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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/790/2020

ATA/993/2020 du 06.10.2020 ( EXPLOI ) , REJETE

Descripteurs : COMMERCE ET INDUSTRIE;POLICE DES DENRÉES ALIMENTAIRES;DENRÉE ALIMENTAIRE;HUILE COMESTIBLE;CANNABIS;MISE EN CIRCULATION;SANCTION ADMINISTRATIVE;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LDAI.1; LDAI.2; LDAI.4; LDAI.7; LDAI.18; LDAI.26; LDAI.34; ODAlOUs.15; ODAlOUs.16; ODAlOV.1; OCont.1; LaLDAl.13; Cst.5.al2
Résumé : Entrent dans le champ d’application de la législation sur les denrées alimentaires des huiles dites essentielles composées d’huile d’olive et d’extraits de chanvre, conditionnées dans des flacons avec un bouchon compte-goutte comportant une pipette et dont l’ingestion par l’acheteur ne peut pas être raisonnablement exclue. En tant que lesdites huiles contiennent du CBD, leur mise sur le marché devait être autorisée par l’OSAV et respecter une teneur maximale en THC, ce qui n’est pas le cas. Confirmation de l’interdiction de mise sur le marché des produits litigieux et rejet du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/790/2020-EXPLOI ATA/993/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 octobre 2020

1ère section

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Marc Balavoine, avocat

contre

SERVICE DE LA CONSOMMATION ET DES AFFAIRES VÉTÉRINAIRES



EN FAIT

1) A______ SA (ci-après : A______ ou la société) est une société anonyme inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis juin 2015 dont le siège est à B______ et qui a pour but statutaire la conception, la production et la vente de produits naturels issus de l'extraction de plantes agricoles.

2) A______ commercialise, sous la marque « C______ », des produits à base de cannabidiol (ci-après : CBD) et de delta 9-tétrahydrocannabidiol (ci-après : THC), deux cannabinoïdes contenus dans le chanvre, sous différentes formes, dont des huiles essentielles, en particulier les produits « CBD Oil 20 Intense », « THC Oil ¼ » et « Vita + Oil - 2 Regular ».

Ces trois produits sont disponibles à la vente sur les sites internet de la société (www.A______.ch, www.D______.ch et www.C______.ch) sous forme de flacons en verre d'une contenance de 10 ml munis d'un bouchon compte-gouttes à pipette. Sur l'emballage des deux premiers produits est apposé un pictogramme sous forme de losange à l'intérieur duquel figure un point d'exclamation ainsi que les indications « Ce produit contient du THC ; le cannabis légal peut quand même entraîner des quantités illégales de THC dans le sang au volant » et « Pour vos propres préparations. Ne convient pas à la consommation (CBD/THC). Attention : éviter tout contact avec les yeux, la peau ou les vêtements. Prudence : tenir hors de portée des enfants. Éviter tout contact avec la substance au cours de la grossesse et pendant l'allaitement. Consulter un médecin en cas de malaise ». L'emballage du produit « Vita + Oil - 2 Regular » indique, quant à lui, qu'il s'agit d'un complément alimentaire, à prendre à raison de cinq gouttes par jour par voie orale, sous la langue.

Les produits « CBD Oil 20 Intense », « THC Oil ¼ » et « Vita + Oil - 2 Regular » sont composés d'huile d'olive (respectivement à hauteur de 60 %, 98,5 % et 96,8 %) et d'extrait de chanvre pour le solde (ainsi que de vitamines s'agissant du troisième de ces produits). L'emballage de « CBD Oil 20 Intense » mentionne 2'000 mg de CBD et celui de « THC Oil ¼ » 20 mg de CBD et 80 mg de THC.

3) Le 24 octobre 2017, le service de la consommation et des affaires vétérinaires (ci-après : SCAV) a procédé à une inspection des locaux de A______, lors de laquelle il a été constaté une production notamment d'huile essentielle de cannabis dans le laboratoire de la société, aucun produit n'ayant toutefois pu être prélevé sur place. À la suite de cette inspection, aucun
procès-verbal n'a été remis à A______.

