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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/146/2023

ATAS/847/2023 du 02.11.2023 ( PC ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/146/2023 ATAS/847/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 2 novembre 2023

Chambre 5

 

En la cause

A______

 

 

recourante

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée ou la recourante), née en ______ 1963, a déposé une demande de prestations complémentaires qui a été reçue par le service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC ou l’intimé) en date du 9 décembre 2021. Dans le formulaire transmis au SPC, l’assurée ne mentionnait aucune fortune et déclarait être au bénéfice des prestations de l’Hospice général.

b. Dans le cadre de l’instruction de la demande de prestations complémentaires, le SPC a requis la transmission d’un certain nombre de documents concernant la situation financière de l’assurée.

B. a. À l’issue de l’instruction, le SPC a rendu une décision de refus de prestations complémentaires, en date du 28 juin 2022. La décision concernée portait sur l’établissement du droit rétroactif, pour la période allant du 1er janvier 2021 au 30 juin 2022 et pour le droit à venir, dès le 1er juillet 2022. Selon le plan de calcul annexé, un montant de CHF 628'223.- figurait dans la rubrique « fortune » en qualité de biens dessaisis dès lors que les pièces financières remises par l’assurée faisaient état d’une diminution du patrimoine dont il était tenu compte dans le calcul du revenu déterminant. Dès lors qu’aucune contre-prestation équivalente ou justification n’y figurait, le montant en question était considéré comme un dessaisissement. Dès le 1er janvier 2022, le montant retenu était réduit de CHF 10'000.- et s’élevait à CHF 618'223.-. Selon le comparatif concernant le plan de calcul le plus favorable, au regard de l’application de l’ancien ou du nouveau droit, l’éventuelle application du nouveau droit aurait supprimé, dans tous les cas, le droit aux prestations complémentaires, raison pour laquelle l’ancien droit était appliqué.

b. Par courrier de son mandataire, daté du 15 juillet 2022, l’assurée s’est opposée à la décision du 28 juin 2022. Par écriture complémentaire du 24 août 2022, l’assurée a nié l’existence d’un dessaisissement dès lors qu’elle avait utilisé le produit de la vente de son appartement pour le remboursement de ses dettes, ainsi que pour l’investissement dans un commerce B______. L’acquisition et l’investissement entrepris visaient un but d’augmentation de son niveau de vie, afin de bien vivre ; par conséquent, il fallait en déduire que l’assurée avait utilisé sa fortune dans le but d’améliorer sa situation financière et n’avait pas pris de risques excessifs en investissant dans le commerce géré par son époux. Dès lors, un dessaisissement devait être exclu.

c. Par courrier du 26 octobre 2022, le SPC a demandé des explications complémentaires concernant l’investissement partiel du produit de la vente de son bien immobilier, ainsi que le remboursement des dettes. Il a rappelé que la preuve de remboursement de prêts ainsi que de l’investissement dans le commerce devait être apportée par l’assurée et lui a fixé un délai au 30 novembre 2022 pour fournir les pièces sollicitées. Par courrier du 22 novembre 2022, l’assurée a communiqué un certain nombre de pièces, notamment un relevé de l’office des poursuites faisant état du total des paiements reçus de l’assurée soit CHF 93’068.25 ; les comptes annuels 2017 de la société B______, faisant notamment apparaître des dettes envers des détenteurs de participation à hauteur de CHF 181'941.-. L’assurée produisait également un jugement de divorce rendu par le Tribunal de première instance, en date du 19 octobre 2020, donnant acte aux parties, notamment, de ce qu’elles avaient liquidé à l’amiable leurs rapports patrimoniaux et n’avaient plus aucune prétention à faire valoir l’une envers l’autre ; l’assurée alléguait également avoir acheté une voiture pour un montant de CHF 20'000.- et avoir prêté de l’argent à sa famille, à hauteur de GBP 12'500.-.

d. Par décision sur opposition du 2 décembre 2022, le SPC a rejeté l’opposition et a confirmé la décision du 28 juin 2022. Il n’appartenait ni à l’assureur social, ni à la collectivité d’assumer l’éventuel découvert dans les comptes de l’assurée lorsque celle-ci l’avait provoqué sans aucun motif valable ; partant, les autres revenus, parts de fortune et droits légaux contractuels auxquels l’ayant droit avait renoncé sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate étaient pris en compte dans les revenus déterminants, comme si l’assurée n’y avait pas renoncé, étant précisé qu’il n’existait aucune limite temporelle à la prise en compte d’un dessaisissement. Le SPC ne prenait pas en compte les dépenses alléguées mais non prouvées par pièces, telles que le remboursement des prêts, l’achat de la voiture ou l’investissement dans la société B______, car ces éléments avaient été simplement allégués mais n’avaient pas été démontrés. Concernant le remboursement des poursuites, il s’agissait visiblement des poursuites à l’encontre de son époux, ce qui ne constituait pas une contrepartie adéquate dans la mesure où il ne s’agissait pas de dettes personnelles de l’assurée. Le SPC maintenait donc qu’aucune contrepartie adéquate n’avait pu être prouvée concernant le dessaisissement de CHF 668'223.-, ce qui entraînait que le seuil de fortune était dépassé et que le droit à des prestations complémentaires était exclu.

e. Par courrier du 6 décembre 2022, le SPC a communiqué à l’assurée son plan de calcul des prestations complémentaires favorables dès le 1er janvier 2023, en prenant en compte des biens dessaisis à hauteur de CHF 608'223.-, ce qui entraînait l’absence de droit à des prestations complémentaires.

C. a. Par courrier déposé au greffe de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci‑après : la chambre de céans), en date du 16 janvier 2023, l’assurée a interjeté recours contre la décision sur opposition du 2 décembre 2022. En substance, elle reprenait les arguments déjà développés au stade de l’opposition, ajoutant que tous les documents nécessaires et demandés par le SPC avaient été transmis à ce service. Elle précisait avoir investi dans un bar-restaurant (détenu par la société B______) et avoir utilisé la plupart de sa fortune dans la rénovation de ce dernier, car l’arcade était en piteux état et la régie lui avait menti sur plusieurs points concernant l’état de ladite arcade. Selon elle, les comptes de l’année 2017 qu’elle avait produits devaient être reconnus comme preuve, ajoutant qu’elle avait payé pour l’entière rénovation et la décoration du bar et qu’elle avait également payé pour ses impôts, son loyer, ses assurances, l’assurance de sa voiture, les réparations, l’essence, la nourriture, les vêtements, les voyages et autres, en plus des poursuites. Elle concluait que le SPC n’avait pas tenu compte de ses dettes réelles, qui étaient, à ce jour, supérieures à CHF 300'000.-.

b. Par réponse du 9 février 2023, le SPC a confirmé sa position déjà exprimée dans la décision querellée et a conclu au rejet du recours. Après avoir examiné les pièces produites par la recourante, le SPC avait pu retenir un montant total de CHF 65'200.- qui avait été versé à B______, entre le 30 juin et le 18 décembre 2017. Même en soustrayant ce montant du dessaisissement retenu à hauteur de CHF 668'223.-, cela n’avait pas pour effet de faire passer la fortune en-dessous du seuil légal. Même en suivant l’argumentation de la recourante concernant la façon dont elle avait dépensé le produit de la vente de son appartement, il n’en restait pas moins que les biens dessaisis étaient supérieurs au seuil de CHF 100'000.-.

c. Par réplique reçue au greffe de la chambre de céans en date du 23 mars 2023, la recourante a contesté le montant retenu par le SPC, énumérant une série de dépenses qui, selon elle, ne pouvait pas être qualifiée comme des dessaisissements et arrivant à la conclusion qu’avec les preuves présentées, le montant qu’elle pouvait justifier s’élevait à CHF 400’000.-. Elle ajoutait qu’au moment où elle avait déposé sa demande, elle était encore mariée, raison pour laquelle elle prétendait qu’on lui appliquât le seuil, non pas de CHF 100'000.- mais de CHF 200'000.- tel que prévu pour un couple. Enfin, elle concluait qu’il ne fallait pas prendre en compte les avoirs du deuxième pilier dans le calcul, car elle était en litige au sujet de sa rente.

d. Par duplique du 14 avril 2023, le SPC est revenu en détail sur la manière de calculer le dessaisissement. S’agissant de la quotité du montant dessaisi, le SPC s’est livré à un nouveau calcul car, lors du premier dessaisissement, il fallait tenir compte des revenus du couple pendant l’année 2017 et la diminution inexpliquée de la fortune au 31 décembre 2017 permettait de retenir un premier dessaisissement de CHF 395’703. En 2019, la fortune avait également diminué de façon inexpliquée, de sorte que le SPC aurait dû tenir compte d’un nouveau dessaisissement à hauteur de CHF 307’612.40. Ainsi le dessaisissement total après re-calcul et avant déduction, était en réalité de CHF 703’315.40 et non pas de CHF 668'223.-. En ce qui concernait les déductions sur les montants dessaisis, le SPC considérait que l’investissement de l’argent de la recourante dans la constitution d’une SA comportait une contre-prestation adéquate dans la mesure où ce financement avait été effectué pour lui rapporter un revenu. Il admettait donc que l’on pouvait déduire le capital investi à hauteur de CHF 100'000.- du calcul des biens dessaisis, ainsi que les frais de notaire à hauteur de CHF 4’350.-. En ce qui concernait les loyers que la recourante avait payés pour la location de l’arcade et qui s’élevaient à CHF 66'240.-, le SPC considérait que lesdits loyers auraient dû être payés par la société et non pas par l’assurée, de telle sorte qu’on ne comprenait pas pour quelle raison le capital social de CHF 100'000.- n’avait pas été utilisé à cet effet. Enfin, les autres paiements invoqués par la recourante n’étaient pas documentés et faute de preuve, le SPC ne pouvait en tenir compte. En conclusion, le SPC admettait qu’un montant de CHF 104'350.- pouvait être déduit des biens dessaisis, portant le montant de la fortune à prendre en considération à CHF 598’965.40. Il ajoutait que même si l’on admettait de déduire le montant des loyers payés par l’assurée, à hauteur de CHF 66'240.- et si l’on prenait en compte la garantie de loyers bloquée à hauteur de CHF 62'400.-, la fortune de l’assurée dépassait encore très largement le seuil de fortune de CHF 100'000.- qui ouvrait le droit aux prestations complémentaires, raison pour laquelle le recours devait être rejeté.

e. Par observations spontanées du 13 avril 2023, le collectif d’associations pour l’urgence sociale « C______ » a fait valoir que l’assurée était en incapacité de travail totale depuis le 5 janvier 2019 et qu’elle percevait une rente invalidité mensuelle de CHF 1'431.- depuis le 12 novembre 2021. «C______ » reprenait l’argumentation développée par l’assurée et faisait valoir que cette dernière n’était malheureusement plus en possession des factures permettant de démontrer des contre-prestations. S’ensuivait un récapitulatif des différents montants que l’assurée faisait valoir, notamment un montant de CHF 123’795.17 qu’elle avait prétendument utilisé pour rembourser des dettes, les frais de notaire à hauteur de CHF 4'350.-, une garantie de loyer à hauteur de CHF 62'400.-, les deux premiers loyers de l’établissement, à hauteur de CHF 4'380.-, puis les loyers sur onze mois, à hauteur de CHF 60'700.-. Elle ajoutait encore avoir payé différentes factures, pour les travaux nécessaires à l’exploitation de l’arcade et estimait que les investissements effectués au profit de la société B______ s’élevaient à CHF 305’371.42.

f. Interpellé par la chambre de céans, le SPC a répondu, par courrier du 11 mai 2023, que les pièces produites et les montants évoqués étaient les mêmes que ceux ayant conduit à la duplique du 14 avril 2023, raison pour laquelle la position de l’intimé demeurait inchangée.

g. Par courrier du 19 juin 2023, déposé au greffe de la chambre de céans le 3 juillet 2023, Me Aleksandra PETROVSKA a informé la chambre de céans qu’en raison des nombreuses dettes accumulées par l’assurée à l’endroit de son ancien bailleur, elle ne pourrait pas récupérer la garantie de loyer.

h. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

i. Les autres faits seront mentionnés, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

 

 

EN DROIT

1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2. Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC). En matière de prestations complémentaires cantonales, la LPC et ses dispositions d’exécution fédérales et cantonales, ainsi que la LPGA et ses dispositions d’exécution, sont applicables par analogie en cas de silence de la législation cantonale (art. 1A LPCC).

Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

3. La modification du 22 mars 2019 de la LPC est entrée en vigueur le 1er janvier 2021 (Réforme des PC, FF 2016 7249 ; RO 2020 585).

Conformément à l’al. 1 des dispositions transitoires de ladite modification, l’ancien droit reste applicable trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente modification aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels la réforme des prestations complémentaires entraîne, dans son ensemble, une diminution de la prestation complémentaire annuelle ou la perte du droit à la prestation complémentaire annuelle.

En l’occurrence, les calculs effectués par le SPC selon le droit applicable dès le 1er janvier 2021 entraînent une diminution de la prestation complémentaire annuelle ou la perte du droit à la prestation complémentaire annuelle, de sorte que les dispositions applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

4. Le délai de recours est de 30 jours (art. 60 al. 1 LPGA ; art. 43 LPCC ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10] et art. 43 LPCC).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pendant la période du 18 décembre au 2 janvier inclusivement (art. 38 al. 4 let. c LPGA et art. 89C let. c LPA), le recours est recevable.

5. Le litige porte sur le montant et le calcul des prestations complémentaires, en particulier sur la prise en compte dans le calcul du SPC, des montants correspondant à des biens auxquels l’assurée a renoncé.

6. Les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse et qui remplissent les conditions personnelles prévues aux art. 4, 6 et 8 aLPC ont droit à des prestations complémentaires. Ont ainsi droit aux prestations complémentaires notamment les personnes qui perçoivent une rente de vieillesse de l'assurance-vieillesse et survivants, conformément à l'art. 4 al. 1 let. a aLPC.

Les prestations complémentaires fédérales se composent de la prestation complémentaire annuelle et du remboursement des frais de maladie et d’invalidité (art. 3 al. 1 aLPC). L’art. 9 al. 1er aLPC dispose que le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants. Les revenus déterminants comprennent notamment les ressources et parts de fortune dont un ayant droit s’est dessaisi (art. 11 al. 1 let. g aLPC).

Ont droit aux prestations complémentaires cantonales les personnes dont le revenu annuel déterminant n’atteint pas le revenu minimum cantonal d’aide sociale applicable (art. 4 aLPCC).

7. Il y a dessaisissement lorsque la personne concernée a renoncé à des éléments de revenu ou de fortune sans obligation juridique et sans avoir reçu en échange une contre-prestation équivalente, ces deux conditions étant alternatives (ATF 140 V 267 consid. 2.2 et les références ; ATF 134 I 65 consid. 3.2 et les références ; ATF 131 V 329 consid. 4.2 et les références).

Pour vérifier s'il y a contre-prestation équivalente et pour fixer la valeur d'un éventuel dessaisissement, il faut comparer la prestation et la contre-prestation à leurs valeurs respectives au moment de ce dessaisissement (ATF 120 V 182 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_67/2011 du 29 août 2011 consid. 5.1). Il y a également dessaisissement lorsque le bénéficiaire a droit à certains éléments de revenu ou de fortune mais n'en fait pas usage ou s'abstient de faire valoir ses prétentions, ou encore lorsqu'il renonce à exercer une activité lucrative possible pour des raisons dont il est seul responsable (ATF 140 V 267 consid. 2.2 et les références).

Pour qu'un dessaisissement de fortune puisse être pris en compte dans le calcul des prestations complémentaires, la jurisprudence soumet cet acte à la condition qu'il ait été fait « sans obligation juridique », respectivement « sans avoir reçu en échange une contre-prestation équivalente ». Les deux conditions précitées ne sont pas cumulatives, mais alternatives. La question de savoir si la renonciation à un élément de fortune en accomplissement d'un devoir moral constitue un dessaisissement de fortune au sens de l'art. 3c al. 1 let. g aLPC, a été laissée ouverte (ATF 131 V 329 consid. 4.2 à 4.4).

Il y a lieu de prendre en compte dans le revenu déterminant tout dessaisissement sans limite de temps (Pierre FERRARI, Dessaisissement volontaire et prestations complémentaires à l'AVS/AI in RSAS 2002, p. 420). Ainsi, la date à laquelle le dessaisissement a été accompli n'a, en principe, aucune importance (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_667/2021 du 17 mai 2022 consid. 3.3 et les références).

Le Tribunal fédéral a précisé qu’un usage normal de la fortune - en l’occurrence CHF 14’490.- en une année pour des dépenses d’habillement, de loisirs et d’ameublement - n’était pas concerné par la question du dessaisissement (arrêt du Tribunal fédéral 9C_945/2011 du 11 juillet 2012 consid. 6.3). A fortiori, une utilisation du patrimoine afin de couvrir les besoins vitaux ne saurait être considérée comme un dessaisissement (Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI, 2015, ch. 98 ad art. 11 aLPC et les références). Par ailleurs, le Tribunal fédéral a également considéré qu’il n'y avait pas dessaisissement dans le cas d'une assurée ayant épuisé sa fortune après avoir vécu dans un certain luxe (ATF 115 V 352 consid. 5b). L'existence d'un dessaisissement de fortune ne peut être admise que si l'assuré renonce à des biens sans obligation légale ni contre-prestation adéquate. Lorsque cette condition n'est pas réalisée, la jurisprudence considère qu'il n'y a pas lieu de tenir compte d'une fortune (hypothétique) dans le calcul de la prestation complémentaire, même si l'assuré a pu vivre au-dessus de ses moyens avant de requérir une telle prestation (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_50/2022 du 17 mai 2022 consid. 3.1 et les références). En effet, il n'appartient pas aux organes compétents en matière de prestations complémentaires de procéder à un contrôle du mode de vie des assurés (cf. ATF 146 V 306 consid. 2.3.1 et les références), ni d'examiner si l'intéressé s'est écarté d'une ligne que l'on pourrait qualifier de « normale » et qu'il faudrait au demeurant préciser. Il convient bien plutôt de se fonder sur les circonstances concrètes, à savoir le fait que l'assuré ne dispose pas des moyens nécessaires pour subvenir à ses besoins vitaux, et - sous réserve des restrictions découlant de l'art. 3c al. 1 let. g aLPC - de ne pas se préoccuper des raisons de cette situation (VSI 1994 p. 225 s. consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral P 65/04 du 29 août 2005 consid. 5.3.1).

8. Selon l'art. 17a de l'ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC-AVS/AI - RS 831.301), dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, la part de fortune dessaisie à prendre en compte (art. 11 al. 1 let. g aLPC) est réduite chaque année de 10 000 francs (al. 1). La valeur de la fortune au moment du dessaisissement doit être reportée telle quelle au 1er janvier de l’année suivant celle du dessaisissement, pour être ensuite réduite chaque année (al. 2). Est déterminant pour le calcul de la prestation complémentaire annuelle le montant réduit de la fortune au 1er janvier de l’année pour laquelle la prestation est servie (al. 3).

Le Tribunal fédéral a admis la conformité de cette disposition à la loi et à la constitution (ATF 118 V 150 consid. 3c/cc).

Conformément à cette disposition, il faut qu'une année civile entière au moins se soit écoulée entre le moment où l'assuré a renoncé à des parts de fortune et le premier amortissement de fortune (Ralph JÖHL, Die Ergänzungsleistung und ihre Berechnung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, p. 1816 n. 247).

9. Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références ; ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Il n'existe pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a et la référence).

10. Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par le juge. Mais ce principe n'est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Mais avant de statuer en l'état du dossier, l'administration devra avertir la partie défaillante des conséquences de son attitude et lui impartir un délai raisonnable pour la modifier ; de même devra-t-elle compléter elle-même l'instruction de la cause s'il lui est possible d'élucider les faits sans complications spéciales, malgré l'absence de collaboration d'une partie (cf. ATF 117 V 261 consid. 3b ; ATF 108 V 229 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral P 59/02 du 28 août 2003 consid. 3.3 et les références).

11. En l’espèce, la recourante invoque que la baisse de sa fortune est justifiée par des investissements et des travaux réalisés dans le bar géré par la société B______. Elle invoque également le remboursement de prêts consentis à sa famille ainsi que diverses dépenses personnelles.

De son côté, le SPC a dans un premier temps refusé de reconsidérer certains dessaisissements puis a, dans un deuxième temps, accepté que pour plusieurs montants, il pouvait exister des contre-prestations justifiées, ce qui a conduit à réduire le montant du dessaisissement reproché à la recourante, sans toutefois que sa fortune ne descende en dessous du seuil lui donnant droit à des prestations complémentaires fédérales ou cantonales.

11.1 La chambre de céans se rallie aux derniers calculs effectués par le SPC et mentionnés dans le courrier du 14 avril 2023 dans la mesure où les déductions peuvent être acceptées. Le montant de CHF 100'000.- investi dans la société se justifie, car la recourante pouvait raisonnablement espérer, à titre de contre-prestation, un revenu régulier qui aurait été produit par le bar-restaurant exploité par la société.

Il en est de même des frais de notaire, ainsi que des loyers payés par la recourante, dans la mesure où le paiement des loyers était absolument nécessaire à la poursuite de l’exploitation du bar-restaurant et à la protection de l’investissement consenti par l’assurée.

Enfin, le dernier courrier, daté du 19 juin 2023, confirme la perte du montant correspondant à la garantie des loyers, ce qui justifie également de considérer qu’il ne s’agit pas d’un dessaisissement, dans la mesure où il était absolument indispensable de fournir ce montant pour obtenir le bail permettant d’exploiter le bar-restaurant.

11.2 En revanche, la recourante n’a pas été en mesure de démontrer avoir investi des montants dans la restauration ou les travaux de rénovation de l’arcade.

Même si cela avait été le cas, il sied de rappeler que la jurisprudence concernant le dessaisissement est claire ; elle prévoit qu’il y a également dessaisissement lorsque le bénéficiaire a droit à certains éléments de revenu ou de fortune mais n'en fait pas usage ou s'abstient de faire valoir ses prétentions (ATF 140 V 267 consid. 2.2 et les références).

À cet égard, la recourante n’a produit aucune pièce démontrant l’existence de contestations, de poursuites ou de demande judiciaire en paiement, qu’elle aurait dirigées, soit contre la régie, pour avoir dissimulé des éléments concernant l’état de l’arcade louée, comme cela a été allégué dans ses écritures, soit contre la société, dès lors qu’il appartenait à cette dernière de prendre à sa charge le paiement des éventuels travaux de rénovation du local qu’elle comptait exploiter, soit contre son ex-époux qui était en charge de l’exploitation du bar-restaurant, étant précisé que selon le dispositif du jugement de divorce, les époux ne se doivent plus rien, alors même que l’on pouvait s’attendre à ce que la recourante fasse valoir ses prétentions financières à l’égard de son époux, dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, notamment en ce qui concerne le montant de plus de CHF 90'000.- dont elle s’est acquittée auprès de l’office des poursuites, alors qu’il s’agissait de dettes de son époux.

Partant, même si la recourante était parvenue à démontrer qu’elle avait acquitté des factures concernant le local exploité par la société, lesdits montants ne pouvaient pas être pris en considération tant qu’elle n’avait pas démontré, parallèlement, avoir initié des démarches judiciaires pour faire valoir ses droits.

11.3 Compte tenu de ce qui précède, la chambre de céans considère qu’il est établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que la recourante n’a pas démontré avoir acquitté l’intégralité des montants allégués pour des travaux effectués dans l’arcade, ni la nécessité de ces derniers, respectivement qu’elle a volontairement renoncé à poursuivre, soit la régie, soit la société, soit son époux, afin de récupérer des éléments de fortune.

De même, la recourante n’a pas apporté la preuve de prêts consentis à sa famille ou d’autres dépenses qui soient justifiées par des contre-prestations adéquates.

12. Partant, et même en tenant compte des déductions susmentionnées, la fortune de la recourante n’atteint pas le seuil lui permettant d’avoir droit à des prestations complémentaires.

Dès lors, la décision du SPC ne prête pas le flanc à la critique et la chambre de céans n’a d’autre choix que de rejeter le recours.

13. Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le