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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6706/2022

ACPR/910/2023 du 17.11.2023 sur ONMMP/2218/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;LÉSÉ;LOI COVID-19;ESCROQUERIE
Normes : OCaS-COVID-19.23; OCaS-COVID-19.6; LCaS-COVID-19.5; LCaS-COVID-19.2; LCaS-COVID-19.25; CPP.382; CPP.104.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6706/2022 ACPR/910/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 17 novembre 2023

 

Entre

A______, sise ______ [VD], représentée par Me B______, avocat, ______,

recourante,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 6 juin 2023 par le Ministère public,

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 19 juin 2023, [l'organisme de cautionnement] A______ recourt contre l'ordonnance du 6 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

b. Il a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. C______ SARL (ci-après, C______), dont l'associé gérant avec signature individuelle est D______, est titulaire de deux comptes courants – no 1______ (ci-après, compte 1______ ou compte en CHF) et n 2______ (ci-après, compte 2______ ou compte en EUR) – auprès de [la banque] E______.

F______ SARL (ci-après, F______), dont l'associé gérant avec signature individuelle était D______, a été radiée le ______ 2020 à la suite de sa fusion avec C______, laquelle a repris les actifs et les passifs envers les tiers. La société était titulaire d'un compte [bancaire] no 3______ (ci-après, compte 3______) auprès de E______.

b. Les 26 et 30 mars 2020, D______ a rempli et signé, au nom et pour le compte des sociétés précitées, deux formulaires de convention de crédit COVID-19 avec E______, déclarant un chiffre d'affaires de CHF 605'000.-, respectivement de CHF 388'000.-, pour deux employés (lui-même et son épouse).

Le preneur du crédit s'engageait "à utiliser le crédit accordé sur la base de la présente convention uniquement pour couvrir ses besoins courants de liquidités. Ne sont pas autorisés, notamment, […] pendant la durée du cautionnement solidaire, la distribution de dividendes et de tantièmes ainsi que le remboursement d'apports de capital, […] le refinancement de prêts privés ou d'actionnaires; le remboursement de prêts intragroupes […]". Le montant du crédit était garanti exclusivement par A______.

c. Sur la base de ces conventions, C______ et F______ ont obtenu des crédits de CHF 60'000.- et de CHF 38'500.- – sous la forme d'une limite de crédit des mêmes montants (limite de découvert) – sur leurs comptes courants 1______ et 3______. Elles pouvaient utiliser, à tout moment, le montant de crédit souhaité jusqu'au montant maximal fixé en débitant leurs comptes courants.

d. Il ressort des relevés du compte 3______ de F______ que le 2 avril 2020, des montants de CHF 9'450.- et CHF 4'890.- ont été débités au profit des comptes aux noms de D______, respectivement de son épouse G______ (PP 100'021).

e. Les relevés du compte en CHF de C______ font état de douze virements, entre les 6 avril et 16 juin 2020, d'un montant total de CHF 14'475.67 en faveur de plusieurs comptes ouverts au nom de D______ (PP 100'055 à 100'079), ainsi que de deux virements d'un montant total de CHF 1'616.- sur le compte 3______ de F______ (PP 100'054 et 100'063). De même, entre les 28 avril 2020 et 5 janvier 2021, 24 virements totalisant CHF 69'489 ont été transférés sur le compte en EUR de C______ (PP 100'062 à 100'104).

Le compte en CHF de C______ présentait, au 10 juin 2020, un solde négatif de CHF 59'999.22 (PP 100'077) – correspondant au montant le plus élevé du découvert  –.

Pour la période du 26 mars 2020 au 11 avril 2021, les crédits et les débits sur le compte en CHF totalisaient CHF 150'152.45, respectivement CHF 203'262.36 (PP 100'108).

f. D'après les relevés du compte en EUR de C______ SA, entre les 28 mars 2020 et le 19 janvier 2021, 80 retraits en espèces – dont 53 en francs suisses – avaient été effectués, pour un montant total d'EUR 60'481.26 (PP 100'118 à 100'219).

