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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15911/2023

ACPR/769/2023 du 05.10.2023 sur OTMC/2752/2023 ( TMC ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : DÉTENTION PROVISOIRE;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.221; CPP.197; CPP.212

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15911/2023 ACPR/769/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 5 octobre 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocate,

recourant,

contre l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire rendue le 18 septembre 2023 par le Tribunal des mesures de contrainte,

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.           Par acte déposé le 26 septembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 18 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a prolongé sa détention provisoire jusqu'au 22 décembre 2023.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance précitée et à ce que sa détention provisoire ne soit prolongée que d'un mois, subsidiairement de deux mois.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______, ressortissant français né en 1986, a été placé en détention provisoire par ordonnance du TMC du 24 juillet 2023 jusqu'au 22 septembre suivant, soit pour deux mois.

b. Il a été arrêté le 21 juillet 2023 lors de son entrée en Suisse, en provenance de D______ [France], avec E______ et F______, au volant d'un fourgon sur lequel avaient été apposées des plaques non destinées audit véhicule et déclarées volées en France le 4 octobre 2021.

c. Il est prévenu d'actes préparatoires délictueux (art. 260bis al. 1 let. d et e CP), de tentative de brigandage (art. 140 CP cum 22 CP), de tentative de violation de domicile (art. 186 CP cum 22 CP), de tentative de séquestration (art. 183 CP cum 22 CP), d'infraction à l'art. 33 LArm, de conduite sans autorisation (art. 95 LCR), d'usage abusif de permis ou de plaques (art. 97 LCR), de faux dans les certificats (art. 252 cum 255 CP) et de contravention à l'art. 99 LCR.

Il est soupçonné d'avoir, à Genève, dans la nuit du 24 au 25 juin 2023, de concert avec F______ et E______, ainsi que des individus non identifiés à ce jour, tenté de pénétrer sans droit dans la villa sise chemin 1______ no. ______ à G______ [GE], dans le but de maitriser par la force ses occupants en les privant de leur liberté de mouvement, puis d'y dérober des objets et valeurs, étant précisé que seule la présence d'un chien à proximité de la villa les a empêchés de passer à l'acte. Dans le fourgon utilisé ont été retrouvés des gants, un cache cou et masque facial, des serre-câbles, dont certains montés façon "menottes", un pied-de-biche, une massette, une caméra filaire, des rouleaux de scotch, un bidon de 5 litres d'eau de javel, ainsi que des armes interdites (un pistolet soft air et un spray de type CS).

Il lui est encore reproché d'avoir, à Genève, le 21 juillet 2023, circulé au volant du fourgon susmentionné alors que son permis de conduire français était suspendu depuis le 31 mars 2023 et sans être porteur du permis de circulation du véhicule, et de s'être légitimé avec un permis de conduire belge falsifié, dans le but de tromper les autorités sur sa capacité à conduire des véhicules automobiles.

d. Entendu par le Ministère public le 23 juillet 2023, A______ a déclaré que son rôle se limitait à conduire le véhicule et attendre dans celui-ci. Il s'agissait, pour lui, uniquement de faire des repérages. Il ne savait pas ce qu'il devait se passer. Un contact – dont il n'a pas donné le nom par peur de représailles – lui avait demandé d'aller chercher les deux autres personnes et faire des repérages, sans contrepartie.

e. S'agissant de sa situation personnelle, A______ est domicilié en France, où il vit avec son épouse, qu'il dit être enceinte de leur premier enfant. Sa famille, dont il est proche, habite également en France. Il dit travailler en qualité de livreur-chauffeur, pour un revenu mensuel de EUR 2'000.-.

Il n'a pas d'antécédents judiciaires en Suisse, mais a été condamné à douze reprises, en France, entre 2007 et 2023, principalement pour des infractions en matière de circulation routière, la dernière fois le 7 avril 2023, pour vol aggravé et "arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi d'une libération avant le 7ème jour".

f. Le Ministère public a ordonné des actes d'enquête à la police, le 22 juillet 2023, une demande de surveillance rétroactive notamment sur le raccordement de A______, le 25 août 2023, et des commissions rogatoires internationales à la France, les 2, 9 et 10 août 2023.

g. L'audition de confrontation devant le Ministère public, prévue le 10 août 2023, a été reportée à une date ultérieure, dans l'attente des résultats des actes d'enquête ordonnés.

h. Le 4 septembre 2023, les prévenus ont été entendus, séparément, par la police.

i. L'audition de confrontation devant le Ministère public est prévue le 5 octobre 2023.

C.           Dans l'ordonnance querellée, le TMC a retenu, outre des charges suffisantes et graves, l'existence de risques de collusion, fuite et réitération, qu'aucune mesure de substitution n'était de nature à pallier. En particulier, le risque de collusion demeurait très concret vis-à-vis des comparses identifiés mais également non identifiés, et il convenait ainsi d'éviter qu'ils se missent d'accord sur une version commune avant l'audience de confrontation et/ou détruisissent ou dissimulassent des éléments de preuve. Le principe de la proportionnalité demeurait très largement respecté. A______ se plaignait d'une prétendue violation du principe de la célérité, tout en admettant, de manière contradictoire, que de nombreux actes d'instruction avaient été ordonnés. Au vu des actes accomplis, le principe de la célérité n'était nullement violé. "Dans ces circonstances", la détention provisoire de A______ était prolongée pour une durée de trois mois.

D.           a. Dans son recours, A______ s'en rapporte à justice quant au "principe de la détention provisoire", mais invoque une violation du principe de la célérité. Dès lors qu'il avait collaboré avec la police, le 4 septembre 2023, en reconnaissant qu'il était venu en Suisse avec pour instruction de cambrioler une villa et possiblement de séquestrer le propriétaire, aucune mesure d'instruction ne serait à effectuer après l'audience de confrontation prévue le 5 octobre 2023. Le résultat des analyses de la téléphonie et de la vidéosurveillance lui avait été soumis. Si le Ministère public devait quand-même effectuer des actes d'instruction complémentaires, un ou deux mois seraient suffisants pour ce faire. Le Ministère public ne justifiait pas quelles mesures d'instruction rendaient nécessaire son maintien en détention jusqu'au 22 décembre 2023, ce qui était disproportionné et arbitraire. D'ailleurs, l'audience de confrontation allait intervenir plus d'un mois après les auditions à la police et plus de deux mois après son arrestation, ce qui était un manquement au principe de la célérité, puisque cet acte d'instruction aurait permis d'écarter le risque de collusion.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Le prévenu ne mentionnait que le risque de collusion, sans tenir compte des risques de fuite – concret – et de réitération – important –, également retenus par l'ordonnance querellée. Le principe de la célérité n'était nullement violé. L'instruction n'avait connu aucun temps mort depuis l'arrestation du prévenu et de ses comparses. De nombreux actes d'instruction avaient été exécutés et d'autres étaient en cours d'exécution. Une demi-douzaine de demandes d'entraide avaient été adressées à la France, la dernière le 27 septembre 2023. La police lui avait adressé plusieurs rapports, sur lesquels les prévenus seraient entendus le 5 octobre 2023. Le principe de la proportionnalité était également respecté, compte tenu des charges graves et suffisantes, des risques retenus et de "l'instruction qui se poursuit".

c. Le Tribunal des mesures de contrainte maintient les termes de son ordonnance et renonce à formuler des observations.

d. Le recourant persiste dans les termes de son recours.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant, qui ne conteste pas le principe de la détention provisoire, ne remet pas en question les charges, au sens de l'art. 221 al. 1 CPP, de sorte qu'il n'y pas à y revenir, celles-ci ayant au demeurant été constatées par l'autorité précédente, dont la décision n'est pas contestée sur ce point.

3.             Le recourant ne remet pas en question non plus les risques – de collusion, fuite et réitération – retenus par l'autorité précédente, de sorte que leur existence est acquise.

4.             Le recourant invoque une violation du principe de la célérité.

4.1. L'art. 29 al. 1 Cst. prévoit que toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable.

À teneur de l'art. 5 al. 1 CPP, les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié. Lorsque le prévenu est détenu, la procédure est conduite en priorité (art. 5 al. 2 CPP).

Le grief de violation du principe de la célérité ne doit être examiné, lors du contrôle judiciaire de la détention, que pour autant que le retard dans la procédure soit propre à mettre en cause la légalité de la détention provisoire et donc à justifier un élargissement. N'importe quel retard n'est cependant pas suffisant. Il doit s'agir d'un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable (ATF 140 IV 74 consid. 3.2; 137 IV 118 consid. 2.1; 137 IV 92 consid. 3.1). La diligence consacrée à une instruction pénale ne s'apprécie pas seulement à l'aune du nombre ou de la fréquence des audiences d'instruction (ACPR/339/2020 du 22 mai 2020 consid. 5.2.; ACPR/196/2018 du 4 avril 2018 consid. 5.2.; ACPR/373/2013 du 7 août 2013 consid. 3.3.). On ne saurait ainsi reprocher à l'autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure.

La violation éventuelle du principe de la célérité n'entraîne pas la libération immédiate du détenu lorsque la détention demeure matériellement justifiée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1B_150/2012 du 30 mars 2012 consid. 3.3; 1B_44/2012 consid. 4 et 5).

4.2. En l'occurrence, aucun retard injustifié ni manquement ne saurait être reproché au Ministère public, l'instruction de la cause se déroulant à un rythme soutenu depuis l'arrestation du recourant, compte tenu des actes d'instruction requis et des demandes d'entraide adressées à la France. Le recourant reconnaît d'ailleurs que de nombreux actes d'instruction ont été réalisés. Le fait que l'audience de confrontation prévue initialement en août ait dû être reportée début octobre, dans l'attente du résultat d'actes d'instruction ordonnés, n'est pas choquant, ni ne viole le principe de la célérité.

Le recourant a tort de considérer que si cette audience avait été réalisée plus tôt, elle aurait mis un terme au risque de collusion, puisqu'il perd de vue que ce risque existe aussi à l'égard de participants qui n'ont, en l'état, pas été identifiés ou arrêtés, de sorte que cette critique est infondée.

On ne décèle ainsi aucune violation du principe de la célérité.

5.             Le recourant invoque une violation du principe de la proportionnalité.

5.1.       À teneur des art. 197 al. 1 et 212 al. 3 CPP, les autorités pénales doivent respecter le principe de la proportionnalité lorsqu'elles appliquent des mesures de contrainte, afin que la détention provisoire ne dure pas plus longtemps que la peine privative de liberté prévisible. Selon une jurisprudence constante, la possibilité d'un sursis, voire d'un sursis partiel, n'a en principe pas à être prise en considération dans l'examen de la proportionnalité de la détention préventive (ATF 133 I 270 consid. 3.4.2 p. 281-282 ; 125 I 60 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_750/2012 du 16 janvier 2013 consid. 2, 1B_624/2011 du 29 novembre 2011 consid. 3.1 et 1B_9/2011 du 7 février 2011 consid. 7.2).

5.2.       En l'espèce, la durée de la prolongation de la détention provisoire du prévenu à ce stade et à son échéance n'atteint pas la durée de la peine à laquelle il pourrait concrètement s’exposer, s’il était reconnu coupable de toutes les préventions qui lui ont été notifiées (art. 212 al. 3 CPP).

Toutefois, le contrôle du respect du principe de la proportionnalité implique de vérifier que la prolongation de la détention provisoire soit en adéquation avec les actes d'instruction restant encore à accomplir. Ici, ni l'autorité précédente ni le Ministère public – en particulier dans ses observations devant la Chambre de céans – n'ont mentionné les actes d'instruction projetés ou en cours, à part l'audience de confrontation appointée au 5 octobre 2023. Le Ministère public se borne à mentionner "l'instruction qui se poursuit". Il n'est donc pas possible, en l'état, à l'autorité de recours de déterminer pour quelle raison la prolongation de la détention provisoire a été accordée pour une durée de trois mois.

6.             Le recours s'avère ainsi fondé. L'ordonnance querellée sera dès lors annulée en tant que la détention provisoire a été prolongée pour une durée de trois mois. Elle sera accordée pour deux mois, charge au Ministère public de préciser, si une nouvelle requête devait être déposée, quels actes d'instruction nécessitent une nouvelle prolongation.

7.             Le recourant obtenant gain de cause, les frais de la procédure de recours seront laissés à la charge de l'État.

8.             L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours, annule partiellement la décision attaquée, en tant qu’elle prolonge la détention du recourant jusqu’au 22 décembre 2023, et fixe l’échéance de cette prolongation au 22 novembre 2023.

Laisse les frais de l’instance à la charge de l’État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.