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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3645/2022

ACPR/21/2024 du 16.01.2024 sur OPMP/10975/2021 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : EXPERTISE PSYCHIATRIQUE;COMPLÉMENT;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR
Normes : CPP.189; CPP.382

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3645/2022 ACPR/21/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 16 janvier 2024

Entre

A______, représentée par Me B______, avocat,

recourante,

 

contre l'ordonnance de complément d'expertise rendue le 28 août 2023 par le Ministère public,

et

C______, actuellement détenu à la prison de D______, représenté par Me E______, avocate,

F______, représentée par Me G______, avocat,

H______, représentée par Me I______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 7 septembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 août 2023, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a ordonné le complément d'expertise psychiatrique de C______ et confié la mission aux experts psychiatres ayant déjà expertisé le précité.

La recourante conclut, préalablement, à l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours ; principalement, à l'annulation de l'ordonnance susmentionnée et à ce que le mandat de complément d'expertise soit confié à deux nouveaux experts.

b. La recourante, qui s'est vu mettre au bénéfice de l'assistance judiciaire dans le canton de Vaud, a été dispensée de verser les sûretés (art. 383 CPP).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. C______ est prévenu de viol (art. 190 CP), menaces (art. 180 al. 1 CP), vol (art. 139 ch. 1 CP) et voies de fait (art. 126 CP) au préjudice de F______, travailleuse du sexe, à qui il est soupçonné d'avoir, dans la nuit du 14 juillet 2021, dans un appartement sis à Genève, imposé un rapport sexuel par la force physique.

b. Il est par ailleurs prévenu de tentative de meurtre (art. 111 CP cum 22 CP), viol (art. 190 al. 1 CP), contrainte sexuelle (art. 189 CP) et séquestration (art. 183 CP) au préjudice de H______, travailleuse du sexe, à qui il est soupçonné d'avoir, dans la nuit du 20 janvier 2022, à son domicile (à lui) à J______ [GE], imposé plusieurs relations sexuelles complètes et une fellation en utilisant la force physique, ainsi que de l'avoir séquestrée et de l'avoir étranglée en lui serrant le cou de ses deux mains.

c. Le prévenu conteste les faits.

d. Arrêté le 4 mars 2022, C______ a été placé en détention provisoire, laquelle sera prolongée jusqu'au 11 octobre 2022 (cf. let. g infra).

e. Le 16 mai 2022, le Ministère public a désigné à titre d'experts le Dr K______ et la Dre L______, médecins psychiatres, et leur a confié l'expertise psychiatrique du prévenu.

f. Dans leur rapport d'expertise, du 30 septembre 2022, les experts ont conclu que C______, responsable de ses actes, ne présentait pas de grave trouble mental au moment des faits. Ils ont estimé que le risque de récidive d'infractions sexuelles était faible et n'ont préconisé aucune mesure thérapeutique. Si plusieurs faits de nature sexuelle, et similaires, étaient certes reprochés au prévenu, ils étaient espacés de plusieurs mois. Ils (les experts) n'avaient par ailleurs pas trouvé chez l'expertisé "d'attitudes qui supportent ou justifient les infractions sexuelles". Ils ont toutefois relevé que le prévenu "rapport[ait] un discours en contradiction", en évitant de répondre à certaines questions. Si "les déclarations [du prévenu] en matière de sexualité ou concernant les faits devaient évoluer", il conviendrait de refaire une évaluation (expertise, p. 17).

g. C______ a été remis en liberté le 11 octobre 2022 avec des mesures de substitution, parmi lesquelles l'interdiction de contacter les parties plaignantes ou toute autre travailleuse du sexe qu'il aurait contactée par le passé, et l'interdiction de solliciter le service de prostituées.

h. Le 16 décembre 2022, les experts psychiatres, entendus par le Ministère public, ont confirmé les conclusions de leur rapport. Ils ont précisé que même si le prévenu avait reconnu les faits, cela n'aurait pas suffi pour retenir un diagnostic. S'agissant du risque de récidive, qualifié de faible, les experts ont relevé que les deux complexes de fait étaient "espacés et similaires". Pour obtenir une évaluation différente du risque, il aurait fallu "une dégradation ou une répétition qui se raccourci[t] entre chaque fait". À la question de savoir s'ils pouvaient estimer ou se prononcer sur la crédibilité du prévenu par rapport aux faits, ils ont répondu "non, pas vraiment". Invités à expliquer ce qu'ils entendaient par "discours en contradiction", ils ont précisé que certains termes [utilisés par le prévenu] n'étaient pas clairs et qu'il régnait parfois un certain flou. Il ne leur appartenait toutefois pas de juger le fait que le prévenu avait une version différente des victimes.

i. Le 21 mai 2023, la police vaudoise a dû intervenir dans un appartement à M______ [VD], par suite de l'appel de deux personnes craignant qu'une de leur connaissance y soit séquestrée. Après l'ouverture forcée de la porte du logement, les policiers ont retrouvé A______, travailleuse du sexe, qui leur a dit avoir été violée et frappée, ainsi que C______, qui a été arrêté et placé en détention provisoire, régulièrement prolongée depuis.