Pour la période du 1er mars au 30 juin 2020 les crédits et les débits sur ledit compte totalisaient EUR 566'829.50, respectivement EUR 355'142.79 (PP. 100'119; 100'133; 100'145 et 100'161). Entre le 1er juillet 2020 et le 19 avril 2021 – date de la clôture du compte – les crédits s'élevaient à EUR 257'344.39 et les débits à EUR 472'781.80 (PP 100'174 à 100'225).

g. Par courriers des 9 février 2021, E______ a résilié avec effet immédiat les crédits COVID-19 octroyés à F______ et C______ et exigé le remboursement des sommes de CHF 37'981.17 et CHF 57'495.10 au plus tard au 9 avril 2021.

h. Les 12 et 14 avril 2021, E______ a fait appel à la caution de A______, laquelle a remboursé la banque les 26 mai et 11 juin 2021 et a été subrogé aux droits de la précitée à concurrence de CHF 52'089.66, respectivement de CHF 37'926.17.

i. Par courrier du 22 mars 2022, A______ a déposé plainte pénale contre D______ pour escroquerie (art. 146 CP) et violation des art. 23 de l'ancienne Ordonnance du Conseil fédéral du 25 mars 2020 sur l'octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (OCaS-COVID-19; RS 951.261) et 25 de la Loi fédérale du 18 décembre 2020 sur les crédits garantis par un cautionnement solidaire à la suite du coronavirus (LCaS-COVID-19; RS 951.26), lui reprochant, en substance, d'avoir effectué, sans fournir des justifications, les transferts décrits sous B.e à B.f.

A______ s'est constituée partie plaignante au pénal et au civil.

j.a. Entendu par la police le 2 mai 2022, D______ a déclaré que lui-même et son épouse percevaient un salaire annuel d'environ EUR 20'000.- chacun, en tant qu'employés de C______. Depuis la création de cette dernière, ils avaient investi au total entre EUR 80'000.- et EUR 100'000.-. Les crédits COVID-19 avaient été utilisés pour le paiement des salaires, des factures, des fournisseurs et des frais liés à la fusion de F______ et C______. Il était prévu d'utiliser la limite de découvert jusqu'à fin mars 2022, époque où ils devaient commencer les remboursements.

Les virements du 2 avril 2020 d'un montant total de CHF 14'340.- (cf. B.d) – effectués depuis le compte de F______, en faveur de lui-même et de son épouse – correspondaient à "des rappels de salaire […], des remboursements d'avances, des remboursements de frais professionnels payés par [leurs] comptes personnels, notamment les frais internet et les paiements de fournisseurs". Il en allait de même s'agissant des virements du compte en CHF de C______ d'un montant total de CHF 14'475.67 (cf. B.e) effectués sur des comptes ouverts à son nom. Par ailleurs, les deux transferts d'un montant total de CHF 1'616.- sur le compte de F______ avaient pour but "d'ajuster les comptes" et de débuter le remboursement du prêt COVID. Enfin, les virements vers le compte en EUR de C______ avaient servi à payer les fournisseurs en cette monnaie.

C______ réalisait un chiffre d'affaires annuel entre CHF 550'000.- et CHF 650'000.-. Lui-même et la société fiduciaire H______ s'occupaient de la comptabilité de la précitée et de F______.

j.b. À teneur du formulaire de situation personnelle et financière, joint au procès-verbal d'audition signé, D______ et son épouse déclaraient percevoir un revenu mensuel de CHF 3'500.- chacun.

Était également joint un courrier du 2 mai 2022 adressé au A______ et à la Brigade financière, dans lequel D______ reprend en substance les explications sus-énoncées.

k. D'après le rapport de renseignements de la police du 19 mai 2022, il n'était pas possible de procéder à une analyse fiable des comptes bancaires des sociétés, au vu de l'octroi des crédits sous la forme d'une limite de découvert et compte tenu des entrées et sorties constantes sur lesdits comptes. Cela étant, aucune transaction douteuse ou frauduleuse n'avait pu être constatée.

l. Par pli du 29 novembre 2022, le Ministère public a sollicité de D______ la transmission des factures permettant d'établir l'utilisation des montants retirés en espèces depuis le compte en EUR de C______, ainsi que – s'agissant des virements effectués en sa faveur et celle de son épouse – la production des documents expliquant la part relative aux salaires et celle concernant les remboursements d'avances et de frais professionnels.

m. Par courrier du 12 décembre 2022 adressé au Ministère public, D______ a expliqué que, sur les montants totaux versés en sa faveur et celle de son épouse, 65% correspondait à des salaires et 35% à des "paiements d'avances personnelles remboursables de la période du 1er semestre 2020 […]".

Y étaient jointes 221 factures dues par F______ et C______ pour la période de février à décembre 2020, dont certaines payées (PP 610'016 à 610'237). Les montants retirés en espèces depuis le compte en EUR de la seconde nommée ne semblent pas correspondre à ceux desdites factures.

n. À teneur d'une note du Ministère public du 25 avril 2023, faisant suite à un échange avec l'Office cantonal des assurances sociales, D______ et son épouse avaient annoncé des salaires annuels pour l'année 2020 de l'ordre de CHF 14'340.- chacun en tant qu'employés de C______.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public considère que les éléments constitutifs de l'escroquerie n'étaient pas réalisés, dans la mesure où les crédits COVID-19 n'avaient pas été obtenus moyennant des fausses indications. S'agissant des virements effectués en faveur de D______ et de son épouse, bien que le premier nommé n'avait pas été en mesure de prouver l'utilisation de la totalité des fonds, il convenait de considérer sa faute comme légère en vertu de l'art. 52 CP. Il en allait de même des virements en faveur de F______ depuis le compte de C______, au vu de la faible valeur des montants litigieux. Enfin, les transferts au bénéfice du compte en EUR de C______ – ainsi que les retraits en espèces depuis ce compte – avaient été effectués au moyen des revenus de la société et non pas à l'aide de la ligne de crédit.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public une constatation inexacte des faits et une violation de droit. Les éléments constitutifs de l'art. 2 al. 2 let. a LCaS-COVID-19, respectivement de l'art. 6 al. 3 [a]OCaS-COVID-19, étaient réunis, dans la mesure où la différence entre les salaires annoncés à l'OCAS et ceux effectivement perçus par les époux D______/G______ s'apparentait à un dividende. De même, les retraits en espèces depuis le compte en EUR de C______ – sans aucun justificatif et incompatibles avec l'obligation de tenir une comptabilité commerciale – laissaient présumer que l'associé gérant s'était octroyé des dividendes cachés, voire un prêt. Il importait peu que le précité ait utilisé des revenus de la société et non pas la ligne de crédit. Enfin, une violation de l'art. 2 al. 2 let. b LCaS-COVID ne pouvait pas d'emblée être exclue, dès lors que D______ avait expliqué que les montants versés dans des comptes appartenant à lui et à son épouse correspondaient entre autre à des remboursements d'avances.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. La différence entre les salaires annoncés à l'OCAS et ceux effectivement perçus par les époux D______/G______ s'expliquait par l'augmentation de leur activité au sein de C______, à la suite de la fusion de celle-ci avec F______. Par ailleurs, replacés dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les termes "remboursement d'avance" mis en avant par D______ devaient être compris comme signifiant des "avances faites […] pour la survie [de C______] et non pas comme le remboursement de prêts d'associés". Enfin, s'agissant des prélèvements en espèces, il n'existait aucun soupçon de violation à l'art. 2 al. 2 lit. a LCaS-COVID-19, au vu des déclarations du mis en cause et du chiffre d'affaires généré par C______.

c. Dans sa réplique, A______ soutient que D______ n'avait fourni ni fiche salaire permettant d'attester d'une éventuelle augmentation de salaire, ni pièce relative au chiffre d'affaires de C______. Par ailleurs, contrairement à l'avis du Ministère public, le remboursement de prêts à des proches n'était pas admissible. Enfin, l'art. 52 CP ne s'appliquait pas au cas d'espèce.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2.1. Seule une partie qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée a qualité pour recourir contre celle-ci (art. 382 al. 1 CPP).

La partie plaignante a qualité de partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). L'art. 115 al. 1 CPP définit le lésé comme étant toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction.

1.2.2. Selon l'art. 104 al. 2 CPP, la Confédération et les cantons peuvent reconnaître la qualité de partie, avec tous les droits, ou des droits limités, à d'autres autorités chargées de sauvegarder des intérêts publics.

1.2.3. L'art. 5 al. 1 LCaS-COVID-19 prévoit qu'en ce qui concerne les cautionnements solidaires octroyés en vertu de l'OCaS-COVID-19, les organisations de cautionnement assurent les tâches suivantes: (a) la gestion, la surveillance et le règlement des cautionnements; (b) les tâches qui leur sont attribuées dans le cadre de la prévention de la lutte et de la poursuite en matière d'abus; (c) les tâches prévues par la convention conclue avec la Confédération.

L'al. 2 de cette disposition prévoit qu'afin d'accomplir leurs tâches, les organisations de cautionnement peuvent introduire et mener des procédures civiles et pénales de manière autonome (let. b) et se constituer parties plaignantes dans des procédures pénales; elles ont tous les droits et obligations qui en découlent (let. c).

Pour sauvegarder les intérêts de la Confédération, les organisations de cautionnement disposent en tant que partie plaignante de tous les droits et obligations prévus aux art. 118 ss CPP. Pour les organisations de cautionnement, qui ont en leur qualité de cautions solidaires une responsabilité directe envers les donneurs de crédit, cette possibilité existe aussi dans les procédures pénales qui sont exécutées avant la sollicitation formelle ou le versement formel du cautionnement (Message du Conseil fédéral concernant la Loi sur les crédits garantis par un cautionnement solidaire à la suite du coronavirus [ci-après, Message], FF 2020 8195 s.).

1.2.4. En l'espèce, la recourante est une organisation de cautionnement reconnue par la Confédération, de sorte qu'elle revêt cette qualité au sens de l'art. 5 LCas-COVID-19. Par ailleurs, les sociétés F______ et C______ ont obtenu un crédit COVID-19 garanti exclusivement par son cautionnement. La recourante doit ainsi être reconnue comme partie plaignante en vertu de l'art. 5 al. 2 LCaS-COVID-19.

1.3. Il s'ensuit que la recourante dispose de la qualité pour recourir contre l'ordonnance querellée et que le recours est recevable.

2. À titre liminaire, la Chambre de céans constate que la recourante ne remet pas en cause l'ordonnance de non-entrée en matière en tant qu'elle concerne les infractions d'abus de confiance (art. 138 CP), d'escroquerie (art. 146 CP) et de blanchiment d'argent (art. 305bis CP). Ces points n'apparaissant plus litigieux, ils ne seront pas examinés plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).

3. La recourante reproche au Ministère public une constatation erronée des faits. Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 198; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

4. La recourante reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte pour violation de l'art. 25 LCaS-COVID-19, respectivement de l'art. 23 OCaS-COVID-19.

4.1. Le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité ; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; ATF 138 IV 86 consid. 4.1; ATF 137 IV 219 consid. 7).

4.2. Dans le contexte de la pandémie de coronavirus (COVID-19), les autorités fédérales ont pris de nombreuses mesures visant à atténuer les conséquences économiques de celle-ci, en particulier à éviter les licenciements massifs, à garantir le versement des salaires en cas d'absence involontaire au travail et à empêcher que des entreprises et des travailleurs indépendants solvables ne soient acculés à la faillite en raison d'un manque de liquidités. C'est ainsi qu'en date du 26 mars 2020 est entrée en vigueur l'OCaS-COVID-19, laquelle a été abrogée le 18 décembre 2020 et remplacée par la LCas-COVID-19, entrée en vigueur le lendemain. Cette loi définit notamment le but des cautionnements solidaires octroyés en vertu de l'OCas-COVID-19 ainsi que la prévention, la lutte et la poursuite en matière d'abus en lien avec l'octroi de cautionnements solidaires et de crédits (art. 1).

