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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1065/2023

ACPR/373/2023 du 22.05.2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : EXÉCUTION ANTICIPÉE DES PEINES ET DES MESURES;RISQUE DE COLLUSION
Normes : CPP.236

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1065/2023 ACPR/373/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 22 mai 2023

 

Entre

 

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de refus d'exécution anticipée de peine rendue le 14 avril 2023 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 24 avril 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 avril 2023, notifiée le 19 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé l'exécution anticipée de sa peine privative de liberté.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce qu'il soit autorisé à exécuter de manière anticipée sa peine, subsidiairement moyennant contrôle du courrier, des conversations et des contacts.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______, ressortissant marocain né en 1995, titulaire d'un permis de séjour en cours de renouvellement, est placé en détention provisoire depuis le 17 janvier 2023, régulièrement prolongée au 15 juin 2023.

b. Il est prévenu de tentative de meurtre (art. 111 CP cum art. 22 CP), subsidiairement de tentative de lésions corporelles graves (art. 122 CP cum art. 22 CP), et d'infraction à l'art. 19a LStup.

Il lui est reproché d'avoir, à Genève, le 15 janvier 2023, vers 03h00, à la place 1______, asséné à D______ – ressortissant français domicilié en France –, qui était au sol, des coups de pied au ventre et sur le dos en lui disant "je vais te tuer, je vais te finir", puis, à tout le moins un coup de couteau au côté droit de l'abdomen, avec l'intention de le tuer, lui causant des lésions ayant nécessité son hospitalisation d'urgence et une laparoscopie.

Les certificats médicaux produits par D______ – qui a déposé plainte pénale –, font état d'une "plaie sous-cutanée à hauteur de la 11ème côte gauche avec franc saignement actif intra musculaire dès le temps artériel, se majorant sur les temps ultérieurs".

c. Un des témoins a expliqué avoir entendu A______ dire au plaignant : "je vais te tuer", "de toute façon je n'ai pas de papier et je n'ai rien à perdre".

d. Lors de son interpellation, A______ était porteur d'un couteau. Selon le rapport d'analyses ADN établi le 20 février 2023, un profil correspondant à celui du prévenu a été trouvé sur le manche et sur la lame. La trace de sang prélevée sur la lame du couteau correspond au profil ADN de D______.

e. A______ conteste les faits qui lui sont reprochés, expliquant avoir lui-même reçu, sans raison, quatre coups au visage ce soir-là alors qu'il écoutait tranquillement de la musique. Il n'avait frappé personne ni n'avait utilisé son couteau. Son vêtement avait d'ailleurs été entaillé. Il ne savait pas pourquoi il y avait des traces correspondant à son ADN et à celui de la victime sur son couteau. Au surplus, il a admis consommer de la résine de cannabis et fumer du haschich.

f. A______ a été confronté à la victime et aux témoins lors des audiences des 16 mars et 3 avril 2023. Il a maintenu ses déclarations.

g. Par ordonnance du 5 avril 2023, le Ministère public a joint à la présente cause la procédure P/13763/2022 dans laquelle A______ est prévenu de lésions corporelles simples pour être soupçonné d'avoir frappé son épouse à plusieurs reprises, entre le 15 mai 2020 et le 23 juillet 2021, notamment avec un bâton, lui causant des blessures constatée dans les attestations médicales des 22 avril et 22 juillet 2021.

Dans sa plainte, du 25 avril 2022, l'épouse expliquait être séparée de A______ depuis les événements de juillet 2021. Elle se sentait désormais prête à déposer plainte pénale, car elle construisait sa vie et était en couple avec un autre homme.

Le prévenu a contesté avoir frappé son épouse. Il leur arrivait de se fâcher et qu'elle parte, mais elle revenait car il n'avait rien fait.

Les parties ont été confrontées les 11 juillet et 19 octobre 2022. À l'issue de la première audience, le Procureur a invité les parties à éviter tout "accrochage", notamment verbal, ce que A______ a accepté. Lors de la seconde audience, l'épouse a expliqué que la procédure de séparation était en cours ; elle n'avait pas revu A______, qui n'avait pas de contact avec leur fils, âgé de trois ans.

Par avis de prochaine clôture de l'instruction, du 28 novembre 2022, le Ministère public a annoncé son intention de rendre une ordonnance pénale contre A______.

h. À l'appui de sa demande de prolongation de la détention provisoire, du 6 avril 2023, le Ministère public a informé le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) qu'il entendait fixer une audience afin d'auditionner l'épouse du prévenu, éventuellement des témoins sollicités par les époux, et entendre les parties sur les constats de lésions traumatiques avant de clore l'instruction et de renvoyer A______ en jugement.

i. Dans l'ordonnance du 11 avril 2023 ayant ordonné la prolongation de la détention provisoire de A______ au 15 juin 2023, le TMC a, outre des risques de fuite et de réitération, retenu l'existence d'un risque de collusion vis-à-vis des deux victimes (D______ et l'épouse du prévenu), au vu des dénégations du précité, de sorte qu'il y avait lieu d'éviter qu'il ne puisse tenter d'influencer leurs futures déclarations en sa faveur, par des pressions voire des menaces de représailles.

j. Par lettre de son conseil, du 11 avril 2023, A______ a demandé au Ministère public à pouvoir exécuter la peine de manière anticipée. La procédure avait atteint un stade permettant cette exécution et bien qu'il contestât les faits, cela n'était pas un obstacle, puisqu'à ce stade de la procédure, un risque de collusion ne pouvait plus être retenu. Dans tous les cas, il acceptait les éventuelles restrictions, telles que le contrôle de son courrier, de ses conversations téléphoniques voire de ses contacts.

C.            Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que A______ conteste l'ensemble des faits, à l'exception de la consommation de stupéfiants. Comme l'avait retenu le TMC dans son ordonnance du 11 avril 2023, le risque de collusion demeurait tangible. Le régime de l'exécution anticipée de peine ne permettait pas de pallier de manière efficace ce risque, les courriers et appels téléphoniques du prévenu ne faisant pas l'objet d'un contrôle suffisant. La requête était donc prématurée.

D.           a. Dans son recours, A______ relève que l'établissement d'exécution des peines (E______) se situant à quelques mètres de la prison de B______, le lieu de l'administration des preuves ne se trouverait pas géographiquement plus éloigné. La condition du stade de la procédure ne s'opposait ainsi pas à sa demande d'exécution anticipée de peine. Par ailleurs, contrairement à ce que retenait le Ministère public, celle-ci ne pouvait lui être refusée en raison de ses dénégations. Enfin, les deux plaignants (son épouse et D______) avaient, chacun, été auditionnés à plusieurs reprises au cours d'audiences contradictoires. Il n'avait jamais rien entrepris à l'égard de son épouse pour qu'elle retire sa plainte ou modifie ses accusations. Partant, le risque de collusion à l'égard de celle-ci était purement théorique. Quant à D______, qui résidait à l'étranger, il ne le connaissait pas, ce qui rendait plus abstrait tout risque de cet ordre.

Au demeurant, même s'il persistait à nier les faits, sa présence sur les lieux était admise et les traces sur son couteau semblaient établir les faits avec précision, de sorte qu'aucune collusion n'était en mesure de remettre en cause le rapport ADN. Le risque de collusion ne saurait donc être qualifié d'élevé. Au surplus, le risque résiduel pouvait être pallié par la mise en place de restrictions de contacts avec l'extérieur.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, se référant intégralement à son ordonnance.

c. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir refusé sa demande d'exécution anticipée de sa peine en retenant l'existence d'un risque concret de collusion.

2.1. Selon l'art. 236 CPP, la direction de la procédure peut autoriser le prévenu à exécuter de manière anticipée une peine privative de liberté ou une mesure entraînant une privation de liberté si le stade de la procédure le permet (al. 1). Dès l’entrée du prévenu dans l’établissement, l’exécution de la peine ou de la mesure commence et le prévenu est soumis au régime de l’exécution, sauf si le but de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté s’y oppose (al. 4).

L'exécution anticipée des peines et des mesures doit permettre d'offrir à l'accusé de meilleures chances de resocialisation dans le cadre de l'exécution de la peine avant même l'entrée en force du jugement (ATF 143 IV 160 consid. 2.1; 133 I 270 consid. 3.2.1). Les modalités d'exécution de peine ne permettent toutefois pas de prévenir les manœuvres de collusion aussi efficacement que le cadre de la détention préventive. L'exécution anticipée de la peine doit ainsi être refusée lorsqu'un risque élevé de collusion demeure de sorte que le but de la détention et les besoins de l'instruction seraient compromis (cf. ATF 133 I 270 consid. 3.2.1; arrêts du Tribunal fédéral 1B_426/2012 du 3 août 2012 consid. 2.1; 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et les arrêts cités).

