 IV 49 consid. 3.1.2.2; 131 IV 83 consid. 2.1.2). Tel est notamment le cas de la séquestration et de l'enlèvement qualifié au sens des art. 183 al. 2 et 184 al. 4 CP, de la violation de domicile au sens de l'art. 186 CP, de l'enlèvement de mineur au sens de l'art. 220 CP, de l'entrave à l'action pénale au sens de l'art. 305 CP, ou de l'occupation illicite d'ouvriers (ATF 132 IV 49 consid. 3.1.2.2; 131 IV 83 consid. 2.1.2).

En droit pénal financier, la violation de l'obligation d'informer le Bureau de communication (art. 9 LBA) est un délit continu (arrêt du Tribunal fédéral 6B_786/2020 du 11 janvier 2021 consid. 3.5, non publié in ATF 147 IV 274; L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 29a ad art. 98).

2.4. Conformément à l'art. 257e CO, si le locataire de locaux commerciaux fournit des sûretés en espèces ou sous forme de papiers-valeurs, le bailleur doit les déposer auprès d'une banque, sur un compte d'épargne ou de dépôt au nom du locataire (al. 1). La banque ne peut restituer les sûretés qu'avec l'accord des deux parties ou sur la base d'un commandement de payer non frappé d'opposition ou d'un jugement exécutoire (al. 3). Les cantons peuvent édicter des dispositions complémentaires (al. 4).

Dans son art. 1 al. 1 LGFL, le droit cantonal rappelle que toute garantie en espèces ou en valeurs en faveur d'un bailleur par un locataire doit être constituée sous la forme d'un dépôt bloqué auprès de la caisse de consignation de l'État ou d'un établissement bancaire reconnu comme office de consignation au sens de l'art. 633 al. 3 CO. Ainsi, le bailleur qui reçoit des espèces ou valeurs à titre de garantie d'une location doit, dans les dix jours, se conformer aux dispositions de l'art. 1. À défaut, il est tenu de restituer la garantie avec intérêts (art. 3 LGFL).

À défaut d'une action judiciaire intentée par le bailleur contre le locataire dans le délai d'une année à compter de la date où le locataire a libéré des locaux faisant l'objet de la garantie, celle-ci est de plein droit débloquée. Le propriétaire des espèces ou valeurs est autorisé à en reprendre possession (art. 5 LGFL).

Celui qui contrevient aux dispositions de la présente loi est passible de l'amende, sous réserve des peines plus élevées prévues par le code pénal suisse (art. 9 al. 1 LGFL).

2.5. En l'espèce, comme retenu par la Chambre de céans dans son précédent arrêt, lequel n'a pas fait l'objet de contestations, un montant de CHF 1'200.- a été versé, le 6 mai 2020, au mis en cause par la recourante à titre de garantie de loyer. Il ressort du dossier que, malgré ses obligations contractuelles et légales, le mis en cause n'a pas déposé cet argent sur un compte bloqué mais l'a plutôt, le 18 octobre 2022, soit deux ans après sa réception, transféré sur un compte épargne ouvert à son nom.

Il existe ainsi une prévention d'infraction à la LGFL.

Or, la nature du comportement incriminé – défini à l'art. 3 de cette législation – relève d'un délit continu, au sens de la jurisprudence susmentionnée. En effet, le bailleur dispose d'un délai légal de dix jours au terme duquel il est censé avoir déposé l'argent reçu à titre de garantie sur un compte bloqué. À défaut, ce dernier se retrouve dans l'illégalité. Par la suite, cette illégalité persiste, le cas échéant, aussi longtemps que le bailleur ne s'acquitte pas de ses devoirs. Cela implique une omission d'agir en vue de rétablir une situation conforme au droit. Cette omission d'agir s'apparente à l'intermédiaire financier qui, soumis à l'obligation de communiquer au sens de l'art. 9 LBA, néglige de le faire et qui réalise ainsi l'infraction éponyme, aussi longtemps qu'il n'informe pas le Bureau de communication.

C'est d'autant plus vrai que, dans le cas contraire, l'action serait prescrite avant même que le locataire ait su, à la fin du bail par exemple, que la garantie versée n'avait pas été déposée conformément à la loi.

Compte tenu de ce qui précède et considérant qu'en l'état, rien ne permet d'établir que le mis en cause aurait transféré les CHF 1'200.- sur un compte bloqué conformément aux exigences de la LGFL, l'infraction en cause, à supposer que ses conditions soient réalisées, perdurerait aujourd'hui encore. Que la recourante n'ait pas introduit d'action au fond, sur le volet civil, après la délivrance de l'autorisation de procéder n'y change rien, un tel défaut ne périmant pas les droits portés devant l'autorité de conciliation (ATF 140 III 561 consid. 2.2.2.4). Par conséquent, le délai de prescription de trois ans de l'action pénale n'a pas encore commencé à courir.

Le Ministère public ne pouvait, dès lors, refuser d'entrer en matière en invoquant un empêchement de procéder par la prescription de l'action publique.

3.             Le recours doit être admis. L'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction contre le mis en cause, du chef de violation de la LGFL.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP). Les sûretés versées par la recourante lui seront restituées.

5.             Représentée par un avocat, la recourante a sollicité une indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure de recours, chiffrée à CHF 1'800.-, correspondant à 0.4h d'analyse de l'ordonnance querellée, 2h pour la rédaction du recours et 1.6h consacrées à la lecture des observations et la rédaction de la réplique, au tarif horaire CHF 450.-.

Ce montant apparaît toutefois excessif. Compte tenu de l’ampleur de l’écriture de recours (qui comprend quatre pages, dont une seule consacrée à la discussion juridique et quatre pages de réplique), une indemnité correspondant à 2h heures d’activité, au tarif horaire de CHF 450.- appliqué par la Chambre de céans pour un avocat chef d’étude, paraît justifiée. L'indemnité sera ainsi arrêtée à CHF 969.30, TVA 7.7% comprise (art. 433 al. 1 let a et 436 al. 1 CPP), et mise à la charge de l'État (ATF 141 IV 476 consid. 1.1-1.2.; 139 IV 45 consid. 1.2.; ACPR/433/2017 consid. 7.2 in fine).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière du 4 octobre 2023 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Restitue à A______ les sûretés versées par elle (CHF 1'000.-).

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 969.30, TVA (7.7%) incluse.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).