L'art. 2 al. 1 LCas-COVID-19 prévoit que le cautionnement solidaire au sens de l'OCaS-COVID-19 sert à garantir un crédit pour les besoins en liquidités du preneur de crédit suite à l'épidémie de COVID-19.

Selon l'art. 2 al. 2 LCas-COVID-19 – qui reprend le contenu de l'art. 6 al. 3 let. a et b aOCas-COVID-19 – sont exclus pendant la durée du cautionnement solidaire l'octroi de dividendes et de tantièmes (let. a), ainsi que l'octroi de prêts ou le remboursement de prêts d'associés ou de personnes proches (let. b). Cette disposition sert à éviter les incitations inopportunes lors du recours aux crédits que la Confédération cautionne en définitive avec des fonds publics, ainsi qu'à maintenir une certaine pression sur les preneurs de crédit, afin qu'ils amortissent leurs dettes (Message FF 2020 p. 8188).

La distribution de dividendes et de tantièmes, respectivement l'octroi de prêts ou le remboursement de prêts d'associés ou de personnes proches, est exclu de manière générale, à compter de l'obtention du crédit COVID-19 jusqu'à son remboursement (Message FF 2020 8189). Le fait que ces opérations soient accomplies en utilisant d'autres avoirs que le crédit COVID-19, ou encore que le crédit COVID-19 mis à disposition n'ait jamais été utilisé n'est pas pertinent (KELLERHALS CARRARD / BÜRGSCHAFTSGENOSSENSCHAFTEN SCHWEIZ (éds), Corona-Kredite für KMU : Umsetzung des Massnahmenpakets und Kommentierung des Covid-19 Solidarbürgschaftsgesetzes, Zurich 2021, N. 16 et 36 ad art. 2). En effet, les moyens financiers obtenus grâce à un crédit COVID-19 se mélangent avec les autres avoirs de l'entreprise et ne peuvent en être isolés (arrêt du Kantonsgericht de Zoug GVP 2022 89 du 24 janvier 2022 consid. 3.4 ; B. MÄRKLI / M. GUT, Missbrauch von Krediten nach COVID-19-Solidarbürgschaftsverordnung, in PJA 2020, p. 732).

La notion de dividendes doit être interprétée au sens large et comprend les dividendes en espèces, ainsi que ceux en nature et "cachés". Il est question des dividendes en droit de la société anonyme (art. 675 ss CO) et en droit de la société à responsabilité limitée (art. 798 ss CO) (KELLERHALS CARRARD / BÜRGSCHAFTSGENOSSENSCHAFTEN SCHWEIZ (éds), op. cit. N. 23 ad art. 2).

4.3. L'art. 25 al. 1 LCas-COVID-19 – qui reprend sans modification matérielle l'art. 23 aOCas-COVID-19 – prévoit que quiconque, de manière intentionnelle, obtient un crédit en vertu de l'OCaS-COVID-19 en fournissant de fausses indications ou viole une ou plusieurs prescriptions de l'art. 2 al. 2 à 4 de cette même loi, est puni d'une amende de 100'000 francs au plus. La commission d'une infraction pénale plus grave au sens du code pénal est réservée.

4.4. L'art. 8 al. 1 CPP prévoit que le ministère public peut renoncer à toute poursuite pénale, notamment lorsque les conditions visées aux art. 52 à 54 CP sont remplies.

Selon l'art. 52 CP, si la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte – conditions cumulatives – sont peu importantes, l'autorité compétente renonce à lui infliger une peine.

L'exemption de peine suppose que l'infraction soit de peu d'importance, tant au regard de la culpabilité de l'auteur que du résultat de l'acte. L'importance de la culpabilité et celle du résultat dans les cas typiques de faits punissables revêtant la même qualification; il ne s'agit pas d'annuler, par une disposition générale, toutes les peines mineures prévues par la loi (Message concernant la modification du code pénal suisse [disposition générales, entrée en vigueur et application du code pénal] et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 21 septembre 1998, FF 1999 p. 1871). Pour apprécier la culpabilité, il faut tenir compte de tous les éléments pertinents pour la fixation de la peine, notamment des circonstances personnelles de l'auteur, telles que les antécédents, la situation personnelle ou le comportement de l'auteur après l'infraction
(ATF 135 IV 310 consid. 5.4).

4.5. En l'espèce, la recourante reproche au mis en cause de s'être octroyé des dividendes et d'avoir procédé à des remboursements de prêts.

Force est de constater que, s'agissant des montants des salaires versés, les déclarations du mis en cause lors de l'audition devant la police ne coïncident pas avec la documentation soumise à l'OCAS, pas plus qu'avec le formulaire de situation financière. Qui plus est, sollicité par le Ministère public, le précité n'a fourni aucun justificatif, tel que des fiches de salaires ou des pièces comptables. Par ailleurs, entre les 28 mars 2020 et 19 janvier 2021, 80 retraits d'argent liquide – dont 53 en francs suisses – d'un montant total d'EUR 60'481.26 ont été effectués depuis le compte en EUR de C______ sans que leur utilisation ne puisse être établie avec certitude, étant précisé que les montants énoncés dans les factures produites par le mis en cause ne semblent pas correspondre auxdits prélèvements. Contrairement à ce que soutient le Ministère public, la limite de découvert du crédit n'a pas été atteinte avant les retraits litigieux – de sorte que le mis en cause aurait utilisé uniquement des fonds de la société –, mais le 10 juin 2020, soit, bien après les premiers desdits retraits. Quoi qu'il en soit, les moyens financiers obtenus grâce au crédit COVID-19 ont été mélangés avec ceux de la société et ne pouvaient en être isolés. Enfin, le mis en cause a expliqué qu'une partie des montants versés sur des comptes lui appartenant, ainsi qu'à son épouse, correspondaient à des remboursements d'avances. Quoi qu'en dise le Ministère public, la nature de l'opération n'est pas claire, étant précisé que le remboursement des prêts d'actionnaires et de personnes proches est exclu pendant la durée du cautionnement solidaire.

Il résulte de ce qui précède qu'une application de l'art. 25 LCas-COVID-19 – respectivement de l'art. 23 OCas-COVID-19 – ne pouvait pas d'emblée être exclue. De même, les doutes sus-évoqués ne permettent pas de retenir que les conditions de l'art. 52 CP seraient clairement remplies.

Il appartiendra au Ministère public de procéder aux mesures d'instruction nécessaires, notamment en demandant la production des comptabilités de F______ et C______, ainsi qu'en procédant à l'audition de leur comptable et de l'épouse du mis en cause.

5. Le recours doit être admis. L'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public.

6. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP). Les sûretés versées par la recourante lui seront restituées.

7. 7.1. À teneur de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnités et en réparation du tort moral dans la procédure de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

Les honoraires d'avocat se calculent selon le tarif usuel du barreau applicable dans le canton où la procédure se déroule (ATF 142 IV 163 consid. 3.1). À Genève, la Cour de justice retient un tarif horaire de CHF 450.- pour un chef d'étude et CHF 150.- pour un avocat stagiaire (ACPR/223/2022 du 31 mars 2022 consid. 2.1 et les références citées).

7.2. En l'espèce, la recourante conclut à l'octroi d'une indemnité de CHF 2'775.- [TVA non incluse] correspondant à 2h d'activité d'un chef d'étude et 12h30 d'activité d'un avocat-stagiaire.

L'activité déployée apparaît raisonnable, compte tenu de la complexité de l'affaire. L'indemnité sera ainsi fixée à CHF 2'988.70, TVA à 7,7% incluse.

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer l'avance de frais à la recourante (CHF 2'000.-).

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'988.70 TTC, à titre de dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).