Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
PM/662/2022

ACPR/860/2023 du 06.11.2023 sur JTPM/455/2023 ( TPM ) , REJETE

Descripteurs : LIBÉRATION CONDITIONNELLE;MESURE THÉRAPEUTIQUE INSTITUTIONNELLE
Normes : CP.62d; CP.64

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PM/662/2022 ACPR/860/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 6 novembre 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre le jugement rendu le 29 juin 2023 par le Tribunal d'application des peines et des mesures,

 

et

LE TRIBUNAL D'APPLICATION DES PEINES ET DES MESURES, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève, case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


 

EN FAIT :

A. a. Par acte daté du 11 juillet 2023 et reçu par le SAPEM le 17 suivant, A______ recourt contre le jugement du 29 juin 2023, notifié le 6 juillet suivant, par lequel le Tribunal d'application des peines et des mesures (ci-après, TAPEM) a ordonné la poursuite de la mesure institutionnelle (art. 59 CP), pour une durée d'un an, soit jusqu'au 12 septembre 2024.

Le recourant, en personne, conclut, à bien le comprendre, à l'annulation du jugement précité.

b. Le conseil du recourant, sollicité par la Direction de la procédure, a déclaré maintenir le recours de son client; il conclut à l'annulation du jugement et à ce que la libération conditionnelle soit ordonnée. Il sollicite en tant que de besoin l'extension de l'assistance judiciaire à la procédure de recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        A______ a été condamné le 9 octobre 2012, par le Tribunal correctionnel, à une peine privative de liberté de 5 ans et 6 mois, pour viol avec cruauté (art. 190 CP), actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP) et infraction à la loi fédérale sur les étrangers (art. 115 al. 1 let. b LEtr).

Cette peine a été suspendue au profit d'une mesure thérapeutique institutionnelle en milieu fermé (art. 59 al. 3 CP).

Il a ensuite été condamné:

-        le 24 septembre 2013, à une peine privative de liberté de 60 jours pour violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 CP);

 

-        le 14 juillet 2014, à une peine privative de liberté de 120 jours pour dommages à la propriété (art. 144 CP);

 

-        le 18 septembre 2018, à une peine privative de liberté de 120 jours pour violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 CP).

Ces peines sont également suspendues au profit de la mesure susmentionnée.

b.        À teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse du 11 mai 2023, A______ a été condamné le 17 février 2023 à une peine privative de liberté de 60 jours, pour violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 CP).

c.         A______ a été incarcéré à la prison de B______ du 26 novembre 2010 au 18 avril 2016, date à laquelle il a été transféré à [l'établissement pénitentiaire] D______ jusqu'au 19 septembre 2018, où il a été transféré aux établissements E______ avant de revenir à la prison de B______ le 28 mai 2019, où il séjourne actuellement.

d.        À teneur de l'expertise psychiatrique du 3 avril 2012, A______ a été diagnostiqué comme présentant une personnalité mixte (antisocial, émotionnellement labile type impulsif, traits narcissiques), des troubles de l'adaptation, réaction mixte anxiodépressive (incarcération, isolement), des troubles mentaux et du comportement liés à l'utilisation de dérivés du cannabis (utilisation continue) ainsi qu'à l'utilisation d'alcool (type dipsomanie).

e.         Par jugement du 28 juin 2021, le TAPEM a refusé la libération conditionnelle de la mesure institutionnelle demandée par A______ et ordonné sa poursuite. Par arrêt du 18 octobre 2021, la Chambre pénale de recours a rejeté le recours formé par l'intéressé contre ledit jugement.

f.                       a. Selon le rapport de B______ du 9 novembre 2021, A______ avait un caractère un peu impulsif et s'emportait rapidement; cependant, lorsqu'il recevait des explications des agents, il pouvait se calmer tout aussi rapidement; globalement ses relations avec le personnel étaient plutôt bonnes. Il avait toutefois tendance à l'observer et chercher les limites dans la relation. Son comportement était ainsi jugé inadéquat avec les agents. Il donnait plutôt satisfaction dans son travail.

