Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/7683/2020

ACPR/153/2023 du 01.03.2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : RETARD INJUSTIFIÉ;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);TIERS;LIEN DE CAUSALITÉ
Normes : CP.70
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7683/2020 ACPR/153/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 1er mars 2023

 

Entre


A
______, domiciliée ______, France, comparant par Me Manon PASQUIER, avocate, @lex Avocats, rue des Contamines 6, 1206 Genève,

 

recourante,

 

pour déni de justice et contre l'ordonnance de refus de séquestre rendue le 30 septembre 2022 par le Ministère public,


et


B
______ et C______, domiciliés ______ [GE], comparant par Me Alexandre AYAD, avocat, Odier Halpérin Steinmann Sàrl, Boulevard des Philosophes 15, 1205 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 29 août 2022, A______ conclut, sous suite de frais et dépens, à la constatation d'un déni de justice et d'un retard injustifié qu'elle reproche au Ministère public, et à ce qu'il soit enjoint à ce dernier d'ordonner le séquestre pénal des valeurs patrimoniales déposées sur les comptes respectifs de D______ SA (ci-après, la régie), de B______ et de C______ (ci-après, les bailleurs).

b. Par acte déposé le 11 octobre 2022, A______ recourt contre la décision rendue le 30 septembre précédent, qu'elle dit avoir reçu le 1er octobre 2022, par laquelle le Ministère public a refusé d'ordonner le séquestre des comptes susmentionnés.

Elle conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et à ce qu'il soit enjoint au Ministère public d'ordonner ledit séquestre pénal à hauteur de CHF 16'800.-, plus intérêts à compter du 31 août 2020, en vue de la confiscation et/ou de l'exécution d'une créance compensatrice en sa faveur.

c. Dans les deux actes, elle a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours.

B. Les faits pertinents pour l'issue du litige sont les suivants :

a.        E______ est prévenu d'escroquerie par métier (art. 146 al. 1 et 2 CP), faux dans les titres (art. 251 CP), menaces (art. 180 CP), contrainte (art. 181 CP) et détournement de valeurs patrimoniales mises sous mains de justice (art. 169 CP) au préjudice, notamment, de A______, de B______ et C______.

b.        Le 16 juillet 2020, ces derniers ont déposé plainte contre E______ lequel avait, le 29 mai 2020, obtenu frauduleusement la conclusion d'un contrat de bail portant sur leur villa sise à F______ [GE], au loyer annuel de CHF 67'200.-, qu'il avait promis de verser en une fois avant l'emménagement. Faute de paiement, ils avaient résilié le contrat de bail le 29 juillet 2020.

Cela étant, E______ avait remis, en espèces, à la régie, des montants totalisant CHF 16'800.-, soit CHF 8'500.- le 31 août 2020, CHF 5'600.- le 2 septembre 2020 et CHF 2'700.- le 8 septembre 2020.

c.         Par plainte du 5 novembre 2020, complétée le 8 décembre suivant, A______ a dénoncé E______ lui reprochant de l'avoir amenée à lui remettre, entre le 7 août 2020 et le 4 novembre 2020, CHF 45'000.- en espèces et CHF 37'000.- retirés de son compte bancaire, afin de financer son train de vie et de pallier diverses nécessités financières urgentes qu'il avait prétextées.

Le relevé bancaire du compte de A______ fait état, entre le 17 et le 31 août 2020, de sept retraits pour un montant total de CHF 14'400.- et, entre le 2 et 8 septembre 2020, de deux retraits pour un montant total de CHF 1'400.-.

d.        Le rapport de renseignements de police du 18 novembre 2020 fait référence à la plainte des bailleurs et au courrier du 10 novembre 2020 de leur conseil concernant les trois versements en espèces effectués par le prévenu. Entretemps, la police, qui avait reçu la plainte de A______, fait le commentaire suivant : "Le montant du préjudice s'élèverait à plus de CHF 80'000, sachant que l'intéressée aurait remis au prévenu, fin août, début septembre 2020, sur la base de différents prétextes fallacieux, des montants en espèces, soit CHF 10'000, CHF 8'000 et plusieurs enveloppes de CHF 2'000. Ces éléments pourraient expliquer les paiements des loyers susmentionnés".

e.         Lors de l'audience du 12 février 2021, E______ a déclaré avoir "utilisé une partie de l'argent que j'ai pris à Madame pour payer des loyers".

f.         Par courrier du 16 mars 2021, A______ a demandé au Ministère public d'ordonner le séquestre litigieux. Elle a réitéré sa requête par courriers des 21 mai, 7 juin 2021, 6 septembre 2021 et 6 mai 2022.

C. Dans sa décision querellée, le Procureur a refusé d'ordonner le séquestre demandé; dans la mesure où il visait des avoirs de tiers, aucun élément du dossier ne permettait de penser que la régie, et encore moins les bailleurs, connaissaient l'origine des montants qu'ils ont reçus du prévenu à titre de paiement du loyer.

D. a. À l'appui de son recours, A______ relève que les CHF 16'800.-, versés entre le 31 août et le 8 septembre 2020, sur le compte de la régie, puis transférés sur le compte des bailleurs, provenaient de l'infraction commise à son préjudice, E______ ayant admis avoir utilisé une partie de ses valeurs patrimoniales pour payer lesdits loyers. Elle considère que tant la régie que les précités avaient connaissance de la procédure pénale, ayant notamment déposé plainte le 16 juillet 2020, ainsi que des agissements frauduleux ultérieurs du prévenu; les montants litigieux étaient insolites: versements en espèces auprès d'une agence bancaire, ne correspondant pas au montant du loyer mensuel et effectués sans explication; le rapport de la Brigade financière mettait en avant le fait que l'escroquerie commise à son préjudice pourrait expliquer les paiements des loyers précités et faisait état du courrier du 12 octobre 2020 du conseil des bailleurs selon lequel le prévenu et son épouse feraient d'autres "victimes" vu leur "insolvabilité permanente". Ainsi, les intéressés n'étaient pas de bonne foi au moment de la réception des montants litigieux, leur connaissance par "dol éventuel" des faits justifiant la confiscation et/ou le prononcé d'une créance compensatrice suffisant.

b. Le Ministère public relève que l'existence d'une contre-prestation adéquate n'était pas remise en question par la recourante, les arguments soulevés par cette dernière portant sur la bonne foi du tiers. Or, aucun élément ne permettait de retenir que la régie et les bailleurs savaient que les trois paiements en espèce versés à titre de loyers impayés, provenaient d'une infraction ou, à tout le moins, qu'ils devaient considérer l'existence d'une telle infraction comme sérieusement possible.

La connaissance d'une procédure pénale ouverte ne suffisait pas à justifier la confiscation selon la jurisprudence; celle de la situation économique obérée du prévenu et le dépôt de leurs propres plaintes pénales ne permettaient pas non plus de retenir que les intéressés savaient que les versements provenaient d'une infraction. En effet, avoir connaissance des difficultés financières de son locataire et d'une procédure pénale engagée contre lui ne permettait pas de penser que tout paiement de sa part serait forcément d'origine délictuelle.

c. Les intimés rappellent n'avoir connu l'existence de la recourante que le 19 décembre 2022, le dossier n'étant pas consultable avant cette date. Même s'ils étaient méfiants, rien ne pouvait les laisser soupçonner que les versements litigieux provenaient de la recourante. Le prévenu occupant la villa à cette période des versements, ils avaient versés leur contre-prestation.

d. Le recourant a répliqué.

EN DROIT :

1.      Vu la connexité évidente des recours, ils seront joints et traités en un seul arrêt.

2.      2.1. Le recours pour déni de justice ou retard injustifié est recevable pour avoir été déposé selon la forme prescrite (art. 393 et 396 al. 1 CPP) et émane de la partie plaignante, qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à obtenir une décision de l'autorité sollicitée (art. 104 al. 1 let. b et 382 CPP).

2.2. Cela étant, le Ministère public, avant que la Chambre de céans n'ait tranché, s'est prononcé sur la demande de séquestre visée par le recours. Celui-ci devient dès lors, sans objet, mais la recourante n’a pas succombé, au sens de l'art. 428 al. 1 CPP (ACPR/98/2013 du 13 mars 2013; ACPR/207/2013 du 10 mai 2013), quand bien même ces décisions n'iraient pas dans le sens qu'elle prône.

3.      Le recours contre le refus de séquestre est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai utiles (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance de refus de séquestre, décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_34/2014 du 15 avril 2014 consid. 2), et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé.

4.      La recourante sollicite le séquestre des comptes des intimés et de la régie.

4.1. En raison de l'atteinte portée aux droits fondamentaux des personnes visées, le séquestre suppose le respect des conditions générales fixées à l'art. 197 CPP. Conformément à cette disposition, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (al. 1 let. a), doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (al. 1 let. b), doit respecter le principe de la proportionnalité (al. 1 let. c) et doit apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (al. 1 let. d). Si la mesure porte atteinte aux droits fondamentaux de personnes qui n'ont pas le statut de prévenu, une retenue particulière doit être observée (art. 197 al. 2 CPP).

4.2. Selon l'art. 263 al. 1 CPP, des objets et valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mis sous séquestre, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuves (let. a), qu'ils devront être restitués au lésé (let. c) ou qu'ils devront être confisqués (let. d).

L'art. 71 al. 3 CP permet par ailleurs à l'autorité d'instruction de placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, des éléments du patrimoine de la personne concernée, par quoi il faut entendre non seulement l'auteur, mais aussi, à certaines conditions, un tiers favorisé, d'une manière ou d'une autre, par l'infraction (cf. art. 71 al. 1 CP renvoyant à l'art. 70 al. 2 CP; arrêts du Tribunal fédéral 1B_213/2013 du 27 septembre 2013 consid. 4.1; 1B_583/2012 du 31 janvier 2013 consid. 2.1 et les références citées).

4.3. La restitution au lésé (art. 263 al. 1 let. c CPP) vise, en première ligne, les objets provenant directement du patrimoine du lésé, qui doit être identifié, et tend au rétablissement de ses droits absolus. La restitution doit porter sur des valeurs patrimoniales qui sont le produit d'une infraction dont le lésé a été lui-même victime. Il doit notamment exister entre l'infraction et l'obtention des valeurs patrimoniales un lien de causalité tel que la seconde apparaisse comme la conséquence directe et immédiate de la première (ATF 129 II 453 consid. 4.1; 140 IV 57 consid. 4.1 et les nombreuses références citées). C'est, en particulier, le cas lorsque l'obtention des valeurs patrimoniales est l'un des éléments constitutifs de l'infraction ou constitue un avantage direct découlant de la commission de l'infraction (ATF 126 I 97 consid. 3c/cc). Lorsque ces conditions sont réunies, la restitution doit avoir lieu sans égard aux autres créanciers ou lésés (ATF 128 I 129 consid. 3.1.2).

4.4. A teneur de l'art. 70 al. 2 CP, la confiscation n'est pas prononcée lorsqu'un tiers a acquis les valeurs dans l'ignorance des faits qui l'auraient justifiée, et cela dans la mesure où il a fourni une contre-prestation adéquate ou si la confiscation se révèle à son égard d'une rigueur excessive.

La bonne foi du tiers, à distinguer de la notion de bonne foi en droit civil (art. 3 CC), est présumée (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI, Petit commentaire du CP, Bâle 2017, n. 21 ad art. 70). La confiscation ne peut ainsi être prononcée si le tiers sait simplement qu'une procédure pénale a été ouverte contre son partenaire commercial, mais ne dispose pas d'informations particulières. Suivant la doctrine majoritaire, il faut que le tiers ait une connaissance certaine des faits qui auraient justifié la confiscation ou, à tout le moins, considère leur existence comme sérieusement possible, soit qu'il connaisse les infractions d'où provenaient les valeurs ou, du moins, ait eu des indices sérieux que les valeurs provenaient d'une infraction. En d'autres termes, la confiscation à l'égard d'un tiers ne sera possible que si celui-ci a une connaissance - correspondant au dol éventuel - des faits justifiant la confiscation (arrêt du Tribunal fédéral 6S.298/2005 du 24 février 2006 consid. 4.2).

Si le tiers de bonne foi a consenti une contre-prestation équivalente aux valeurs perçues, la confiscation n'est pas seulement disproportionnée, mais l'intérêt public à la mesure fait défaut, dès lors que l'acte pénal n'a pas profité au tiers (G. GREINER / D. AKIKOL, Grenzen der Vermögenseinziehung bei Dritten, PJA 11/2005 1341, p. 1347; arrêt du Tribunal fédéral 6B_398/2012 du 28 janvier 2013 consid. 3.2).

4.5. En l'espèce, la recourante allègue qu'une partie de l'argent qu'elle a remis au prévenu aurait permis à ce dernier de payer des loyers en retard à hauteur de CHF 16'000.- aux intimés.

Même en admettant l'infraction et l'existence du dommage, le lien entre les sommes que la recourante aurait versées au prévenu et celles remises aux bailleurs n'apparait pas comme étant direct et immédiat. En effet, les dates auxquelles elle aurait remis les diverses sommes en espèces ne sont pas connues, pas plus que les montants exacts, et les neufs retraits bancaires effectués entre le 31 août et le 8 septembre 2020, dont aucun ne correspond aux trois versements effectués, ne permettent pas de retenir un tel lien direct et immédiat, de sorte à établir que ces derniers apparaissent comme la conséquence directe et immédiate des retraits.

En outre, rien ne permet de considérer que les bailleurs, ou la régie, savaient lors de la réception des fonds, entre le 31 août et le 8 septembre 2020, que ceux-ci provenaient d'une infraction, la procédure pénale contre le prévenu n'en étant qu'à ces prémisses et la recourante n'ayant pas encore déposé plainte.

Au surplus, aucun des cas de séquestre visés à l'art. 263 al. 1 CPP n'a pour but et fonction de garantir la réparation d'un dommage. En effet, le séquestre pénal en vue de garantir de telles prétentions (« Geschädigtenarrest » ; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 3e éd., Zurich 2018, n. 2 ad art. 268) est exclu de manière générale (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale (CPP) du 21 décembre 2005, FF 2006 1229).

Justifiée, la décision querellée sera donc confirmée.

5.      La recourante, qui succombe partiellement, supportera une partie des frais de la procédure envers l'État qui seront fixés en totalité à CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et art. 13 al. 1 du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale).

6.      Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Joint les recours.

Déclare le recours pour déni de justice et retard injustifié sans objet.

Rejette le recours contre le refus de séquestre.

Met les frais de la procédure, arrêtés à CHF 800.-, à la charge de A______.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux parties, soit pour elles leurs conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

 

Xavier VALDES

 

La présidente :

 

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

 


 

P/7683/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10 03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (litt. a)

CHF

- délivrance de copies (litt. b)

CHF

- état de frais (litt. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision indépendante (litt. c)

CHF

715.00

-

CHF

Total

CHF

800.00