4) Le 4 juillet 2019, le SCAV a procédé à une nouvelle inspection des locaux de A______, lors de laquelle des prélèvements ont été effectués sur les produits « CBD Oil 20 Intense », « THC Oil ¼ » et « Vita + Oil - 2 Regular ».

5) Le 11 juillet 2019, le SCAV a établi un « rapport d'inspection - décision » constatant des manquements à la législation sur les denrées alimentaires par A______, à savoir un autocontrôle inadapté, des allégations de santé
non-conformes sur le site internet de la société et la vente d'huiles alimentaires contenant du CBD sans autorisation, lesquelles devaient ainsi être retirées du marché suisse.

6) Le 19 juillet 2019, le SCAV a prononcé une « contestation - décision » à l'encontre de A______ en lien avec ladite inspection. Il lui était reproché des infractions en matière de mise en place du concept d'autocontrôle ainsi que de qualité et/ou d'authenticité des produits en application de la législation sur les denrées alimentaires.

7) Le 2 août 2019, A______ a formé opposition contre cette « contestation - décision », concluant à son annulation.

La décision litigieuse était infondée, dès lors que ses produits n'étaient pas des denrées alimentaires, mais des produits chimiques qui avaient fait l'objet d'une notification à l'organe fédéral compétent et indiquaient sur l'emballage des huiles « CBD Oil 20 Intense » et « THC Oil ¼ » qu'ils n'étaient pas propres à la consommation. Ils avaient en outre été mis sur la marché moyennant le respect du devoir d'autocontrôle et étaient vendus sans assignation d'un usage particulier.

8) Le 7 octobre 2019, le SCAV a rendu trois « rapports d'analyse - décisions », exécutoires nonobstant opposition, chacun en lien avec l'un des trois produits analysés.

La teneur en THC de ces produits, dont la valeur maximale était de 1 mg/kg, était trop élevée et atteignait 3'900 mg/kg pour « CBD Oil 20 Intense », 2'800 mg/kg pour « THC Oil ¼ » et 2,5 mg/kg pour « Vita + Oil - 2 Regular ».

Les produits contenaient également un extrait de cannabis à forte teneur en CBD, ingrédient considéré comme une nouvelle sorte de denrée alimentaire (« novel food »), dont l'utilisation commerciale nécessitait une autorisation préalable de l'office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (ci-après : OSAV).

L'emballage des deux premiers produits mentionnait en outre qu'ils étaient dangereux pour la santé, alors que tel ne pouvait pas être le cas de denrées alimentaires.

Ces trois produits devaient ainsi être retirés du marché et ne pouvaient plus être commercialisés.

9) Le 18 octobre 2019, A______ a formé opposition auxdits rapports d'analyse, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif et, sur le fond, à leur annulation.

De nouvelles mesures étaient ordonnées alors même qu'elles avaient une portée identique à celles du 19 juillet 2019, lesquelles n'avaient pourtant pas été déclarées exécutoires nonobstant opposition, en l'absence d'urgence en vue de leur mise en oeuvre. Elle reprenait les arguments figurant dans sa précédente opposition, précisant avoir arrêté la commercialisation du produit « Vita + Oil - 2 Regular » le 30 juin 2019, de sorte que la décision contestée devait être annulée le concernant. Quant aux deux huiles restantes, elles étaient des substances chimiques, qui n'étaient pas destinées à être consommées. Elle disposait en outre d'un système d'autocontrôle selon lequel tous les lots étaient analysés par un laboratoire indépendant permettant de s'assurer que la teneur en CBD et THC respectait les prescriptions légales. Le reproche en lien avec l'emballage de ses produits était également infondé, en l'absence de denrées alimentaires.

