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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/190/2022

ATAS/803/2023 du 23.10.2023 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/190/2022 ATAS/803/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 23 octobre 2023

Chambre 1

 

En la cause

A______
représentée par Me Ezio TRANINI, avocat

 

 

recourante

 

contre

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Le 26 février 2019, Madame A______, représentée par un avocat en Italie, s’est adressée à la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (ci-après : la SUVA) afin d’obtenir des prestations en lien avec le décès de son époux, Monsieur B______ (ci-après : l’assuré). Elle a exposé que son mari, né en 1938, avait travaillé en tant qu’ouvrier d’C______ à Niederurnen pendant près de deux ans dans les années 1960-1970. Il avait alors exercé une activité en contact direct et quotidien avec des fibres fines et nocives d’amiante-ciment lors de la finition d’articles fabriqués. Il était ensuite retourné définitivement en Italie et était tombé gravement malade des années plus tard, souffrant d’une néoformation pulmonaire droite. Il était décédé le 24 juillet 1997 d'un cancer du poumon. La nature professionnelle de la maladie, soit un carcinome pulmonaire, était incontestable au vu de l’activité exercée et parce que c’était la seule période de sa vie durant laquelle il avait été exposé aux fibres d’amiante.

L’épouse de l’assuré a joint à sa missive de nombreuses pièces (rédigées en italien), dont les dossiers médicaux de l'Azienda Unità Sanitaria Locale (Lecce) et de l’Ospedale Card. G. Panico à Tricase (Lecce), ainsi que l’extrait de compte de l’assuré pour les années 1992 à 1997, établi par l’Istituo Nazionale Providenza Sociale (ci-après : l'INPS) en Italie.

b. Dans le cadre de l’instruction du dossier, la SUVA a notamment sollicité un extrait de compte individuel de l’intéressé auprès de la Caisse suisse de compensation, demandé des renseignements à C______, requis l’avis de ses spécialistes en médecine du travail, médecine interne et pneumologie, et de ses collaborateurs du service santé et sécurité au travail. Elle a en outre interrogé à plusieurs reprises la veuve de l’assuré sur les activités professionnelles de l’assuré et sur l’existence de documents radiologiques.

c. Par la suite, la veuve de l’assuré a encore transmis à la SUVA les dossiers médicaux de la Fondazione Centro San Raffaele (Milan) et de l’Ospedale Sollievo Sofferenza di San Giovanni Rotondo (Foggia), précisant qu’il n’était pas possible de retrouver les images radiographiques, compte tenu du fait que le décès remontait à plus de 20 ans.

B. a. Par décision du 2 décembre 2020, la SUVA a refusé de verser des prestations, au motif que les critères d’Helsinki pour la reconnaissance du cancer du poumon comme maladie professionnelle n’étaient pas remplis. Elle a notamment relevé que si une exposition légère à l’amiante pouvait provoquer un mésothéliome de la plèvre, elle reconnaissait le cancer du poumon comme une maladie professionnelle lié à l’amiante s’il apparaissait en conjonction avec une asbestose légère ou une fibrose pleurale ou une exposition cumulée de 25 fibres-années ou plus (critères d’Helsinki). En l’occurrence, ses spécialistes estimaient qu’une exposition de quatre fibres-années était admissible. Sur le plan médical, étant donné qu’elle n’était pas en possession des radiographies, et sur la base de la seule documentation en sa possession, la présence d’une éventuelle asbestose ou fibrose pleurale ne pouvait pas être confirmée. Partant, les critères d’Helsinki pour la reconnaissance du cancer du poumon comme maladie professionnelle n’étaient pas remplis, de sorte que les conditions pour le versement de prestations n’étaient pas réunies.

b. Les 12 mars et 23 avril 2021, l’intéressée a formé opposition. Elle a notamment exposé que son défunt mari avait travaillé pour une entreprise de construction de bâtiments et de voies ferrées à Genève, de 1963 à 1968. Elle a également indiqué que contrairement à ce que l’intimée avait retenu, l’assuré n’avait pas œuvré en tant que magasinier au service des expéditions, mais bien comme ouvrier, presque exclusivement en contact avec l’amiante. À l’appui de ses dires, elle a produit des déclarations datées d’avril 2021 de trois anciens collègues de l’assuré (dont son frère) auprès d’C______ et dont il ressort :

-          que Monsieur D______, ouvrier auprès d’C______ dans les années 1960-1970, se souvient précisément que le mari de la recourante travaillait à l’intérieur de l’usine C______ et qu’il était chargé d’imperméabiliser les objets en amiante-ciment en appliquant du bitume. Avant l’application de la couche imperméable, l’objet en amiante-ciment était dépoussiéré manuellement par les opérateurs, dont l’assuré, lesquels voyaient leurs vêtements de travail et les parties exposées de leur corps saupoudrés d’amiante ;

-          que Monsieur E______, ouvrier à l’entreprise C______ à Niederurnen de 1963 à fin 1964, a travaillé directement avec l’assuré durant une certaine période, effectuant les mêmes tâches d’ouvrier que lui, à savoir le traitement des objets en amiante-ciment et notamment leur imperméabilisation. De grandes quantités de poussière d’amiante se développaient pendant l’exécution de cette tâche. L’amiante circulait en outre dans toutes les zones de l’usine, y compris les bureaux, dont l’accès était interdit aux ouvriers. Aucun équipement de protection n’avait jamais été fourni par l’entreprise ;

-          que Monsieur F______, frère de l’assuré et ouvrier d’C______ à Niederurnen de 1962 à 1965, se souvient que son frère avait travaillé durant quelques mois comme ouvrier également chez C______, en charge de l’imperméabilisation des objets en amiante-ciment, notamment au goudron. Il devait préalablement nettoyer manuellement l’objet à imperméabiliser, ce qui générait de grandes quantités de poussière d’amiante. Aucun équipement de protection, ni même des masques n’était fourni pour ces travaux.

c. Par décision sur opposition du 23 novembre 2021, reçue le 3 décembre 2021, la SUVA a confirmé sa décision du 2 décembre 2020, sur la base des dernières déterminations de son spécialiste de la sécurité au travail et de sa médecin du travail du 3 novembre 2021. Même en prenant en compte l’activité de manœuvre dans des entreprises de construction générale et de voies ferrées dans la région genevoise de 1963 à 1968 et en retenant les scénarios les plus défavorables, l’exposition à l’amiante s’élevait seulement à 7.59 fibres-années pour toute la période de 1962 à 1968, soit un total largement inférieur à 25 fibres-années.

C. a. Par acte du 18 janvier 2022, la veuve de l’assuré, représentée par un avocat, a interjeté recours contre cette décision. Elle a conclu au renvoi du dossier à l’intimée pour complément d’instruction. En substance, la recourante a fait grief à l’intimée de ne pas avoir activement instruit le dossier de son mari avant de rendre une décision, laquelle était basée sur de simples suppositions, et d’avoir calculé l’exposition à l’amiante de manière expéditive et grossière, sans même avoir recherché la réelle activité du défunt auprès d’C______ et sans avoir cherché à établir le nom et les activités des employeurs successifs en Suisse. Elle a exposé que son époux avait travaillé pour la société C______ du 17 octobre 1962 au
1er février 1963, puis pour l’entreprise G______, avant de passer ses dernières années professionnelles à Genève, sans que le nom des entreprises ne ressorte de la documentation en sa possession. Elle a relevé qu’il existait à Näfels plusieurs sociétés homonymes et l’intimée n’avait pas cherché à déterminer si on pouvait se trouver devant « une nouvelle entreprise en lien avec G______ » dont elle aurait repris l’activité dans le domaine de la construction ou si, au contraire, il s’agissait d’un simple cas d’homonymie. L’intimée n’avait pas non plus tenté d’obtenir des informations auprès d’anciens collègues et n’avait effectué aucune recherche sérieuse. Elle a soutenu qu’une exposition à l’amiante de durée réduite pouvait, malgré tout, provoquer, des dizaines d’années après, de graves atteintes à la santé. Dans un cas similaire, l’intimée avait retenu que l’assuré avait été exposé à l’équivalent de 75 années amiante pour une durée de travail auprès d’C______ inférieure à une année (dossier H______ dont elle requérait la production). Il incombait à l’intimée de déterminer la réelle activité de son époux auprès d’C______, notamment en demandant à l’entreprise l’ensemble du dossier de son ancien employé, avec la précision des protections dont les travailleurs étaient alors pourvus, de déterminer les autres activités en Suisse de l’intéressé, notamment à Näfels et à Genève. Elle devait aussi déterminer l’exposition globale à l’amiante durant les années 1960. C’était seulement s’il devait être impossible de déterminer l’exposition de l’intéressé à l’amiante que la question des preuves et des conséquences qui en découlaient devrait être abordée.

b. Dans sa réponse du 17 février 2022, l’intimée a conclu au rejet du recours, maintenant qu’elle avait été fondée à nier l'existence d'une maladie professionnelle et le droit à des prestations. Elle a souligné avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour éclaircir au mieux les faits nécessaires à la définition du cas. Elle a rappelé que l'assuré avait travaillé en Suisse au cours des années 1960, soit il y a 60 ans, et qu'il était décédé en 1997, à savoir il y a 25 ans, ce qui avait rendu difficile la récolte d'informations. Malgré ces limites, elle avait fait de son mieux pour éclaircir les faits. Dans le cadre de ses recherches, elle avait sollicité à plusieurs reprises la production de documents médicaux de la part de la recourante et avait vérifié la présence d’autres informations médicales, notamment dans le PACS. Elle avait agi avec diligence et précision, et rien ne pouvait lui être reproché à ce niveau. Ses recherches sur les activités de l'assuré en Suisse s’étaient fondées sur les données officielles, soit la documentation de la Caisse de compensation, et sur les informations fournies et récoltées auprès de la recourante. Une enquête à caractère général du style « fishing expedition », alors que l'histoire professionnelle de l'assuré en Suisse résultait déjà clairement de la documentation récoltée, n'aurait eu guère de sens. Concernant l’affaire H______ citée par la recourante, il s’agissait de deux situations différentes qui avaient été évaluées selon les spécificités du cas d'espèce. Elle ne pouvait pas produire le dossier en raison de l'obligation de respecter le secret visé à l'art. 33 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000
(LPGA - RS 830.1). Vu que la recourante semblait avoir été autorisée par les héritiers de Monsieur H______ à disposer de la documentation de ce dernier, elle priait la partie adverse de bien vouloir produire le dossier concerné ainsi qu'un document la déliant du respect du secret.

c. Par écriture du 5 mars 2022, la recourante a notamment relevé que la qualification d’employé auprès du service d’expédition d’C______ se basait sur la seule affirmation de l’entreprise, sans qu’aucun document contractuel ne soit produit et en opposition avec ses déclarations. Sans approfondir cette question, l’intimée avait procédé à un calcul de l’exposition à l’amiante en se basant sur des estimations approximatives et des scénarios improbables en retenant une activité qualifiée unilatéralement d’employé au service d’expédition, sans savoir quel travail l’assuré avait effectué, chez C______ ou ailleurs. Un tel mode de procéder ne représentait certainement pas une instruction professionnelle du dossier. Il revenait à l’intimée de déterminer avec précision les activités du défunt chez C______, de trouver si possible d’anciens collègues qui auraient pu apporter des précisions à cet égard, ainsi que les autres activités en Suisse.

c. Par écriture du 1er juin 2022, l’intimée a maintenu avoir instruit le dossier du mieux possible, compte tenu du long délai qui s’était écoulé depuis les faits, en récoltant toute la documentation disponible. Elle avait sollicité à maintes reprises l’avis de ses experts en médecine du travail, en déployant tous les efforts nécessaires à la bonne instruction du dossier.

d. Le 8 juin 2022, la recourante a persisté dans les termes et conclusions de son recours.

e. Le 11 janvier 2023, l’intimée a produit, sur demande de la chambre de céans, la traduction en français des courriers de la recourante, ainsi que des évaluations techniques de Monsieur spécialiste en sécurité et santé au travail auprès de la SUVA) des 28 avril 2020 et 3 novembre 2021 relatives à l’exposition à l’amiante.

f. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

En vertu de l’art. 58 LPGA, le tribunal des assurances compétent est celui du canton de domicile de l’assuré ou d’une autre partie au moment du dépôt du recours (al. 1). Si l’assuré ou une autre partie sont domiciliés à l’étranger, le tribunal des assurances compétent est celui du canton de leur dernier domicile en Suisse ou celui du canton de domicile de leur dernier employeur suisse ; si aucun de ces domiciles ne peut être déterminé, le tribunal des assurances compétent est celui du canton où l’organe d’exécution a son siège.

La compétence de la chambre de céans pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au
1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4.             Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. Dans la mesure où l'accident est survenu avant cette date, le droit de la recourante aux prestations d'assurance est soumis à l'ancien droit (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2016 du 23 mai 2017 consid. 2.2). Les dispositions légales seront citées ci-après dans leur teneur en vigueur au moment déterminant.

5.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56ss LPGA ; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Selon l’art. 38 LPGA, si le délai, compté par jours ou par mois, doit être communiqué aux parties, il commence à courir le lendemain de la communication (al. 1). Les délais en jours ou en mois fixés par la loi ou par l’autorité ne courent pas du 18 décembre au 2 janvier inclusivement (al. 4 let. c).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours du
18 janvier 2022 contre la décision sur opposition du 23 novembre 2021, notifiée le 3 décembre 2021, est recevable.

6.             Le litige porte sur la question de savoir si la maladie qui a conduit au décès de l'assuré peut être ou pas considérée en tant que maladie professionnelle donnant droit à des prestations de l'assureur accidents.

7.             Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle.

En vertu des art. 28 et 29 LAA, lorsque l'assuré décède des suites de l'accident, le conjoint survivant a droit à une rente ou à une indemnité en capital, à certaines conditions.

7.1 La responsabilité de l’assureur-accidents s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle (ATF 119 V 335 consid. 1 ; ATF 118 V 286 consid. 1b et les références) et adéquate avec l’événement assuré (ATF 125 V 456 consid. 5a et les références).

7.2 Selon l'art. 9 LAA sont réputées maladies professionnelles les maladies
dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l'exercice de l'activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux. Le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu'ils provoquent (al. 1). Sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu'elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l'exercice de l'activité professionnelle (al. 2). Sauf disposition contraire, la maladie professionnelle est assimilée à un accident professionnel dès le jour où elle s'est déclarée. Une maladie professionnelle est réputée déclarée dès que la personne atteinte doit se soumettre pour la première fois à un traitement médical ou est incapable de travailler (al. 3).

Aux termes de l’art. 14 de l’ordonnance sur l'assurance-accidents du
20 décembre 1982 (OLAA - RS 832.202), les substances nocives et les maladies dues à certains travaux au sens de l'art. 9 al. 1 LAA sont énumérées à l'annexe.

Se fondant sur cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a dressé à l'annexe I de l'OLAA la liste des substances nocives, d'une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d'autre part. Ces substances et travaux, ainsi que les affections dues à ceux-ci, sont énumérés de manière exhaustive (arrêt du Tribunal fédéral 8C_757/2018 du 28 mars 2019 consid. 4.2 et la référence).

7.2.1 La reconnaissance d’une maladie professionnelle suppose un lien de causalité qualifié entre l’influence de l’agent nocif et l’affection. Il ne suffit donc pas que l’agent soit une cause parmi d’autres de celle-ci. C’est pourquoi la seule exposition à une substance nocive ne saurait présumer l’existence d’un lien de causalité entre celle-ci et l’affection, et encore moins établir l’exigence d’une relation prépondérante (arrêts du Tribunal fédéral 8C_155/2020 du 1er avril 2020 et 8C_306/2014 du 27 mars 2015 consid. 5.2).

Selon la jurisprudence, l'exigence d'une relation prépondérante est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l'action d'une substance nocive mentionnée dans la première liste, ou que, dans la mesure où elle figure parmi les affections énumérées dans la seconde liste, elle a été causée à raison de plus de 50% par les travaux indiqués en regard. En revanche, l'exigence d'une relation exclusive signifie que la maladie professionnelle est due pratiquement à 100 % à l'action de la substance nocive ou du travail indiqué (ATF 119 V 200 consid. 2a et la référence ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_306/2014 du 27 mars 2015 consid. 3).

La condition d'un lien exclusif ou nettement prépondérant n'est réalisée que si la maladie a été causée à 75% au moins par l'exercice de l'activité professionnelle (ATF 126 V 183 consid. 2b ; ATF 119 V 200 consid. 2b et la référence). Cela signifie, pour certaines affections qui ne sont pas typiques d'une profession déterminée, que les cas d'atteinte pour un groupe professionnel particulier doivent être quatre fois plus nombreux que ceux que compte la population en général
(ATF 116 V 136 consid. 5c ; RAMA 2000 n° U 408 p. 407 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_73/2017 du 6 juillet 2017 consid. 2.2, publié in : SVR 2017 UV n° 46 p. 158).

7.3 Les principaux risques pour la santé associés à l'exposition à l'amiante sont le développement de fibroses (asbestose, lésions pleurales) et de cancers (essentiellement carcinome bronchique et mésothéliome). Le risque de développement d'une maladie en raison d'une exposition à l'amiante dépend en particulier de l'intensité et de la durée d'exposition. Le temps de latence avant l'apparition de la maladie est important (jusqu'à 40 ans, voire plus, pour les cancers ; SCHÖNBERGER, MEHRTENS, VALENTIN, Arbeitsunfall und Berufskrankheit, Rechtliche und medizinische Grundlagen für Gutachter, Sozialverwaltung, Berater und Gerichte, 7ème éd., Berlin 2003, p. 1167 ; TRIEBIG, KENTNER, SCHIELE, Arbeitsmedizin, Handbuch für Theorie und Praxis, Stuttgart 2003, p. 397 sv.).

Le carcinome bronchique est une atteinte répandue même dans une population qui n'a pas été exposée à des poussières d'amiante. L'étiologie est multifactorielle et il n'existe pas de critère clinique ou anatomo-pathologique permettant d'isoler de façon certaine les cas de cancer du poumon dus aux expositions professionnelles à l'amiante (Expertise collective « Effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante », réalisée en 1996 sous l'autorité de l'Institut national français de la santé et de la recherche médicale [ci-après : expertise collective Inserm], p. 250 ss, p. 411 ; Consensus report Asbestos, asbestosis and cancer : the Helsinki criteria for diagnosis and attribution, Scandinavian Journal of Work, Environment & Health, 23/1997 [4] p. 311 ss [ci-après : Consensus report Asbestos, asbestosis and cancer]). Dans de tels cas de figure, la jurisprudence admet néanmoins de reconnaître l'origine essentiellement professionnelle d'une maladie lorsque l'on peut considérer, sur la base de données épidémiologiques, que l'exposition professionnelle à la substance nocive entraîne pour les personnes concernées un risque deux fois plus important de contracter la maladie
(ATF 133 V 421 consid. 5.1 et les références).

À titre d’exemples, le Tribunal fédéral a déjà jugé qu’un carcinome des bronches (cancer du poumon) peut survenir à cause de l'amiante, mais qu’il existe également de nombreuses autres causes possibles. Partant, le diagnostic en tant que tel ne permet pas de répondre de manière fiable à la question de savoir si la maladie a été causée de manière prépondérante par la substance nocive et doit donc être considérée comme une maladie professionnelle. Au contraire, des éléments supplémentaires doivent être pris en compte (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_762/2008 du 7 mai 2009 consid. 5.2). Ainsi, des conditions plus strictes sont imposées à la preuve de la causalité professionnelle dans le cas de maladies qui surviennent fréquemment même sans exposition à une substance toxique (arrêt du Tribunal fédéral 8C_67/2010 du 8 juin 2010 consid. 4.1).

8.             La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l'accident, l'incapacité de travail, l'invalidité, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale) supposent l'instruction de faits d'ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l'assuré à des prestations, l'administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d'assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1).

Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).

Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).

9.             Selon l’art. 43 al. 1 LPGA, l’assureur examine les demandes, prend d’office les mesures d’instruction nécessaires et recueille les renseignements dont il a besoin. Les renseignements donnés oralement doivent être consignés par écrit.

9.1 Dans le domaine des assurances sociales, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel il appartient à l’assureur d’établir d’office l’ensemble des faits déterminants et d’administrer, le cas échéant, les preuves nécessaires. L’assureur n’est lié ni par les faits allégués, ni par les faits admis, ni par les moyens de preuve invoqués par la personne assurée ; il ordonne d’office l’administration de tous les moyens de preuve propres et nécessaires à établir les faits pertinents. Sous réserve des mesures d’instruction complémentaires induites par la procédure d’opposition, l’assureur doit établir l’état de fait déterminant avant de rendre sa décision ou son préavis et ne peut pas renvoyer cette tâche à la procédure subséquente. Sont considérés comme nécessaires tous les moyens de preuve qui permettent d’établir les faits pertinents pour l’application du droit. Lorsque la mise en œuvre d’un moyen de preuve appelle un certain comportement (actif ou passif) de la part de la personne assurée, il convient par ailleurs d’examiner, conformément au principe de proportionnalité, si ce comportement peut être raisonnablement exigé. L’examen du caractère raisonnablement exigible d’une mesure d’instruction requiert que soit pris en considération l’ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas particulier. L’assureur n’a pas à épuiser toutes les possibilités d’investigations, s’il estime, par une appréciation anticipée des preuves fournies par les investigations auxquelles il a déjà procédé, que certains faits présentent le degré de preuve requis par les circonstances et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation. À l’inverse, l’assureur ne peut renoncer à mettre en œuvre des mesures d’instruction complémentaires, lorsqu’il apparaît, sur la base du dossier ou des allégations de la personne assurée, que les faits pertinents n’ont pas été établis de manière correcte et complète ou qu’il existe des contradictions insurmontables (Jacques Olivier PIGUET, in Commentaire romand de la LPGA, 2018, n° 9 à 12 ad art. 43 LPGA).

Le devoir d'instruction s'étend jusqu'à ce que les faits nécessaires à l'examen des prétentions en cause soient suffisamment élucidés (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1012/2008 du 30 juin 2009 consid. 3.2.1 et les références). Selon la jurisprudence, la grande diversité des situations d'expertise exige de la souplesse et l'assureur dispose d'une grande marge d'appréciation en ce qui concerne la nécessité, l'étendue et l'adéquation des investigations médicales (ATF 147 V 79 consid. 7.4.2 et les références).

9.2 Le principe inquisitoire s’applique également à l’instruction de demandes qui présentent des éléments d’extranéité. Dans la mesure du possible et du nécessaire, l’assureur doit alors agir en collaboration avec les autorités étrangères compétentes. Les instruments à disposition des autorités suisses leur permettant de recueillir des moyens de preuve situés à l’étranger étant néanmoins limités, il y a lieu de poser des exigences élevées quant à l’obligation de collaborer de la personne assurée (cf. Jacques Olivier PIGUET, op. cit., n° 59 ad Art. 43 LPGA).

L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP – RS 0.142.112.681), entré en vigueur le 1er juin 2002, prévoit à son art. 8 que les parties règlent, conformément à l’annexe II, la coordination des systèmes de sécurité sociale dans le but d’assurer notamment l’égalité de traitement (let. a), la détermination de la législation applicable (let. b), ou encore le paiement des prestations aux personnes résidant sur le territoire des parties contractantes (let. d).

L’ALCP est notamment applicable aux ressortissants des États membres de la Communauté européenne – et notamment aux ressortissants italiens – et de la Suisse.

Selon l'art. 1 par. 1 de l'annexe II de l'ALCP – intitulée « Coordination des systèmes de sécurité sociale », fondée sur l'art. 8 ALCP précité et faisant partie intégrante de celui-ci (art. 15 ALCP) – en relation avec la section A de cette annexe, les parties contractantes appliquent entre elles en particulier le règlement (CEE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004.

Ainsi, selon l’art. 82 du Règlement (CE) no 883/2004, les expertises médicales prévues par la législation d’un État membre peuvent être effectuées, à la requête de l’institution compétente, dans un autre État membre, par l’institution du lieu de résidence ou de séjour du demandeur ou du bénéficiaire de prestations, dans les conditions prévues par le règlement d’application ou convenues entre les autorités compétentes des États membres concernés. À teneur de l’art. 87 al. 1 du Règlement (CE) no 987/2009, nonobstant d’autres dispositions, lorsqu’un bénéficiaire ou un demandeur de prestations, ou un membre de sa famille, séjourne ou réside sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où se trouve l’institution débitrice, le contrôle médical est effectué, à la demande de cette institution, par l’institution du lieu de séjour ou de résidence du bénéficiaire conformément aux procédures prévues par la législation que cette institution applique. L’institution débitrice communique à l’institution du lieu de séjour ou de résidence toute exigence particulière à respecter, au besoin, ainsi que les points sur lesquels doit porter le contrôle médical. L’alinéa 2 de cette même disposition prévoit également que l’institution du lieu de séjour ou de résidence transmet un rapport à l’institution débitrice qui a demandé le contrôle médical. Cette institution est liée par les constatations faites par l’institution du lieu de séjour ou de résidence.

9.3 Le principe inquisitoire n'est pas absolu. Sa portée peut être restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire (ATF 138 V 86
consid. 5.2.3). Celui-ci comprend en particulier l'obligation de ces dernières d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 139 V 176 consid. 5.2 et les références ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_693/2020 du 26 juillet 2021 consid. 4.1 et 8C_747/2018 du 20 mars 2019 consid. 2.2). Au surplus, la portée du principe inquisitoire est restreinte lorsque l'assuré est assisté d'un mandataire professionnel (ATF 138 V 86 consid. 5.2.3).

Si le principe inquisitoire dispense les parties de l'obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve, dans la mesure où, en cas d'absence de preuve, c'est à la partie qui voulait en déduire un droit d'en supporter les conséquences, sauf si l'impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse. Cette règle ne s'applique toutefois que s'il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d'établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 139 V 176 consid. 5.2 et les références).

9.4 Le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l'administration reste possible, notamment lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

10.          

10.1 En l'occurrence, la recourante fait grief à l’intimée d’avoir insuffisamment instruit le dossier.

10.2 Au niveau médical, la docteure J______, spécialiste en médecine interne et médecine du travail, responsable de secteur auprès du service de médecine du travail de la SUVA, a relevé que le dossier médical ne précisait pas le type de tumeur pulmonaire dont l’assuré était atteint et que le système PACS ne contenait aucune radiographie. Elle a expliqué que la description patho-anatomique sur les clichés de la tomodensitométrie ne correspondait pas à un mésothéliome pleural, mais beaucoup plus à une tumeur pulmonaire, de quelque type qu'elle soit. Il s'agissait selon elle plutôt d'un carcinome pulmonaire avec des métastases du côté opposé. Or, les tumeurs pulmonaires ne pouvaient être prises en charge comme maladies professionnelles dues à l'amiante que si l'exposition aux fibres d'amiante avait été suffisamment élevée, c'est-à-dire si elle atteignait 25 fibres-année selon les critères d'Helsinki (cf. rapport du 22 mai 2019).

La docteure K______, spécialiste en médecine interne, pneumologie et médecine du travail auprès de la SUVA, a relevé que la nature de la tumeur pulmonaire droite métastasée n’était pas confirmée histologiquement et qu’elle ne disposait pas des radiographies permettant de déterminer s’il s’agissait éventuellement d’une pneumoconiose due à l’amiante (asbestose) ou une fibrose pleurale (cf. rapports des 28 janvier et 10 août 2020), mais que le diagnostic de carcinome bronchique pouvait être considéré comme certain à la lumière des documents médicaux fournis (cf. rapport du 10 août 2020). Concernant l'exposition aux fibres d'amiante, évaluée par les spécialistes à 4 fibres-année pour l’activité auprès d’C______ du 17 octobre 1962 au 1er février 1963, en se basant sur les scénarios les plus pessimistes faute de connaître les activités exactes et les périodes d’exposition. D’après les critères d’Helsinki, cela ne suffisait pas pour que le carcinome bronchique puisse être pris en charge en tant que maladie professionnelle liée à l’amiante. Concernant les autres activités professionnelles, elle a encore rappelé que, selon les informations de la veuve, l’assuré n’avait plus été exposé après son retour en Italie, où il avait travaillé dans le domaine estudiantin du service public, et qu’elle ne savait pas ce que l’assuré avait effectué comme travail en Suisse en 1964, 1967 et 1968, les employeurs concernés n’apparaissant pas sur l’extrait AVS et n’ayant pas pu être identifiés. Elle partait du principe que, dans le cadre de cette activité, l’assuré avait travaillé dans le domaine de la construction et qu’il n’y avait pas lieu de supposer une exposition importante à l’amiante, susceptible d’atteindre au total 25 fibres-années
(cf. rapport du 10 août 2020). Ainsi, sur la base des informations à disposition, la Dre K______ a estimé qu’on pouvait supposer que l’assuré n'avait plus été exposé à l'amiante après son retour en Italie, ce qui permettait de confirmer qu’il n’avait été exposé à l’amiante qu’en Suisse, mais que cette exposition n’était pas suffisante pour que le carcinome bronchique puisse être pris en charge en tant que maladie professionnelle (cf. rapports des 24 novembre 2020 et 17 novembre 2021).

10.2.1 La chambre de céans constate que les spécialistes de l’intimée se sont basées sur l’ensemble des pièces à leur disposition, soit les dossiers médicaux de l'Azienda Unità Sanitaria Locale (Lecce), de l’Ospedale Card. G. Panico à Tricase (Lecce), de la Fondazione Centro San Raffaele (Milan) et de l’Ospedale Sollievo Sofferenza di San Giovanni Rotondo (Foggia), qui contenaient de nombreux rapports d’examen et d’analyse de laboratoire, réalisés durant ces séjours remontant à 1996 et 1997. Elles ont procédé à une étude approfondie de ces documents qu’elles ont résumés et commentés.

Les Dres J______ et K______ ont en outre insisté sur la nécessité d’obtenir le dossier radiologique afin de pouvoir étudier elles-mêmes les images et écarter un éventuel diagnostic d’asbestose ou de fibrose pleurale. La recourante a confirmé à plusieurs reprises qu’elle avait transmis toutes les pièces médicales en sa possession et qu’elle ne disposait pas des clichés demandés
(cf. courriers des 14 février, 10 juillet et 4 septembre 2020). Partant, sur la base des rapports étudiés, les médecins de l’intimée ont retenu l’existence d’un carcinome bronchique, diagnostic qui correspond à celui posé par les médecins de l’Ospedale Card. G. PANICO à Tricase (Lecce), dont les rapports mentionnent un carcinome pulmonaire avec des métastases cérébrales, et de l'Azienda Unità Sanitaria Locale (Lecce), dont les documents font état d’une néoformation pulmonaire droite et du diagnostic définitif de tumeur du poumon droit, d’adénopathie médiastinale, nodulation pulmonaire.

Les spécialistes de l’intimée ont expliqué qu’en présence d’une telle atteinte, l’exposition à l’amiante devait s’élever à 25 fibres-année selon les critères d’Helsinki pour que l’existence d’une maladie professionnelle puisse être retenue.

10.2.2 La recourante ne se prévaut d’aucun argument de nature médicale et ne conteste pas l’appréciation des médecins de l’intimée. Elle a d’ailleurs elle aussi indiqué que son mari présentait un carcinome pulmonaire (cf. courrier du
10 juillet 2020).

10.2.3 Dans ces conditions, la chambre de céans ne constate aucun élément susceptible de remettre en cause les conclusions des Dres J______ et K______, dûment motivées et convaincantes.

10.3 Il n’en va en revanche pas de même de l’anamnèse professionnelle retenue par l’intimée et sur laquelle se sont fondées les Dres J______ et K______.

10.3.1 Selon l’extrait de compte individuel de l’assuré, ce dernier a travaillé pour la société C______ AG en 1962 et 1963, pour l’entreprise G______ à Näfels en 1963, et il a en outre perçu des revenus pour les 1964, 1967 et 1968 avec la seule mention « Caisse de compensation D, 1201 Genève ».

L’intimée a sollicité des renseignements auprès d’C______, qui lui a répondu, lors d’une conversation téléphonique du 2 août 2019 et par courriel du 15 août 2019, que l’assuré avait été employé par la société du 17 octobre 1962 au 1er février 1963 en qualité de manutentionnaire dans le domaine du transfert, sans pouvoir toutefois décrire exactement ce poste.

Dans une appréciation du 28 avril 2020, Monsieur I______, spécialiste de la sécurité au travail, a rappelé que l’assuré avait travaillé dans l’unité expédition d’C______ du 17 octobre 1962 au 1er février 1963, sans que ses activités exactes et le temps d’exposition à l’amiante ne soient connus. Il n’existait pas de mesures de la SUVA pour ladite exposition dans l’entreprise concernée pour les années 1962-1963. Selon les tables déterminantes, on pouvait appliquer pour les articles en amiante-ciment dans la production industrielle des années 1962-1963 une valeur de 100 f/ml (correspondant au 90ème percentile). L’époux de la recourante ayant œuvré dans des activités hors processus de fabrication, il s’était trouvé dans une situation d’exposition passive pour laquelle la valeur admissible était de 10% de la concentration sur le poste de travail adjacent. Ainsi, en retenant le pire scénario, il évaluait à 4 fibres-années l’exposition professionnelle cumulée aux fibres d’amiante pour la période de travail auprès d’C______.

La Dre K______ a expliqué que, d’après les critères d’Helsinki, l’exposition retenue par M. I______ ne suffisait pas pour que le carcinome bronchique puisse être pris en charge en tant que maladie professionnelle liée à l’amiante. Elle a toutefois également rappelé qu’elle ne savait pas quelles activités l’assuré avait effectuées en 1964, 1967 et 1968 puisque les employeurs n’apparaissant pas sur l’extrait AVS. Même s’il n’y avait pas lieu de supposer une exposition importante à l’amiante susceptible d’atteindre au total 25 fibres-années, elle proposait, par souci d’exhaustivité, d’essayer encore une fois de savoir où l’intéressé avait travaillé durant ces années (cf. rapport du 10 août 2020).

Par la suite, à l’appui de son opposition, la recourante a exposé que son défunt mari avait travaillé pour une entreprise de construction de bâtiments et de voies ferrées à Genève, de 1963 à 1968 (cf. courriers des 12 mars et 23 avril 2021). Elle a également indiqué que contrairement à ce que l’intimée avait retenu, l’assuré n’avait pas œuvré en tant que magasinier au service des expéditions, mais bien comme ouvrier, presque exclusivement en contact avec l’amiante. À l’appui de ses dires, elle a produit des déclarations datées d’avril 2021 de trois anciens collègues de l’assuré (dont son frère) auprès d’C______ et dont il ressort :

-          que M. D______, ouvrier auprès d’C______ dans les années 1960-1970  se souvient précisément que le mari de la recourante travaillait à l’intérieur de l’usine C______ et qu’il était chargé d’imperméabiliser les objets en amiante-ciment en appliquant du bitume. Avant l’application de la couche imperméable, l’objet en amiante-ciment était dépoussiéré manuellement par les opérateurs, dont l’assuré, lesquels voyaient leurs vêtements de travail et les parties exposées de leur corps saupoudrés d’amiante ;

-          que M. L______, ouvrier à l’entreprise C______ à Niederurnen de 1963 à fin 1964 a travaillé directement avec l’assuré durant une certaine période, effectuant les mêmes tâches d’ouvrier que lui, à savoir le traitement des objets en amiante-ciment et notamment leur imperméabilisation. De grandes quantités de poussière d’amiante se développaient pendant l’exécution de cette tâche. L’amiante circulait en outre dans toutes les zones de l’usine, y compris les bureaux, dont l’accès était interdit aux ouvriers. Aucun équipement de protection n’avait jamais été fourni par l’entreprise ;

-          que M. F______, frère de l’assuré et ouvrier d’C______ à Niederurnen de 1962 à 1965 se souvient que son frère avait travaillé durant quelques mois comme ouvrier également chez C______, en charge de l’imperméabilisation des objets en amiante-ciment, notamment au goudron. Il devait préalablement nettoyer manuellement l’objet à imperméabiliser, ce qui générait de grandes quantités de poussière d’amiante. Aucun équipement de protection, ni même des masques, n’était fourni pour ces travaux.

Après avoir pris connaissance du contenu de l’opposition, M. I______ a complété son évaluation en y intégrant la période de seize mois durant laquelle l’assuré avait travaillé à Genève entre 1963 et 1968 (cinq mois en 1964, cinq mois en 1967 et six mois en 1968), considérant qu’il avait alors été exposé à l’amiante durant 3.59 fibres-années, soit un total de 7.59 fibres-années (prise de position du 11 novembre 2021). Il ne fait en revanche pas état des affirmations de la recourante selon lesquelles, lorsque l’assuré œuvrait pour le compte d’C______ à Niederurnen, il intervenait en contact direct avec l’amiante, dépoussiérant manuellement l’objet en amiante-ciment avant d’y appliquer une couche imperméable, ce sans protection.

Ces allégations sont pourtant déterminantes dans la mesure où, si elles s’avèrent justes, cela pourrait signifier que l’époux de la recourante s’est trouvé dans une situation d’exposition active à l’amiante, dans le cadre du processus de fabrication. Or, selon les explications de M. I______ du 28 avril 2020, une exposition de ce type engendre une concentration dix fois supérieure à celle prévalant dans le cas d’une exposition passive, depuis le poste de travail adjacent. Ces allégations sont en outre corroborées par les déclarations écrites et concordantes de trois anciens collègues, témoins directs des faits.

Au vu de ces éléments, la chambre de céans considère que l’hypothèse retenue par la recourante quant à l’activité exercée par son mari chez C______ a été rendue suffisamment vraisemblable pour justifier, au minimum, des investigations complémentaires de la part de l’intimée. C’est d’autant plus évident que celle-ci a fondé sa détermination quant au statut de l’assuré sur la base des seuls renseignements qu’elle a reçus de l’entreprise elle-même, lesquels se sont avérés fort maigres, vu qu’il a uniquement été indiqué que l’intéressé avait été employé par la société du 17 octobre 1962 au 1er février 1963 en qualité de manutentionnaire dans le domaine du transfert, sans qu’il soit possible à la représentante d’C______ de décrire en quoi consistait ce poste.

Dans ces circonstances, il n’est pas convaincant que l’intimée fonde tout son raisonnement sur ces informations lacunaires, sans même se déterminer sur les attestations fournies par la recourante, dont le contenu est pourtant concordant et passablement détaillé. L’intimée se devait pour le moins d’essayer de prendre contact avec ses personnes ou de se renseigner sur elles auprès d’C______ afin d’obtenir des renseignements sur leur compte. On pouvait également attendre de l’intimée qu’elle tente d’obtenir d’C______ les coordonnées d’autres employés encore en vie et qui auraient également œuvré en qualité de manutentionnaires dans le domaine du transfert durant les années 1963-1964 afin de clarifier la nature de cette activité-

En l’état, la chambre de céans ne saurait considérer qu’il est établi au degré de la vraisemblance prépondérante que l’assuré a uniquement été exposé de manière passive à l’amiante. Dans la mesure où toute l’évaluation de M. I______ ainsi que l’appréciation des Dres J______ et K______ reposent sur cette prémisse erronée, il convient de renvoyer le dossier à l’intimée afin qu’elle investigue plus en avant la nature exacte de l’activité de l’époux de la recourante auprès d’C______, qu’elle procède sur cette base à une nouvelle évaluation de l’exposition à l’amiante et rende une nouvelle décision.

11.         Le recours est partiellement admis et la décision sur opposition du 23 novembre 2021 est annulée.

12.         Assistée par un mandataire professionnellement qualifié et obtenant gain de cause, la recourante a droit à des dépens, qui seront fixé à CHF 2'000.- (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émolument et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).

13.         Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let.fbis LPGA a contrario).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition de l’intimée du 23 novembre 2021.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour investigation complémentaire au sens des considérants.

5.      Alloue une indemnité de CHF 2'000.- à la recourante à charge de l'intimée.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Stefanie FELLER

 

La présidente

 

 

 

 

Fabienne MICHON RIEBEN

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le