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Décisions | Chambre de surveillance

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C/23905/2022

DAS/247/2023 du 17.10.2023 sur ACJC/646/2023 ( SDF ) , REJETE

Recours TF déposé le 22.11.2023, 5A_885/2023
Normes : CC.266
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23905/2022 DAS/247/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance

DU MARDI 17 OCTOBRE 2023

 

 

Madame A______, Messieurs B______ et C______, domiciliés ______ (Genève), appelants d'une décision rendue par la Chambre civile de la Cour de justice le 15 mai 2023, tous trois représentés par Me Olivier WEHRLI, avocat, rue de Hesse 8-10, 1204 Genève.

 

 

 

 

 

 

 

 


 

EN FAIT

A. a) B______, né le ______ 1956 à D______ (France), de nationalité française, est le père de C______, né le ______ 1975 à E______ (France), de nationalité française, issu de sa première union avec F______, née le ______ 1956 et décédée le ______ 2014.

B______ est également le père de G______, né en 1982 et décédé en 2016, issu de son second mariage avec H______.

b) B______ et A______, née A______ le ______ 1953 à I______ (Vaud), originaire de J______ (Fribourg), se sont mariés le ______ 1993 à K______ (Genève). B______ a obtenu le droit de cité de J______ (Fribourg) le 25 septembre 2002.

Le couple n'a pas d'enfant commun.

c) C______ a un fils mineur, L______, né le ______ 2008 à M______ (France) de sa relation avec N______, née le ______ 1969 à O______ (France).

B. a) B______ et F______ ont divorcé en ______ 1977.

La garde de C______, alors âgé de deux ans, a été confiée à sa mère.

b) B______ et A______ font ménage comme depuis 1984.

De 1984 à 1991, ils ont accueilli C______ un week-end sur deux, durant une partie des vacances d'été ainsi que durant les vacances de Noël et de fin d'année, une année sur deux. Ils allaient le chercher le samedi matin chez sa mère dans les P______ (France) et le ramenaient le dimanche soir.

c) A compter de 1991, lorsqu'il avait 16 ans, C______ a suivi les "Q______" [institution de formation] durant trois ans dans toute la France pour devenir maçon. Il a ensuite passé une année à l'armée.

A son retour, il s'est installé à R______ (France), dans la résidence secondaire de son père. Il vit actuellement avec son épouse et son fils à S______, près de T______ (France).

C. a) Par requête déposée au greffe de la Cour civile le 10 novembre 2022, A______ a sollicité le prononcé de l'adoption par elle-même de C______.

Elle considérait C______ et G______, qu'elle et son époux avaient accueillis un week-end sur deux et durant la moitié des vacances scolaires, comme ses propres enfants. Elle s'en était occupée comme une mère, leur avait apporté des soins et participé à leur éducation lorsqu'ils étaient sous la garde de leur père. Ils vivaient une vie de famille harmonieuse. Lorsque C______ était parti suivre sa formation de maçon, elle avait gardé contact avec lui, lui avait régulièrement rendu visite, et leurs liens affectifs s'étaient renforcés malgré l'éloignement physique. Elle le considérait comme son fils et souhaitait officialiser ce lien. C______ a eu un fils en 2008, qu'elle considérait comme son petit-fils et qui la considérait comme sa grand-mère.

b) Par courrier du 11 octobre 2022, B______ s'est déclaré favorable à l'adoption de son fils par son épouse.

Il était fier de la relation, de l'affection et de la grande complicité qui liait son épouse et son fils, et heureux de la décision qu'ils avaient prise d'officialiser ce lien par l'adoption.

c) C______ a consenti à son adoption par courrier du 14 octobre 2022.

Il a indiqué avoir construit avec A______ une relation de grande confiance. Il la considérait comme sa deuxième mère. Elle l'avait beaucoup soutenu dans les moments difficiles qu'il avait traversés. Elle restait la seule figure maternelle.

d) N______ et L______ ont tous deux déclaré être favorables à l'adoption de C______ par A______.

Ils la considéraient comme la mère de C______ et la grand-mère de L______.

e) Lors de l'audience tenue le 27 avril 2023, le juge délégué de la Cour a entendu A______, C______ et B______.

A______ a déclaré avoir rapidement développé de l'affection pour C______. Ils faisaient beaucoup d'activités ensemble, allaient au cinéma ou voir des matchs de hockey, faisaient des promenades. Ils s'appelaient régulièrement lorsque C______ était en route dans le cadre de sa formation de maçon. Depuis qu'il est installé en France à proximité de Genève, ils s'appelaient toutes les semaines et se voyaient assez régulièrement pour un repas le week-end.

C______ a exposé avoir construit une relation intense avec A______, qu'il considérait comme sa seconde mère. Ils discutaient beaucoup ensemble, elle avait été d'un grand soutien lorsque ses parents étaient en conflit. Elle avait toujours été à son écoute et était toujours là pour lui.

B______ a indiqué être heureux que son épouse veuille adopter son fils. Une relation très forte les liait.

D. Par décision ACJC/646/2023 rendue le 15 mai 2023, la Chambre civile de la Cour de justice a rejeté la requête en adoption déposée par A______.

Elle a retenu que A______ et son époux avaient certes accueilli C______ un week-end sur deux, une partie des vacances scolaires d'été chaque année ainsi que les vacances de Noël et de fin d'année une année sur deux de 1984 à 1991, soit des neuf aux seize ans de ce dernier, mais que cette prise en charge ne permettait pas de considérer qu'ils avaient fait ménage commun de manière ininterrompue pendant une année durant la minorité du candidat à l'adoption. L'adoption ne pouvait en conséquence être prononcée sur la base de l'art. 266 al. 1 ch. 2 CC. Il en allait de même de l'adoption fondée sur l'art. 266 al. 1 ch. 3 CC, puisque A______ n'avait pas vécu sous le même toit que C______ depuis la majorité de ce dernier, les visites régulières et fréquents appels téléphoniques ne permettant pas de pallier à l'absence de partage de table et de toit. La requête en adoption devait ainsi être rejetée.

E. a) Par acte déposé le 30 mai 2023, A______, B______ et C______ ont appelé de cette décision, qu'ils ont reçue le 22 mai 2023.

Ils demandent à la Cour de justice d'annuler cette décision, de prononcer l'adoption requise et de constater que le lien de filiation entre C______ et B______ subsiste et que celui entre C______ et F______ est rompu.

b) Par avis du 13 juin 2023, les appelants ont été informés que la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Déposé dans les délai et forme prescrits par la loi (art. 308 al. 1 let. a, 311 et 314 al. 1 CPC), auprès de la Chambre de surveillance de la Cour de justice, en conformité des principes posés par le Tribunal fédéral le temps que l'organisation judiciaire soit adaptée aux exigences de double instance prévues par l'art. 75 al. 2 LTF (arrêt du Tribunal fédéral 5A_243/2017 du 15 mai 2017 consid. 2.2; ATF 139 III 252 consid. 1.6), l'appel formé par A______ est recevable.

Il ne l'est en revanche pas en tant qu'il émane de son époux ou du candidat à l'adoption, seul l'adoptant dont la demande d'adoption a été rejetée ayant qualité pour recourir contre une décision rejetant l'adoption (schoenenberger, Commentaire romand, Code civil I (2010), n. 42 ad art. 268).

2. La procédure d'adoption relève de la juridiction gracieuse; la procédure sommaire s'y applique (art. 248 let. e CPC) et la cause est soumise à la maxime inquisitoire simple (255 let. b CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_636/2018 du 8 octobre 2018, consid. 3.3.2).

La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

3. L'appelante reproche à la Chambre civile d'avoir refusé de prononcer l'adoption requise en retenant qu'elle n'avait pas fait ménage commun avec C______.

3.1.1 Selon l'art. 266 al. 1 CC, une personne majeure peut être adoptée si elle a besoin de l'assistance permanente d'autrui en raison d'une infirmité physique, mentale ou psychique et que le ou les adoptants lui ont fourni des soins pendant au moins un an (ch. 1), lorsque, durant sa minorité, le ou les adoptants lui ont fourni des soins et ont pourvu à son éducation pendant au moins un an (ch. 2) ou pour d'autres justes motifs, lorsqu'elle a fait ménage commun pendant au moins un an avec le ou les adoptants (ch. 3).

Le nouveau droit de l'adoption a assoupli les conditions auxquelles est soumise l'adoption d'une personne majeure, notamment en réduisant de cinq ans à une année la durée minimale de la période durant laquelle le ou les adoptants doivent avoir fourni des soins, pourvu à l'éducation ou fait ménage commun avec la personne faisant l'objet de la demande d'adoption. Il n'a, en revanche, pas modifié la notion de «justes motifs», ni celle de «ménage commun» (cf. Message du 28 novembre 2014 concernant la modification du Code civil [Droit de l'adoption], FF 2015 867 s. ch. 2.5 et 882 ch. 3.1). La jurisprudence s'y rapportant rendue sous l'ancien droit demeure ainsi applicable.

3.1.2 L'adoption d'un majeur suppose, quel que soit le cas visé par les chiffres 1 à 3 de l'art. 266 al. 1 CC, que l'adoptant et le candidat à l'adoption aient fait ménage commun durant une année (pfaffinger, in Kurzkommentar, Schweizerisches Zivilgesetzbuch (2018), n. 4 ad art. 266).

Cette communauté domestique doit avoir eu lieu durant la minorité du candidat à l'adoption dans le cas de l'art. 266 al. 1 ch. 2 CC (breitschmid, Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I (2022), n. 11 ad art. 299; schoenenberger, Commentaire romand, Code civil I (2010), n. 7 ad art. 266).

Dans l'hypothèse visée au ch. 3, il est indifférent que cette communauté domestique ait été établie durant la minorité ou la majorité (schoenenberger, Commentaire romand, Code civil I (2010), n. 7 ad art. 266). L'adoption est alors subordonnée à l'exigence de justes motifs en sus de l'existence d'un ménage commun durant une année. Ces conditions sont cumulatives (arrêts du Tribunal fédéral 5A_962/2019 consid. 4.3.2, 5A_636/2018 du 8 octobre 2018, consid. 4.3.2).

3.1.3 La notion de ménage commun implique que les personnes considérées vivent sous le même toit et mangent à la même table; c'est de cette vie en commun que doivent procéder naturellement et par des contacts quotidiens les relations personnelles et une connaissance mutuelle d'autant plus étroite et solide que cette communauté se prolonge (ATF 106 II 6 consid. 2b; 101 II 3 consid. 4; arrêts du Tribunal fédéral 5A_1010/2014 du 7 septembre 2015 consid. 3.4.2.1; 5C.296/2006 du 23 octobre 2007 consid. 3.2). La notion de communauté domestique ne saurait donc être interprétée de manière extensive: elle implique une vie en commun sous le même toit, avec des contacts quotidiens et continus (ATF 101 II 6 consid. 3b et 4). Comme sous l'ancien droit, la communauté domestique doit être vécue de manière continue, sous réserve d'éventuelles absences occasionnelles (arrêt du Tribunal fédéral 5A_962/2019 du 3 février 2020, consid. 4.3.2) On ne peut en effet exiger une continuité absolue; des absences occasionnelles pour cause d'études, de service militaire, de voyages professionnels laissent subsister la communauté domestique pour autant toutefois qu'elle se reforme naturellement dès que la cause d'interruption cesse; en revanche, on ne saurait conclure à son existence du seul fait que le majeur passe ses week-ends ou ses vacances avec ses adoptants, ou encore qu'il leur rend visite de temps à autre (ATF 101 II 3 consid. 4 et 5; arrêts du Tribunal fédéral 5A_962/2019 du 3 février 2020, consid. 4.3.2; 5A_1010/2014 du 7 septembre 2015 consid. 3.4.2.1; 5C.296/2006 du 23 octobre 2007 consid. 3.3.2). De même, le fait que le candidat à l'adoption ait passé ses vacances durant de nombreuses années avec le conjoint de sa mère durant sa minorité ne suffit pas
(ATF 111 II 230 consid. 3).

3.1.4 Une décision viole le principe de l'égalité de traitement lorsqu'elle omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est dissemblable n'est pas traité de manière différente (ATF 140 I 201, consid. 6.5.1).

3.1.5 Le droit à la famille garanti par les art. 8 CEDH et 14 Cst. comporte pour un couple le droit d'adopter, dans les limites des conditions fixées par la législation, et protège les particuliers contre les mesures qui limiteraient de manière injustifiée le droit d'adopter (petry, in Commentaire romand, n. 26 et 28 ad art. 14 Cst.).

3.2 En l'espèce, C______ a, entre 1984 et 1991, vécu auprès de sa mère, qui assurait alors sa prise en charge au quotidien. Il passait un week-end sur deux, plusieurs semaines durant les vacances d'été et, une année sur deux, les vacances de Noël et Nouvel An avec son père et l'appelante. Ces différentes périodes durant lesquelles celle-ci a vécu avec le fils de son époux ne permettent pas de retenir, comme la Chambre civile l'a relevé à juste titre, qu'ils ont vécu en ménage commun durant au moins une année, puisqu'ils n'ont pas vécu ensemble de manière continue au sens où l'exige la jurisprudence. La condition objective liée à l'existence d'une communauté domestique, commune à tous les cas d'adoption prévus aux ch. 1 à 3 de l'art. 266 CC, n'est ainsi pas réalisée.

L'appelante se plaint de ce que l'appréciation faite par la Chambre civile serait trop restrictive et contraire à la ratio legis de l'art. 266 CC en ce qu'elle ne permettrait pas l'adoption d'un enfant né de parents divorcés, qui ne cumulait jamais une année dans un seul foyer. Il est vrai que la question de savoir si un enfant dont la garde est assurée de manière alternée par les parents peut être considéré comme formant une communauté domestique avec chacun de ses parents peut s'avérer délicate. Il n'en demeure pas moins que dans le cas d'espèce, la garde de C______ a été assumée par sa mère, qui en a assuré la prise en charge au quotidien, l'enfant séjournant auprès de son père et de l'appelante uniquement les week-ends et une partie des vacances scolaires, ce qui, comme on l'a vu ci-avant, ne suffit pas pour retenir l'existence d'une communauté domestique durable au sens de l'art. 266 CC.

C'est par ailleurs à juste titre que la Chambre civile a appliqué la loi en recourant à la jurisprudence pour interpréter la notion de ménage commun et qu'elle s'est, à ce sujet, fondée en particulier sur l'arrêt du Tribunal fédéral 5A_592/2019 du 3 février 2020. Il est vrai que l'état de fait à la base de cet arrêt est différent en ce qu'il s'agit d'une requérante souhaitant adopter sa nièce qui vivait aux Etats-Unis et venait très régulièrement lui rendre visite en séjournant auprès d'elle deux fois par mois durant quatre ou cinq jours, soit au maximum dix jours par mois. Toutefois, contrairement à ce que soutient l'appelante, les différences factuelles entre ces deux procédures ne conduisent pas à appréhender différemment la notion de communauté domestique, puisqu'il s'agit d'une condition que la loi exige pour tous les cas d'adoption de majeurs. La Chambre civile n'est ainsi pas contrevenue au principe d'égalité de traitement en fondant la décision querellée sur cet arrêt du Tribunal fédéral.

L'on ne saurait enfin suivre l'appelante lorsqu'elle reproche à la Chambre civile d'avoir violé son droit fondamental à la famille garanti par les art. 8 CEDH et 14 Cst. en refusant de prononcer l'adoption qu'elle a requise, puisque le droit à l'adoption consacré par le droit constitutionnel trouve ses limites dans les conditions fixées par la législation, qui ne sont en l'occurrence pas réalisées.

Les griefs soulevés par l'appelante n'étant pas fondés, la décision entreprise sera confirmée.

4. Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'000 fr. et mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 30 mai 2023 par A______ contre la décision ACJC/646/2023 rendue le 15 mai 2023 par la Chambre civile de la Cour de justice dans la procédure C/23905/2022.

Au fond :

Confirme cette décision.

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont compensés avec l'avance de frais versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente; Monsieur Patrick CHENAUX et Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Carmen FRAGA, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral - 1000 Lausanne.