10) Le 15 novembre 2019, les représentants de A______ ont été entendus dans les locaux du SCAV, séance au cours de laquelle le service a expliqué à la société les faits qui lui étaient reprochés, indiquant en outre que le fait de diluer ses produits dans une huile alimentaire montrait qu'ils étaient prêts à être consommés, comme le mentionnaient également les informations figurant sur ses sites internet.

11) Par décision du 28 janvier 2020, déclarée exécutoire nonobstant recours, le SCAV a rejeté les oppositions de A______ des 2 août et 18 octobre 2019 et confirmé ses précédentes décisions.

Les produits « CBD Oil 20 Intense » et « THC Oil ¼ » étaient des denrées alimentaires, composées principalement d'huile d'olive et prêtes à l'emploi, ce que confirmait leur conditionnement dans un flacon avec un compte-goutte et montrait qu'une consommation par voie orale était en premier lieu visée, conformément à la documentation trouvée à ce sujet sur différents sites internet, dont ceux de A______. Celle-ci avait du reste retiré l'huile « Vita + Oil - 2 Regular » du marché, dont la composition et le conditionnement étaient identiques aux deux autres produits litigieux, reconnaissant ainsi qu'il s'agissait d'une denrée alimentaire. Ces produits étaient dès lors soumis à la législation y relative et devaient être considérés comme des nouvelles sortes de denrées alimentaires, nécessitant une autorisation de l'OSAV avant leur mise sur le marché, et dont l'innocuité n'avait pas non plus été prouvée. Par ailleurs, l'autocontrôle effectué par A______ était inadapté au regard de la législation sur les denrées alimentaires, de sorte qu'elle ne pouvait s'en prévaloir pour s'affranchir de ses obligations. Puisque les décisions contestées étaient dictées par des motifs de santé publique, l'effet suspensif ne devait pas être restitué et les produits en cause ne devaient pas être remis sur le marché.

12) a. Par acte expédié le 28 février 2020, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif au recours et, sur le fond, à son annulation ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Le SCAV avait violé le droit et établi de façon erronée les faits en considérant que les produits « CBD Oil 20 Intense » et « THC Oil ¼ » étaient des denrées alimentaires, alors que leur composition et leur présentation montraient qu'ils n'étaient pas destinés à être ingérés. Il s'agissait de produits chimiques, pouvant être commercialisés librement, étant précisé que, dans ce cadre, elle disposait d'un système d'autocontrôle et avait établi un « manuel d'organisation » afin de s'assurer que ses produits respectent les prescriptions légales en matière de teneur en CBD et THC. Le fait que d'autres personnes ou fabricants en recommandaient une ingestion ne permettait en outre pas de les considérer comme des aliments, ce dont elle ne pouvait d'ailleurs être rendue responsable.

La décision litigieuse ne respectait pas non plus le principe de proportionnalité, puisque le SCAV pouvait se limiter à ordonner la suppression des informations et/ou composants qui conduisaient à considérer les produits litigieux comme des denrées alimentaires au lieu de proscrire leur mise sur le marché.

Elle n'était pas davantage conforme au principe de la bonne foi, dans la mesure où, à la suite de l'inspection effectuée en 2017, le SCAV ne lui avait adressé aucun reproche, alors qu'elle produisait déjà les huiles litigieuses. La décision entreprise constituait un changement de pratique qui ne pouvait lui être imposé sans avertissement préalable et de surcroît sans modification de la situation factuelle ou juridique.

b. Elle a produit un chargé de pièces comprenant notamment :

- des fiches de déclaration des produits « CBD Oil 20 Intense » et « THC Oil ¼ » auprès de l'organe fédéral de réception des notifications des produits chimiques ;

- un manuel d'organisation interne prévoyant en particulier que, pour maîtriser le risque lié à la présence de THC, les lots de produits étaient analysés par un laboratoire externe.

13) Le 20 avril 2020, la présidence de la chambre administrative a refusé de restituer l'effet suspensif au recours et réservé le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond.

14) a. Le 25 mai 2020, le SCAV a conclu au rejet du recours.

Lors de l'inspection des locaux de A______ en 2017, aucun échantillon n'avait pu être prélevé. Dès lors que le contrôle était resté sans suite, aucun changement de pratique ne pouvait lui être reproché, pas plus qu'une violation du principe de la bonne foi.

La législation sur les produits chimiques était inapplicable et l'autocontrôle dont A______ se prévalait ne constituait en tout état pas une autorisation de mise sur le marché, pas plus que les communications faites au registre fédéral idoine, qui ne mentionnaient au demeurant aucun usage spécifique des produits litigieux. Si ceux-ci étaient impropres à la consommation comme A______ l'indiquait, rien ne s'opposait à ce que l'extrait de cannabis soit mélangé avec un produit qui l'était également, et non avec de l'huile végétale. Ces produits semblaient toujours en vente sur les sites internet de A______, qui n'avait ainsi pas cessé de les commercialiser, malgré le refus d'effet suspensif au recours et alors que leur innocuité n'avait pas été démontrée.

Les produits litigieux étaient composés d'extraits de chanvre à forte teneur en CBD et THC ainsi que d'huile d'olive, dont A______ tirait des arguments de vente, un usage par absorption par voie orale se retrouvant sur l'ensemble des sites internet où ces produits étaient en vente. Ils devaient ainsi être considérés comme des denrées alimentaires, qui ne remplissaient pas les conditions pour être autorisées à être mises en vente en tant que « novel food », leur dangerosité ne pouvant être exclue. La décision querellée était ainsi conforme au principe de proportionnalité.

b. Il a produit un chargé de pièces comportant notamment des extraits des sites internet de A______, dans leur teneur au 3 juillet 2019, selon lesquels il était conseillé de consommer le CBD par voie sublinguale. La description du produit « CBD Oil 20 Intense » indiquait sur la version française du site « www.A______.ch » : « cette huile a été soigneusement préparée avec de l'huile d'olive bio, sélectionnée pour ses propriétés naturelles et sa parfaite dilution avec de l'extrait de cannabis ; l'huile d'olive est un solvant naturel pour le cannabis. Ainsi, la bouteille contient tout le spectre d'action de l'extrait de cannabis (...) ». La version anglaise de la même description, figurant sur le site internet « www.C______.ch », était complétée par les indications : « (...) Therefore, olive oil makes this preparation easily absorbable (...). The taste is certainly a bit bitter and earthly ».

15) Dans le délai imparti, A______ a répliqué, persistant dans les conclusions et termes de son recours.

Elle avait informé de manière transparente ses clients sur la composition, l'usage et les risques liés à l'ingestion des huiles litigieuses, les seuls critères choisis par le SCAV pour prétendre le contraire n'étant pas suffisants. La classification desdites huiles en tant que produits chimiques était par ailleurs conforme à l'avis des autorités fédérales et une responsabilité incombait au consommateur lors de l'utilisation des produits. Même si le risque d'ingestion par voie orale ne pouvait être totalement exclu, à l'instar de toutes les autres huiles essentielles, cet élément ne permettait pas d'interdire sa commercialisation de manière généralisée.

Les explications du SCAV au sujet du premier contrôle effectué dans ses locaux en 2017 n'étaient pas convaincantes, dès lors que les huiles litigieuses étaient déjà présentes sous leur forme actuelle. Le SCAV ayant toléré leur mise sur le marché et leur commercialisation, il ne pouvait pas rendre une décision contraire sans violer le principe de la bonne foi. Par ailleurs, contrairement aux affirmations du SCAV, les huiles litigieuses avaient bien été retirées de la vente.

16) Le 6 août 2020, le SCAV a persisté dans ses précédentes écritures, indiquant qu'à la suite d'un achat test le 7 juillet 2020, il avait pu acquérir le produit « CBD Oil 20 Intense » sans difficulté sur le site internet « www.A______.ch ». Il a joint à son courrier le procès-verbal de cet achat.

17) Le 19 août 2020, A______ a persisté dans les conclusions de son recours, précisant qu'elle avait confirmé au SCAV que les produits litigieux avaient été retirés du commerce, ce qui n'influait toutefois pas sur le litige, dont l'objet était la question de la classification juridique des huiles essentielles qu'elle commercialisait.

18) Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 69 et 70 al. 2 de la loi fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels du 20 juin 2014 - LDAl - RS 817.0 ; art. 14 de la loi d'application de la législation fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels du 13 septembre 2019 - LaLDAl - K 5 02 ; art. 19 du règlement d'exécution de la LaLDAl du 5 février 2020 - RaLDAl - K 5 02.01).

2) Le litige a trait à la conformité au droit de la décision de l'autorité intimée interdisant la mise sur le marché des produits « CBD Oil 20 Intense » et « THC Oil ¼ » fabriqués et vendus par la recourante, laquelle a retiré de la vente l'huile « Vita + Oil - 2 Regular » fin juin 2019 et à l'égard de laquelle le recours est dès lors devenu sans objet.

3) a. La LDAl, entrée en vigueur le 1er mai 2017, a notamment pour but de protéger la santé du consommateur des risques présentés par les denrées alimentaires qui ne sont pas sûres, de les protéger contre les tromperies et de mettre à leur disposition les informations nécessaires à l'acquisition de denrées alimentaires (art. 1 let. a, c et d LDAl). La LDAl s'applique à la manipulation des denrées alimentaires, c'est-à-dire à leur fabrication, leur traitement, leur entreposage, leur transport et leur mise sur le marché (art. 2 al. 1 let. a LDAl), à leur étiquetage et à leur présentation, ainsi qu'à la publicité et à l'information relatives à ces produits (art. 2 al. 1 let. b LDAl). Elle s'applique à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution, y compris la production primaire (art. 2 al. 2 LDAl).

L'art. 4 al. 1 LDAl définit les denrées alimentaires comme l'ensemble des substances ou des produits transformés, partiellement transformés ou non transformés qui sont destinés à être ingérés ou dont on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'ils soient ingérés par l'être humain. Sont également considérées comme telles notamment toute substance incorporée intentionnellement dans la denrée alimentaire au cours de sa fabrication, de sa transformation ou de son traitement (art. 4 al. 2 let. c LDAl), mais non les médicaments (art. 4 al. 3
let. d LDAl), ni les stupéfiants et les substances psychotropes (art. 4 al. 3
let. g LDAl). Le terme de denrées alimentaires englobe dès lors également des produits qui ne sont pas destinés à la constitution et à l'entretien de l'organisme humain ; est déterminant le fait que la denrée alimentaire soit destinée à être ingérée par l'être humain, ou qu'il soit raisonnablement attendu à ce qu'elle le soit (Message relatif à la LDAl du 25 mai 2011, FF 2011 5181, p. 5208). Font notamment partie des denrées alimentaires les huiles et graisses végétales et les dérivés, soit les huiles et graisses comestibles et l'huile d'olive (art. 1 let. b de l'ordonnance du département fédéral de l'intérieur [ci-après : DFI] sur les denrées alimentaires d'origine végétale, les champignons et le sel comestible du 16 décembre 2016 - ODAlOV - RS 817.022.17).

Selon l'art. 7 al. 1 LDAl, seules des denrées alimentaires sûres peuvent être mises sur le marché. Tel n'est pas le cas lorsqu'elle sont préjudiciables à la santé ou impropres à la consommation humaine (al. 2). Pour le déterminer, doivent notamment être prises en compte les conditions normales d'utilisation des denrées alimentaires par le consommateur (al. 3 let. b). Le Conseil fédéral peut introduire une obligation d'autorisation ou de notification notamment pour les nouvelles sortes de denrées alimentaires (al. 5 let. a).

Aux termes de l'art. 18 LDAl, toute indication concernant des denrées alimentaires doit être conforme à la réalité (al. 1). La présentation, l'étiquetage et l'emballage desdits produits ainsi que la publicité pour ceux-ci ne doivent pas induire le consommateur en erreur (al. 2).

Quiconque notamment fabrique et met sur le marché des denrées alimentaires doit veiller à ce que les exigences fixées par la loi soient respectées et est tenu au devoir d'autocontrôle (art. 26 al. 1 LDAl).

b. Selon l'art. 15 al. 1 let. d de l'ordonnance sur les denrées alimentaires et les objets usuels du 16 décembre 2016 (ODAlOUs - RS 817.02), les nouvelles sortes de denrées alimentaires sont celles dont la consommation humaine en Suisse ou dans les États membres de l'Union européenne était négligeable avant le 15 mai 1997, en particulier les denrées alimentaires qui se composent de végétaux ou de partie de végétaux ou qui sont isolées ou fabriquées à partir de végétaux ou de parties de végétaux. Les nouvelles sortes de denrées alimentaires peuvent être mises sur le marché si le DFI les a désignées dans une ordonnance comme pouvant l'être ou si l'OSAV les a autorisées conformément à l'art. 17 ODAlOUs (art. 16 ODAlOUs). Sur cette base, le DFI a adopté l'ordonnance sur les nouvelles sortes de denrées alimentaires du 16 décembre 2016 (RS 817.022.2) qui contient, en annexe, une liste de nouvelles sortes de denrées alimentaires pouvant être mises sur le marché sans autorisation, laquelle ne mentionne pas le cannabis.

c. L'office fédéral de la santé publique, l'OSAV et l'office fédéral de l'agriculture ont publié, conjointement avec Swissmedic, le 5 juillet 2019, la troisième version d'un fascicule de quinze pages intitulé « Produits contenant du cannabidiol (CBD) ; vue d'ensemble et aide à l'exécution » (ci-après : le guide). Il prévoit que le classement d'un produit dans une catégorie donnée détermine la législation à laquelle il est soumis. Si un produit ne satisfait pas aux exigences légales relatives à une utilisation prévue concrète, il ne peut être distribué et donc mis sur le marché en Suisse. Les produits finaux sont évalués individuellement, toutes leurs caractéristiques, telles que la composition, l'utilisation prévue ou le dosage, étant prises en compte. C'est en fonction de la classification ainsi établie qu'est déterminée l'autorité en charge de leur contrôle. En cas de doute, l'autorité d'exécution décide quel produit sera régi par telle législation et prend les mesures nécessaires (p. 4 du guide). S'agissant des denrées alimentaires dont la consommation humaine est restée négligeable en Suisse et dans les États membres de l'UE avant 1997, une autorisation de l'autorité compétente est nécessaire. Sont concernés les extraits de cannabis, le CBD et les denrées alimentaires enrichies et extraits de cannabis ou en CBD (par exemple l'huile de graines de chanvre avec adjonction de CBD ou les compléments alimentaires contenant du CBD), qui sont classées parmi les nouvelles sortes de denrées alimentaires soumises à autorisation ; tel n'est toutefois pas le cas des graines de chanvre, de l'huile de graine de chanvre, de la farine de graines de chanvre, des graines de chanvre dégraissées ou de l'infusion de plantes de chanvre. Dans le cadre de la procédure d'autorisation des nouvelles sortes de denrées alimentaires, l'OSAV s'assure que le produit est sûr et qu'il n'est pas trompeur, une condition préalable à toute autorisation étant que le produit n'entre pas dans le champ d'application du droit sur les produits thérapeutiques (p. 7 du guide). En l'état, le CBD n'est pas autorisé comme ingrédient dans les denrées alimentaires (p. 8 du guide). Les produits contenant du CBD peuvent toutefois être légalement mis sur le marché sous forme d'huiles parfumées, conformément aux dispositions du droit sur les produits chimiques. Si leur présentation ou leur utilisation laissent en revanche supposer ou suggèrent qu'ils pourraient entrer dans le champ d'application d'autres dispositions juridiques, l'aptitude de leur mise sur le marché doit être évaluée sur la base de ces autres dispositions (p. 11 du guide).

