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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19819/2022

ACPR/646/2023 du 16.08.2023 sur SEQMP/1323/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);APPROPRIATION ILLÉGITIME
Normes : CPP.263; CP.137

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19819/2022 ACPR/646/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 16 août 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______, représentée par Me Thomas BARTH, avocat, Barth & Patek, boulevard Helvétique 6, case postale, 1211 Genève 3,

recourante,

contre l'ordonnance de perquisition et de séquestre rendue le 25 mai 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 23 juin 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 25 mai 2023, notifiée le 13 juin 2023, par laquelle le Ministère public a ordonné la perquisition des locaux de B______ SARL (ci-après : B______) et la mise sous séquestre du véhicule de type C______ [marque] immatriculé GE 1______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à la levée du séquestre portant sur le véhicule précité, ce dernier devant lui être restitué.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.D______ SÀRL (ci-après : D______) est une société inscrite le ______ 2005 au Registre du commerce de Genève. E______ en est associé gérant, avec droit de signature individuelle, et A______, épouse de celui-ci, associée, sans droit de signature.

B______ est une société inscrite le ______ 2009 au Registre du commerce de Genève. A______ en est associée gérante, avec droit de signature individuelle.

b. Le 13 juillet 2022, D______, représentée par E______, a déposé plainte contre A______.

E______ avait reçu le 11 juillet 2022, de la part de la précitée, une photographie d'un nouveau permis de circulation concernant le véhicule [de la marque] C______, immatriculé GE 1______, établi au nom de B______. Il ne savait pas comment son épouse avait pu mettre ledit véhicule, propriété de D______, au nom de sa société à elle, sans son accord à lui. Ils étaient mariés depuis 20 ans mais leur relation s'était détériorée environ 6 mois auparavant, empêchant tout dialogue. Lorsqu'il avait cherché à obtenir des informations, l'Office cantonal des véhicules lui avait suggéré de déposer plainte, sans quoi aucun renseignement ne pourrait lui être transmis.

c. Auditionnée le 30 août 2022 par la police, A______ a contesté s'être approprié le véhicule précité sans droit. Durant la crise sanitaire en 2021, elle avait prêté à son mari – qui lui avait fait part d'un besoin d'argent – un montant total de CHF 50'000.- depuis le compte de B______. En contrepartie, le véhicule en question devait revenir à sa société une fois les mensualités du leasing payées. En juin 2022, elle avait demandé à son mari de combler le trou créé par ce prêt dans les comptes de B______, ce qu'il avait refusé. Comme il avait accès aux comptes de B______, il s'était même versé un montant supplémentaire de CHF 6'000.-. Elle avait ensuite découvert que le besoin d'argent de son mari était lié à l'infidélité de celui-ci. Comme la situation financière de son mari s'était améliorée en 2022, elle avait procédé elle-même à l'exécution de leur accord en transférant la propriété du véhicule. Après le dépôt de plainte, E______ lui avait proposé le retrait de celle-ci en échange de leur maison commune en France, ce qu'elle avait refusé.

À l'issue de son audition, A______ a produit un avis bancaire de débit du 23 septembre 2021 de CHF 40'000.- transférés de B______ à E______.

d. Le 14 octobre 2022, le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte de E______ au motif que le litige, qui concernait la possibilité de compenser une créance, avait un caractère essentiellement civil.

e. Statuant sur recours du 24 octobre 2022 de D______, la Chambre de céans a, par arrêt ACPR/320/2023 rendu le 4 mai 2023 et notifié seulement à E______ et au Ministère public, annulé l'ordonnance précitée et renvoyé la cause pour complément d'enquête ou ouverture d'une instruction.

f. Le 17 mai 2023, D______ a requis le séquestre du véhicule [de la marque] C______ immatriculé GE 1______.

g. Le 25 mai 2023, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ pour infraction à l'art. 137 al. 2 CP.

h. Le 13 juin 2023, la police a procédé au séquestre du véhicule dans les locaux de B______.

i. Entendu le 17 juin 2023 par la police, en présence de l'avocate-stagiaire représentant A______, E______ a contesté l'existence du prêt allégué par son épouse. Le versement sur son compte personnel d'un montant de CHF 40'005.- par B______ s'expliquait par le remboursement d'une somme qu'il avait avancée en faveur de A______ pour l'achat d'un appartement en Turquie. Du reste, au début de la procédure de séparation, son épouse avait proposé que la valeur du véhicule soit déduite de la part qui devait lui revenir sur la vente d'une maison en France.

C. Dans son ordonnance de séquestre querellée, le Ministère public retient que le véhicule de marque C______ – que A______ est prévenue de s'être, le 11 juillet 2022, approprié illégitimement en y faisant modifier le nom du détenteur sur le permis de circulation – est susceptible de devoir être "restitué au lésé, confisqué en vue d'exécution d'une créance compensatrice, ou utilisé comme moyen de preuve".

D. a. Dans son recours, A______ soutient que le litige serait de nature exclusivement civile, comme l'aurait constaté le Ministère public dans son ordonnance de non-entrée en matière du 14 octobre 2022. Il était donc incompréhensible qu'un séquestre ait été ordonné. Par ailleurs, un tel séquestre était disproportionné car il visait à sanctionner son "mode de vie", dès lors qu'elle dépendait du véhicule litigieux pour concilier ses obligations professionnelles et familiales.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante conteste la mise sous séquestre du véhicule automobile qui se trouvait dans les locaux de sa société.

3.1.1. Selon l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), respecter le principe de la proportionnalité (let. c) et apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

3.1.2. Le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers figure au nombre des mesures prévues par la loi. Il peut être ordonné, notamment, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuve (art. 263 al. 1 let. a CPP), seront utilisés pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (let. b) devront être restitués au lésé (let. c), devront être confisqués (let. d) ou pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice (art. 71 al. 3 CP).

Une telle mesure est fondée sur la vraisemblance (ATF 126 I 97 consid. 3d/aa et les références citées). Comme cela ressort de l'art. 263 al. 1 CPP, une simple probabilité suffit car la saisie se rapporte à des faits non encore établis, respectivement à des prétentions encore incertaines. L'autorité doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire (art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 141 IV 360 consid. 3.2; ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2 et les références citées).

Ainsi, au début de l'enquête, un soupçon crédible ou un début de preuve de l'existence de l'infraction reprochée suffit à permettre le séquestre, ce qui laisse une grande place à l'appréciation du juge. On exige toutefois que ce soupçon se renforce au cours de l'instruction pour justifier le maintien de la mesure (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011, n. 17 et 22 ad art. 263).

3.2. En l'espèce, l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 14 octobre 2022 par le Ministère public a été annulée par la Chambre de céans (ACPR/320/2023 du 4 mai 2023). Il existe ainsi des soupçons d'une infraction à l'art. 137 al. 2 CP, excluant qu'à ce stade de la procédure, le litige puisse être considéré comme purement civil. Si, conformément à la pratique de la Chambre de céans, l'arrêt précité n'a pas été notifié à la recourante, la mise en prévention de celle-ci pour l'appropriation illégitime présumée d'un véhicule automobile ressort expressément de l'ordonnance querellée. Par ailleurs, l'avocate-stagiaire représentant la prévenue a assisté à l'audition du représentant de la plaignante le 17 juin 2023. Une telle audition ne trouverait pas d'explication si l'ordonnance de non-entrée en matière précitée était entrée en force, de sorte que la recourante ne peut prétendre être surprise de la suite de la procédure.

La recourante a admis avoir procédé elle-même au transfert de la propriété du véhicule, selon elle en compensation d'une créance de sa société à l'égard de celle de son mari. Or, une telle créance est contestée par le représentant de la plaignante, qui a expliqué que le transfert d'un montant de CHF 40'005.- s'expliquait par le remboursement d'un montant qu'il avait avancé en faveur de son épouse pour acheter un bien immobilier.

Par conséquent, il est, au stade de la vraisemblance, probable que le véhicule litigieux doive être restitué à la plaignante à l'issue de la procédure ou, à tout le moins, que le Tribunal doive statuer sur son attribution (art. 267 al. 4 CPP), le cas échéant en fixant à l'autre partie un délai pour intenter une action civile (art. 267 al. 5 CPP). Partant, le séquestre est justifié.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Bien que la recourante succombe, les frais seront laissés à la charge de l'État, dans la mesure où elle n'avait pas connaissance de l'arrêt ACPR/320/2023 du 4 mai 2023 de la Chambre de céans annulant l'ordonnance de non-entrée en matière du 14 octobre 2022.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

 

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).