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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/427/2023

ACPR/595/2023 du 28.07.2023 sur OPMP/5105/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 20.09.2023, 7B_631/2023
Descripteurs : PRINCIPE DE PUBLICITÉ;ORDONNANCE PÉNALE;PRÉSOMPTION D'INNOCENCE;SPHÈRE PRIVÉE
Normes : CPP.69; CPP.10

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/427/2023 ACPR/595/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 28 juillet 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______, représenté par Me Raphaël JAKOB, avocat, Santamaria & Jakob, rue François-Versonnex 7, 1207 Genève,

recourante,

contre la décision rendue le 16 juin 2023 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié sous messagerie électronique sécurisée le 21 juin 2023, A______ recourt contre la décision du 16 juin 2023, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de s’écarter de la Directive A.7 du Procureur général sur l’accès des journalistes aux ordonnances pénales rendues dans les trente jours précédents.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, sur mesures provisionnelles, à ce qu'il soit enjoint au Ministère public de ne pas donner accès à tout tiers, notamment aux journalistes accrédités, à l'ordonnance pénale du 9 juin 2023 rendue dans la présente procédure jusqu'à droit jugé sur le présent recours. Au fond, elle conclut au constat de la violation de la présomption d'innocence et du droit à la vie privée, à l'annulation de la décision entreprise et à ce que le Ministère public soit enjoint à ne pas donner accès à tout tiers, notamment aux journalistes accrédités, à l'ordonnance pénale du 9 juin 2023, sauf en cas de retrait de l'opposition à l'ordonnance pénale ou ensuite d'une décision exécutoire qui lui serait notifiée ensuite d'une requête spécifique d'un tiers.

b. Par ordonnance du 21 juin 2023 (OCPR/39/2023), la Direction de la procédure de la Chambre de céans a rejeté la demande de mesures provisionnelles.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par ordonnance pénale du 9 juin 2023, le Ministère public a déclaré A______ coupable de faux dans les titres (art. 251 ch. 1 CP).

Elle y a formé opposition.

b. Par recommandé électronique du 15 juin 2023, A______ a demandé que cette décision ne soit pas rendue accessible « à des tiers, en particulier à des médias ou journalistes ». La pratique du Ministère public (ch. 11 Directive A.7 du Procureur général), consistant à mettre à disposition de la presse les ordonnances pénales rendues, même lorsque le délai d'opposition court et/ou qu'elles sont frappées d'opposition, était illicite, en particulier contraire aux art. 69 al. 3 et 74 CPP, ainsi qu'à la présomption d'innocence, nonobstant l'ambiguïté du texte de l'art. 69 al. 2 CPP.

C. Dans la décision attaquée, le Ministère public refuse de faire exception à la Directive susmentionnée et renvoie à un arrêt du Tribunal fédéral 1B_103/2021 du 4 mars 2022.

D. a. Dans son recours et ses autres écritures, A______ fait valoir que le ch. 11 de ladite Directive, violerait la présomption d'innocence et le droit à la vie privée. Elle invoque aussi une violation des art. 69 al. 2 et 69 al. 3 let. d CPP.

Contrairement à l'avis de la doctrine et à la pratique genevoise, l'on ne pouvait pas considérer qu'une ordonnance pénale non définitive, à l'instar d'un jugement non définitif, devait être rendue accessible, dans la mesure où ladite ordonnance pénale n'était pas assimilable à un jugement. Ainsi, jusqu'à l'entrée en force de l'ordonnance pénale, la personne en cause devait bénéficier de la présomption d'innocence au même titre que celle qui n'avait pas fait l'objet d'un jugement définitif. En référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme et à celle du Tribunal fédéral, le fait de rendre accessible à la presse une proposition de jugement, sans valeur de jugement, dont le texte affirmait sans ambigüité qu'elle était coupable de faux dans les titres était contraire au principe de la présomption d'innocence, ce d'autant qu'elle n'avait pas eu accès au dossier, n'avait pas pu se déterminer devant le Ministère public, ni formuler de réquisition de preuves. Aucun intérêt ne justifiait une telle ingérence dans ses droits fondamentaux.

En outre, l'art. 69 al. 2 CPP ne fournissait pas une base légale suffisante pour rendre accessible à la presse une ordonnance pénale avant l'échéance du délai d'opposition et/ou frappée d'opposition. Aucune raison ne justifiait que tel soit le cas dans la mesure où il ne s'agissait pas d'un jugement devant être rendu publiquement au sens de l'art. 6 §1 CEDH. Rien n'indiquait que le législateur ait voulu étendre la publicité des débats à des éléments de la procédure préliminaire et créer, par ce biais, une exception au secret de la procédure préliminaire; la seule préoccupation de ce dernier étant de ne pas soustraire, à ce principe, une décision équivalant à un jugement.
L'art. 69 al. 2 CPP ne pouvait que viser les ordonnances pénales définitives ou, tout au plus, celles transmises au Tribunal en guise d'acte d'accusation dans le cadre des débats publics qui s'ensuivent.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.

Le principe de la publicité de la justice imposait d'interpréter largement les dispositions légales instaurant davantage de transparence. L'art. 69 al. 2 CPP ne limitait pas la consultation aux seules ordonnances pénales entrées en force et mettait, sur pied d'égalité, les ordonnances pénales et les jugements, y compris non définitifs. La présomption d'innocence s'appliquait jusqu'au prononcé définitif d'une condamnation, également devant les tribunaux de première instance et les autorités d'appel. Il n'y avait pas lieu de traiter différemment les deux situations. Enfin, la sphère privée était garantie, pour les journalistes accrédités, par les règles déontologiques et professionnelles (art. 4 du Règlement sur la communication du pouvoir judiciaire, E. 2 05.53) et, pour les autres, par les modalités prévues (ch. 12) notamment le caviardage.

DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui est partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP).

1.2. Reste à examiner si cette dernière dispose d'un intérêt juridiquement protégé à recourir.

Selon l'art. 382 al. 1 CPP, a qualité pour recourir toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision.

Cet intérêt doit être juridique et direct. Le recourant est ainsi tenu d’établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu’il peut, par conséquent, en déduire un droit subjectif (ATF 145 IV 161 consid. 3).

Dit intérêt doit, en outre, être actuel et pratique (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1); il doit encore exister au moment où l'arrêt est rendu (ATF 137 I 296 consid. 4.2). De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes, et non de prendre des décisions à caractère théorique (ATF 144 IV 81 précité).

Il peut toutefois être renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque la contestation est susceptible de se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la trancher avant qu'elle ne perde son actualité et que, en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1336/2018 du 19 février 2019 consid. 1.2), ces conditions étant cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1011/2010 du 18 février 2011 consid.  2.2.1 in fine; ACPR/478/2021 du 19 juillet 2021, consid. 1.3.1).

1.3. En l'espèce, bien que la recourante n'allègue d'aucune demande, effective ou imminente, d'accès au contenu de l'ordonnance pénale rendue contre elle, il se justifie de renoncer à l'exigence d'un intérêt actuel, la recourante étant susceptible de demander à nouveau à ne pas être soumise à la directive litigieuse si un tiers voulait délibérément accéder à cette décision.

2.             2.1. Le principe de la publicité des débats, consacré aux art. 30, al. 3, Cst., 6, ch. 1, CEDH et 14, al. 1, du Pacte II de l'ONU, sert d'une part à protéger les parties directement impliquées dans les procédures judiciaires en vue de leur traitement correct et de leur jugement conforme à la loi. D'autre part, elle permet aux tiers non impliqués dans la procédure de comprendre comment les procédures judiciaires sont menées, comment le droit est administré et comment la justice est rendue, et elle est donc également d'intérêt public. Elle vise à assurer la transparence de la jurisprudence et à créer les bases de la confiance dans la justice. Le contrôle démocratique exercé par la communauté juridique doit permettre de lutter contre les spéculations selon lesquelles la justice désavantagerait ou privilégierait indûment certaines parties au procès ou que les enquêtes seraient menées de manière unilatérale et discutable du point de vue de l'Etat de droit (ATF 147 I 407 consid. 6.1 ; 146 I 30 consid. 2.2 ; 143 I 194 consid. 3.1 et références citées). Le prononcé public d'un jugement signifie tout d'abord qu'à la fin d'une procédure judiciaire, le jugement est prononcé en présence des parties ainsi que du public et des représentants des médias. En outre, d'autres formes de publication équivalentes servent le principe du prononcé, telles que la mise à disposition du public, la publication dans des recueils officiels ou la communication via internet ainsi que l'octroi ultérieur de la consultation sur demande (ATF 147 I 407 consid. 6.2).

2.2. En procédure pénale, le principe de la publicité de la justice est précisé à l'art. 69 al. 1 CPP, au terme duquel les débats devant le tribunal de première instance et la juridiction d'appel de même que la notification orale des jugements et des décisions de ces tribunaux sont publics, à l'exception des délibérations.

Lorsque, dans ces cas, les parties ont renoncé à un prononcé en audience publique ou qu'une ordonnance pénale a été rendue, les personnes intéressées peuvent consulter les jugements et les ordonnances pénales (al. 2).

En revanche, ne sont pas publics : la procédure préliminaire, les communications des autorités pénales au public étant réservées (let. a); la procédure devant le tribunal des mesures de contrainte (let. b); la procédure devant l'autorité de recours et, en tant qu'elle est menée par écrit, devant la juridiction d'appel (let. c); la procédure de l'ordonnance pénale (let. d) (al. 2).

2.3. L'art. 69 al. 2 CPP "vise à satisfaire les droits légitimes des tiers à l’information en prévoyant que les personnes intéressées peuvent consulter les prononcés rendus en procédure écrite ou, à tout le moins, en audience non publique.Cette réglementation est en conformité avec la jurisprudence [ATF 124 IV 234] voulant que lorsque le tribunal renonce à notifier publiquement le jugement, il doit faire en sorte que le public puisse en avoir connaissance d’une autre manière, par exemple en le consultant au greffe du tribunal" (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1085, p. 1130).

Les "personnes intéressées" par les jugements qui ne seraient pas rendus en audience publique – parce que les parties auraient renoncé à un prononcé public – jouissent du droit de consulter ceux-ci sans devoir justifier d’un intérêt légitime particulier, étant précisé qu'un tel droit existe dès le prononcé du jugement, sans devoir attendre son entrée en force. Durant le délai de recours, c’est même l’entier de l’arrêt qui doit en principe être mis à disposition, une anonymisation ou un caviardage pouvant intervenir, si besoin, aux conditions de l'art. 73 al. 1 et al. 4 CPP (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 20a ad art. 69 et les références citées).

2.4.1. Le Tribunal fédéral s'est penché à plusieurs reprises sur le droit des tiers intéressés à connaître les jugements rendus après la clôture d'une procédure.

2.4.2. Dans l'arrêt ATF 139 I 129, le Tribunal fédéral a accordé à un journaliste le droit de prendre connaissance d'un jugement rendu par l'ancienne Commission de recours en matière d'asile. Afin de protéger les droits de la personnalité des parties à la procédure de l'époque, le jugement en question devait toutefois être divulgué au journaliste sous forme anonymisée. L'intérêt à l'information digne de protection résultait sans autre de la fonction de contrôle des médias. La possibilité de contrôler la justice, liée à la publicité de la justice, permet à elle seule de justifier, même sans autre motif, un intérêt suffisant à consulter le dossier.

2.4.3. Dans l'arrêt 1C_123/2016 du 21 juin 2016, le Tribunal fédéral s'est prononcé sur la question de la consultation de jugements qui n'étaient pas encore entrés en force ou avaient été annulés (aufgehobener Urteil) par l'autorité de recours, dont une journaliste avait demandé la consultation. Il a considéré que, lors de la publication orale des jugements, il était dans la nature des choses que ces jugements ne soient pas encore définitifs. Aucune raison ne justifiait qu'il en aille autrement des autres formes de communication équivalentes. Ainsi, refuser la publication des jugements qui n'étaient pas encore entrés en force ou avaient été annulés était contraire à l'exigence de transparence de l'administration de la justice et empêchait, du moins partiellement, un contrôle efficace de l'activité judiciaire par les médias. L'entrée en force n'était donc pas une condition préalable à une édition ou une publication d'un jugement.

2.4.4. Dans l'arrêt 1B_510/2017 du 11 juillet 2018, un journaliste avait demandé l'accès à un jugement exécutoire concernant une personne qu'il avait nommément désignée. Le Tribunal fédéral a retenu que la personne concernée par le jugement rendu plus de quatre ans et demi auparavant n'avait pas de "droit à l'oubli" et que l'intérêt des parties à la procédure à ce que le jugement reste secret devait s'effacer devant la publicité de la justice. Une publication du jugement non anonymisé se justifierait d'autant plus que le requérant, dans le cadre d'un article de presse, était tenu de respecter – outre le code déontologique des journalistes – la personnalité du recourant et la présomption d'innocence relative à une autre procédure pénale en cours dont ce dernier faisait l'objet.

2.5. Le droit de consulter les jugements après le prononcé de la décision n'est pas absolu et peut être limité, notamment pour protéger la sphère privée (art. 13 Cst.) des parties au procès. La limitation du droit s'effectue en conformité avec le principe de proportionnalité. Ainsi, la protection des droits de la personnalité des participants à la procédure peut en règle générale être prise en compte par l'anonymisation. Le cas échéant, un caviardage partiel du jugement concerné se justifie également. Lorsque la sphère privée des personnes concernées ne peut être suffisamment protégée ni par l'anonymisation ni par un caviardage partiel – par exemple parce que la consultation de jugements concernant des personnes connues des requérants est demandée –, il convient de procéder à une pesée des intérêts entre les intérêts à la consultation et la protection de la personnalité. D'une part, il faut tenir compte du fait que certains intérêts spécifiques à la consultation – comme par exemple ceux des journalistes, des chercheurs et des avocats – ont en principe un poids plus élevé. D'autre part, l'importance de la protection de la personnalité des participants à la procédure – en particulier dans les affaires pénales – augmente avec la distance temporelle par rapport à une procédure (ATF 147 I 407 c. 6.4.2.).

2.6. Selon le point 3.1. des recommandations de la Conférence des procureurs de Suisse au sujet de la consultation des ordonnances pénales et de classement du 23 novembre 2017, "[l]es personnes intéressées ont en principe le droit de consulter les ordonnances pénales complètes, intégrales et non anonymisées (art. 69 al. 2 CPP). Si des intérêts légitimes s'opposent à une telle consultation, il faut examiner si l'ordonnance pénale peut être consultée dans une version caviardée et/ou anonymisée [faisant référence à l'ATF 124 IV 234]. Si une telle manière de procéder (caviardage, anonymisation) ne permet pas de protéger les intérêts supérieurs d'une partie, le droit de consulter la décision peut exceptionnellement être complètement refusé. Un refus doit être motivé.

En application de l'art. 69 al. 3 let. d CPP, la procédure de l'ordonnance pénale n'est pas publique. Le droit de consulter se limite ainsi à la décision rendue, à l'exclusion des pièces du dossier".

2.7. La Directive du Procureur général A.7 (point 11) prévoit que les ordonnances pénales rendues au cours des trente derniers jours, y compris celles qui ne sont pas définitives, sont consultables par les personnes intéressées (art. 69 al. 2 CPP), à savoir les particuliers et les journalistes.

Le greffe du Ministère public tient un registre des consultations et gère leurs modalités pratiques (point 12). Sur demande, les journalistes accrédités reçoivent une copie des ordonnances pénales, sans frais. Les autres journalistes et les autres personnes intéressées reçoivent une copie des ordonnances moyennant paiement des frais de copie. Les journalistes accrédités reçoivent une copie des ordonnances pénales non caviardées. Les journalistes non accrédités reçoivent une copie qui peut être caviardée. Les autres personnes intéressées reçoivent une copie des ordonnances caviardées. Lors des consultations, aucune prise de vue, photographie ou reproduction n'est autorisée.

2.8. En l'espèce, la recourante soutient que l'art. 69 al. 2 CPP ne constituerait pas une base légale suffisante pour rendre accessible à la presse une ordonnance pénale avant l'échéance du délai d'opposition et/ou frappée d'opposition.

L'art. 69 al. 1 CPP consacre le droit du public à participer aux débats et à la notification orale des jugements et des décisions. L'al. 2 de cette disposition permet, aux personnes intéressées, de consulter les jugements et les ordonnances pénales dans les cas où il a été renoncé à un prononcé public du jugement ou lorsqu'une ordonnance pénale a été rendue. Ainsi, le CPP prévoit expressément le droit, pour les "personnes intéressées", de consulter les ordonnances pénales rendues. Cette disposition répond aux exigences légitimes d'information des tiers, en leur permettant de consulter les décisions rendues dans le cadre d'une procédure écrite ou non publique. Il s'agit d'un substitut à l'absence de publicité des débats, principe fondamental d'intérêt public, lequel relègue les droits de la personnalité de la personne concernée au second plan, sous réserve d'exception, notamment de l'existence d'un intérêt opposé prépondérant.

Bien que le texte légal ne précise pas le moment auquel devrait intervenir la publicité de l'ordonnance pénale et que le Tribunal fédéral ne se soit pas encore penché précisément sur la question litigieuse, la doctrine majoritaire plaide en faveur de la consultation des ordonnances pénales non définitives (M. SIMMLER, Einsicht der Medien in Strafbefehle – Zur Reichweite des art. 69 Abs. 2 StPO, Revue pénale suisse 2020, vol. 138, p. 211 ss p. 217), à l'instar de la pratique genevoise.

La Chambre de céans considère qu'il convient d'appliquer, par analogie, la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la consultation des jugements non entrés en force ou annulés (cf. 2.4.3.). Une ordonnance pénale consacre le résultat de la procédure menée par le Ministère public, à l'issue de la procédure préliminaire; il est dès lors dans la nature des choses qu'une telle décision, avant l'échéance du délai d'opposition et/ou après avoir été frappée d'opposition, ne soit pas encore définitive – à l'instar du jugement rendu par les autorités de première instance ou d'appel, durant le délai de recours –. Ainsi, le fait que seule l'ordonnance pénale en force soit assimilable à un jugement exécutoire n'est pas pertinent, la publicité du jugement de première instance n'étant pas non plus soumise à la condition qu'il soit entré en force.

Que, durant la procédure préliminaire, la personne concernée n'aurait pas encore pu faire valoir certains droits n'y change rien, dès lors qu'il est admis que la procédure spéciale de l'ordonnance pénale ne viole pas les garanties de droit supranational dans la mesure où le prévenu a la possibilité de s'y opposer et, partant, de disposer de toutes les garanties fondamentales de la procédure pénale. Ainsi, la publicité d'une décision dans laquelle le Ministère public statue sur l'accusation, compte tenu du contexte particulier de l'ordonnance pénale, ne saurait consacrer à elle seule une violation de la présomption d'innocence, dont la personne concernée bénéficie inconditionnellement jusqu'à l'entrée en force de la décision la reconnaissant coupable des faits reprochés (art. 10 al. 1 CPP). Les jurisprudences citées par la recourante ne lui sont d'aucun secours. En effet, elles concernent le classement prématuré d'un protagoniste dont le comportement était intimement lié à celui du second, renvoyé en jugement (ATF 147 I 386), les déclarations que font les autres agents de l'État au sujet des enquêtes pénales en cours et qui incitent le public à croire le suspect coupable et préjugent de l'appréciation des faits par l'autorité judiciaire compétente (arrêt CourEDH Ismoilov et autres c. Russie du 24 avril 2008, [requête n° 2947/06], Allenet de Ribemont c. France du 10 février 1995, [requête n° 15175/89], Butkevicius c. Lituanie du 26 mars 2002, [requête n° 48297/99], Gutsanovi c. Bulgarie du 15 octobre 2013, [requête n° 34529/10]) ou encore une violation du droit au respect de la vie privée ensuite de la publication dans la presse et sur internet, durant six mois à compter de son inculpation, de la photo et des données à caractère personnel de la requérante (arrêt CourEDH Margari c. Grèce du 20 juin 2023, [requête n° 36705/16]).

Compte tenu de ce qui précède, une violation du principe de la présomption d'innocence ne devrait pas être non plus admise si le Ministère public, en cas d'opposition, décidait de revenir sur sa décision et procédait, par hypothèse, au classement des faits reprochés, ce d'autant que le résultat de la procédure reprise par le Ministère public pourrait également être rendu public in fine, le Tribunal fédéral ayant étendu le principe de publicité aux ordonnances de non-entrée en matière et de classement, même non entrées en force, sous réserve d'intérêts contraires. À l'inverse, si le Ministère public devait décider de maintenir l'ordonnance pénale litigieuse, cette décision vaudrait alors acte d'accusation, lequel est aussi soumis au principe de publicité. L'on ne voit dès lors pas pour quelle raison l'ordonnance pénale initialement rendue, en tant que "proposition de jugement", ne serait pas également soumise au principe de publicité. Limiter la consultation aux seules ordonnances pénales entrées en force serait ainsi contraire au principe fondamental de transparence de l'administration de la justice et empêcherait, du moins partiellement, un contrôle efficace de l'activité judiciaire par les médias.

Enfin, il convient de souligner que, conformément aux recommandations des procureurs de Suisse, l'accès à la "procédure de l'ordonnance pénale" n'est pas public, en tant qu'il porterait sur la consultation des pièces du dossier, par analogie avec le secret de l'instruction. Le fait que cette expression corresponde au titre de la Section 1 du chapitre 1 du Titre 8 du Code de procédure pénale, composé des
art. 352 à 357 CPP, qui englobe les dispositions relatives à l'ordonnance pénale, n'est pas suffisant pour retenir une quelconque volonté du législateur de soustraire cette décision au principe de publicité avant son entrée en force.

Quant au respect de la sphère privée, le Tribunal fédéral a déjà jugé (cf. 2.4.4.) que lorsqu'un journaliste venait à prendre connaissance d'un jugement, la publication du jugement non anonymisé se justifiait d'autant plus que l'intéressé était tenu de respecter le code de déontologie lié à sa profession, la protection de la personnalité, ainsi que la présomption d'innocence s'agissant des procédures en cours. Il en va donc de même en l'espèce s'agissant d'une ordonnance pénale non encore définitive. Le journaliste qui viendrait à prendre connaissance de la décision litigieuse devrait, en particulier, respecter la présomption d'innocence de la recourante, dès lors que, avant l'échéance du délai d'opposition et/ou d'une éventuelle opposition valable, faute de décision exécutoire, la personne concernée en bénéficie. Sur ce point, bien qu'elle n'évoque pas de risque lié à la publicité de l'ordonnance litigieuse par d'autres personnes que les médias, la recourante pourrait s'opposer à d'éventuelles violations de ses droits, que ce soit par ces derniers, la partie plaignante – à qui l'ordonnance litigieuse a été transmise – ou des tiers, par les moyens civils et pénaux à sa disposition (art. 28 ss CC, art. 173 ss CP).

Pour le surplus, la recourante n'invoque pas d'autre intérêt privé qui pourrait justifier une restriction du principe de publicité de la justice des ordonnances pénales non entrées en force

Justifiée, la décision querellée sera donc confirmée.

3.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/427/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

-

CHF

Total

CHF

1'500.00