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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3436/2021

ATA/13/2022 du 11.01.2022 ( NAT ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3436/2021-NAT ATA/13/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 janvier 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

CONSEIL D'ÉTAT



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1985, originaire de
République de Guinée, est arrivé à Genève le 21 novembre 2006.

2) Le 18 février 2018, il a déposé une demande de naturalisation suisse et genevoise, pour la commune de Thônex, auprès du service cantonal des naturalisations (ci-après : SCN).

Il était marié depuis le 15 juillet 2016. Son épouse, de nationalité portugaise, n’était pas comprise dans sa demande. Ils avaient une fille, prénommée B______, née le ______ 2016, de nationalité portugaise. Depuis son arrivée, il n’avait jamais quitté la Suisse. Il avait été condamné pour escroquerie le 5 mars 2009 et lésions corporelles simples le 14 septembre 2010. Il aimait la Suisse. Ses enfants [sic] étaient suisses, nés à Genève. Il y habitait et y travaillait depuis dix ans. Il avait envie de « se construire en tant que citoyen suisse » et de s’intégrer davantage, notamment de pouvoir voter. Il avait choisi la Suisse pour sa qualité de vie, sa stabilité, sa fiabilité et l’efficacité de sa « structure de travail ».

3) C______, deuxième fille de M. A______, est née le ______ 2018.

4) Par courrier au SCN du 4 juillet 2018, M. A______ a précisé que sa demande de naturalisation comprenait ses deux filles.

5) Le 27 septembre 2018, le SCN a établi un rapport d’enquête. Le préavis était défavorable au vu des nombreuses condamnations de l’intéressé.

6) Par arrêté du 25 août 2021, le Conseil d’État a refusé la naturalisation genevoise à M. A______.

Il se référait à cinq condamnations. La première, du 23 janvier 2003, prononcée par un juge d’instruction genevois, portait sur une peine d’emprisonnement de deux mois, sous déduction de quarante-quatre jours de détention préventive, assortie du sursis de trois ans et d’une expulsion du territoire suisse, également assortie du sursis, pour délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121). Une deuxième, du 8 mars 2005, concernait une condamnation à une peine d’emprisonnement ferme de trente jours, sous déduction de huit jours de détention préventive et révoquait le sursis accordé le 23 janvier 2003 s’agissant de la peine d’emprisonnement. Il ressortait par ailleurs d’un extrait du casier judiciaire du 13 mars 2018 trois condamnations, soit : le 13 février 2009, par le Ministère public du canton de Genève, une peine privative de liberté de six mois avec sursis et un délai d’épreuve de quatre ans, ainsi qu’une amende de CHF 1'300.- pour escroquerie à l’encontre de l’Hospice général (ci-après : l’hospice) ; le 24 août 2010, par le Ministère public du canton de Genève, une peine de soixante-jours-amende à CHF 50,- avec sursis, un délai d’épreuve de trois ans et une amende de CHF 750.- pour lésions corporelles simples sur son conjoint ainsi que menaces ; et le 29 novembre 2013, par la chambre pénale d’appel et de révision (ci-après : CPAR), à une peine pécuniaire de cent
quatre-vingts jours amende à CHF 10.- pour infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121). Il avait subi une détention préventive de quatre cent soixante-deux jours. L’arrêt était entré en force le 29 novembre 2013.

Référence était par ailleurs faite aux renseignements de police du 6 juin 2018 selon lesquels M. A______ y était défavorablement connu depuis 2002 pour, notamment, violation de domicile, trafic de cocaïne, escroquerie à l’assurance, utilisation abusive d’une installation de télécommunication, séquestration et enlèvement, faux dans les certificats, ainsi que pour violation des règles de la circulation routière.

M. A______ n’avait pas convaincu les autorités de sa bonne intégration dans la communauté suisse et genevoise. La condamnation pour lésions corporelles était inscrite dans le casier judiciaire jusqu’au 14 septembre 2020 et celle du 2 novembre 2013 jusqu’en 2023. Il devait être considéré comme un multirécidiviste. À travers ses comportements répréhensibles en matière de trafic de cocaïne, il avait immanquablement pris le risque de mettre en danger la vie et la santé des gens, et ce par pur appât du gain. Par ailleurs, « la violence conjugale commise à l’encontre de son épouse d’alors ne saurait correspondre à ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de tout candidat à la naturalisation ». De surcroît, depuis son arrivée en Suisse, l’intéressé avait occupé à de très nombreuses reprises les services de police. Il n’avait assurément pas respecté l’ordre public suisse. Son attitude était incompatible avec une intégration réussie. Enfin, au moment du dépôt de la demande de naturalisation, ses deux filles ne pouvaient pas se prévaloir d’un séjour d’une durée de six ans. Leurs demandes ne pouvaient en conséquence pas être dissociées de celle de leur père.

La naturalisation genevoise était refusée.

7) Par acte daté du 2 septembre 2021, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’arrêté du Conseil d’État du 25 août 2021, concluant implicitement à son annulation et à ce que la nationalité genevoise lui soit accordée.

Il regrettait la décision du Conseil d’État.

Ses condamnations pour violation de la LStup, des 23 janvier 2003, 8 mars 2005 et 13 février 2009 s’expliquaient par le fait qu’il était « jeune demandeur d’asile politique ». Il n’avait jamais touché de l’argent de l’hospice hormis celui qu’il percevait en sa qualité de demandeur d’asile.

Les faits ayant conduit à sa condamnation pour lésions corporelles simples et menaces sur sa conjointe n’auraient pas dû être réglés par la police. Il s’agissait d’événements privés. Elle lui avait retiré la télécommande alors qu’il regardait un match de football. Cela avait dégénéré en « coups de mains » réciproques. Elle avait eu quelques bleus. C’était la seule fois où il avait été violent avec son épouse.

Concernant le rapport de police du 6 juin 2018, il ne se rappelait pas avoir violé le domicile de quelqu’un, ni escroqué l’assurance, utilisé une installation de télécommunication sans avoir payé la facture, fait de faux dans un certificat, ni avoir procédé à un enlèvement ou une séquestration.

Il reconnaissait, en matière de circulation routière, avoir coupé une ligne de sécurité à la route de Veyrier en dépassant un motocycle à 4 heures du matin, mais sans mettre en danger la vie de quiconque. Cela s’était produit alors qu’il partait à son travail. Il s’agissait « de la seule fois en onze ans ».

Enfin, il avait été acquitté de la dernière accusation du 29 novembre 2013.

Il regrettait son passé judiciaire et souhaitait qu’il ne soit pas pris en compte ayant commis ces infractions alors qu’il était jeune. Il n’était ni méchant, ni violent et était intégré tant professionnellement que personnellement. Il souhaitait faire partie de la population genevoise, en ayant « tous ses droits de citoyen ».

Il a produit un extrait de son « casier judiciaire suisse destiné à des particuliers » daté du 13 septembre 2021 indiquant qu’il ne figurait pas au casier judiciaire.

8) Le Conseil d’État a conclu au rejet du recours.

9) Le recourant n’ayant pas souhaité répliquer dans le délai qui lui avait été imparti, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

10) Le contenu des pièces et des écritures des parties sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Aux termes de l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n’ont toutefois pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61
al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

3) Le litige a trait à la question de savoir si, pour les motifs invoqués à l’appui de sa décision de refus de naturalisation, le Conseil d’État a respecté le cadre de son pouvoir d’appréciation, ce que le recourant conteste.

4) L’art. 50 al. 1 de la loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN - RS 141.0), entrée en vigueur le 1er janvier 2018, dispose que l’acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s’est produit. Les demandes déposées avant l’entrée en vigueur de ladite loi sont traitées conformément aux dispositions de l’ancien droit jusqu’à ce qu’une décision soit rendue (art. 50 al. 2 LN).

Le recourant ayant déposé sa demande de naturalisation auprès de l’autorité compétente le 13 mars 2018, elle doit être traitée en application du nouveau droit, à savoir la LN, l’ordonnance sur la nationalité suisse du 17 juin 2016 (OLN - RS 141.01), la loi sur la nationalité genevoise du 13 mars 1992 (LNat - A 4 05) et son règlement d’application du 15 juillet 1992 (RNat – A 4 05.01).

5) Selon l’art. 11 let. a à c LN, l’autorisation fédérale de naturalisation est octroyée si le requérant remplit les conditions suivantes : a) son intégration est réussie ; b) il s’est familiarisé avec les conditions de vie en Suisse ; c) il ne met pas en danger la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse.

Une intégration réussie se manifeste en particulier par le respect de la sécurité et de l’ordre publics (art. 12 al. 1 let. a LN).

6) Un candidat à la naturalisation genevoise doit remplir les conditions fixées par le droit fédéral (art. 1 al. 1 let. b LNat). À cet effet, il doit disposer d'une autorisation fédérale accordée par l'office compétent, lequel examine ses aptitudes à la naturalisation (art. 12 et 15 LN). D'autre part, le requérant doit avoir résidé deux ans dans le canton d'une manière effective, dont les douze mois précédant l'introduction de sa demande, et résider en Suisse pendant la procédure de naturalisation (art. 11 al. 1 et 3 LNat).

7) Conformément à l'art. 12 LNat, le candidat doit en outre remplir différentes conditions d'aptitudes dont respecter la sécurité et l’ordre publics (let. b).

8) Selon l’art. 4 al. 2 OLN, l’intégration du requérant n’est pas considérée comme réussie lorsque, notamment, il est enregistré dans le casier judiciaire informatisé VOSTRA et que l’inscription qui peut être consultée par le secrétariat d’État aux migrations (ci-après : SEM) porte sur une peine pécuniaire avec sursis ou sursis partiel de plus de nonante jours-amende (let. d) ou de nonante jours-amende au plus (let. e).