Le "stade de la procédure" permettant l'exécution de peine de manière anticipée correspond au moment à partir duquel la présence du prévenu n'est plus immédiatement nécessaire à l'administration des preuves, ce qui est en principe le cas lorsque l'instruction est sur le point d'être close (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 236; arrêt du Tribunal fédéral 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et la référence citée).

Même après ce stade, l'exécution anticipée de la peine doit être refusée lorsqu'un risque élevé de collusion demeure, de sorte que le but de la détention et les besoins de l'instruction seraient compromis si le régime de l'exécution anticipée devait être mis en œuvre. Il appartient alors à l'autorité de démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres, propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer et en quoi le régime d'exécution de peine du prévenu, même avec les mesures possibles de l'art. 236 al. 4 CPP, en compromettrait l'accomplissement (arrêt du Tribunal fédéral 1B_107/2020 du 24 mars 2020 consid. 2.1).

Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuves susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure (ATF 137 IV 122 consid. 4.2;
132 I 21 consid. 3.2 et les références citées). Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2;
132 I 21 consid. 3.2.2).

L'exécution anticipée de la peine peut justifier certaines restrictions – parfois allant au-delà d'un seul contrôle – dans les contacts avec l'extérieur; ces limitations doivent cependant respecter le principe de proportionnalité (ATF I 318 consid. 2.5).

2.2. En l'espèce, même si le Ministère public entend procéder à l'audition de l'épouse du recourant, on ne saurait retenir un risque de collusion élevé, puisqu'aucune mesure n'a été prise après le dépôt de la plainte par la précitée, et que les parties ont déjà été confrontées à deux reprises. De surcroît, entre les deux audiences, de juillet et octobre 2022, le recourant n'a pas revu son épouse, et donc nullement tenté de la convaincre de retirer sa plainte ou de modifier ses déclarations. On ne saurait dès lors retenir, un an après le dépôt de la plainte pénale, un risque de collusion qui n'a pas été retenu à l'époque.

S'agissant des faits ayant conduit à la mise en détention provisoire du recourant, la confrontation avec la victime a eu lieu à deux reprises, et les témoins ont été entendus. Dans la demande de prolongation de la détention provisoire déposée début avril 2023 par le Ministère public, le seul acte d'instruction annoncé consistait en l'audition de la victime sur le constat de lésions traumatiques, avant la clôture de l'instruction. Dans l'ordonnance querellée et dans les observations sur le recours, le Ministère public n'a mentionné aucun autre acte d'instruction. Il s'ensuit que les dénégations du prévenu ne suffisent pas, à elles seules, à retenir l'existence d'un risque de collusion élevé.

Partant, les conditions de l'art. 236 CPP sont, au vu du stade avancé de la procédure, réunies.

Le risque de collusion avec la victime, qui demeure – même s'il n'est pas élevé au point d'empêcher l'exécution anticipée de la peine –, commande que le recourant soit astreint à des restrictions dans ses contacts avec l'extérieur jusqu'à l'audience de jugement, mesure qui paraît proportionnée aux circonstances et que le recourant accepte au demeurant.

L'exécution anticipée de la peine sera ainsi soumise aux mêmes conditions que celles de la détention avant jugement, à savoir le contrôle des contacts avec l'extérieur (courriers, téléphones, visites).

3. Sous ces conditions, le recours s'avère fondé et doit être admis. L'ordonnance querellée sera annulée et le recourant autorisé à exécuter de manière anticipée sa peine privative de liberté, aux conditions susmentionnées.

4.             Les frais de la procédure de recours seront laissés à la charge de l'État.

5.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade (cf. art. 135 al. 2 CPP) le défenseur d'office, qui ne l'a du reste pas demandé.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l’ordonnance rendue le 14 avril 2023 par le Ministère public.

Autorise A______ à exécuter de manière anticipée sa peine privative de liberté, à la condition expresse que l'exécution de cette peine se déroule dans des conditions identiques à celles de la détention provisoire.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur) et au Ministère public.

Le communique, pour information, au Service de l'application des peines et mesures.

Communique, à la prison de B______, copie de la page de garde et du dispositif.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.