f.b. Par courriel du 7 mars 2022, B______ a précisé ne rien avoir à ajouter à ce rapport.

g.a. Il ressort du rapport de suivi médico-psychologique du Service de médecine pénitentiaire (ci-après; SMP) du 29 novembre 2021 que, depuis mai 2021, A______ présentait globalement une stabilité psychique même si par moment, il avait une attitude agressive et une instabilité émotionnelle qui cédait grâce aux entretiens avec l'équipe médicale. Dernièrement, il avait participé à plusieurs bagarres avec des détenus et s'était montré agressif envers les agents de détention; il avait été sanctionné à plusieurs reprises. Son état restait fragile du point de vue psychiatrique et nécessitait la poursuite du suivi régulier et une prise en charge psychothérapeutique.

La prison de B______ n'était pas un lieu adapté sur le long terme, en l'absence d'une unité dédiée aux personnes vulnérables. Les objectifs de la mesure institutionnelle ne pouvaient être atteints dans ces conditions et la situation personnelle du patient risquait de se péjorer à nouveau. Outre la prise en charge psychiatrique et psychothérapeutique individuelle, il était important que l'intéressé puisse bénéficier d'une prise en charge groupale orientée sur les habilités sociales et d'un projet professionnel en vue d'une réinsertion progressive.

g.b. Dans son rapport du 12 avril 2022, le SMP a repris la même appréciation de la situation et soutient un transfert à [l'établissement] F______, en accord avec le patient.

g.c. Le rapport d'évaluation du 3 mai 2022 du Service des mesures institutionnelles (ci-après, SMI) a conclu que A______ paraissait évoluer favorablement sur le plan comportemental, malgré quelques épisodes de violence. Le cadre strict, la prise du traitement médicamenteux, le suivi médical et la diminution de toxiques contribuaient certainement à ce résultat. Il rejoignait les conclusions des thérapeutes et estime que l'intéressé pourrait bénéficier d'une progression dans sa mesure, sous la forme d'un transfert dans un établissement tel que F______.

h.        Dans son préavis du 20 juin 2022, donné dans le cadre de l'examen annuel de la mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l'art. 59 CP, le Service de l'application des peines et mesures (ci-après; SAPEM) a précisé, que depuis le jugement du TAPEM du 28 juin 2021, les démarches afin de placer A______ dans un établissement d'exécution, que ce soit en Suisse alémanique ou à F______, avaient été vaines. Une admission dans ce dernier établissement n'était, en outre, pas envisageable, l'intéressé s'y étant fermement opposé par courrier du 22 mai 2022 et par courrier, en ce sens, le 13 mai 2022 à l'Office cantonal de la détention.

Le SAPEM a préavisé le maintien de la mesure thérapeutique institutionnelle au sens de l'art. 59 CP, en particulier au vu du refus de A______ de se soumettre à son renvoi, au retard dans la reddition du rapport d'expertise demandé en février 2022 et à la nécessité de consolider les progrès constatés et, le cas échéant, de pouvoir construire un projet en adéquation avec les besoins de l'intéressé. Toutefois, si la situation en vue du renvoi venait à se débloquer et que les conclusions de l'expertise ne s'opposaient pas à une telle libération, un nouveau préavis serait rédigé.

i.          Par requête du 15 juillet 2022, le Ministère public a préavisé favorablement la poursuite de la mesure afin de permettre au traitement psychiatrique entamé de faire ses preuves.

j.          À teneur de la nouvelle expertise psychiatrique du 12 août 2022, A______ souffre toujours, sur le plan psychique, d'un trouble de la personnalité grave, avec composante narcissique et antisociale, et d'un syndrome de dépendance aux benzodiazépines qui lui sont prescrits depuis de nombreuses années. Il présente une diminution de la consommation de cannabis et d'alcool ainsi que de la fréquence des troubles du comportement grave de type hétéro-agressivité, agitation et auto-mutilations.