d. Par ailleurs, l'ordonnance du DFI sur les teneurs maximales en contaminants du 16 décembre 2016 (OCont - RS 817.022.15), qui règle notamment la détermination et la fixation des teneurs maximales et des valeurs indicatives applicables aux contaminants dans les denrées alimentaires (art. 1 al. 1 let. a OCont), fixe, dans son annexe 9, à 1 mg/kg la teneur maximale en THC des denrées alimentaires végétales produites avec des ingrédients de chanvre.

4) Selon l'art. 34 LDAl, lorsque les autorités d'exécution, soit à Genève le SCAV (art. 2 LaLDAl), contestent un produit, elles ordonnent les mesures nécessaires à la remise en conformité avec le droit (al. 1). Elles peuvent en particulier décider si le produit contesté (al. 2) : peut être utilisé, cette utilisation étant assortie ou non de charges (let. a), doit être éliminé par l'entreprise, aux frais de celle-ci (let. b), doit être confisqué, rendu inoffensif, utilisé de façon inoffensive ou éliminé aux frais de l'entreprise (let. c).

L'art. 13 LaLDAl précise qu'en cas d'infraction aux dispositions de la législation fédérale et cantonale sur les denrées alimentaires, le SCAV peut notamment interdire immédiatement, temporairement ou définitivement un procédé de fabrication (let. a) ou prononcer toute autre mesure prévue par la législation fédérale (let. d).

5) Garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le principe de la proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATA/762/2020 du 18 août 2020 consid. 6b et les références citées).

6) En l'espèce, la recourante conteste l'application de la LDAl aux huiles « CBD Oil 20 Intense » et « THC Oil ¼ », qui devraient, à son sens, être considérées comme des produits chimiques soumis à la législation y relative, non destinées à être ingérées.

Il n'est pas contesté que lesdits produits sont essentiellement composés d'huile d'olive (à 60 % pour « CBD Oil 20 Intense » et à 98,5 % pour « THC Oil ¼ »), à savoir une denrée alimentaire au sens de la LDAl et de l'ODAlOV, tout comme l'est d'ailleurs le produit « Vita + Oil - 2 Regular », destiné à être ingéré par voie orale et qui contient également de l'extrait de chanvre, seul l'ajout de vitamines le distinguant des deux autres produits. Ces trois huiles sont prêtes à l'emploi et conditionnées de manière similaire, à savoir dans des flacons en verre d'une contenance de 10 ml, munis d'un bouchon compte-goutte avec pipette, aucun élément du dossier ne permettant d'admettre qu'il s'agirait du conditionnement standard des produits chimiques. À cela s'ajoute que l'un des sites internet de la recourante fait expressément mention d'une consommation par voie orale du produit « CBD Oil 20 Intense », dont le descriptif indique qu'il s'agit d'une préparation facilement absorbable grâce à l'huile d'olive au goût amer et terreux.

