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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13713/2020

ACPR/411/2023 du 01.06.2023 sur OMP/5492/2023 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE)
Normes : CPP.382; CPP.263; CP.70; CP.71

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13713/2020 ACPR/411/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 1er juin 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, comparant par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de levée de séquestre rendue le 22 mars 2023 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 3 avril 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 22 mars 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a levé le séquestre sur les comptes bancaires no 1______ et 2______ dont la société C______ SA, en liquidation, est titulaire auprès de la banque D______.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette décision.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 4 août 2020, une instruction pénale a été ouverte contre A______ des chefs d'escroquerie, faux dans les titres, gestion déloyale, gestion fautive, violation de l'obligation de tenir une comptabilité et obtention frauduleuse d'un concordat judiciaire.

Il lui est en particulier reproché d'avoir, en 2017, en sa qualité d'administrateur et d'actionnaire unique de la société C______ SA – dont la faillite a été clôturée par jugement du 17 avril 2023 et qui a été radiée d'office le 25 suivant –, amené, par le biais d'une tromperie, respectivement de fausses informations, deux investisseurs à lui prêter CHF 950'000.- en tout, dont ils n'ont jamais pu obtenir la restitution en dépit des poursuites et procédures civiles engagées.

Selon une communication du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS), entre 2017 et 2020, les bonifications sur le compte D______ de la société susvisée – qui n'a jamais eu d'activité commerciale effective – provenaient essentiellement de prêts consentis par des personnes physiques et morales. Aussi, l'enrichissement illégitime de A______ atteindrait CHF 2'900'000.-. Le MROS a notamment signalé deux prêts COVID d'un montant total de CHF 500'000.- que A______ aurait obtenu, en faveur de C______ SA, de la banque D______, sur la base d'un chiffre d'affaires mensonger de CHF 8'000'000.-.

b. Le même jour, le Ministère public a procédé à divers séquestres, parmi lesquels celui portant notamment sur les comptes précités dont C______ SA est titulaire auprès de D______.

c. Par lettre du 10 février 2021, la société coopérative E______ [organisme de cautionnement] s'est constituée partie plaignante au civil et au pénal, chiffrant son dommage à CHF 275'000.-.

Elle exposait s'être portée caution solidaire du prêt de CHF 500'000.- accordé par D______ à C______ SA le 26 mars 2020. D______ ayant fait appel à la garantie le 24 novembre 2020, elle avait honoré la caution et s'était acquittée d'une somme de CHF 275'000.- en faveur de la banque, le 7 janvier 2021. Subrogée aux droits et obligations de cette dernière, elle avait ainsi acquis un droit de gage et de compensation sur les avoirs de C______ SA, détenus sur les comptes D______ séquestrés.

d. Par missive du 20 mars 2023, E______, sous la plume de son conseil, a sollicité la levée des séquestres frappant les deux comptes précités, au motif que ceux-ci avaient, dans le cadre de la faillite de C______ SA, été inscrits à l'inventaire, aujourd'hui entré en force. De par la subrogation légale aux droits de D______, elle avait elle-même acquis un droit de gage sur ces deux comptes, ce qui avait été retenu par l'Office des faillites. Afin que celui-ci puisse procéder à la liquidation de C______ SA et ordonner le transfert des fonds saisis en sa faveur à elle, il lui avait ainsi été "suggéré" par le chargé de la faillite de solliciter la levée des séquestres.

À l'appui de son courrier, elle a notamment produit une copie de l'inventaire de la faillite de C______ SA, selon lequel le solde créditeur des deux comptes séquestrés s'élevait respectivement à USD 928.12 et CHF 62'578.04. Sous la rubrique "Observations" figure la mention "Droit de gage/rétention" en faveur de E______ ; et l'état de collocation de la faillite de C______ SA, selon lequel sa créance de CHF 275'000.- avait été inscrite au rang de créances garanties par gage mobilier.

e. Par ordre de dépôt du 21 mars 2023, le Ministère public a prié la banque D______ de lui transmettre tous les avis de débit et de crédit des deux comptes susmentionnés depuis leur ouverture jusqu'à ce jour ou à la date de leur clôture.

C. Dans sa décision querellée, du lendemain, le Ministère public lève le séquestre opéré en mains de D______, placements et safes compris, au motif que la mesure bloquait le processus de liquidation de C______ SA et le recouvrement – partiel – de la créance de E______. En effet, la liquidation de C______ SA et le transfert à la plaignante des fonds sur lesquels cette dernière disposait d'un droit de gage "diminueraient d'autant ses prétentions civiles".

