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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/15616/2022

AARP/82/2024 du 12.03.2024 sur JTCO/96/2023 ( PENAL ) , RECEVABLE

Descripteurs : RECOURS JOINT
Normes : CPP.403; CPP.401
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15616/2022 AARP/82/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 12 mars 2024

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me B______, avocat,

appelant et intimé sur appel joint,

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

appelant sur appel joint et intimé sur appel principal,

 

contre le jugement JTCO/96/2023 rendu le 15 septembre 2023 par le Tribunal correctionnel

 

et

C______, partie plaignante, assistée de Me Stéphane GRODECKI, avocat, MERKT & ASSOCIÉS, rue Général-Dufour 15, case postale, 1211 Genève 4,

intimée.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 15 septembre 2023 par lequel le Tribunal correctionnel (TCO), tout en classant la procédure du chef d'injure pour la période du mois de novembre 2021 au 21 avril 2022, l'a reconnu coupable d'injure (art. 177 al. 1 du Code pénal [CP]), de menaces (art. 180 al. 1 et 2 CP), d'actes préparatoires délictueux de meurtre (art. 260bis al. 1 let. a CP) et d'infraction à l'art. 34 al. 1 let. e de la loi fédérale sur les armes (LArm), puis l'a condamné à une peine privative de liberté de 18 mois, à une peine pécuniaire de 15 jours-amende, à CHF 30.- l'unité, ainsi qu'à une amende de CHF 300.-, assortie d'une peine privative de liberté de substitution de trois jours, les deux premières condamnations avec sursis complet (délai d'épreuve de trois ans).

b. A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à son acquittement des chefs d'actes préparatoires délictueux de meurtre et d'infraction à la LArm, à ce que le genre et la quotité des peines prononcées pour injures et menaces soient revus à la baisse, tout comme l'indemnité pour tort moral allouée à C______, à ce que l'interdiction d'approcher et de prendre contact avec cette dernière soit levée, ainsi qu'à l'admission de ses conclusions en indemnisations et à sa condamnation partielle aux frais de la procédure.

c. Dans le délai légal, le Ministère public (MP) forme un appel joint, concluant au prononcé d'une peine privative de liberté de quatre ans, sous déduction de la détention préventive et de l'imputation des mesures de substitution, ainsi qu'à la confirmation du jugement entrepris pour le surplus.

d. A______ conclut à l'irrecevabilité de l'appel joint et forme une demande motivée de non-entrée en matière.

L'appel joint du MP, qui sollicitait que la peine prononcée soit quasi triplée et dès lors incompatible avec le sursis pourtant obtenu en première instance, n'avait que pour objectif d'obtenir le retrait de l'appel principal et, partant, que le condamné renonce à toute voie de droit. Son acte traduisait ainsi un abus de droit, voire un moyen de pression intolérable – référence étant faite à l'ATF 147 IV 505 et à l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_68/2022 du 23 janvier 2022 – et ce, même s'il se contentait de reprendre ses conclusions de première instance dès lors qu'il n'avait fourni aucune explication dans sa déclaration d'appel sur les raisons du dépôt de son acte et qu'aucun fait nouveau ne venait justifier sa décision sur appel joint uniquement. Celui-ci ne visait pas à aggraver le verdict de culpabilité de première instance mais uniquement à obtenir le retrait de l'appel principal, ce que tout appelant raisonnable ferait vu le risque encouru et que le MP savait pertinemment. L'irrecevabilité devait être retenue en raison de la très importante différence entre la peine fixée par le TCO et la peine requise sur appel joint, qui rendait ostensible l'unique objectif poursuivi, vu l'attitude dans ce cas particulier suspecte du MP, lequel avait initialement accepté le premier jugement. Le correctif prévu par le législateur au risque d'abus de droit, soit la présence du MP aux débats d'appel, était insuffisant vu que le but poursuivi conduisait nécessairement à l'annulation de ceux-ci.

d. Le MP conclut au rejet de la demande de non-entrée en matière et, partant, à la recevabilité de son appel joint.

Il avait utilisé, sans nullement abuser et en aucun cas par moyen de pression, une voie de contestation légale dès lors qu'il n'avait pas obtenu intégralement gain de cause par-devant le TCO, étant relevé que les conclusions prises étaient strictement conformes à celles requises en première instance. Il avait également sollicité la confirmation du jugement entrepris dans la mesure où l'appelant avait contesté d'autres points que la peine. Il était ainsi erroné de soutenir que le seul objectif de l'appel joint était d'obtenir le retrait de l'appel principal.

e. C______ a renoncé à se déterminer sur l'appel joint du MP dans la mesure où il concernait exclusivement la peine, concluant uniquement au rejet de l'appel principal et à la confirmation du jugement entrepris.

f. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions. Le MP n’expliquait pas pourquoi il formait appel joint.

B. Les faits pertinents à la décision sur la recevabilité de l'appel joint sont les suivants :

a. L'acte d'accusation du MP du 20 juin 2023 qualifie les faits retenus à l'encontre de A______ d'injure, de menaces, de contravention à la LArm ainsi que d'actes préparatoires délictueux de meurtre, infractions qui correspondent à celles retenues également par le TCO.

b. Aux débats de première instance, le MP avait conclu à un verdict de culpabilité, sans circonstance atténuante, de tous les chefs d'accusation mentionnés dans l'acte d'accusation ainsi qu'au prononcé d'une peine privative de liberté de quatre ans.

EN DROIT :

1. Conformément à l'art. 403 al. 1 let. a du Code de procédure pénale (CPP), une décision écrite sur la recevabilité de l'appel doit être rendue lorsque la direction de la procédure ou une partie invoque l'un des moyens prévus par l'art. 403 al. 1
let. a à c CPP.

2. 2.1. L'art. 401 CPP prévoit que l'art. 399, al. 3 et 4, s'applique par analogie à l'appel joint (al. 1) ; l'appel joint n'est pas limité à l'appel principal, sauf si celui-ci porte exclusivement sur les conclusions civiles du jugement (al. 2) ; si l'appel principal est retiré ou fait l'objet d'une décision de non-entrée en matière, l'appel joint est caduc (al. 3).

2.2.1.  Contrairement à ce qui prévaut pour les autres parties à la procédure (cf.  art. 382 al. 1 CPP), la légitimation du ministère public pour entreprendre une décision ne dépend pas spécifiquement d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision. Il est ainsi admis que le ministère public, vu son rôle de représentant de la société, en charge de la sauvegarde des intérêts publics, peut en principe librement recourir, tant en faveur qu'en défaveur du prévenu ou du condamné (cf. art. 381 al. 1 CPP), sans avoir besoin de justifier au surplus d'être directement lésé par le jugement attaqué (ATF 147 IV 505 
consid. 4.4.1 et arrêts du Tribunal fédéral 6B_68/2022 du 23 janvier 2022
consid. 5.2 ; 6B_918/2022 du 2 mars 2023 consid. 1.1 ; 6B_715/2022 du
22 mars 2023 consid. 2.1.1).

2.2.2. Pour autant, si ces considérations sont susceptibles de valoir pleinement s'agissant d'un recours (cf. art. 393 CPP) ou d'un appel principal (cf. art. 398 CPP) déposé par le ministère public, on ne saurait d'emblée admettre qu'il doive en aller de même en toutes circonstances pour un appel joint (cf. art. 401 CPP), dont le caractère exclusivement accessoire par rapport à l'appel principal et les possibilités d'en abuser supposent une approche plus nuancée de la légitimation du ministère public.

Ainsi, le dépôt d'un appel joint implique, par définition, que son auteur ait précisément renoncé à former un appel principal et qu'il s'était dès lors accommodé du jugement entrepris, à tout le moins sur le point soulevé dans l'appel joint. Émanant du ministère public, l'appel joint présente dans ce contexte le danger de pouvoir être utilisé essentiellement comme un moyen visant à intimider le prévenu et dès lors être une source potentielle d'abus dans l'exercice de l'action publique. Il en va ainsi en particulier lorsque l'appel joint est interjeté par le ministère public dans le seul et unique but de faire obstacle à l'application de l'interdiction de la reformatio in pejus, au détriment du prévenu auteur de l'appel principal (cf. art. 391 al. 2,
1e phrase, a contrario CPP), et d'inciter indirectement ce dernier à le retirer (ATF 147 IV 505 consid. 4.4.2 et arrêts du Tribunal fédéral 6B_68/2022 du 23 janvier 2022 consid. 5.3 ; 6B_918/2022 du 2 mars 2023 consid. 1.2 ; 6B_715/2022 du
22 mars 2023 consid. 2.1.2).

2.2.3. Le législateur fédéral a introduit l'appel joint (cf. art. 401 CPP), tout en obligeant le ministère public à comparaître aux débats dans une telle hypothèse (cf. art. 405 al. 3 let. b CPP), afin de réduire les cas, constatés comme étant fréquents en pratique, dans lesquels l'appel joint était interjeté pour amener le prévenu à retirer son appel principal. S'il en ressort que le législateur avait ainsi bien conscience des potentiels abus susceptibles de survenir dans le cadre du recours à l'appel joint, il demeure en l'état loisible au ministère public, sans qu'une comparution à l'audience consacre une perspective réellement dissuasive, d'interjeter un appel joint à la suite de tout appel principal d'un prévenu. Cela ne saurait toutefois être admis si le seul et unique but de l'appel joint est de faire pression sur le prévenu (ATF 147 IV 505 consid. 4.4.3 et arrêts du Tribunal fédéral 6B_68/2022 du 23 janvier 2022 consid. 5.4 et 6B_918/2022 du 2 mars 2023 consid. 1.3).  

2.2.4. Un exercice adéquat et raisonné de l'action publique implique en effet, pour le ministère public, s'il est d'avis que la sanction prononcée en première instance n'est pas équitable, de former lui-même un appel principal, qui exercera alors un effet dévolutif complet (cf. art. 398 al. 2 et 3 CPP), sans que le sort de ses réquisitions dépende d'un éventuel retrait de l'appel principal du prévenu, qui aurait pour conséquence de rendre son appel joint caduc (cf. art. 401 al. 3 CPP). Dans ce contexte, si, au regard de l'art. 381 al. 1 CPP, il n'y a pas matière à exiger du ministère public qu'il puisse justifier d'un intérêt juridiquement protégé lors du dépôt d'un appel joint, il convient de se montrer particulièrement strict s'agissant de la légitimation du ministère public à former un appel joint lorsque le dépôt d'un tel acte dénote une démarche contradictoire susceptible de se heurter au principe de la bonne foi en procédure (cf. art. 5 al. 3 Cst. ; art. 3 al. 2 let. a CPP). Il en va en particulier ainsi lorsque le ministère public forme, sans motivation précise et en l'absence de faits nouveaux dont il entendait par hypothèse se prévaloir (cf. art. 391 al. 2, 2e phrase, CPP), un appel joint sur la seule question de la peine en demandant une aggravation, alors que ses réquisitions à cet égard avaient été intégralement suivies par l'autorité de première instance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_918/2022 du
2 mars 2023 consid. 1.3 et les références citées).

2.3. En l'occurrence, l'appel joint formé par le MP sur la peine n'est pas abusif.

En effet, la jurisprudence est claire : il s'agit d'éviter que le MP forme, sans motivation précise et en l'absence de faits nouveaux, un appel joint sur la seule question de la peine en demandant une aggravation, alors que ses réquisitions en première instance ont été intégralement suivies par l'autorité de première instance.

Or, tel n'est pas le cas ici dès lors que le MP n'a pas obtenu gain de cause par-devant le TCO, tant sur la quotité de la peine que sur le sursis. Il s'ensuit que les deux jurisprudences citées par l'appelant ne lui sont d'aucun secours, étant relevé que le Tribunal fédéral a même souligné dans son arrêt 6B_68/2022, que l'appel joint aurait été recevable si le ministère public s'était limité à solliciter la peine requise en première instance (12 mois) au lieu de juger utile de demander une peine plus sévère sur appel joint (16 mois) (consid. 5.5).

Peu importe que le MP sollicite ici une peine largement plus élevée (quatre ans) que celle fixée par le TCO (18 mois) dans la mesure où il ne fait que reprendre ses conclusions de première instance, lesquelles étaient parfaitement connues de l'appelant. Dans ces conditions, le MP n'avait nullement besoin de motiver son appel joint ou de s'appuyer sur un fait nouveau. L'appelant savait que le MP avait la possibilité de faire appel, tant principal que joint, pour réclamer une condamnation plus sévère, basée sur son réquisitoire lors des premiers débats.

Dans un de ses récents arrêts (6B_918/2022 du 2 mars 2023 consid. 1.4), le Tribunal fédéral a d'ailleurs confirmé ce principe en déclarant recevable l'appel joint par lequel le MP avait requis une peine privative de 18 mois, conformément à ses conclusions lors des premiers débats, alors que seule une peine pécuniaire de 140 jours-amende avait été prononcée en première instance. Le MP avait en outre utilisé cette voie pour contester un classement prononcé par le tribunal de première instance, alors même qu'il avait renoncé à déposer un appel principal sur ce point, tout comme sur la faible peine initialement fixée au regard de la peine requise.

Au vu de ce qui précède, l'appel joint n'apparaît nullement abusif et l'existence d'une démarche contradictoire susceptible de se heurter au principe de la bonne foi est exclue. La demande de non-entrée en matière sera partant rejetée et l'appel joint déclaré recevable.

3. 3.1. Les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé (art. 428 al. 1 CPP).

3.2. La demande de non-entrée en matière formée par l'appelant est rejetée de sorte qu'il se justifie de mettre à sa charge les frais occasionnés par la présente décision, comprenant un émolument de décision arrêté à CHF 500.- (art. 14 du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale du 22 décembre 2010 [RTFMP]).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Déclare recevable l'appel joint formé par le Ministère public contre le jugement JTCO/96/2023 rendu le 15 septembre 2023 par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/15616/2022.

Condamne A______ aux frais de la présente décision par CHF 635.-, qui comprennent un émolument de CHF 500.-.

Réserve la suite de la procédure.

Notifie le présent arrêt aux parties.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

60.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

635.00