A______ continue de présenter une labilité émotionnelle avec tendance à l'irritabilité mais semble y faire face de manière plus adaptée en faisant appel au service médical. D'autres traits de sa personnalité de type antisocial comme la tendance à la manipulation, aux mensonges, le manque d'introspection et la surestimation de soi sont persistants avec peu de perspective d'amélioration selon les différentes évaluations psychiatriques. Ce trouble de la personnalité est d'intensité sévère. Aucune thérapie médicamenteuse ni psychothérapeutique n'a prouvé son efficacité pour guérir ce type de pathologie; il est, par contre, connu dans la littérature que les manifestations comportementales dans le contexte d'un trouble de la personnalité antisociale ont tendance à diminuer après l'âge de 40 ans.

Le risque de récidive est évalué comme modéré à élevé en ce qui concerne des actes de violence de même nature que ceux commis jusqu'à maintenant. Concernant les items de gestion de risque dit « futurs», en cas de libération conditionnelle de la mesure, un certain nombre de points concernant le contexte social et environnemental ne sont à ce jour pas réglés comme, par exemple, le logement, le travail, la reconstitution d'un réseau social pro-social (qui ne consomme pas ni ne commette d'infraction). Les projets de l'intéressé paraissent peu concrets et fluctuants dans le temps, puisqu'il avait par exemple évoqué un retour en Italie en 2021 alors que son projet actuel est de retourner en Algérie. Malgré ses dires, l'intéressé parait bénéficier de peu de soutien personnel et, du fait d'un potentiel changement de situation, est à risque de se trouver dans des situations de stress.

Le risque de récidive est moyen concernant les actes de violences sexuelles.

Depuis la dernière expertise en 2012, l'expertisé a bénéficié d'entretiens psychiatriques et psychothérapeutiques individuels dans un premier temps et a ensuite effectué un séjour de deux ans à D______, de 2016 à 2018, avec une prise en charge psychiatrique, psychothérapeutique et sociale intégrée. C'est à partir de ce moment qu'il a présenté une amélioration notable de son comportement. Depuis 2018, il bénéficie à nouveau uniquement de consultations psychiatriques individuelles. Depuis cette date, l'expertisé n'avait plus été hospitalisé en milieu psychiatrique pour des troubles du comportement. La fréquence des sanctions disciplinaires s'était également espacée. Bien que l'expertisé adhérait aux soins, aucune évolution par rapport à la conscience de ses actes n'était notée.

Malgré l'efficacité manifeste de la mesure sur les aspects les plus "bruyants" de son trouble, davantage d'amélioration clinique n'était raisonnablement pas exigible. La poursuite de la mesure au sens de l'art. 59 CP n'était pas indiquée pour réduire le risque de récidive violente.

En cas de maintien de la mesure, une approche de psychothérapie de groupe mais surtout un travail de réinsertion sociale progressif avec entrainement aux habiletés sociales, formation professionnelle, suivi socio-éducatif pourraient être entrepris pour diminuer le risque de récidive, voire lui permettre de mieux adhérer aux soins. Etant donné l'absence de perspectives sur le sol suisse, un tel travail de réinsertion sociale apparaissait peu réaliste.

En cas de libération conditionnelle de la mesure avec renvoi de l'intéressé en Algérie, il était fondamental d'organiser un suivi médico-psycho-social afin de l'aider à sa réinsertion sociale ainsi qu'un suivi psychiatrique ambulatoire pour le maintien de sa stabilité comportementale et du contrôle de la consommation de substances dans un milieu ouvert. Il était également important que le lieu de vie soit clairement défini et que A______ se retrouve dans un environnement familier. Sans préparation d'un tel suivi, il était probable que l'intéressé rechute au niveau des consommations d'alcool et recommence à fréquenter des groupes peu pro-sociaux, ce qui pourrait augmenter le risque de récidive d'actes violents.

k.        Dans ses observations du 2 septembre 2022, A______ a conclu à sa libération conditionnelle, pour rentrer en Algérie.

l.          Dans son rapport de suivi médico-psychologique du 4 octobre 2022, le SMP a indiqué notamment avoir objectivé une stabilité clinique chez le concerné ainsi qu'une absence des troubles du comportement.

m.      Dans un rapport étoffé du 23 novembre 2022, la CED rappelle le parcours carcéral et institutionnel de A______. Elle prend acte de la progression notable de ce dernier dont la situation clinique était stabilisée sous médication et encadrement adéquats.

Les projets de réinsertion de l'intéressé, confirmés dans le cadre du suivi social auprès du SPI, étaient synthétisés comme suit : un projet, soutenu par son père, de mariage avec une femme algérienne avec qui il avait eu une relation dans le passé; des démarches accomplies par sa famille pour la production d'un contrat de travail, d'un certificat de prise en charge par un psychiatre et d'une adresse pour un logement; un emploi dans l'entreprise de sa future épouse.

La CED relève un certain paradoxe autour de la prise en charge de l'intéressé, puisqu'un placement institutionnel en milieu fermé semblait ne plus apporter de plus-value en vue d'améliorer le pronostic médico-légal mais qu'un suivi hors cadre institutionnel semblait être exclu, par exemple par le biais d'un traitement ambulatoire, en raison de l'absence de perspective de projet de vie sur le sol suisse. La seule issue retenue par l'expert consistait, en cas de renvoi de A______ en Algérie, d'organiser un suivi médico-social afin d'améliorer la réinsertion de ce dernier, de maintenir la stabilité clinique et le contrôle de la consommation de toxiques en milieu ouvert, au risque d'augmenter le risque de récidive d'actes violents.

La Commission, qui dit pouvoir se rallier à cette issue, pour autant qu'un suivi médico-social strict soit planifié et organisé en Algérie, constate que tel n'est pas le cas à ce jour, ne disposant d'aucun document tangible établissant la matérialité de la prise en charge de l'intéressé, une fois libéré et renvoyé dans son pays. Elle doute de la réelle volonté de l'intéressé de se soumettre, de sa propre initiative, à ce suivi, sur place en Algérie, ses motivations n'étant pas des plus explicites, puisqu'il indiquait vouloir suivre un traitement parce qu'on lui aurait dit que ce serait bien pour lui.

Elle estime qu'en l'état actuel du dossier, elle ne peut souscrire ou recommander la libération conditionnelle de la mesure de A______, sous peine d'exporter purement un risque de récidive d'actes violents, ce qu'elle se refuse même à envisager.

n.        Par demande du 23 novembre 2022, A______ a formellement demandé sa libération conditionnelle, étant prêt pour rentrer en Algérie.

o.        Dans ses observations du 16 janvier 2023, A______ indique que son projet de mariage en Algérie était à concrétiser et serait suivi d'un emploi dans l'entreprise de sa future femme. Il relève le caractère insatisfaisant d'une poursuite de la mesure à B______ comme le suggérait la CED et sollicitait que le SPI soit invité à actualiser son rapport du 28 septembre 2022.

p.        Dans son rapport du 6 mars 2023, le SPI rappelle que A______ avait le projet de retourner en Algérie, se marier, intégrer l'entreprise dirigée par sa future épouse; il était conscient qu'un suivi psychiatrique serait aussi indispensable et était prêt à s'y engager. Il avait fait les démarches pour obtenir de sa famille l'envoi d'un contrat de travail ainsi que le nom d'un psychiatre, mais sans succès; il semblait difficile d'avoir un engagement écrit d'un professionnel pour un tel suivi. Dès septembre 2022, le service lui-même avait tenté, à plusieurs reprises, de contacter téléphoniquement le frère et la future épouse de l'intéressé, sans succès.

q.        Dans son préavis complémentaire du 28 mars 2023, le SAPEM relève que A______ n'avait toujours pas fourni d'attestations de logement et d'emploi; le SPI avait, en vain, tenté de contacter le frère et la future épouse de l'intéressé. Malgré de très nombreuses démarches réalisées par l'intéressé, le SPI et lui-même, il n'avait pas été possible de disposer à ce jour de documents attestant de l'encadrement psychiatrique et social qui serait celui de l'intéressé à son retour en Algérie, de sorte que les garanties demandées par la CED n'étaient pas fournies.

Il relève, cependant, que la ville de G______ [Algérie] où résiderait A______ dispose de deux hôpitaux et que des psychiatres sont également référencés comme pratiquant dans cette ville. L'absence de soutien de la famille de l'intéressé – possiblement due à un manque de compréhension de la situation en sus des difficultés concrètes à établir la communication – ne devait pas suffire à justifier le maintien d'une mesure qui n'était plus propre à atteindre son but et deviendrait ainsi disproportionnée au vu de la bonne évolution du concerné.

Il préavise dès lors l'octroi d'une libération conditionnelle de la mesure thérapeutique institutionnelle, assortie d'un délai d'épreuve de 5 ans, avec effet au jour de son départ en Algérie. Au vu dudit départ, aucune assistance de probation ou règle de conduite n'était proposée

r.         Par courriers du 4 avril 2023, le Ministère public a indiqué ne pas avoir d'observations à formuler sur le dernier rapport du SPI et le préavis complémentaire du SAPEM. A______ a conclu, pour sa part, à ce qu'il soit donné bonne suite au préavis du SAPEM du 28 mars 2023.

s.         Devant le TAPEM, l'expert psychiatre a confirmé ses conclusions du 12 août 2022 et précisé qu'après la prise en charge à D______, il y avait eu une diminution des comportements impulsifs – en cela la mesure avait été efficace – mais que les aspects qui persistaient, à savoir le manque d'introspection et d'empathie, étant difficilement améliorables, on ne pouvait attendre que peu d'évolution.

À la question de savoir si la poursuite de la mesure entraînerait une péjoration de l'état de l'intéressé, il indique que, comme le soulignait ses psychiatres traitants, c'était surtout l'absence de perspectives sociales et d'un projet qui pouvait, sur le long terme, péjorer sa symptomatologie.

En cas de libération conditionnelle, un suivi médico-psycho-social, un suivi psychiatrique ambulatoire, un contrôle de la consommation de substances et un lieu de vie familier étaient fondamentaux. L'absence d'un tel cadre pourrait exposer à nouveau l'intéressé à rechuter dans ses consommations de toxiques et ainsi augmenter le risque de récidive.

t.          Lors de l'audience devant le TAPEM, A______ a déclaré avoir des contacts avec toute sa famille, ainsi qu'avec son fils et sa femme qui vivaient à H______ [Italie]. Il parlait beaucoup au téléphone avec sa mère de 85 ans, qui était malade, et son père, âgé de 86 ans, allait régulièrement chez le médecin.

S'agissant de ses projets d'avenir, il souhaitait sortir et travailler; s'occuper de lui, de sa famille et de ses parents. Il irait soit en Italie, soit en Algérie. Il n'arrivait pas à obtenir de documents en lien avec son logement, son emploi et son suivi en Algérie. En Italie, il logerait chez sa femme, avec laquelle il était marié religieusement et dont il n'était pas divorcé, et travaillerait comme tatoueur; il verrait un psychiatre et ferait des tests d'abstinence. Il n'avait pas de titre de séjour en Italie.

C. Dans la décision querellée, le TAPEM relève que le SAPEM, qui s'était, dans son premier préavis, prononcé en faveur du maintien de la mesure thérapeutique, préavisait, dans le second, une libération conditionnelle de la mesure, quand bien même les garanties sollicitées par la CED n'étaient pas apportées.

Selon la dernière expertise psychiatrique du 12 août 2022, A______, quoique stabilisé sur le plan psychique, présentait encore, notamment, un trouble de la personnalité grave avec composante narcissique et antisociale. Un risque de récidive perdurait, qualifié de moyen à élevé pour des faits de violence, et de moyen pour des actes portant atteinte à l'intégrité sexuelle. À dire d'expert, en cas de renvoi en Algérie, il était fondamental qu'il y bénéficie d'un suivi médico-psycho-social, d'un contrôle de ses consommations et d'un lieu de vie familier, sans lesquels une rechute dans les consommations d'alcool est à redouter ainsi qu'une augmentation du risque de récidive. Tel était également l'avis de la CED qui soulignait la stricte nécessité d'un suivi médico-social en cas de renvoi du concerné vers l'Algérie.

Si les intervenants relevaient ainsi les progrès accomplis par l'intéressé dont l'évolution était globalement favorable, ils insistaient sur la nécessité rigoureuse que celui-ci dispose d'un encadrement adéquat en cas de libération, afin de contenir efficacement le risque de récidive. Or, en dépit des demandes répétées, aucun des documents nécessaires n'avait été fourni. Les difficultés à les obtenir n'étaient pas insurmontables, au vu du soutien familial dont il disait bénéficier sur place. En leur absence, la faisabilité du projet du concerné ne pouvait qu'être remise en cause. De plus, lors de son audition, A______, loin d'étayer son projet de réinsertion en Algérie, avait présenté un projet alternatif, à destination de l'Italie.

Dès lors, en dépit de son évolution positive, la dangerosité qu'il présentait, découlant de ses troubles psychiques toujours présents, sévères et chroniques, ne pouvait être considérée comme suffisamment circonscrite en cas de libération conditionnelle de la mesure thérapeutique institutionnelle, aucune garantie n'étant apportée quant au futur cadre médico-psycho-social dans lequel il évoluerait, pourtant déterminant.

Un pronostic favorable ne pouvait, en l'état, être posé quant au comportement futur de A______ en liberté, et une libération conditionnelle de la mesure était encore prématurée.

Il appartiendrait au précité de transmettre au Tribunal, en vue du prochain examen annuel, les éléments propres à attester d'un cadre extérieur protecteur de la récidive, indispensables pour satisfaire aux conditions de l'art. 62 al. 1 CP et de poursuivre sa bonne évolution.

S'agissant des chances de succès de cette mesure, il ressort du rapport d'expertise psychiatrique le plus récent qu'elle était efficace sur les aspects les plus bruyants de son trouble, ce que confirmait l'amélioration notable de son comportement depuis son retour à B______.

Si les schémas cognitifs et relations interpersonnelles étaient plus difficiles d'accès au niveau thérapeutique, une perspective d'évolution – même faible – demeurait, de sorte qu'il ne saurait conclure que le traitement serait définitivement inopérant et la mesure institutionnelle au sens de l'art. 59 CP désormais vouée à l'échec, ce qui ne devait être admis que de manière restrictive. Elle demeurait dès lors encore justifiée de ce point de vue.

Par ailleurs, eu égard aux bénéfices que l'intéressé retirerait d'une amélioration de sa santé psychique, respectivement la société dans son ensemble compte tenu du risque de passage à l'acte toujours présent et concernant des infractions graves, la prolongation de la mesure respectait encore le principe de proportionnalité.

D. a. Dans son recours, A______ rappelle avoir été condamné à une longue privation de liberté. La CED avait relevé le "paradoxe autour de [sa] prise en charge" tout en se refusant à envisager "d'exporter purement un risque de récidive d'actes violents". En audience, l'expert avait précisé que le risque d'actes violents était moyen à élevé sur le plan général et faible à moyen sur le plan sexuel et qu'une rechute dans la consommation de toxiques augmenterait le risque de récidive mais qu'à teneur de la littérature concernant le trouble de la personnalité antisociale, on observait une diminution de l'impulsivité après 40 ans – il avait 44 ans –. D'autre part, davantage d'amélioration clinique n'étant raisonnablement pas exigible, une poursuite de la mesure thérapeutique institutionnelle n'était donc pas indiquée et celle d'une mesure de type ambulatoire ne paraissait pas pertinente (en Suisse). Il rappelle le préavis favorable du SAPEM.

Il considère dès lors que le jugement est contraire à la Constitution en tant qu'il viole le principe de la proportionnalité, outre qu'il maintient une situation non indiquée sur le plan médical.

b. Le TAPEM maintient les termes de son jugement sans autres observations.

c. Le Ministère public conclut au rejet du recours sans autres observations.

E. a. Par courrier du 19 septembre 2023, le SAPEM a précisé que, selon les derniers échanges avec l'Office cantonal de la population et des migrations (ci-après; OCPM), un retour en Algérie pouvait être organisé si le recourant était collaborant, ce qui était désormais le cas. S'agissant d'un retour en Italie, l'OCPM avait indiqué à l'époque, ce qui avait été confirmé récemment, qu'aucune procédure relevant de l'asile ne figurait sur les registres européens et aucun droit de séjour n'avait pu être mis en lumière.

À la suite de la décision du Tribunal d'ordonner la poursuite de la mesure et des difficultés rencontrées pour contacter la famille de A______ et obtenir des documents permettant d'attester d'un projet de retour, ce dernier faisait preuve d'un découragement intense qui risquait de péjorer sensiblement sa situation et sa prise en charge. Afin de tenter de sortir de l'impasse, le conseil du recourant devait communiquer toute information ou document attestant des projets mentionnés devant le TAPEM en vue d'une nouvelle demande de libération conditionnelle.

b. Le conseil de A______ a déclaré prendre acte de ce qu'un renvoi en Algérie pouvait être organisé et que son client était collaborant sur cette question.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision judiciaire ultérieure indépendante au sens de l'art. 363 CPP, sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_293/2012 du 21 février 2013 consid. 2; ACPR/421/2013) et émaner du condamné visé par la mesure, qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant fait grief au TAPEM de ne pas avoir ordonné sa libération conditionnelle.

2.1. L'auteur est libéré conditionnellement de l'exécution institutionnelle de la mesure dès que son état justifie de lui donner l'occasion de faire ses preuves en liberté (art. 62 al. 1 CP). La libération conditionnelle suppose un pronostic favorable quant au comportement futur de l'intéressé. Le pronostic est favorable dès qu'il est à prévoir que l'intéressé ne commettra pas de nouvelles infractions en relation avec le trouble traité (arrêt 6B_542/2017 du 18 juillet 2017 consid. 3). La loi n'exige pas la guérison de l'auteur, mais une évolution ayant eu pour effet d'éliminer ou de réduire dans une mesure suffisante le risque de nouvelles infractions (ATF 137 IV 201 consid. 1.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B 504/2020 du 17 septembre 2020 consid. 2.1).

La jurisprudence impose encore de tenir compte du principe de proportionnalité. Ainsi, l'atteinte aux droits de la personnalité que subit l'auteur en raison de la mesure ne doit pas être disproportionnée au regard de la vraisemblance qu'il commette de nouvelles infractions et de leur gravité. La marge d'appréciation de l'autorité compétente est plus importante quant à l'imminence et à la gravité du danger lorsque ce ne sont que des biens de moindre valeur, tels que la propriété ou le patrimoine, qui sont menacés. En outre, selon une partie de la doctrine, l'autorité prend également en considération les modalités de la libération conditionnelle, c'est-à-dire les effets de prévention spéciale de l'assistance de probation, des règles de conduite ou de l'obligation de se soumettre à un traitement ambulatoire (L. MOREILLON/ A. MACALUSO/ N. QUELOZ/ N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 23-24 ad art. 62).

L'art 62 al. 3 CP précise que la personne libérée conditionnellement peut être obligée de se soumettre à un traitement ambulatoire pendant le délai d’épreuve. L’autorité d’exécution peut ordonner, pour la durée du délai d’épreuve, une assistance de probation et lui imposer des règles de conduite.

2.2. Selon l'art. 62d CP al. 1, l’autorité compétente examine, d’office ou sur demande, si l’auteur peut être libéré conditionnellement de l'exécution de la mesure ou si la mesure peut être levée et, si tel est le cas, quand elle peut l'être. Elle prend une décision à ce sujet au moins une fois par an. Au préalable, elle entend l’auteur et demande un rapport à la direction de l’établissement chargé de l’exécution de la mesure.

Si l’auteur a commis une infraction prévue à l’art. 64 al. 1 CP – notamment un viol avec cruauté (art. 190 CP) –, l’autorité compétente prend une décision sur la base d’une expertise indépendante, après avoir entendu une commission composée de représentants des autorités de poursuite pénale, des autorités d’exécution et des milieux de la psychiatrie.

Ces exigences doivent constituer un "verrou de sécurité supplémentaire" pour une libération conditionnelle ou une levée de la mesure, s'agissant "d'auteurs d'actes de violence dangereux" (arrêt du Tribunal fédéral 6B 785/2020 du 11 novembre 2020 consid. 2.3.; DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 5 ad art. 62d CP).

2.3. En l'espèce, de l'avis de tous les intervenants, la détention au sein de la prison de B______ n'apportera pas d'amélioration substantielle à l'état clinique du recourant. Cela étant, la CED considère que le recourant présente un risque pour la collectivité dans le cadre de la libération conditionnelle prévoyant son renvoi en Algérie en l'état. En effet, la dangerosité présentée par le recourant découlait de troubles psychiques toujours présents; elle pouvait être considérée comme circonscrite tant qu'un traitement approprié était de fait suivi et investi par l'intéressé dans un cadre contraignant.

La Chambre de céans retient l'appréciation de la CED. Il n'est ainsi pas envisageable de libérer conditionnellement le recourant sans avoir des assurances d'une prise en charge sociale et médicale de l'intéressé dans le pays où il serait renvoyé. Le recourant doit documenter son projet s'agissant de son mariage et du travail dans l'entreprise de sa future femme en Algérie, ou les alternatives si ledit projet ne se réalisait pas. D'autre part, le risque de récidive élevé d'actes de violence ne pouvant être contenu que si le recourant bénéficie d'une prise en charge thérapeutique, celle-ci doit être organisée dès avant son arrivée dans son pays. En effet, comme l'a relevé la CED, les motivations du recourant pour un tel suivi ne sont pas suffisamment fortes pour que l'on puisse les laisser à son libre arbitre une fois sur place.

Ainsi, en l'état, la libération conditionnelle de la mesure thérapeutique est prématurée parce que non suffisamment préparée au regard de la dangerosité du recourant; sans aucune prise en charge, cette libération avec renvoi reviendrait à abandonner le recourant en Algérie et à mettre la collectivité en danger.

La prolongation de la mesure apparaît ainsi justifiée pour une durée d'une année, période durant laquelle tout doit être mis en œuvre pour étayer le projet de retour avec prise en charge médicale voire envisager un transfèrement.

Cette mesure reste justifiée en ce qu'elle est efficace sur "les aspects les plus bruyants" du trouble, ce qui est confirmé par l'amélioration notable du comportement du recourant depuis son retour à B______ et qu'elle ne peut être considérée comme vouée à l'échec sur les autres aspects même si plus difficiles d'accès au niveau thérapeutique. Il est rappelé que l'expert a précisé que la péjoration de l'état du recourant viendrait surtout de l'absence de perspectives sociales et d'un projet plus que la poursuite de la mesure.

Elle demeure dès lors encore proportionnée, comme l'a relevé le TAPEM, eu égard aux bénéfices que l'intéressé pourrait retirer d'une amélioration de sa santé psychique, qu'à ceux de la société dans son ensemble compte tenu du risque de passage à l'acte toujours présent.

Nul doute que le SAPEM saura faire en sorte que le recourant soit entouré de professionnels qui lui expliqueront la problématique juridique et l'accompagneront dans ses démarches afin de réunir les documents nécessaires en vue d'une prochaine libération conditionnelle, et à continuer à chercher un établissement plus adapté que B______ à sa situation.

Le recours sera dès lors rejeté.

3. Justifié, le jugement querellé sera donc confirmé.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

5.             Une indemnité de procédure du défenseur d'office, sera allouée, soit CHF 484.65.- TTC, étant précisé que le forfait de 20% pour les courriers et téléphones n'est pas pris en compte dans la procédure de recours.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.

Alloue à Me C______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 484.65 TTC.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit pour lui son défenseur), au Tribunal d'application des peines et des mesures et au Ministère public.

Le communique, pour information, au Service de l'application des peines et mesures.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président ; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges ; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PM/662/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

515.00

Total

CHF

600.00