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Décisions | Chambre civile

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C/23444/2020

ACJC/818/2022 du 14.06.2022 ( IUO )

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23444/2020 ACJC/818/2022

ORDONNANCE DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 14 JUIN 2022

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], demanderesse, comparant par
Me Ralph SCHLOSSER, avocat, Avenue de la Gare 5, Case postale 251, 1001 Lausanne, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

1)   COOPERATIVE B______, sise ______ [GE],

2)   C______ SÀRL, sise ______ [VD],

3)   Monsieur D______, domicilié ______ [VD],

tous trois défendeurs, comparant par Me Pierre KOBEL, avocat, ATHENA Avocats, boulevard des Tranchées 16, 1206 Genève, en l'Étude duquel ils font élection de domicile,

 


Vu, en fait, la demande expédiée à la Cour de justice le 18 novembre 2020, par laquelle A______ SA a conclu à ce qu'il soit fait interdiction à B______, C______ Sàrl ______ et D______, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, d'utiliser et/ou de promouvoir le nombre 141 en lien avec des services de taxi, en particulier en tant que partie intégrante d'un numéro de téléphone, en particulier d'exploiter et/ou de promouvoir le numéro de téléphone "1______", notamment via des offres promotionnelles, coupons ou bandes publicitaires (conclusions I et II), à ce qu'il soit ordonné à C______ Sàrl, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, de résilier sans délai l'enregistrement du numéro 1______ auprès de l'Office fédéral de la communication (conclusion III), et à B______, C______ Sàrl et D______, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, de fournir dans un délai de 60 jours des renseignements, par la production de toutes les factures et/ou quittances émises et de tous les documents comptables pertinents, concernant le chiffre d'affaires réalisé via le numéro de téléphone "1______" notamment de fournir des renseignements quant au nombre d'appels reçus sur ce numéro depuis son attribution, aux courses qui ont été opérées par son biais et au chiffre d'affaires réalisé en lien avec ces courses (conclusion IV), à ce que B______, C______ Sàrl et D______ soient condamnés solidairement à lui verser un montant à déterminer ultérieurement sur la base des document susvisés, mais pas inférieur à 50'000 fr., au titre de remise du gain réalisé en lien avec l'utilisation du numéro de téléphone "1______" (conclusion V), et, faute d'exécution dans les dix jours dès l'entrée en force de la décision, à une amende d'ordre de 1'000 fr. au plus par jour d'inexécution (conclusion VI), avec suite de frais et dépens;

Attendu que A______ SA (qui a pour organe de révision E______ SA) a notamment allégué que D______ était administrateur président de B______ et associé-gérant de C______ Sàrl, qu'elle exploitait, depuis 1974, le nombre "2______" par le biais de numéros de téléphone (successivement "2______" puis dès 1993 "3______" où "2______" était mis en évidence) en lien avec des services de taxi, qu'elle était largement connue et décrite comme jouissant d'une renommée très importante à Genève, qu'elle disposait d'un réseau de plus de 650 véhicules dans le canton, que C______ Sàrl et D______ étaient titulaires du numéro de téléphone gratuit "1______", exploité par la première précitée avec B______, en lien avec des services de taxi, alors que le "numéro historiquement utilisé" par ces deux entités était le "4______";

Qu'elle a évoqué une procédure de mesures provisionnelles qu'elle avait intentée contre les mêmes défendeurs, terminée par une ordonnance de la Cour du 13 novembre 2008 (cause n° 5______/2008);

Qu'elle a offert en preuve de ses allégués des pièces, qu'elle a produites, et son interrogatoire;

Vu la réponse de B______, C______ Sàrl et D______, qui ont conclu au déboutement de A______ SA du chef de ses conclusions, avec suite de frais et dépens;

Attendu que B______, C______ Sàrl et D______ ont allégué notamment que la première exploitait une centrale téléphonique de diffusion d'ordres de course sans être propriétaire de taxi et sans effectuer de transport de taxi ni employer de chauffeurs, que ses affiliés étaient des exploitants indépendants de taxis lui versant une cotisation mensuelle (680 fr., puis 500 fr. dès 2020) pour bénéficier des services de la centrale, que cette coopérative avait été reprise par D______ en 2007 (qui avait été actif dans F______ Sàrl en liquidation depuis sa faillite prononcée en 2007, laquelle détenait le numéro "1______" depuis 2004), que C______ Sàrl, constituée en 2007, partageait la même centrale téléphonique de diffusion d'ordres de courses que B______, à l'instar d'autres entreprises de taxi, qu'elle n'avait exploité que quelques véhicules, activité abandonnée depuis plusieurs années, que toutes les entités avaient conservé leurs numéros de téléphone ("022 4______", "022 6______", "022 7______", "022 8______" et "0800 1______") aboutissant tous à la centrale exploitée par B______, que le numéro "1______" (originairement "9______") était à disposition de toute entreprise de taxi remplissant les conditions légales en Suisse, avant d'être mis hors service par les PTT en 1989;

Qu'ils ont allégué que le numéro "1______" avait été évoqué lors d'une audience tenue par la Cour le 21 janvier 2009 dans le cadre de la procédure de mesures provisionnelles n° 5______/2008;

Qu'ils ont offert en preuve de leurs allégués des pièces, l'interrogatoire de D______ et l'audition de témoins (G______ et H______, collaborateurs de E______ SA; I______, J______, K______, L______, et M______);

Qu'ils ont requis la production par A______ SA de ses bilans et comptes de pertes et profits de 2012 à 2019;

Qu'ils ont fait valoir que la valeur litigieuse minimale de la demande dirigée contre eux, permettant la saisine de la Cour, ne serait pas acquise;

Qu'ils se sont prévalus de la péremption de l'action de A______ SA, motif pris de ce que celle-ci avait connaissance de leur utilisation du numéro "1______" évoqué lors de l'audience de la Cour du 21 janvier 2009;

Vu la réplique de A______ SA, qui a modifié et complété sa conclusion tendant à la production de pièces (IV), en ce sens que les renseignements étaient requis dès l'exploitation du numéro de téléphone "1______", et qu'étaient également demandé des renseignements quant au nombre d'appels reçus sur les numéros de téléphone "022 4______ ", "022 6______", "022 7______", "0800 8______" et "tout autre numéro de téléphone qui serait exploité par les défendeurs", et persisté dans ses autres conclusions;

Qu'elle a notamment allégué qu'elle était la seule centrale d'appels à gérer des courses de taxis autorisés à utiliser des places de stationnement réservées par l'Etat durant une trentaine d'années à Genève, et seule à exploiter le numéro "1______" de 1974 à 1993; qu'elle a, en particulier, formulé un allégué (n. 8) en ces termes: "Le "1______" est perçu par le public genevois comme une "référence" à elle-même;

Qu'elle a offert en preuve de ces allégués des pièces, son interrogatoire et l'audition des témoins N______, O______ et P______;

Qu'elle a encore allégué que l'élément clé de son business modèle était l'appel téléphonique, et qu'elle n'avait appris que "quelques mois avant d'agir en justice" que B______, C______ Sàrl et D______ exploitaient le numéro de téléphone "1______";

Qu'elle a offert en preuve des allégués susmentionnés son interrogatoire et l'audition des témoins Q______, R______ et S______;

Vu la duplique de B______, C______ Sàrl et D______, qui ont persisté dans leurs conclusions;

Attendu que B______, C______ Sàrl et D______ ont allégué que la cotisation mensuelle des affiliés avait été réduite à 580 fr. puis 400 fr. et ne dépendait pas de l'utilisation d'un numéro de téléphone ou d'un autre pour atteindre la centrale, qu'aucune statistique n'était tenue permettant de déterminer le nombre d'appels par numéro de téléphone utilisé (dont outre les numéros déjà allégués, les numéros "022 10______", "022 11______" et "022 12______") pour atteindre la centrale, qu'il n'y avait pas moyen de déterminer la ventilation des appels par les différents numéros, que le "1______" avait été utilisé par les deux entités précitées depuis 2007 sans discontinuer, en particulier dans des dépliants publicitaires jusqu'en 2019, ce qui n'avait fait l'objet d'aucune plainte de tiers ou de contestation auprès de l'OFCOM ;

Vu la réplique spontanée de A______ SA, qui a complété sa conclusion IV en fourniture de renseignements par les numéros de téléphone supplémentaires allégués par B______, C______ Sàrl et D______ dans leur duplique, et ajouté à sa réquisition la production "des bilans et comptes de résultats";

Attendu que B______, C______ Sàrl et D______ ont conclu à l'irrecevabilité de la réplique spontanée, ne s'opposant toutefois pas à ce que la Cour en retienne les déterminations sur les allégués de leur duplique;

Attendu qu'à l'audience de débats d'instruction tenue par la Cour le 9 décembre 2021, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives;

Que B______, C______ Sàrl et D______ ont déclaré ne pas conclure à l'irrecevabilité de la conclusion IV de la réplique spontanée de A______ SA, et s'en rapporter sur la question de la compétence de la Cour, tout en relevant considérer que la valeur litigieuse permettant la saisine de la Cour n'était pas atteinte;

Que, sur ce point, A______ SA a persisté à affirmer que la valeur litigieuse de ses prétentions était supérieure à 30'000 fr., l'aspect de violation du bien immatériel et l'aspect du dommage devant s'additionner pour le calcul de la valeur litigieuse;

Que les deux parties ont conclu à la simplification de la procédure, en ce sens que devraient être tranchées par la Cour en premier lieu la question de la compétence, puis celle de la péremption du droit et celle de l'existence de la violation alléguée, B______, C______ Sàrl et D______ considérant qu'un jugement constatatoire serait approprié, tandis que A______ SA était d'avis que ses conclusions I, II et III pourraient faire l'objet d'une décision rendue dans un premier temps;

Que B______, C______ Sàrl et D______ ont relevé que les témoins N______, P______ et O______ n'étaient pas appelés à déposer sur des faits, mais seraient supposés donner un témoignage "politique";

Qu'elle a ajouté que les témoins I______, J______ et M______ étaient des chauffeurs de taxi, et les témoins K______ et L______ étaient respectivement comptable et téléphoniste;

Que A______ SA a précisé que les témoins Q______, R______ et S______ étaient chauffeurs de taxi;

Que la Cour a ouvert les débats principaux, que les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives et renoncé pour le surplus aux premières plaidoiries;

Que, par courrier du 9 février 2022, A______ SA a renoncé à l'audition des témoins N______ et O______ et maintenu la requête d'audition du témoin P______;

Que B______, C______ Sàrl et D______ ont, par acte du 22 février 2022, requis que l'offre de preuve consistant dans le témoignage de P______ soit écartée;

Considérant, en droit, que l'art. 5 al. 1 let. d CPC prévoit que le droit cantonal institue la juridiction compétente pour statuer en instance cantonale unique sur les litiges relevant de la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 francs ou que la Confédération exerce son droit d'action;

Qu'à Genève, il s'agit de la Chambre civile de la Cour civile de la Cour de justice (art. 120 let. a LOJ);

Que la valeur litigieuse des litiges en matière de concurrence déloyale se détermine d'après les art. 91 ss CPC et que les procès dont la valeur est inférieure à ce montant, qui opposent en général un consommateur à un fournisseur, entrent dans la compétence des juridictions ordinaires (BRIDEL, Les effets et la détermination de la valeur litigieuse en procédure civile suisse, 2019, p. 94);

Qu'en l'occurrence, la demanderesse s'est prévalue d'un dommage en tout état supérieur à 50'000 fr., à déterminer en fonction de pièces à produire par ses parties adverses, fondé sur la remise du gain que peut exiger celui qui subit une atteinte à ses intérêts économiques, en application de l'art. 9 al. 3 LCD;

Que les défendeurs, sans conclure formellement sur ce point, ont fait valoir que la valeur litigieuse des conclusions de la demanderesse n'atteindrait pas le montant prévu à l'art. 5 al. 1 let. c CPC, se référant à la circonstance que l'impact d'un numéro de téléphone plutôt que d'un autre ne concernerait qu'un nombre de courses réalisé par des taxis et non le résultat économique de la centrale rémunérée par cotisations fixes;

Qu'ils ont encore fait référence sur ce point à la décision de la Cour du 13 novembre 2008, fixant à 5'000 fr. les sûretés dues dans le cadre des mesures superprovisionnelles;

Qu'il n'apparaît pas que la quotité des conclusions chiffrées sous réserve d'amplification ultérieure en fonction de pièces supplémentaires, formulée par la demanderesse, serait manifestement erronée à ce stade, étant relevé qu'en tout état la présente cause n'oppose pas un consommateur et un fournisseur;

