Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/20578/2016

ACPR/346/2023 du 11.05.2023 sur OMP/1509/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);IMMEUBLE;DONATION;TIERS NON IMPLIQUÉ;CONFISCATION(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.263; CP.71.al3; CP.70.al2; CP.158

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/20578/2016 ACPR/346/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 11 mai 2023

 

Entre

 

A______ et B______, domiciliés ______ [GE], comparant tous deux par Me Patrick BLASER, avocat, Borel & Barbey, rue de Jargonnant 2, case postale 6045, 1211 Genève 6,

recourants,

 

contre l'ordonnance de séquestre rendue le 24 janvier 2023 par le Ministère public,

 

et

 

C______, domiciliée ______, Brésil, comparant par Me Flavien VALLOGIA, avocat, REISER Avocats, route de Florissant 10, 1206 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par actes séparés, déposés le 6 février 2023, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 24 janvier 2023, reçue par leur conseil le lendemain, par laquelle le Ministère public a ordonné le séquestre, "en mains" du Registre foncier, de l'immeuble no 1______, sis chemin 2______ à D______ [GE], ainsi que la mention d'une restriction du droit d'aliéner ce bien.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce que le séquestre sur l'immeuble soit levé.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             E______, ressortissante française décédée en 2013, était l'ayant droit économique d'un compte bancaire détenu à Genève par [la fondation] F______, de droit panaméen, qu'elle a fait constituer en 2003. Par ses organes, F______ avait confié le mandat de gérer ce compte successivement à deux sociétés de gestion de fortune animées par A______, gendre de la défunte.

Selon son règlement, F______ avait pour bénéficiaires E______ ("première bénéficiaire"), ainsi que – à parts égales – ses filles, C______ et B______, et sa petite-fille, G______ ("bénéficiaires substituées").

B______ est la femme de A______.

De son vivant, E______ avait la jouissance de l'exclusivité de l'ensemble de la fortune de la fondation et des revenus en découlant, à l'exclusion de tout autre bénéficiaire. Un bénéficiaire substitué ne pouvait émettre de prétention sur sa part avant d'avoir atteint l'âge de 30 ans révolu, ce qui était le cas pour les plaignantes à la date du décès de E______.

b.             Alarmées par la diminution des avoirs en compte alors qu'une politique de gestion "conservatrice" était prévue par les mandats de gestion, C______ et G______ ont déposé plainte pénale, le 18 octobre 2016, contre A______ et B______ : le premier se serait écarté des instructions données par la défunte et la seconde aurait profité de certains mouvements de fonds, possiblement en faveur de ses filles d'un premier mariage.

Par plis du 24 novembre 2015, leur conseil était intervenu pour obtenir la documentation bancaire et les relevés de compte détaillés de la relation ainsi que faire bloquer toutes opérations sur le compte et, en parallèle, elles avaient sommé A______ d'effectuer une reddition de compte. Selon une analyse du 13 juin 2016, la gestion conservatrice voulue par les mandants n'avait pas été respectée. En dix ans, l'avoir de la fondation avait perdu près de 49% de son capital initial, passant de USD 9'065'072.- au 31 décembre 2004 à USD 3'675'061.- au 31 décembre 2015 de sorte que la perte du portefeuille s'élevait à USD 4'452'682.-. En outre, il était relevé des prélèvements et des versements inexpliqués d'USD 937'327.-.

c. Le 13 février 2017, C______ a déposé une nouvelle plainte contre A______ pour gestion déloyale.

En substance, elle explique être domiciliée au Brésil et avoir confié à A______ la gestion de ses avoirs déposés sur le compte 3______ ouvert auprès de [la banque] H______. Le 20 mars 1997, un document sur papier à l'en-tête de la banque, intitulé "pouvoir administratif" avait été signé entre eux. À teneur de celui-ci, A______ était notamment "autorisé à gérer, sans aucune restriction, toute les valeurs patrimoniales enregistrées". Comme ils étaient de la même famille et qu'elle lui faisait confiance, aucun mandat de gestion n'avait été signé et le profil d'investissement n'avait pas été défini. Son objectif étant de conserver sa fortune, il allait "de soi" que ses actifs devaient être gérés par son beau-frère de façon équilibrée, en "bon père de famille".

A______ ne l'avait jamais informée des pertes. Dès 2002, il ne lui avait plus présenté de relevés bancaires mais lui avait assuré, en 2014, que ses avoirs s'élevaient à USD 600'000.-. Lors de sa venue en Suisse en 2015, elle s'était rendue à la banque et avait constaté que ses données personnelles n'étaient pas à jour et que sa fortune avait subi une perte de près de 70%. Elle avait donc révoqué les pouvoirs conférés à A______.

Une analyse de la gestion opérée par le prénommé depuis 2006, partant de l'hypothèse d'une stratégie de placement se situant entre la préservation de capital et le gain de capital, avait été effectuée. Plusieurs anomalies ne reflétaient pas une gestion minutieuse ni une préservation de ses intérêts: ainsi, en violation du principe de diversification des risques, A______ avait placé 98.4% des actifs en métaux précieux et 59,1% des actifs dans des produits structurés [de la banque] I______, respectivement les 31 décembre 2009 et 31 décembre 2010. Il avait aussi recouru, à tout le moins en 2011, à un haut volume de transactions (CHF 3.2 millions sur un actif de placement brut de CHF 785'000), à 68 opérations spéculatives sur l'or, à des opérations avec un effet de levier important sur l'actif, causant de la sorte une perte estimée à USD 437'763.-.

d. Le Ministère public a adressé divers ordres de dépôt [aux banques] J______, H______, K______, et I______, concernant les relations dont F______, les mis en cause ou encore les sociétés appartenant à A______ étaient titulaires ou ayants droit.

Il en ressort notamment que, le 24 novembre 2015 à Genève, C______ a effectué des changements de nom et de domicile dans sa relation 4______ ouverte auprès de H______.

e. Le 11 octobre 2018, sur le volet F______, A______ et B______ ont été prévenus de gestion déloyale et d'abus de confiance pour avoir causé, entre le 26 mai 2003 et le 24 novembre 2015, un préjudice à E______ estimé respectivement à USD 4'452'682.- et USD 937'329.-.

Sur le volet H______, A______ a aussi été prévenu de gestion déloyale pour avoir notamment causé, durant la période allant du 20 mars 1997 au mois de novembre 2015, un préjudice estimé à USD 437'763.-.

f. C______ et G______ ont été entendues le 3 avril 2019 par le Ministère public.

Sur le volet H______, C______ a expliqué avoir convenu oralement, avec A______, d'une gestion conservatrice de ses avoirs. C'est lui qui décidait des investissements, dont elle ignorait tout. Il lui en avait peut-être parlé à une ou deux reprises mais comme elle ne s'y connaissait pas, elle lui avait dit de faire de "son mieux". Il lui avait expliqué ne pas pouvoir voyager avec la documentation bancaire et elle n'avait pas d'accès à son compte depuis le Brésil, même de manière électronique.

g. Par décision du 24 septembre 2020, sur le volet F______, le Ministère public a reconnu à C______ et à G______ le droit – que contestaient les prévenus – de se constituer parties plaignantes. En revanche, la plainte de C______ était tardive en tant qu'elle visait B______, une proche au sens de la loi.

Par arrêt du 15 décembre 2020 (ACPR/905/2020), confirmé par le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 1B_43/2021 du 28 juillet 2021) la Chambre de céans a dénié la qualité de parties plaignantes aux prénommées, considérant que seule [la fondation] F______ avait été lésée dans son patrimoine par les actes reprochés.

h. Entendu le 14 octobre 2021 par le Ministère public, A______ a expliqué que, à teneur du mandat de gestion du 20 mars 1997, il avait été autorisé à gérer "sans aucune restriction" les avoirs de C______ auprès de H______. Cette dernière ne demandait "rien", leur relation était basée sur la confiance. Elle souhaitait une gestion "standard", "rendement équilibré", à savoir ni prendre de risque ni être dans la tranquillité. Elle ne voulait pas investir dans les fonds spéculatifs. Il ne disposait d'aucun document écrit en lien avec ces questions. Ils avaient eu des discussions orales. Il percevait une commission de 0.5% mais pas de rétro-commission.

Entre 1995 et 2005, les avoirs de C______ avaient rapidement augmenté. Ils avaient donc décidé d'investir dans des actions et des produits structurés, après qu'il lui eut expliqué de quoi il s'agissait. La diminution des avoirs s'expliquait par deux années difficiles, en 2008 et 2011. Il y avait eu une baisse sur les actions et les produits structurés dans lesquels il avait investi, sans qu'il puisse préciser lesquels. À ces occasions, il avait informé la concernée des pertes survenues. Il lui remettait ses relevés de compte lors de ses visites au Brésil et l'informait chaque année de l'évolution de son portefeuille.

Il considérait que le portefeuille de C______ était suffisamment équilibré et diversifié et que les investissements effectués étaient conformes à une gestion "standard".

S'agissant de sa situation personnelle, il était au bénéfice d'une rente AVS et travaillait partiellement en tant que gestionnaire indépendant. Il était copropriétaire, avec son épouse, de la maison dans laquelle ils vivaient à D______ et qu'il avait acquise trente ans auparavant au prix d'environ CHF 350'000.-. Par la suite, il y avait eu des travaux de rénovations, auxquels son épouse avait participé à hauteur d'environ CHF 150'000.-. L'hypothèque sur la maison s'élevait à CHF 600'000.-. Il était aussi propriétaire d'un chalet à L______ [VS].

i. Par plis des 31 mars et 26 septembre 2022, le conseil de C______ a demandé au Ministère public d'ordonner le séquestre de plusieurs valeurs patrimoniales appartenant au prévenu, et ce afin d'être confisquées en vue de l'exécution d'une créance compensatrice.

C. a. Dans sa décision querellée, le Ministère public rappelle que A______ était prévenu d'abus de confiance et de gestion déloyale. Une mise sous séquestre de l'immeuble à D______ apparaissait comme la seule mesure susceptible de "permettre la mise en sûreté des objets et valeurs pouvant être (1) utilisés pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (2) restitués au lésé, confisqués ou servir de garantie en vue de l'exécution d'une créance compensatrice".

b. Par efax du 26 janvier 2023, le Ministère public explique au conseil de A______ que le séquestre avait été prononcé afin de garantir l'exécution d'une éventuelle créance compensatrice. À ce stade de l'enquête, le préjudice potentiel s'élevait à plusieurs centaines de milliers de francs.

D. a. Dans son recours et ses autres écritures, A______ reproche au Ministère public d'avoir violé les art. 71 al. 3 CP et 268 CPP. Les exigences relatives au prononcé d'un séquestre en couverture des frais n'étaient pas respectées, dès lors que, domicilié en Suisse, il avait toujours donné suite aux convocations et n'avait procédé à aucun transfert de ses biens. De surcroit, l'ordonnance déférée était muette sur le montant des frais présumés qui pourraient être mis à sa charge. Les soupçons à son encontre s'amenuisaient, l'instruction n'ayant pas permis de déterminer qu'il se serait engagé à une gestion conservatrice des avoirs de C______ – comme elle le prétend – ni qu'il lui aurait causé un dommage. Sur le volet F______, ni E______ de son vivant ni la fondation, seules éventuelles lésées par les faits reprochés, n'avaient fait valoir le moindre reproche à l'encontre de sa gestion. Par ailleurs, il avait versé à la procédure trois rapports d'expertise retenant que les conclusions des rapports versés par C______ et à G______, tant s'agissant de la fondation que de la gestion des avoirs de la première citée en lien avec les prétendus dommages causés par lui, étaient infondés.

Il produit notamment un extrait du registre foncier relatif au bien-fonds faisant l'objet du séquestre litigieux, dont il ressort, sous la rubrique "Propriété":

"Copropriété simple sur 1/2 A______, ______ 1954 07.10.1991 4910 Achat"

"Copropriété simple sur 1/2 B______, ______ 1955 23.12.2015 2015/13141/0 Donation"

b. Dans son recours et sa réplique, B______ reproche au Ministère public d'avoir prononcé le séquestre sur l'immeuble sans avoir tenu compte de sa part de copropriété. N'ayant pas le statut de prévenue, cette part ne pouvait pas être séquestrée en vue de garantir le paiement des frais de la procédure. Elle-même ne devait pas non plus être considérée comme une "personne concernée" au sens de l'art. 71 al. 3 CP, dès lors qu'elle n'était pas favorisée, d'une manière ou d'une autre, par les infractions reprochées au prévenu.

c. Le Ministère public conclut au rejet du recours de A______, sous suite de frais, l'analyse des comptes ayant permis de mettre en évidence des soupçons suffisants d'investissements incompatibles avec une gestion conservatrice, telle que voulue par C______ et G______ – tant s'agissant des avoirs de la fondation que de ceux appartenant à la première citée – et une violation du principe de fidélité. Le dommage était estimé à USD 4'452'682.- et USD 437'763.-, de sorte que le séquestre était proportionné. Cela étant, le Ministère public ne s'oppose pas à la levée du séquestre de la part de copropriété de B______, cette dernière n'ayant pas été mise en prévention et les plaintes à son encontre étaient tardives. Enfin, après avoir vainement incité les parties à trouver une solution à l'amiable, il avait décidé de clôturer l'instruction et convoqué une audience finale "le 5 avril 2023".

d. Dans ses écritures, C______ conclut au rejet des recours, sous suite de dépens.

Bien qu'il appartienne à l'autorité de jugement d'apprécier l'existence d'engagements d'A______ de gérer ses avoirs en "bon père de famille" ainsi que l'étendue du dommage, les pertes liées à la gestion de ses actifs par ce dernier étaient indéniables, sa fortune étant passée de USD 643'267.- au 31 décembre 2006 à USD 101'991.- au 31 décembre 2016, ce qui ne pouvait découler que d'actes ayant contrevenu aux obligations qui lui incombaient, et ce malgré deux exercices troublés. Le dommage résultant des faits qui lui étaient reprochés s'élevait à près d'USD 6'000'000.-, de sorte que la mesure était proportionnée.

En outre, rien n'empêchait le Ministère public de poursuivre d'office B______ pour les faits en lien avec la gestion des avoirs de la fondation. Quoiqu'il en soit, cette dernière n'avait pas apporté d'élément permettant d'évaluer sa contribution financière à l'acquisition ou au maintien du bien séquestré et n'alléguait pas subir un préjudice en lien avec la mesure.

EN DROIT :

1.             Vu la connexité évidente de recours, ils seront joints et traités en un seul arrêt.

2.             2.1. Les recours ont été interjetés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), à l’encontre d’une ordonnance de séquestre, décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP), par le prévenu (art. 104 al. 1 let. b CPP) et le tiers saisis (art. 105 al. 1 let. f et al. 2 CPP), parties à la procédure.

2.2. Les pièces nouvelles sont également recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

3.             Les recourants sollicitent la levée du séquestre litigieux.

3.1. Selon l'art. 263 al. 1 CPP, des objets et valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mis sous séquestre, notamment lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (let. b) ou qu'ils devront être confisqués (let. d).

3.2. L'art. 71 al. 3 CP permet par ailleurs à l'autorité d'instruction de placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, des éléments du patrimoine de la personne concernée, par quoi il faut entendre non seulement l'auteur, mais aussi, à certaines conditions, un tiers favorisé, d'une manière ou d'une autre par l'infraction (cf. art. 71 al. 1 CP renvoyant à l'art. 70 al. 2 CP; arrêts du Tribunal fédéral 1B_213/2013 du 27 septembre 2013 consid. 4.1; 1B_583/2012 du 31 janvier 2013 consid. 2.1 et les références citées).

Selon l'art. 70 al. 2 CP, la confiscation n’est pas prononcée lorsqu’un tiers a acquis les biens/valeurs dans l'ignorance des faits qui l'auraient justifiée, et cela dans la mesure où il a fourni une contre-prestation adéquate ou si la confiscation se révèle d'une rigueur excessive. Ces conditions sont cumulatives. Si l’une d’elles n’est pas réalisée, la mesure peut être prononcée alors même que l’intéressé a conclu une transaction en soi légitime. S'agissant de la contre-prestation, elle n'est pas adéquate quand les valeurs patrimoniales ont été remises à titre gratuit. La clause de rigueur n’a qu'une portée limitée; en effet, il ne suffit pas que la mesure de confiscation à l'égard du tiers soit disproportionnée; il faut encore qu’elle le frappe de manière particulièrement incisive dans sa situation économique (arrêt du Tribunal fédéral 6B_67/2019 du 16 décembre 2020 consid. 5.3).

Pour qu'un séquestre puisse être refusé en application de l'art. 70 al. 2 CP, le prononcé d’une future confiscation doit être d'emblée et indubitablement exclu (arrêt du Tribunal fédéral 1B_660/2020 précité).

Dans le cadre de l'examen de cette mesure, l'autorité statue sous l'angle de la vraisemblance, appréciant des prétentions encore incertaines. Elle doit se prononcer rapidement (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 141 IV 360 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_660/2020 du 25 mars 2021 consid. 3.1).

Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364).

3.3. En raison de l'atteinte portée aux droits fondamentaux des personnes visées, le séquestre suppose le respect des conditions générales fixées à l'art. 197 CPP. Conformément à cette disposition, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (al. 1 let. a), doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (al. 1 let. b), doit respecter le principe de la proportionnalité (al. 1 let.  c) et doit apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (al. 1 let. d). Si la mesure porte atteinte aux droits fondamentaux de personnes qui n'ont pas le statut de prévenu, une retenue particulière doit être observée (art. 197 al. 2 CPP).

Quand l'existence de charges suffisantes (art. 197 al. 1 let. b CPP) est contestée par le prévenu, le juge du séquestre doit uniquement examiner si, sur la base des actes d’enquête disponibles, il existe des indices suffisants et concrets de la commission des infractions reprochées (arrêt du Tribunal fédéral 1B_452/2020 du 4 novembre 2020 consid. 2.2).

3.4. L'art. 158 CP punit celui qui, en vertu de la loi, d'un mandat officiel ou d'un acte juridique, est tenu de gérer les intérêts pécuniaires d'autrui ou de veiller sur leur gestion et qui, en violation de ses devoirs, aura porté atteinte à ces intérêts ou aura permis qu'ils soient lésés (ch. 1 al. 1). Le cas de la gestion déloyale aggravée est réalisé lorsque l'auteur a agi dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime (ch. 1 al. 3).

Le comportement délictueux visé à l'art. 158 CP consiste à violer les devoirs inhérents à la qualité de gérant. Le gérant sera ainsi punissable s'il transgresse – par action ou par omission – les obligations spécifiques qui lui incombent en vertu de son devoir de gérer et de protéger les intérêts pécuniaires d'une tierce personne (ATF 142 IV 346 consid. 3.2 p. 350).

Le gérant de fortune constitue un exemple type de gérant au sens de l'art. 158 CP (ATF 120 IV 190 consid. 2b p. 193 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_967/2013 du 21 février 2014 consid. 3.1). Sont applicables à la gestion de fortune les règles du mandat, en particulier les obligations de diligence et de fidélité (art. 398 al. 2 CO ; cf. ATF 124 III 155 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_967/2013 précité consid. 3.2.1). Le devoir de fidélité oblige le mandataire à s'abstenir de toute démarche qui pourrait nuire aux intérêts de son mandant. Le gérant doit éviter tout agissement qui cause un préjudice au client (arrêt 4C.149/1998 du 28 juillet 1998 consid. 3b, in SJ 1999 I 126 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_967/2013 précité consid. 3.2.1).

3.5. En l'espèce, bien qu'il ressorte de l'ordonnance querellée que le séquestre litigieux ait notamment été ordonné en couverture des frais, ce motif n'a pas été étayé par le Ministère public dans son argumentation, à juste titre. En effet, lorsque l’on peut s’attendre, comme en l'espèce, à ce que le prévenu, en cas de condamnation, fera face dans la mesure de ses moyens aux frais en question, un séquestre pour leur couverture est exclu (M. NIGGLI / M. HEER /
H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle 2014, n. 9 ad art. 268 CPP).

Dans la mesure où il apparait que les fonds litigieux ne sont manifestement plus disponibles, seul le séquestre en vue d'une créance compensatrice entre en ligne de compte et sera dès lors examiné ci-après.

3.6. En l'occurrence, le recourant conteste l'existence de soupçons suffisants de gestion déloyale aggravée s'agissant du volet H______ au motif qu'il n'est pas établi qu'il se serait engagé à une gestion conservatrice des avoirs de l'intimée ni qu'il lui aurait causé un dommage. Sur le volet F______, il rappelle qu'aucun reproche n'avait été formulé par feue E______ ni par la fondation et que les expertises privées produites concluent à ce que les reproches formulés par l'intimée et sa nièce étaient infondés.

Tout d'abord, l'existence d'un mandat de gestion, au sens de l'art. 158 CP est indéniable et n'est, au demeurant, contestée par aucune des parties, pour la période allant du 20 mars 1997 au mois de novembre 2015 s'agissant du compte H______ de l'intimé. Il ressort en outre des relevés de compte que, à tout le moins, la fortune de l'intimée a notamment subi une perte d'USD 437'763 entre le 31 décembre 2010 et le 31 décembre 2011.

S'agissant ensuite de l'étendue des pouvoirs de gestion, s'il ressort effectivement du dossier que les parties ont signé un document en 1997, dont la teneur corrobore la version du recourant, ce dernier admet aussi avoir eu des discussions orales avec l'intimée à ce sujet. Sur ce point, il reconnait que cette dernière souhaitait une gestion "standard" et "équilibrée" de ses avoirs, ce qui parait déjà limiter l'étendue des pouvoirs conférés par le document précité. Ainsi, il n'est pas exclu que des instructions en vue d'une gestion moins risquée que celle convenue initialement aient été données, comme le soutien l'intimée, de sorte que les investissements effectués par le recourant pourraient ne pas être compatibles avec ses obligations, compte tenu de la diminution des avoirs constatée durant la période pénale. Le simple fait qu'il n'existe aucun document écrit n'est pas pertinent, le contrat de mandat, respectivement une modification de celui-ci, n'étant pas soumis à la forme écrite (art. 11 cum 394 CO).

De même, il n'est pas contesté que le recourant s'est vu confier, du 26 mai 2003 au 24 novembre 2015, le mandat de gestion de F______ en vue d'une gestion "conservative" de ses avoirs. Il ressort des documents bancaires que la fortune de cette dernière est notamment passée d'USD 9'065'072 au 31 décembre 2004 à USD 3'675'061 au 31 décembre 2015. Il ne peut donc être exclu, à ce stade, que les investissements choisis par le recourant aient pu être préjudiciables aux intérêts de la fondation; à cet égard, le fait que l'intimée et sa nièce se soient vu refuser la qualité de parties plaignantes n'y change rien, les infractions retenues se poursuivant d'office.

Pour le surplus, plusieurs éléments corroborent les déclarations de l'intimée selon lesquelles elle n'aurait eu connaissance des pertes survenues sur son compte H______ que lors de sa venue en Suisse fin 2015. En effet, il ressort du dossier que l'intimée s'est effectivement rendue le 24 novembre 2015 à la banque et qu'elle a, lors de cette visite, apporté des changements à ses données personnelles. Elle explique aussi avoir, à cette occasion, révoqué les pouvoirs conférés au recourant, ce qui n'est pas contesté. Ces explications sont d'autant plus plausibles que c'est également à cette date que l'intimée et sa nièce ont demandé, via leur conseil, des comptes au recourant s'agissant de la gestion de F______.

Au vu de ce qui précède, il subsiste des soupçons raisonnables de la commission d'une infraction, lesquels suffisent à justifier le séquestre de la part de copropriété du recourant dans son principe. En tout état, il n'appartient pas à la Chambre de céans, à ce stade, de procéder à une analyse détaillée de la documentation bancaire ainsi que des expertises privées produites pour déterminer si la gestion, respectivement les investissements ou autres mouvements effectués par le recourant, étaient conformes ou non à ses obligations.

3.7. Contrairement à ce qu'allègue la recourante, le séquestre peut, pour autant qu'il en remplisse les conditions, porter aussi sur des biens appartenant à des tiers. Ainsi, le fait que la villa de D______ soit divisée en deux parts distinctes de copropriété et que la recourante ne revête pas la qualité de prévenue, n'est pas pertinent.

Il ressort de l'extrait du registre foncier, en l'absence d'autres explications, que la recourante a obtenu gratuitement cet avantage (art. 94 lit. c de l'Ordonnance sur le registre foncier, ORF RS 211.432.1), de sorte que sa part de copropriété est confiscable (art. 70 al. 2 CP a contrario); ce d'autant plus que ladite donation a eu lieu fin 2015, soit peu après la révocation, par l'intimée, des pouvoirs de gestion du recourant sur son compte personnel et qu'une reddition de compte, s'agissant de F______, eut été demandée au précité.

Des considérations qui précèdent, il résulte que le séquestre demeure, en l'état, conforme aux prescriptions légales et proportionné et qu'il porte sur un bien acquis sans contrepartie par un tiers, au sens de la loi. Pour le surplus, ladite mesure ne prive pas les recourants de la jouissance de leur bien.

En conclusion, les recours se révèlent infondés et doivent être rejetés.

4.             Les recourants succombent (art. 428 CPP).

Ils seront, partant, condamnés solidairement (art. 418 al. 2 CPP) aux frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 2'500.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

5.             Bien qu'elle chiffre ses dépens à CHF 4'000.- pour les deux procédures de recours, la partie plaignante, assistée d'un avocat, n'a pas justifié et détaillé sa demande, de sorte qu'il ne lui en sera point alloués (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP).


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours.

Les rejette.

Condamne A______ et B______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants et à l'intimée, soit pour eux leurs conseils respectifs, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges ; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/20578/2016

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

2'405.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

2'500.00