La procédure ouverte par les autorités vaudoises a été reprise par le Ministère public genevois sous le présent numéro.

j. Pour ces faits, C______ est prévenu de mise en danger de la vie d'autrui (art.129 CP), lésions corporelles simples (art. 123 CP), séquestration et enlèvement aggravés (art. 184 CP), contrainte sexuelle qualifiée (art. 189 ch. 3 CP) et viol qualifié (art. 190 CP) au préjudice de A______.

Il conteste avoir commis les faits reprochés.

k. Début août 2023, le Ministère public a informé les parties qu'il envisageait d'ordonner un complément d'expertise et entendait confier le mandat aux mêmes experts psychiatres.

l. Les trois parties plaignantes ont requis la récusation des experts et demandé qu'une nouvelle expertise soit ordonnée et confiée à d'autres experts.

m. Le prévenu a fait savoir qu'il n'entendait pas faire valoir de motifs de récusation vis-à-vis des experts.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu que le rapport d'expertise du 30 septembre 2022 devait être complété (art. 189 let. a CPP) afin que les conclusions des experts psychiatres prennent en compte les faits nouveaux reprochés au prévenu. Les experts avaient retenu que C______ présentait un risque de récidive faible, évaluation qui pourrait être modifiée compte tenu des nouveaux faits dont il était prévenu. Il n'existait "à ce stade" pas d'élément de nature à faire douter des connaissances et compétences des experts, au sens de l'art. 183 al. 1 CPP, pas plus qu'il n'existait d'élément laissant apparaître un risque de prévention ou de partialité de leur part.

Le Ministère public a ainsi invité les Drs K______ et L______ à examiner la responsabilité pénale (art. 19 CP) du prévenu, à déterminer s'il souffre d'un grave trouble mental, à dire s'il présente un risque de récidive, à se prononcer sur d'éventuelles mesures (art. 56 ss. CP), sur l'internement (art. 64 CP) et l'internement à vie (art. 64 al. 1bis CP).

D. a. Dans son recours, A______ affirme, sans le détailler, posséder un intérêt juridiquement protégé à ce que l'ordonnance litigieuse soit modifiée.

Sur le fond, elle estime, premièrement, qu'au vu des conclusions tranchées des experts dans leur première évaluation, il était difficile de concevoir qu'ils puissent faire preuve d'impartialité s'ils étaient amenés à réévaluer le prévenu, qui plus est pour des faits similaires. Il était à craindre que les experts essaient d'atténuer sa responsabilité, en justifiant leur première appréciation. Or, au vu de l'importance que revêtait le complément d'expertise, il était primordial que les experts ne disposent d'aucun a priori.

Deuxièmement, le manque de clarté des experts, voir leur légèreté, permettait de douter de leurs compétences. Ils avaient en effet, lors de leur audition, été dans l'incapacité de clairement répondre à plusieurs questions, par exemple sur le niveau de crédibilité du prévenu. Or, il ressortait de l'expertise qu'ils avaient accordé du crédit aux déclarations de l'expertisé, alors qu'elles auraient dû être appréciées avec retenue. Ils n'avaient pas non plus tenu compte des révélations du prévenu sur ses émotions ou la prise d'anabolisants, expliquant que ces éléments n'étaient pas significatifs car ils n'avaient pas pu les observer au cours des entretiens. En outre, leur réponse au sujet du "discours en contradiction" du prévenu était "inconsistan[t]e".

Troisièmement, l'hypothèse avancée par le Ministère public, que les nouvelles conclusions pourraient ne pas être celles initialement retenues, militait en faveur d'un nouveau choix d'experts, car cela pourrait avoir pour conséquence "d'anéantir la force probante du premier rapport", sur lequel le Ministère public s'était fondé pour libérer le prévenu, ce qui mettrait à mal "le crédit [c]ensé être accordé aux conclusions des experts par les parties, voire l'autorité".

b. Les deux autres parties plaignantes appuient le recours.

c. Le Ministère public conclut au rejet du recours et s'en rapporte sur sa recevabilité. Rien ne permettait, à ce stade, de remettre en question l'impartialité des experts. Le seul fait qu'ils aient évalué le risque de récidive comme faible ne permettait pas de retenir qu'ils ne seraient pas en mesure de procéder à l'expertise complémentaire et de répondre aux nouvelles questions en toute impartialité.

d. Le prévenu conteste les arguments de la recourante, estimant, en substance, que le travail des experts n'est pas critiquable.

e. La recourante n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane d'une partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

2.             Reste à déterminer si la recourante dispose d'un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.1. Selon l'art. 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci.

La partie plaignante ne peut pas interjeter recours sur la question de la peine ou de la mesure prononcée (al. 2). En effet, la qualité de partie plaignante au pénal est limitée. Cette partie ne peut guère se prévaloir d'un intérêt juridiquement protégé contre des actes d'instruction sans lien avec d'éventuelles prétentions civiles, ou contre le refus de tels actes, ou encore contre une décision de mise en liberté du prévenu par exemple (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 11 ad art. 382).

2.2. En l'espèce, la recourante reproche au Ministère public d'avoir soumis le mandat d'expertise complémentaire aux mêmes experts psychiatres ayant rendu le rapport du 30 septembre 2022, dont elle critique l'évaluation du risque de récidive. Elle considère que les mêmes experts ne disposeraient pas de la distance nécessaire pour revoir leurs conclusions, même en présence des faits nouveaux.

Or, l'évaluation du risque de récidive – qui sera rendue dans le cadre du complément d'expertise – ne concerne ni l'établissement des faits ni la faute/culpabilité du prévenu, mais intervient dans le cadre de la détention provisoire, puis, sur le fond, pour déterminer la peine et/ou l'éventuelle mesure institutionnelle, soit des sujets qui excèdent le champ d'intervention de la partie plaignante.

La recourante ne dispose donc pas d'un intérêt juridiquement protégé à faire modifier l'ordonnance querellée, de sorte que son recours est irrecevable.

3.             Eût-il été recevable, que le recours aurait dû être rejeté comme infondé.

3.1.  Selon l'art. 189 CPP, la direction de la procédure, d’office ou à la demande d’une partie, fait compléter ou clarifier une expertise par le même expert ou désigne un nouvel expert si l’expertise est incomplète ou peu claire (let. a), plusieurs experts divergent notablement dans leurs conclusions (let. b) ou l’exactitude de l’expertise est mise en doute (let. c).

L'expertise devra être complétée, respectivement actualisée, si, en raison d'une modification de l'état de fait, il y a lieu de s'attendre à ce que les réponses de l'expert soient différentes du résultat de l'expertise déjà établie (arrêt du Tribunal fédéral 6B_272/2012 du 29 octobre 2012 consid. 2.3.4).

3.2.  À teneur de l'art. 183 al.1 CPP, seule peut être désignée comme expert une personne physique qui, dans le domaine concerné, possède les connaissances et les compétences nécessaires.

3.3.  En l'occurrence, la recourante met en doute les compétences des experts, et leur impartialité, s'ils étaient amenés à réévaluer le prévenu. Elle leur reproche d'avoir mal apprécié le risque de réitération, qu'ils ont estimé faible, alors que le prévenu est désormais prévenu pour des faits similaires, commis à son détriment quelques mois seulement après l'établissement de l'expertise.

Une éventuelle mauvaise appréciation – sur la base de faits qui, ici, ne concernaient au demeurant pas cette partie plaignante – ne remet toutefois pas en cause la compétence des experts, et la recourante ne parvient pas, même à l'aide des exemples énoncés, à démontrer que les Drs K______ et L______ auraient mal exécuté leur mission en raison de lacunes dans leurs qualifications. Par ailleurs, aux termes de l'art. 189 CPP, l'expertise complémentaire a précisément pour but de permettre aux mêmes experts de compléter leur analyse, en particulier en présence de faits nouveaux, ce qui est le cas en l'espèce. Enfin, les deux experts avaient envisagé la possibilité d'une réévaluation si les déclarations du prévenu devaient évoluer. A fortiori peuvent-ils y procéder en présence de faits nouvellement reprochés à l'intéressé.

Il s'ensuit que les conditions d'un complément d'expertise sont remplies, sans qu'il soit besoin de confier cette tâche à de nouveaux experts.

4.             La recourante, au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite, sera dispensée des frais de la procédure de recours (art. 136 al. 2 let. b CPP).

5.             Il n'y a pas lieu d'indemniser, à ce stade, le défenseur d'office du prévenu, qui obtient gain de cause (art. 135 al. 2 CPP), pour les observations.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare le recours irrecevable.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante (soit pour elle son conseil), aux deux autres parties plaignantes (soit pour elles leur conseil respectif), au Ministère public et au prévenu (soit pour lui son conseil).

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).