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public une constatation incomplète des faits et l'inopportunité de la décision.

Fort de son droit de gage, E______ se verrait transférer "de manière certaine" les fonds figurant sur les comptes séquestrés, lors de la liquidation de la faillite de C______ SA. La demande de levée ne revêtait dès lors aucune urgence particulière et visait uniquement à permettre l'avancement de la faillite.

La levée n'aurait en effet pas pour seul résultat de permettre à la société plaignante de réaliser son droit de gage mais entraînerait également la liquidation de C______ SA. Or, l'instruction en était encore à ses débuts et le Ministère public ne disposait pas encore de tous les éléments nécessaires à la bonne compréhension du dossier. Preuve en était l'ordre de dépôt adressé à la banque D______ le 21 mars 2023. La décision querellée risquait ainsi de compromettre la bonne marche de l'instruction, certains éléments risquant d'être "altérés ou détruits".

Par ailleurs, un "risque de dissipation d'actifs" ne pouvait être exclu. En effet, si des personnes impliquées dans la procédure de faillite disposaient "d'un intérêt direct ou indirect dans la décision, cela pourrait compromettre l'équité et la transparence de la procédure". Mais surtout, la décision querellée risquait de causer, à lui et à d'autres personnes ayant investi dans C______ SA, un préjudice irréparable, puisqu'ils pourraient ne pas être en mesure de récupérer des sommes qui leur étaient dues. Le maintien du séquestre était donc nécessaire pour protéger leurs intérêts.

Enfin, lever le séquestre selon le Ministère public, au motif que cela "diminuer[ait] d'autant les prétentions civiles de E______" revenait à consacrer une violation de la présomption d'innocence, puisque cela présupposait qu'il s'était "forcément" rendu coupable de faux dans les titres dans le cadre de l'octroi du crédit COVID.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écriture ni débats.

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés ou irrecevables (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2.             Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du prévenu, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP).

3.             Il convient cependant d'examiner la qualité pour recourir de A______, qui reproche au Ministère public d'avoir levé les séquestres frappant les deux relations bancaires auprès de D______ dont C______ SA est titulaire.

3.1.1. La question devant être examinée d'office par l'autorité pénale, toute partie recourante doit s'attendre à ce que son recours soit examiné sous cet angle, sans qu'il en résulte pour autant de violation de son droit d'être entendue (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1207/2013 du 14 mai 2014 consid. 2.1).

3.1.2. Selon l'art. 382 al. 1 CPP, a qualité pour recourir toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision. Cet intérêt doit être actuel et pratique; il doit exister tant au moment du dépôt du recours qu'à celui où l'arrêt est rendu (ATF 137 I 296 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_766/2016 du 4 avril 2017 consid. 1.2).

3.1.3. Le recourant, quel qu'il soit, doit être directement atteint dans ses droits et doit établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu'il peut, par conséquent, en déduire un droit subjectif. Le recourant doit en outre avoir un intérêt à l'élimination de cette atteinte, c'est-à-dire à l'annulation ou à la modification de la décision dont provient l'atteinte (A. KUHN/ Y. JEANNERET/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 382). L'intérêt doit être juridique et direct, le but étant de permettre aux tribunaux de ne trancher que des questions concrètes et de ne pas prendre des décisions uniquement théoriques. À noter que l'intérêt juridiquement protégé se distingue de l'intérêt digne de protection qui n'est pas, lui, nécessairement juridique mais peut aussi être un pur intérêt de fait ; ce dernier ne suffisant pas à fonder une qualité pour recourir. Ainsi, l'existence d'un intérêt de pur fait ou la simple perspective d'un intérêt futur ne suffit pas (L. MOREILLON/ A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire CPP, Bâle 2016, 2ème éd., n. 2 ad art. 382 CPP et les références citées).

Le recours d'une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision est en principe irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 1B_669/2012 du 12 mars 2013 consid. c. 2.3.1).

3.1.4. Selon la jurisprudence fédérale, dans le cadre d'un recours contre une ordonnance de séquestre, un intérêt juridiquement protégé doit être reconnu à celui qui jouit sur les objets ou valeurs confisqués d'un droit de propriété ou d'un droit réel limité, comme notamment un droit de gage (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1207/2013 du 14 mai 2014 c. 3.1.2).

La qualité pour recourir est en revanche déniée au détenteur économique (actionnaire d'une société ou fiduciant) d'un compte, dans la mesure où il n'est qu'indirectement touché; la qualité d'ayant droit économique ne fonde donc pas un intérêt juridiquement protégé (arrêts du Tribunal fédéral 6S_365/2005 du 8 février 2006 consid. 4.2; 6S_325/2000 du 6 septembre 2000 consid. 4; 1B_21/2010 du 25 mars 2010 consid. 2 et les références; 1B_94/2012 du 2 avril 2012 consid. 2.1). Au cours d'une procédure de faillite, il appartient en principe au liquidateur de contester, le cas échéant, le séquestre portant sur les avoirs de la société en liquidation (arrêts 1B_388/2016 du 6 mars 2017 consid. 3.4; 1B_109/2016 du 12 octobre 2016 consid. 1).

3.1.5. En l'espèce, force est tout d'abord de constater que la décision attaquée porte sur deux comptes bancaires dont le titulaire est non pas le recourant, mais C______ SA.

Le recourant, administrateur et ayant droit économique de cette entité, ne prétend pas agir au nom et pour le compte de celle-ci – qui, au jour du dépôt du recours, disposait encore d'une existence propre –, son acte ayant été déposé en son nom personnel uniquement. Il ne peut dès lors pas se prévaloir d'un intérêt juridique propre concernant le sort des comptes bancaires, à défaut d'en être titulaire, respectivement de disposer d'un droit, réel ou personnel, sur les valeurs qui y sont déposées.

Dès lors qu'il n'est, tout au plus, lésé que de façon médiate, le recourant n'est pas habilité à former recours concernant l'ordonnance querellée. Il s'ensuit que la qualité pour agir, au sens de l'art. 382 al. 1 CPP, doit lui être déniée.

Le statut de prévenu du recourant n'y change rien. L'exigence d'un intérêt juridique s'applique en effet à toutes les parties à la procédure, à l'exception du ministère public.

Son recours est, par conséquent, irrecevable.

3.1.6. Il l'est aussi à un second titre.

En effet, le recourant ne démontre pas qu'il aurait été lésé d'une quelconque manière par le séquestre litigieux et que la décision serait susceptible de compromettre des prétentions propres fondées sur les art. 70 et ss CP. Les faits ne sont pas constitutifs d'une infraction commise à son détriment et, en l'occurrence, on ne discerne pas en quoi la décision querellée lui serait préjudiciable. Il n'explique nullement en quoi pourraient consister ses droits sur les montants séquestrés et ne précise pas non plus, à cet égard, quelle serait la nature et le montant de son dommage si la mesure était levée. Au contraire, il semble reconnaître que les avoirs en question ne lui appartiennent pas et qu'un nantissement a valablement été constitué en faveur de E______.

Par ailleurs, son argumentation selon laquelle le séquestre devrait être maintenu sur les comptes de C______ SA pour éviter sa liquidation totale, n'apparaît pas pertinente sur le plan pénal. En effet, le recourant ne se prévaut d'aucun motif de séquestre pénal au sens de l'art. 263 CPP, se limitant à indiquer qu'il risquerait de ne pas pouvoir récupérer les "sommes investies" dans ladite société. En tout état de cause, il apparaît, à la lecture du Registre du commerce, que C______ SA a été radiée d'office le 25 avril 2023, à la suite de la clôture de la procédure de faillite, le 17 avril 2023, de sorte que l'existence d'un intérêt juridique actuel semble faire défaut.

On ne voit pas non plus en quoi la décision entreprise serait susceptible de compromettre la recherche de la vérité. Le fait que les séquestres soient levés n'empêchera notamment pas la banque D______ de transmettre au Ministère public les avis de débit et crédit des comptes litigieux.

Par ailleurs, l'ordonnance querellée ne préjuge en rien de la suite qui sera donnée à la procédure et ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence du recourant, étant relevé qu'il est établi et non contesté que E______ dispose d'une créance garantie par gage de CHF 275'000.-, qui est supérieure aux montants figurant sur les deux comptes séquestrés.

En définitive, la décision querellée ne viole aucune règle de droit ayant pour but de protéger les intérêts du recourant.

Dès lors qu'il ne dispose pas non plus, sous cet angle, d'un intérêt juridique actuel et pratique à l'annulation ou à la modification de la décision de levée de séquestre, la qualité pour recourir doit lui être déniée.

4.             Point n'est dès lors besoin de traiter les griefs du recourant en lien avec une prétendue constatation inexacte des faits et l'inopportunité de la décision entreprise.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare le recours irrecevable.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13713/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

900.00