Qu'il n'y a donc pas lieu en l'état de décliner la compétence de la Cour;

Que les deux parties ont sollicité la simplification du procès par le traitement en premier lieu, outre la question de la compétence, de celle de la péremption du droit et de l'existence de la violation soutenue par la demanderesse;

Que les défendeurs se sont prévalus de la péremption de l'action dirigée contre eux par la demanderesse, alléguant, avec offre de preuve, que celle-ci connaissait l'utilisation du numéro de téléphone mis en cause depuis son origine et qu'elle l'avait elle-même évoqué dans le cadre d'une précédente procédure en 2009;

Que la demanderesse a contesté les faits ainsi allégués par les défendeurs;

Qu'il appartient dès lors aux défendeurs d'apporter, au moyen de l'offre de preuve articulée, la démonstration de leurs allégués fondant la péremption qu'ils soutiennent, de sorte que la question n'a pas à être traitée avant l'administration des preuves;

Qu'en ce qui concerne l'existence de la violation soutenue par la demanderesse (objet selon celle-ci de ses conclusions I à III), qui pourrait de l'avis des parties être traitée avant le dommage prétendu, les moyens de preuve des parties, communs aux deux questions, rendent prima facie la limitation de procédure requise au sens de l'art. 125 CPC inappropriée;

Que ni le droit d'être entendu, ni l'art. 8 CC, ni l'art. 152 CPC ne s'opposent à ce que le juge procède à une appréciation anticipée des preuves et renonce à ordonner une mesure d'instruction pour le motif qu'elle est manifestement inadéquate, porte sur un fait non pertinent, ou n'est pas de nature à ébranler la conviction que le juge a acquise sur la base des éléments déjà recueillis (ATF 134 I 140 consid. 5.3; 130 III 734 consid. 2.2.3; 122 III 219 consid. 3c);

Que selon l'art. 150 al. 1 CPC, la preuve a pour objet les faits pertinents et contestés;

Que toute partie a droit à ce que le tribunal administre les moyens de preuves adéquats proposés régulièrement et en temps utile (art. 152 al. 1 CPC);

Que l'art. 154 CPC prévoit notamment que l'ordonnance de preuve désigne les moyens de preuve admis;

Qu'en l'espèce, il est constant que les deux parties ont offert en preuve de leurs allégués respectifs, en tant qu'ils demeurent contestés, les pièces produites, l'interrogatoire des parties et des auditions de témoins, moyens de preuve qui seront admis, sous réserve de ce qui suit;

Que la demanderesse a renoncé à l'audition des témoins O______ et N______, s'agissant de l'allégué 8 de sa réplique, étant rappelé que les allégués 1 et 2 de celle-ci, qui étaient également l'objet de cette réquisition de preuve, ont été admis;

Que demeure sa requête d'audition de P______ en qualité de témoin, à laquelle les défendeurs s'opposent;

Que l'offre de preuve ainsi formulée porte sur un allégué général relatif à la perception "par le public genevois", de sorte que l'on ne distingue pas en quoi une seule personne – fût-elle ancien membre du Conseil d'Etat – serait propre à établir l'allégué;

Que la demanderesse ne s'est d'ailleurs pas aventurée à l'expliciter dans son acte du 9 février 2022, alors même qu'elle connaissait l'avis des défendeurs exprimé à l'audience du 9 décembre 2021;

Que, dès lors, cette offre de preuve ne sera pas admise;

Qu'enfin il sera revenu ultérieurement sur les pièces supplémentaires dont la production a été requise par chacune des parties de la part de leur partie adverse, lesquelles ont trait à la détermination du dommage allégué;

Que cette question sera donc réservée en l'état;

Que les frais et dépens de la présente décision seront réglés dans la décision finale ;

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant préparatoirement:

Rejette la requête des parties de simplification du procès;

Admet les pièces produites, l'interrogatoire des parties et l'audition des témoins Q______, R______, S______, G______, H______, J______, K______, L______ et M______ au titre des moyens de preuve des allégués respectifs des parties ;

Réserve les conclusions des parties en production de pièces supplémentaires ;

Réserve la suite de la procédure ;

Dit que les frais de la présente décision seront réglés dans la décision finale.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.