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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/17122/2023

ACPR/933/2023 du 04.12.2023 sur ONMMP/3292/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : PRÉSOMPTION D'INNOCENCE;DÉPENS;PRÉVENU
Normes : CPP.429; CPP.426

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17122/2023 ACPR/933/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 4 décembre 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 21 août 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 4 septembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 21 août précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a renoncé à entrer en matière sur les faits dénoncés le concernant (chiffre 1 du dispositif) et l'a condamné aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 510.- (chiffre 2).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation du chiffre 2 du dispositif de l'ordonnance querellée et à l'allocation d'une indemnité de CHF 1'200.- fondée sur l'art. 429 CPP.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 20 juin 2023, C______ a déposé plainte contre A______.

Elle avait entretenu une relation avec le précité entre 2018 et 2021, marquée par des violences physiques et verbales de la part de ce dernier. Après leur séparation, il l'avait "harcelée" par téléphone, en lui envoyant de nombreux messages ou en tentant, à réitérées reprises, de l'appeler. Le 1er novembre 2022, il l'avait humiliée au milieu du club "D______" en lui disant qu'elle était "sale" et le 17 juin 2023, il l'avait traitée de "pute", de "grosse salope" et de "chienne" alors qu'elle se trouvait sur une terrasse avec une amie.

b. Elle a produit à l'appui de sa plainte des extraits de conversations WhatsApp avec A______.

Bien que tumultueux, au vu du conflit sentimental, les messages envoyés par A______ qui se distinguent le plus compte tenu du contexte sont les suivants:

-          "Tu as jusqu'à 3h15", "Je te bloque de partout après", "3min", "J'attends";

-          "Donc je serai là en cas d'urgence mais plus pour le reste on a pas les meme objectifs C______ Moi je veux tout niquer et je vais le faire et sans toi j'ai compris ce soir";

-          "Dernière fois que j'appelle";

-          "Samedi dernier tu m'as mis un couteau dans le dos alors que tu donnes de l'énergie à d'autres hommes je te le pardonnerai pas sauf miracle";

-          "Fait ta vie avec et dégage de ma vie";

-          "Tu m'as brisé samedi et je vais devenir un monstre tu verras merci pour ça tu es la force qui me manquait après m'avoir bien manipulé encule et fait quitter mon ex".

c. Entendu par la police, A______ a contesté les faits reprochés. En particulier, les messages produits par C______ étaient sortis de leur contexte. Il ne l'avait pas harcelée et avait plutôt subi de nombreuses insultes, menaces et agressions de la part de cette dernière. Le 17 juin 2023, alors qu'il se trouvait avec sa copine, il avait simplement lancé à C______ "retourne avec ton Albanais".

d. À la suite de son audition, A______ a déposé plainte contre C______ et produit, à l'appui, d'autres messages échangés avec cette dernière, desquels il ressort plusieurs insultes de la précitée à son égard à lui, étant relevé qu'une partie de ses propres réponses a été supprimée.

e. L'amie de C______ présente le 17 juin 2023 a affirmé, à la police, que A______ avait proféré les épithètes "pute" et "salope" le jour en question, tandis que la copine de ce dernier a nié que des insultes furent échangées lors de cette rencontre.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient, pour les événements du 17 juin 2023, que les témoignages contradictoires ne permettaient pas d'établir la culpabilité de A______, même s'il semblait évident que les parties avaient eu "un échange peu courtois ce jour-là". Pour les faits allégués du 1er novembre 2022, pouvant être constitutifs d'injure notamment, la plainte était tardive. Cela étant, il ressortait du dossier et des déclarations de C______ et de A______ que des "propos inadéquats" avaient été proférés de part et d'autre. Ce dernier devait donc se douter, au vu des circonstances, que son attitude risquait de provoquer l'ouverture d'une enquête pénale. Pour ce motif, les frais de la procédure devaient être mis à sa charge et aucune indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 CPP ne lui était accordée.

D. a. Dans son recours, A______ expose que les éléments du dossier ne permettaient pas de retenir qu'il avait insulté C______. Les relations n'étaient, certes, pas "bonnes" entre eux mais son comportement à lui n'était, dans tous les cas, pas susceptible de provoquer l'ouverture d'une instruction pénale. Rien ne justifiait donc de mettre à sa charge les frais de la procédure et de lui refuser une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice de ses droits.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. À titre subsidiaire, A______ devait être indemnisé à hauteur de CHF 400.- seulement pour ses frais de défense.

c. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner un point d'une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant conteste la mise à sa charge des frais de la procédure liée à la non-entrée en matière et, partant, le refus d'indemnisation.

2.1. Aux termes de l'art. 429 al. 1 CPP, le prévenu bénéficiant d'une ordonnance de classement a notamment droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (let. a) et à une réparation du tort moral en cas de privation de liberté (let. c).

La question de l'indemnisation selon l'art. 429 CPP doit être tranchée après celle des frais, selon l'art. 426 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_565/2019 du 12 juin 2019 consid. 5.1; 6B_373/2019 du 4 juin 2019 consid. 1.2). Dans cette mesure, la décision sur ceux-ci préjuge du sort de celle-là (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2; 137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357).

2.2. En vertu de l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge, s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais, respectivement le refus de lui allouer une indemnisation à raison du préjudice subi par la procédure pénale, doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais, respectivement un refus d'indemnisation, n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte (ATF  144 IV 202 consid. 2.2; 119 Ia 332 consid. 1b; 116 Ia 162 consid. 2c).

Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_301/2017 du 20 février 2018 consid. 1.1).

Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation (ATF 116 Ia 162 consid. 2c; arrêt 6B_301/2017 précité consid. 1.1). Le juge ne peut fonder sa décision que sur des faits incontestés ou déjà clairement établis. La mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (ATF 144 IV 202 consid. 2.2).

2.3. En l'espèce, le Ministère public a justifié sa décision de mettre les frais à la charge du recourant par le fait que celui-ci devait prévoir qu'en échangeant des "propos inadéquats" avec son ancienne compagne, son comportement était susceptible de déboucher sur le dépôt d'une plainte à son encontre.

Ce raisonnement se fonde faussement sur la prémisse que le recourant aurait tenu des propos, à l'oral ou à l'écrit, ou adopté une attitude, qui dépasseraient ce qui serait communément admissible selon la bienséance et le respect d'autrui.

Or, c'est justement parce que le Ministère public n'a pas pu établir l'existence de propos diffamatoires ou injurieux, notamment lors de l'épisode du 17 juin 2023, qu'il a décidé de ne pas entrer en matière sur les faits dénoncés. Tout au plus, le recourant a admis avoir proféré "retourne avec ton Albanais" à son ex-compagne, ce qui ne serait pas de nature à justifier l'ouverture d'une instruction.

Il en va de même pour les messages du recourant versés à la procédure. Aucun ne revêt un caractère injurieux ni même particulièrement méprisant. Si certains ont été effacés, la présomption d'innocence ne permet pas de retenir, abstraitement, qu'ils seraient à même de renverser ce constat.

Il en résulte qu'aucun comportement fautif du recourant ne peut être établi. Dès lors, les frais de la procédure ne pouvaient être mis à sa charge. Les frais de l'ordonnance querellée seront par conséquent laissés à la charge de l'État.

2.4. Le sort des frais préjugeant celui des indemnités au sens de l'art. 429 CPP, le Ministère public se doit, compte tenu de ce qui précède, d'examiner les prétentions émises par le recourant en indemnisation de ses dépenses raisonnables occasionnées par la procédure.

Afin de permettre au recourant de bénéficier du double degré de juridiction, la cause sera renvoyée au Ministère public (art. 397 al. 2 CPP) pour qu'il statue sur la demande d'indemnité et qu'il en détermine le montant.

3.             Fondé, le recours doit être admis.

4.             L'admission du recours ne donnera pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             Le recourant, prévenu, obtient gain de cause et a droit à une indemnité pour ses frais de défense (art. 436 al. 1 cum 429 al. 1 let. a CPP). À ce titre, il conclut au versement d'un montant de CHF 1'200.-.

5.1. Lors de la fixation de l'indemnité, le juge ne doit pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/19/2023 du 10 janvier 2023 consid. 6.1).

5.2. En l'espèce, l'indemnité sollicitée apparaît excessive, compte tenu du recours de six pages (page de garde et conclusions comprises) dans une cause dépourvue de toute complexité. Elle sera réduite à CHF 600.-, TVA à 7.7% incluse.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule le chiffre 2 de l'ordonnance querellée.

Dit que les frais de la procédure de première instance sont laissés à la charge de l'État.

Renvoie la cause au Ministère public pour qu'il statue sur la demande d'indemnité en faveur de A______.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 600.-, TVA (7.7% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).