Dans tous les autres cas d’inscription dans le casier judiciaire informatisé VOSTRA pouvant être consultée par le SEM, ce dernier décide de la réussite de l’intégration du requérant en tenant compte de la gravité de la sanction. Une intégration réussie ne doit pas être admise tant qu’une sanction ordonnée n’a pas été exécutée ou qu’un délai d’épreuve en cours n’est pas encore arrivé à échéance (art. 4 al. 3 OLN).

9) Selon les directives du SEM (Manuel sur la nationalité, demandes déposées après le 1er janvier 2018, p. 28 ss), lorsque le requérant a commis des infractions avant le dépôt de sa demande de naturalisation, l’autorité compétente doit en tenir compte lors de l’examen de la demande. La naturalisation constituant la dernière étape du processus d’intégration, il faut attendre que le requérant ne fasse l’objet d’aucun jugement, y compris relevant du droit pénal, pour rendre la décision de naturalisation.

Lorsqu’une inscription figure au casier judiciaire du requérant, et qu’elle porte sur des éléments mentionnés à l’art. 4 al. 2 let. a à e OLN, l’intégration est lacunaire et la volonté de s’intégrer est insuffisante. Il faut donc prendre en compte le délai d’élimination d’office de l’inscription dans le casier judiciaire. En effet, le respect de la sécurité et de l’ordre publics et des valeurs suisses fait défaut et la naturalisation doit être exclue jusqu’à élimination complète de l’inscription. La demande ne pourra être acceptée qu’après radiation des inscriptions relatives à ses condamnations antérieures qui figurent dans le casier judiciaire, pour autant que les autres conditions soient remplies. L’élimination de l’inscription survient lorsque le délai d’élimination d’office arrive à échéance (SEM, Manuel sur la nationalité, op. cit, p. 29).

10) L’obtention de l’autorisation fédérale ne confère aucun droit à la naturalisation. Ni le droit fédéral, ni le droit cantonal n’accordent en principe aux candidats étrangers un droit subjectif à la naturalisation. Il n’en demeure pas moins que les procédures et les décisions de naturalisation doivent respecter les droits fondamentaux et que ce respect peut en principe être contrôlé par les tribunaux (ATA/448/2012 du 30 juillet 2012 ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 3ème éd., n. 399 et 401 ; Céline GUTZWILLER, Droit de la nationalité et fédéralisme suisse, 2008, p. 535, n. 1407).

11) En l’espèce, le casier judiciaire VOSTRA du recourant fait état d’une condamnation, le 29 novembre 2013, par la CPAR, à une peine pécuniaire de cent quatre-vingts jours-amende à CHF 10.-, pour délit à la LStup. Cette inscription ne sera radiée d’office qu’après un délai de dix ans (art. 369 al. 3 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0). En application de l’art. 4 al. 2
let. d OLN, l’intégration du recourant n’est en conséquence pour l’instant pas considérée comme réussie.

Par ailleurs, au moment du prononcé de l’arrêté du Conseil d’État, le casier judiciaire du recourant indiquait aussi la condamnation du 24 août 2010, soit une peine de soixante-jours-amende à CHF 50,- avec sursis, un délai d’épreuve de trois ans et une amende de CHF 750.- pour lésions corporelles simples sur sa conjointe ainsi que menaces. La décision du Conseil d’État est en conséquence d’autant plus fondée.

De surcroît, il ressort du dossier que le recourant a occupé les services de police à plusieurs reprises entre 2005 et 2012, pour des faits tels que violation de domicile, trafic de cocaïne, escroquerie à l’assurance, utilisation abusive d’une installation de télécommunication, séquestration et enlèvement, faux dans les certificats, ainsi que pour violation des règles de la circulation routière, la dernière fois en 2017. L’intéressé ne conteste pas un certain nombre de ces infractions notamment dans son courrier à l’autorité intimée du 2 septembre 2021. Il les explique par son statut de jeune demandeur d’asile. Si, certes, la situation pouvait être difficile, d’autres personnes dans le même cas n’ont toutefois pas eu recours à la commission d’infractions pénales.

Enfin, il n’a pas annoncé toutes les condamnations dont il a fait l’objet dans sa requête et a, ce faisant, dissimulé des faits essentiels à l’autorité et violé son devoir de collaboration.

En conséquence, le recourant ne remplit pas la condition de respect de la sécurité et de l’ordre publics au sens des art. 12 al. 1 let. a LN et 12 let. b LNat. Il s’ensuit que le Conseil d’État a respecté le cadre de son pouvoir d’appréciation en refusant la demande de naturalisation formulée par le recourant.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

12) Aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant, la procédure étant gratuite (art. 87 al. 1 LPA et 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87
al. 2 LPA).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 septembre 2021 par Monsieur A______ contre l’arrêté du Conseil d'État du 25 août 2021 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, au Conseil d'État, ainsi qu'à l'office fédéral des migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mme McGregor, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F.Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :