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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3074/2021

ATA/444/2022 du 26.04.2022 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3074/2021-EXPLOI ATA/444/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 avril 2022

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

représenté par Monsieur Cédric Liaudet, mandataire

contre

VILLE DE GENÈVE - SERVICE DE L'ESPACE PUBLIC

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1960, a été autorisé, par décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) du 12 mars 2021, à exploiter un établissement public de catégorie café-restaurant à l'enseigne « B______ », sis chemin C______ à Genève et propriété de la société D______ SA (ci-après : D______).

2) M. A______ avait été engagé par D______ – dont il a la signature collective à deux – en tant que directeur par contrat de travail du 1er décembre 2020.

3) L'immeuble où est situé l'établissement est propriété de la société coopérative d'habitation Genève (ci-après : SCHG).

4) Le 2 juillet 2021, M. A______ a demandé au service de l'espace public (ci-après : SEP) de la Ville de Genève (ci-après : la ville) l'autorisation d'utiliser une terrasse sise sur le domaine privé devant son établissement. Le motif de la demande était un changement d'exploitant.

5) Par décision du 30 juillet 2021, le SEP a refusé de délivrer l'autorisation sollicitée.

L'art. 4 de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) prévoyait que l'accord du propriétaire du terrain était nécessaire pour l'exploitation d'une terrasse sur le domaine privé.

Il s'agissait donc d'une condition impérative. Or, la demande ne contenait pas un tel accord ; au contraire, la SCHG s'y était formellement opposée.

6) Par acte posté le 14 septembre 2021, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant, « sous suite de frais et dépens », à son annulation et à l'octroi de l'autorisation d'exploiter la terrasse du restaurant « B______ ».

La SCHG commettait manifestement un abus de droit en s'opposant soudainement, après plus de cinquante ans – le restaurant et sa terrasse étaient exploitées par la même société depuis sa création en 1969 –, à l'exploitation de la terrasse du B______. Ce refus ne visait qu'à nuire à son locataire (D______), dont elle avait résilié l'ensemble des baux. « Bien mal embarquée » dans la procédure de contestation desdites résiliations auprès du Tribunal des baux et loyers (ci-après : TBL), dont les deux causes étaient gardées à juger, elle utilisait tout moyen susceptible de nuire à D______.

En 2018, celle-ci avait cédé le fonds de commerce du B______ et du « E______ », discothèque située dans les caves du B______ et bénéficiant d'un bail séparé, à la société F______ Sàrl (ci-après : la Sàrl). Les partenaires contractuels avaient convenu d'un achat à terme, la Sàrl exploitant « B______ » dans l'intervalle. D______ avait informé la SCHG du nouvel exploitant par courriel du 28 juillet 2018.

À partir de ce moment, la SCHG avait prétexté d'un retard dans la production d'éléments utiles pour l'autorisation éventuelle de la sous-location pour résilier la dizaine de baux détenus par D______, ceci de manière morcelée. Ces résiliations avaient toutes été contestées auprès du TBL, qui avait joint les diverses causes en seulement deux causes distinctes, qui étaient gardées à juger depuis le mois de mai 2021.

La SCHG refusait désormais que D______ exploite la terrasse du B______, alors même qu'elle avait été informée le 27 août 2021 que le contrat avec la Sàrl avait été annulé et que seule D______ était propriétaire aux yeux du PCTN. À cet égard, la requête de changement d'exploitant était également subordonnée à la permission de la SCHG, mais le PCTN avait passé outre au vu des décennies d'exploitation passées.

La ville avait fondé son refus sur celui du propriétaire du terrain. Cette décision restreignait gravement sa liberté économique. Elle était certes fondée sur une base légale, mais au vu de la situation de fait (refus soudain de la SCHG, sans indication de motif autre que la résiliation du bail, laquelle faisait l'objet d'une contestation en justice, conflit entre la SCHG et le requérant) elle aurait dû passer outre. La décision attaquée protégeait dès lors l'exercice abusif d'un droit, ce qui était prohibé par l'art. 2 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). La sécurité juridique commandait de rétablir une situation « conforme depuis des décennies ».

7) Le 22 octobre 2021, la ville a conclu au rejet du recours.

Elle avait appliqué l'art. 4 al. 2 LRDBHD, et ne pouvait passer outre cette disposition légale. Ce faisant, elle se muerait en arbitre d'un litige qui procédait exclusivement du droit privé et relevait des juridictions civiles compétentes. L'emploi dans la loi de l'adjectif « nécessaire » témoignait de ce qu'elle ne disposait pas d'une quelconque latitude d'appréciation à cet égard.

Elle n'était pas opposée à une suspension de la procédure jusqu'à droit jugé dans le litige en matière de baux et loyers.

8) Le 2 novembre 2021, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 19 novembre 2021 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

9) Le 15 novembre 2021, M. A______ a persisté dans ses conclusions, en demandant la suspension de la cause jusqu'à droit connu au TBL.

10) Le 17 novembre 2021, la ville a persisté dans ses conclusions.

L'avocate de la SCHG avait informé la ville, le 15 novembre 2021, que les exploitants du B______ avaient édifié une structure vitrée autour de l'aire de terrasse et semblaient faire usage de cette dernière. Un agent du SEP avait procédé à un constat, photographies à l'appui, qui confirmait ces dires. La division géomatique du SEP avait en outre procédé à une cartographie, de laquelle il ressortait que l'entier de la terrasse en cause, structure vitrée comprise, était sis sur le domaine privé.

11) Le 18 novembre 2021, la chambre administrative a informé les parties que la cause était gardée à juger, mais que si le TBL venait à rendre son jugement, elles étaient invitées à le lui communiquer.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. La terrasse est un espace en plein air, couvert ou fermé, permettant la consommation de boissons ou d'aliments, qui est accessoire à une entreprise et qui se situe sur domaine public ou privé ; la terrasse peut être saisonnière ou permanente (art. 3 let. r LRDBHD).

b. La commune du lieu de situation de l'entreprise est compétente pour autoriser l'exploitation des terrasses (art. 4 al. 2 LRDBHD et 4 al. 2 du règlement d'exécution de la LRDBHD du 28 octobre 2015 - RRDBHD - I 2 22.01). Si la terrasse est située sur domaine privé, l'accord du propriétaire du terrain est également nécessaire (art. 4 al. 2 in fine LRDBHD ; ATA/504/2021 du 11 mai 2021 consid. 6a ; ATA/83/2021 du 26 janvier 2021 consid. 5a ; ATA/1819/2019 du 17 décembre 2019 consid. 6b).

Les travaux préparatoires de cette disposition mentionnent seulement que « les terrasses sont autorisées par la commune du lieu de situation, qu’elles soient situées sur le domaine public communal ou sur le domaine privé. Naturellement, l’accord du propriétaire doit être obtenu préalablement si la terrasse se trouve sur le domaine privé » (exposé des motifs, PL 11’282 p. 55).

c. Selon la procédure ordinaire d'examen des requêtes en autorisation, la décision est notifiée par écrit à l'exploitant (art. 31 al. 15 RRDBHD). L'autorisation d'exploiter n'est en principe pas limitée dans la durée (art. 31 al. 17 RRDBHD).

3) a. Selon l'art. 27 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la liberté économique est garantie. Elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2 Cst.). La liberté économique protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu (ATF 137 I 167 consid. 3.1 ; 135 I 130 consid. 4.2).

b. Aux termes de l’art. 26 Cst., la propriété est garantie. Dans sa dimension institutionnelle, qui concerne au premier chef le législateur, la garantie de la propriété protège l’existence même de la propriété privée, comprise comme une institution fondamentale de l’ordre juridique suisse, soit la possibilité d’acquérir tous éléments patrimoniaux – les droits réels, dont la propriété mobilière et immobilière au sens étroit du CC, les droits personnels ou obligationnels, les droits immatériels, les droits acquis –, d’en jouir et de les aliéner. Dans sa fonction individuelle, elle protège les droits patrimoniaux concrets du propriétaire, d’une part leur existence, s’étendant à leur conservation, leur jouissance et leur aliénation, et d’autre part leur valeur, sous la forme, à certaines conditions, d’un droit à une compensation en cas de réduction ou de suppression (ATF 119 Ia 348 consid. 2a ; 113 Ia 126 consid. 6).

c. Selon l’art. 36 Cst., toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés (al. 1). Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (al. 2). Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé (al. 3).

À ce dernier égard, le principe de la proportionnalité exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit impliquant une pesée des intérêts ; ATA/176/2022 du 17 février 2022 consid. 6b).

4) L'interdiction de l'abus de droit se déduit du principe de la bonne foi (art. 2 al. 2 CC et art. 9 Cst.) et s'étend à l'ensemble des domaines juridiques (ATF 131 I 185 consid. 3.2.3 ; 130 IV 72 consid. 2.2). L’interdiction de l’abus de droit vaut ainsi, tout comme la notion de fraude à la loi qui en constitue une composante, en droit administratif (ATF 142 II 206 consid. 2.3). Elle vise non seulement les particuliers, mais aussi l'administration (ATF 110 Ib 332 consid. 3a). L'abus de droit consiste à utiliser une institution juridique à des fins étrangères au but même de la disposition légale qui la consacre, de telle sorte que l'écart entre le droit exercé et l'intérêt qu'il est censé protéger soit manifeste (ATF 130 IV 72 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_658/2021 du 15 mars 2022 consid. 4.2.1).

5) En l'espèce, il n'est pas contesté que l'aire dévolue à la terrasse de l'établissement « B______ » est située sur le domaine privé, sur une parcelle propriété de la SCHG. Il est également constant que cette dernière n'a pas donné son accord préalable à l'exploitation de la terrasse. Dans ces conditions, l'intimée a fait une correcte application de l'art. 4 al. 2 in fine LRDBHD. Reste à examiner si d'autres règles de droit, par hypothèse supérieures, s'opposeraient à une telle application.

Le recourant ne démontre pas que la décision attaquée lui cause un préjudice économique ; on peut toutefois le supposer. Le refus litigieux est néanmoins prévu par une loi au sens formel, ce que le recourant admet lui-même. De plus, la disposition légale en cause a vocation à protéger les droits fondamentaux d'autrui, à savoir la garantie de la propriété dont bénéficie la SCHG, garantie qui serait atteinte si les communes avaient la possibilité d'admettre l'exploitation de terrasses sur le domaine privé sans l'assentiment du propriétaire. Enfin, du point de vue de la proportionnalité, le refus est propre à garantir le respect des droits de la société propriétaire, aucune autre mesure moins incisive ne serait à même de le faire, et une pesée des intérêts en présence ne permet pas d'aboutir à un autre résultat au vu de ce qui suit.

Le recourant invoque en effet un abus de droit de la part de la société propriétaire, mais la question de savoir si l'exploitation de la terrasse fait partie de l'usage convenu des locaux et que le bailleur doit la tolérer, ou si elle doit faire l'objet d'une permission du bailleur d'étendre ledit usage, ressortit quoi qu'il en soit au droit du bail. Il n'appartenait ainsi pas à l'intimée de s'immiscer dans un litige de droit privé, et c'est donc à juste titre qu'elle a considéré que l'art. 4 al. 2 in fine LRDBHD ne lui conférait en l'occurrence aucun pouvoir d'appréciation.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

6) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2021 par Monsieur A______ contre la décision de la Ville de Genève – service de l'espace public du 30 juillet 2021 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de M. A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur Cédric Liaudet, mandataire du recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève - service de l'espace public.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Ravier

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :