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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/23690/2021

ACPR/422/2023 du 06.06.2023 sur OMP/4876/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 11.07.2023, 7B_262/23
Descripteurs : PROFIL D'ADN;INCENDIE INTENTIONNEL;DOMMAGES À LA PROPRIÉTÉ(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.255; CPP.197

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/23690/2021 ACPR/422/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 6 juin 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me Camille MAULINI, avocate, Collectif de défense, boulevard de Saint-Georges 72, 1205 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de prélèvement d'échantillons en vue de l'établissement d'un profil d'ADN rendue le 13 mars 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié par messagerie sécurisée le 27 mars 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 13 mars 2023, notifiée le 16 mars 2023, par laquelle le Ministère public a ordonné le prélèvement non invasif (FMJ) d'un échantillon, ainsi que l'établissement d'un profil d'ADN sur le prénommé, et délégué son exécution à la police judiciaire.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif à son recours et à ce que la Chambre de céans ordonne la production par le Ministère public du rapport de renseignement dressé à l'issue de son audition du 16 mars 2023. Principalement, il conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et à la destruction de l'échantillon prélevé à la suite de celle-ci, ainsi que de tout profil d'ADN éventuellement déjà établi.

b. Par ordonnance du 30 mars 2023, la Chambre de céans a accordé l'effet suspensif au recours et enjoint au Ministère public de s'abstenir, jusqu'à droit connu sur le recours, de faire analyser ou d'exploiter le résultat issu du prélèvement d'ADN exécuté sur A______.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Une instruction est ouverte contre B______ pour complicité de dommages à la propriété. Il lui est reproché d'avoir, le 17 novembre 2021, contribué à endommager la façade d'un centre commercial de Genève en y peignant "______". Il a été identifié grâce aux caméras de vidéosurveillance se trouvant aux abords du bâtiment, lesquelles montrent deux individus au moment des faits, le premier d'abord non identifié peignant les mots susmentionnés et le second, soit B______, étant présent.

b. A______, ressortissant suisse né en 1999, domicilié à Genève et étudiant, sans antécédents pénaux, qui est le colocataire de B______, a été identifié comme le premier individu susmentionné.

c. Auditionné sur mandat de comparution par la police le 16 mars 2023 en qualité de prévenu, A______ a refusé de répondre aux questions posées et de signer le procès-verbal.

Il a été informé que le Ministère public avait ordonné le prélèvement d'un échantillon en vue de l'établissement de son profil d'ADN, ce qu'il a refusé.

L'ordonnance lui a été lue, puis il a refusé à nouveau le prélèvement, mais a accepté de suivre les policiers pour effectuer celui-ci.

Il a ensuite été relaxé.

d. Parallèlement, une seconde instruction - conduite sous le même numéro de procédure P/23690/2021 - est ouverte contre B______ à qui il est reproché un incendie qui a ravagé, le 4 janvier 2022, l'enceinte de la gravière C______ située à D______, dans le canton de Genève. Des inscriptions à la peinture ont été apposées sur des containers, soit "______" et "______". Sur place, divers prélèvements d'ADN ont été réalisés. Ils ont mis en évidence un profil H1 à l'intérieur d'un gant retrouvé à côté des véhicules calcinés, ainsi qu'un profil H2 retrouvé sur un bidon d'essence laissé sur place.

C. L'ordonnance querellée se réfère aux faits exposés ci-dessus et retient que le profil H1 susmentionné pourrait être celui de A______, dans la mesure où celui-ci avait déjà commis des dégradations sur le domaine public en peignant des graffitis en compagnie de B______ et que des inscriptions de ce type avaient aussi été retrouvées sur les lieux de l'incendie. Il était donc possible de déterminer par le prélèvement et l'analyse de l'ADN de A______ s'il était compatible avec le profil H1 et d'aider à l'élucidation de ces faits. La mesure de contrainte était légère et proportionnée à l'intérêt public en lien avec la répression et la prévention des infractions.

D. a. A l'appui de son recours, A______ soutient que l'établissement d'un profil d'ADN n'avait aucune utilité pour l'élucidation des faits relatifs au graffiti apposé sur le centre commercial. Il considère au surplus n'avoir pas été mis en prévention à raison des faits survenus dans la gravière. L'analyse de son ADN avait donc un "but préventif". Les conditions d'une telle analyse n'étaient pas réalisées, car il n'existait aucun soupçon concret qu'il aurait participé aux déprédations causées dans la gravière : l'ADN retrouvé pouvait être celui de n'importe quelle personne ayant travaillé sur place. Les infractions n'avaient aucune similarité, bien que des graffitis, différents selon lui, eussent été trouvés sur place. La participation de B______ à l'incendie n'était pas démontrée.

b. Le Ministère public observe qu'il existait des soupçons que A______ eût commis des infractions passées ou pût en commettre dans le futur. En effet, il appartenait à un mouvement antifasciste d'extrême-gauche, dont les membres étaient prêts à mener des actions potentiellement illégales pour faire passer des messages politiques. Or, l'ADN de B______ avait été déclarée compatible avec une trace retrouvée sur le site de l'incendie. Il était donc possible que A______ soit à l'origine de la trace H1 retrouvée à cet endroit.

c. Dans sa réplique, A______ réfute les observations du Ministère public : il ne pouvait être admis que l'appartenance à un mouvement politique justifiait l'établissement d'un profil d'ADN. En effet, cela pouvait avoir pour effet d'intimider les personnes qui exerçaient pacifiquement leur liberté d'expression et de réunion. Il se considérait donc victime d'un profilage à des fins politiques.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant fait grief au Ministère public d'avoir ordonné une analyse de son ADN alors que les conditions requises n'étaient pas remplies.

2.1.1. L'art. 255 al. 1 CPP permet de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN du prévenu pour élucider un crime ou un délit; il n'autorise toutefois pas le prélèvement d'échantillons d'ADN et leur analyse de manière systématique (ATF 147 I 372 consid. 2.1; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_409/2021 du 3 janvier 2022 consid. 4.1 et 1B_568/2021 du 22 février 2022 consid. 3.1.1).

2.1.2. L'ordonnance de prélèvement d'un échantillon d'ADN permet de récolter du matériel biologique sur une personne en vue de l'établissement d'un profil d'ADN. La police peut ordonner et effectuer le prélèvement non invasif d'échantillons (art. 255 al. 2 let. a CPP; ATF 141 IV 87 consid. 1.3.2; cf. Message du Conseil fédéral du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2005 1057 ss, ch. 2.5.5 p. 1223 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_568/2021 du 22 février 2022 consid. 3.1.2). 

2.1.3. L'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN permet d'utiliser l'échantillon d'ADN afin d'établir la combinaison alphanumérique de la personne sur laquelle celui-ci a été prélevé à l'aide de techniques relevant du domaine de la biologie moléculaire, à partir des segments non codants de la molécule d'ADN dans le but de pouvoir l'identifier de manière indiscutable (cf. Message du Conseil fédéral du 8 novembre 2000 relatif à la loi fédérale sur l'utilisation de profils d'ADN dans le cadre d'une procédure pénale et sur l'identification de personnes inconnues ou disparues, FF 2001 19, ch. 2.1.1 p. 26). L'établissement d'un profil d'ADN peut être ordonné par le ministère public ou les tribunaux (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.2; cf. Message du Conseil fédéral du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2005 1057 ss, ch. 2.5.5 p. 1223 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_568/2021 du 22 février 2022 consid. 3.1.3).

2.1.4. Cette mesure ne se conçoit pas seulement lorsqu'il s'agit d'élucider le délit initial ayant donné lieu à la mesure de prélèvement, ou d'attribuer concrètement des infractions déjà commises et connues des autorités de poursuite pénale. Comme cela ressort clairement de l'art. 1 al. 2 let. a de la loi sur les profils d'ADN – applicable par renvoi de l'art. 259 CPP –, l'élaboration de tels profils doit également permettre d'identifier l'auteur d'infractions qui n'ont pas encore été portées à la connaissance des autorités de poursuite pénale. Il peut s'agir d'infractions passées ou futures. Le profil d'ADN peut ainsi permettre d'éviter des erreurs d'identification et d'empêcher la mise en cause de personnes innocentes. Il peut également jouer un rôle préventif et participer à la protection de tiers (ATF 145 IV 263 consid. 3.3 et les références citées).

En matière d'identification de personnes, un prélèvement d'ADN, notamment par frottis de la muqueuse, et son analyse constituent des atteintes – certes légères – à la liberté personnelle, à l'intégrité corporelle (art. 10 al. 2 Cst.), respectivement à la sphère privée (art. 13 al. 1 Cst.), ainsi qu'au droit à l'autodétermination en matière de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH). Les limitations des droits constitutionnels doivent être justifiées par un intérêt public et respecter le principe de proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.). L'art. 255 CPP ne permet pas le prélèvement routinier d'échantillons d'ADN et leur analyse, ce que concrétise l'art. 197 al. 1 CPP. Selon cette disposition, des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d). L'établissement d'un profil d'ADN qui ne sert pas à élucider une infraction faisant l'objet d'une procédure en cours n'est conforme au principe de la proportionnalité que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu puisse être impliqué dans d'autres infractions, cas échéant futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité. Les antécédents doivent également être pris en compte. Cependant, l'absence d'antécédents n'exclut pas en soi l'établissement d'un profil d'ADN, mais constitue l'un des nombreux critères à prendre en compte dans l'appréciation globale des circonstances (ATF 145 IV 263 consid. 3.4; 144 IV 127 consid. 2.1; 141 IV 87 consid. 1.3.1 et 1.4, tous avec références). L'âge est également un critère pertinent, en ce sens que l'établissement d'un profil d'ADN est susceptible d'avoir un impact négatif sur le développement et l'intégration dans la société d'une personne encore jeune (arrêts du Tribunal fédéral 1B_111/2015 du 20 août 2015 consid. 3.5 ; 1B_284/2018 du 13 décembre 2018 consid. 2.3).

2.2. En l'espèce, il résulte clairement de l'ordonnance querellée et des faits de la cause que le recourant s'est vu prélever son ADN non pas, comme il le laisse entendre, pour établir un profil pouvant être utilisé dans l'élucidation d'infractions passées ou futures inconnues de l'autorité pénale, mais pour attribuer concrètement une infraction déjà commise et objet de l'instruction, soit les déprédations survenues dans une gravière.

En effet, le recourant paraît avoir été le comparse de B______ lors du sprayage de la façade d'un centre commercial, au vu des faits réunis à ce stade. Or, l'ADN de ce même B______ a été retrouvé sur les lieux d'un incendie d'origine vraisemblablement criminelle commis quelques mois plus tôt, tous faits instruits dans la même procédure. Sur les lieux de l'incendie, des graffitis dénotant une orientation politique similaire à ceux apposés sur le centre commercial ont été peints. Au vu des liens qui unissent ces deux personnes (colocation, appartenance au même mouvement politique, commission présumée en commun d'une infraction à quelques mois d'écart), il apparaît logique que des soupçons concrets et sérieux pèsent sur le recourant en lien avec l'incendie susmentionné.

Ainsi, bien que n'ayant pas été formellement mis en prévention pour les faits liés à l'incendie - ce qui est sans portée dès lors que la qualité de prévenu s'acquiert matériellement par le seul fait qu'une personne est suspectée d'avoir commis une infraction (voir, parmi d'autres, A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 11a ad art. 111 CPP et A. DONATSCH / V. LIEBER / S. SUMMERS / W. WOHLERS (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung StPO, 3ème éd., Zurich 2020, n. 8 ad art. 111 CPP) -, le recourant est mis en cause pour ces faits. Le prélèvement d'ADN est une mesure impliquant une atteinte légère à ses droits personnels, proportionnée par rapport aux infractions graves d'incendie intentionnel et de dommages à la propriété qu'il s'agit d'élucider.

Par conséquent, les griefs du recourant sur les questions liées à son âge ou à ses antécédents n'entrent pas en considération, dès lors qu'il ne s'agit pas de découvrir son implication dans des infractions passées ou futures et inconnues des autorités pénales, mais de résoudre une infraction objet de la présente procédure.

La demande de production de certaines pièces par le Ministère public, dont le recourant n'explicite pas l'utilité pour l'issue du présent recours, sera rejetée.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/23690/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

800.00

-

CHF

Total

CHF

885.00