La recourante se prévaut des indications figurant sur l'emballage desdits produits, à savoir le pictogramme en forme de losange à l'intérieur duquel figure un point d'exclamation et la mention « Ne convient pas à la consommation (CBD/THC) », qui démontreraient qu'ils ne pourraient pas être ingérés et que, si tel était le cas, il en irait de la seule responsabilité de l'acquéreur. Un tel raisonnement ne peut toutefois être suivi. Outre le fait que lesdites indications apparaissent contradictoires par rapport aux autres mentions figurant sur les flacons en lien avec la conduite automobile, qui suggèrent une ingestion du produit, rien n'indique, au regard des éléments susmentionnés, en particulier de leur composition et de leur conditionnement, ainsi que de la définition large que donne la LDAl des denrées alimentaires, qu'on ne pourrait pas raisonnablement s'attendre à ce qu'ils soient ingérés par l'être humain. La mention « Pour vos propres préparations » n'apporte au demeurant aucun élément supplémentaire, hormis le fait que la recourante n'envisage aucun usage pour ses produits, ce qui semble peu crédible. Quant au report de responsabilité sur le seul acquéreur, la recourante perd de vue qu'il lui appartient, en tant que fabricante des produits litigieux, de s'assurer que ceux-ci ne mettent pas en danger la santé ou la vie des consommateurs. Le fait qu'elle ait transmis les fiches relatives auxdits produits à l'organe fédéral de réception des notifications des produits chimiques n'y change rien, pas plus que l'autocontrôle dont elle se prévaut ainsi que son manuel d'organisation interne, dès lors que les échantillons analysés par l'autorité intimée ont relevé des taux de THC et de CBD bien plus élevés que ceux autorisés.

C'est dès lors à juste titre que l'autorité intimée a considéré que les produits litigieux, destinés à être ingérés, devaient être soumis à la LDAl, excluant de ce fait l'application des dispositions relatives aux produits chimiques mais également aux produits pharmaceutiques, dont la recourante ne se prévaut du reste pas. Ce faisant, l'autorité intimée, au regard de la marge de manoeuvre dont elle bénéficie en la matière, n'a ni abusé ni excédé son pouvoir d'appréciation.

Dans la mesure où les produits litigieux contiennent du CBD, à savoir une nouvelle denrée alimentaire ne figurant pas sur la liste du DFI, ils ne pouvaient être mis sur le marché sans l'autorisation de l'OSAV, que la recourante n'a ni demandée, ni obtenue. Par ailleurs, les analyses effectuées par l'autorité intimée ont mis en évidence une teneur en THC dépassant celle, de 1 mg/kg, autorisée pour les denrées alimentaires, ce qui n'est du reste pas contesté.

La recourante se prévaut de sa bonne foi, en lien avec le contrôle effectué par l'autorité intimée en 2017 qui n'avait donné lieu à aucune sanction, alors même qu'elle fabriquait déjà les produits litigieux. Elle perd toutefois de vue que, lors dudit contrôle, aucun prélèvement n'a été effectué, de sorte que la teneur des huiles litigieuses n'a jamais pu être analysée. À cela s'ajoute que la LDAl, dans sa teneur actuelle, est entrée en vigueur le 1er mai 2017, de sorte qu'il ne saurait être reproché un quelconque changement de pratique de la part de l'autorité intimée.

Quant aux sanctions prononcées, elles respectent également le principe de proportionnalité, notamment au regard des mesures plus incisives figurant dans le catalogue de celles pouvant être prises par les autorités cantonales d'exécution, à savoir l'autorité intimée, qui s'est ainsi limitée à faire interdiction à la recourante de mettre sur le marché les produits litigieux. Une telle mesure est apte à protéger la santé des consommateurs et permet ainsi de parvenir à l'objectif d'intérêt public poursuivi par la LDAl s'agissant d'un produit dont l'innocuité n'a pas été démontrée. Une mesure moins incisive, comme le soutient la recourante, ne serait pas non plus envisageable, étant précisé que les indications figurant sur l'emballage desdits produits ne permettent pas de supprimer le risque d'ingestion, au vu de leur composition et qu'elle ait continué à commercialiser les produits litigieux malgré le refus de restituer l'effet suspensif au recours. L'intérêt économique de la recourante de commercialiser ses produits ne saurait par ailleurs prévaloir sur la santé des consommateurs. Ce grief doit dès lors également être écarté.

Entièrement mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté.

7) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera octroyée (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 février 2020 par A______ SA contre la décision du service de la consommation et des affaires vétérinaires du 28 janvier 2020 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 800.- à la charge de A______ SA ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Marc Balavoine, avocat de la recourante, ainsi qu'au service de la consommation et des affaires vétérinaires.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme Tombesi, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :