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Décisions | Chambre civile

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C/19452/2021

ACJC/806/2022 du 31.05.2022 sur JTPI/15879/2021 ( SDF ) , RENVOYE

Normes : CPC.138.al1; CPC.138.al2; CPC.138.al3.leta; Cst.29.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19452/2021 ACJC/806/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du MARDI 31 MAI 2022

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______[GE], appelant d'un jugement rendu par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 16 décembre 2021, comparant en personne,

et

Madame B______, domiciliée ______[GE], intimée, comparant en personne.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/15879/2021 non motivé rendu le 16 décembre 2021, notifié dans sa version motivée à A______ le 31 janvier 2022, le Tribunal de première instance (ci-après, le Tribunal) a, statuant sur mesures protectrices de l'union conjugale, autorisé B______ et A______ à vivre séparés (chiffre 1 du dispositif), attribué à B______ la jouissance du domicile conjugal sis 1______ (ch. 2), prononcé la séparation de biens (ch. 3), prononcé ces mesures pour une durée indéterminée (ch. 4), arrêté les frais judiciaires à 200 fr., compensés avec l'avance effectuée par B______ et mis à charge des parties pour moitié chacune, condamné A______ à verser à B______ 100 fr. à titre de frais judiciaires (ch. 5), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 6) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 7).

B. a. Par acte expédié le 7 février 2022, A______ a formé "recours" contre ce jugement sans prendre de conclusions formelles. Il a néanmoins exposé avoir été indûment empêché de participer à l'audience du Tribunal du 13 décembre 2021. En outre, il reproche au Tribunal d'avoir attribué le logement conjugal à B______, plutôt qu'à lui.

Il a produit des pièces nouvelles.

b. B______ n'a pas répondu à l'appel.

c. A______ a adressé un courrier à la Cour, le 14 février 2022, ainsi que des pièces le 16 mars 2022.

d. Par avis du 29 mars 2022, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Les époux B______, née le ______ 1957 à C______, Mali, de nationalité malienne, et A______, né le ______ 1954 à D______, Côte d'Ivoire, de nationalité suisse, se sont mariés le ______ 2013 à Genève.

Les époux n'ont pas conclu de contrat de mariage.

b. Par acte déposé au greffe du Tribunal de première instance le 13 octobre 2021, B______ a formé une requête de mesures protectrices de l'union conjugale.

Elle a conclu, notamment, à ce que le Tribunal lui attribue la jouissance du domicile conjugal.

A l'appui de sa requête, elle a notamment exposé que A______ était officiellement domiciliée à la même adresse qu'elle, mais qu'il avait quitté la Suisse pour le Mali le 30 décembre 2019. Il avait d'abord annoncé qu'il s'agirait de vacances devant durer deux mois, mais il n'était jamais revenu.

L'adresse de A______ mentionnée en tête du mémoire est son adresse officielle en Suisse, soit la même que celle de B______.

c. Selon les pièces produites par A______ en appel, il avait bien quitté la Suisse le 30 décembre 2019, mais provisoirement selon lui.

Il a aussi produit un billet d'avion de C______ à Genève à son nom pour un vol le 15 juillet 2020, ainsi qu'une carte d'embarquement datée du 15 décembre 2021 pour le même trajet.

Il a apporté la preuve du paiement du loyer du logement conjugal de février 2020 à décembre 2021.

Il a produit des récépissés de transfert d'argent en sa faveur au Mali par E______ d'août 2020 à décembre 2021.

Selon ses explications en appel, il avait prévu de revenir du Mali en juillet 2020, mais en raison de la pandémie de COVID-19, il était resté bloqué dans ce pays, puis avait décidé d'attendre le développement d'un vaccin. Le Mali étant épargné par la pandémie, il avait trouvé plus prudent d'y rester quelque temps au vu de son âge.

Il n'avait aucune intention de quitter définitivement la Suisse : il n'avait d'ailleurs pas annoncé son départ aux autorités.

B______ savait ce qui précède, puisqu'il communiquait régulièrement avec elle et qu'elle était même venue lui rendre visite au Mali en janvier 2021.

d. Par courrier expédié à son adresse officielle en Suisse le 11 novembre 2021, le Tribunal a cité A______ à comparaître à une audience agendée le 13 décembre suivant. Il lui a communiqué à la même occasion une copie de la requête de son épouse et l'a invité à déposer des pièces.

e. Le pli a été distribué le 15 novembre 2021. Selon les documents postaux, la même personne a retiré le pli convoquant A______ et celui convoquant B______. La signature, identique pour les deux documents, est illisible.

Selon l'appel de A______, son épouse avait retiré le pli et lui avait astucieusement dissimulé l'existence de la procédure.

f. Lors de l'audience de comparution personnelle des parties du 13 décembre 2021, B______ a confirmé les termes de sa requête.

A______ n'était ni présent, ni excusé, ni représenté. Il n'a déposé aucune pièce avant l'audience.

La cause a été gardée à juger au terme de l'audience.

g. Le Tribunal a rendu un jugement non motivé, notifié à A______ le 22 décembre 2021 à son adresse officielle.

h. Par courrier expédié le 29 décembre 2021, A______ a requis la motivation dudit jugement.

i. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que A______ avait quitté le domicile conjugal le 30 décembre 2019 et qu'il y avait donc lieu d'allouer sa jouissance à B______.

EN DROIT

1. 1.1 Selon l'art. 308 al. 1 let. b CPC, l'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles, telles que les décisions sur mesures protectrices de l'union conjugale prononcées en procédure sommaire (art. 175 et ss CC, 271 et ss CPC; ATF 137 III 475 consid. 4.1), dans les causes non patrimoniales ou dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions de première instance, est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

En l'espèce, la cause porte essentiellement sur la jouissance de l'appartement conjugal de sorte que la procédure est de nature patrimoniale et la valeur litigieuse, calculée conformément à l'art. 92 al. 2 CPC, dépasse le montant de 10'000 fr.; la voie de l'appel est ouverte.

Interjeté dans le délai de dix jours (art. 271 et 314 al. 1 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 252 et 311 CPC), l'appel est recevable, nonobstant son intitulé de "recours".

1.2
1.2.1
En appel, conformément à l'art. 317 al. 1 CPC. les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte qu'aux conditions suivantes: ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a); ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

1.2.2 En l'espèce, ainsi qu'il va être vu, l'appelant n'a pas pu régulièrement participer à la procédure de première instance, de sorte qu'il a été empêché sans sa faute d'alléguer les faits et de produire les pièces utiles à sa cause. Invoqués sans retard simultanément à son appel, ils sont recevables.

Il n'en va pas de même du courrier et des pièces déposés à la Cour après l'expiration du délai d'appel, car ils ne remplissent pas les conditions de l'art. 317 CPC : l'appelant aurait dû les produire dans le délai d'appel.

2. L'appelant reproche à l'intimée de l'avoir empêché de participer à la procédure de première instance.

2.1
2.1.1
La jurisprudence a déduit de l'art. 29 al. 2 Cst. le droit des parties d'être informées et de s'exprimer sur les éléments pertinents du litige avant qu'une décision touchant leur situation juridique soit prise, d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 135 V 465 consid. 4.3.2; 133 I 270 consid. 3.1 et les références). Le droit d'être entendu est à la fois une institution servant à l'instruction de la cause et une faculté de la partie, en rapport avec sa personne, de participer au prononcé de décisions qui lèsent sa situation juridique (ATF 126 I 15 consid. 2a/aa; 124 I 49 consid. 3a et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 8C_110/2021, 8C_175/2021 du 26 janvier 2022 consid. 7.3.1).

2.1.2 En principe, le droit d'être entendu est une garantie procédurale à caractère formel, dont la violation entraîne la nullité ou l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 141 V 495 consid. 2.2; 127 V 431 consid. 3d/aa).

Une décision rendue sans que le défendeur n'ait été valablement cité est frappée de nullité (ATF 122 I 97 consid. 3a/aa; Bohnet, Commentaire romand - CPC, 2ème éd. 2019, n. 31 ad art. 133 CPC).

La nullité d'un jugement doit être relevée d'office, en tout temps et par toutes les autorités chargées d'appliquer le droit. Elle peut également être invoquée dans un recours - et même encore dans la procédure d'exécution. Des décisions entachées d'erreurs sont nulles si le vice qui les affecte est particulièrement grave, s'il est manifeste ou du moins facilement décelable et si, de surcroît, la sécurité du droit n'est pas sérieusement mise en danger par l'admission de la nullité. Des vices de fond d'une décision n'entraînent qu'exceptionnellement sa nullité. Entrent avant tout en considération comme motifs de nullité l'incompétence fonctionnelle et matérielle de l'autorité appelée à statuer, ainsi qu'une erreur manifeste de procédure. Des vices de procédure qui tiennent à des violations du droit d'être entendu sont en soi guérissables et ne conduisent en règle générale qu'à l'annulabilité de la décision entachée du vice. S'il s'agit cependant d'un manquement particulièrement grave aux droits essentiels des parties, les violations du droit d'être entendu entraînent aussi la nullité. C'est en particulier le cas quand la personne concernée par une décision, à défaut d'avoir été citée, ignore tout de la procédure ouverte à son encontre et, partant, n'a pas eu l'occasion d'y prendre part (parmi d'autres : ATF 129 I 361 consid. 2.1 = JT 2004 II 47; arrêt du Tribunal fédéral 4A_646/2020 du 12 avril 2021 consid. 3.3.1 à 3.3.3; 4A_14/2015 du 26.2.2015 consid. 3).

Une violation du droit d'être entendu en instance inférieure peut être réparée, pour autant qu'elle ne soit pas d'une gravité particulière, lorsque l'intéressé a eu la faculté de se faire entendre en instance supérieure par une autorité disposant d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (ATF 130 II 530 consid. 7.3; 127 V 431 consid. 3d/aa; 126 V 130 consid. 2b).

2.1.3 Les citations, ordonnances et décisions sont notifiées par envoi recommandé ou d'une autre manière contre accusé de réception (art. 138 al. 1 CPC).

L'acte est réputé notifié lors de la remise effective au destinataire (art. 138 al. 2 CPC). En cas d'envoi recommandé et lorsque le destinataire qui ne retire pas l'envoi recommandé devait s'attendre à le recevoir, l'acte est également réputé notifié à l'expiration d'un délai de sept jours à compter de l'échec de la remise (art. 138 al. 3 let. a CPC).

En effet, celui qui se sait partie à une procédure judiciaire et qui doit dès lors s'attendre à recevoir notification d'actes du juge, est tenu de relever son courrier ou, s'il s'absente de son domicile, de prendre des dispositions pour que celui-ci lui parvienne néanmoins. A défaut, il est réputé avoir eu, à l'échéance du délai de garde, connaissance du contenu des plis recommandés que le juge lui adresse (ATF 139 IV 228 consid. 1.1).

Un devoir procédural, qui impose aux parties de se comporter conformément aux règles de la bonne foi, soit notamment de se préoccuper de ce que les actes judiciaires concernant la procédure puissent leur être notifiés, ne prend toutefois naissance qu'à partir de la litispendance (arrêt du Tribunal fédéral 5A_466/2012 du 4 septembre 2012 consid. 4.1.1) et la fiction de notification ne déploie pas déjà ses effets pour le premier envoi notifié au défendeur (ATF 138 III 225 = JT 2012 II 457 consid. 3.1 et référence).

2.2 En l'espèce, l'intimée a introduit une requête de mesures protectrices contre l'appelant en mentionnant, d'une part, l'adresse officielle de l'appelant en Suisse, qui était la même que la sienne, et, d'autre part, le fait que l'appelant avait quitté définitivement notre pays pour le Mali.

L'autorité précédente a ainsi convoqué l'appelant à une audience et lui a communiqué la requête en adressant un envoi recommandé à son adresse en Suisse.

L'appelant soutient n'avoir pas été atteint par cet envoi.

Etant donné qu'aucune procédure judiciaire n'était ouverte contre l'appelant, celui-ci ne devait pas s'attendre à recevoir un pli du Tribunal. Il n'avait donc pas, en son absence, à prendre des dispositions concernant son courrier.

Or, il a été établi que l'appelant était au Mali de décembre 2019 à décembre 2021, la citation a donc été envoyée à une adresse à laquelle il ne se trouvait pas pendant cette période. Rien ne permet de retenir qu'il l'ait effectivement reçue, eu égard aux signatures identiques figurant sur les avis de réception des plis recommandés expédiés par le Tribunal à l'épouse de l'appelant et à lui-même.

Le comportement de l'intimée se situe pour sa part à la limite de la bonne foi : elle a donné à l'autorité l'adresse de son mari en Suisse, alors qu'elle savait pertinemment qu'il ne s'y trouvait pas, puisqu'elle habite au même endroit. Elle a ainsi présenté les faits de façon à induire le Tribunal en erreur sur le lieu auquel l'appelant pouvait être atteint.

Les procédés du Tribunal ne sont pas non plus exempts de reproches, puisque l'intimée avait expressément déclaré dans sa requête que l'appelant avait définitivement quitté la Suisse, ce que le Tribunal a retenu à l'appui de son jugement. Il était donc prévisible qu'une convocation envoyée à son adresse en Suisse ne l'atteindrait pas. Si le Tribunal estimait ne pas être en possession d'une adresse valable, il aurait dû procéder à des recherches ou inviter l'intimée à le renseigner - par exemple sur une adresse à l'étranger -, conformément à l'art. 141 al. 1 let. a CPC, avant d'envisager un autre mode de notification.

En résumé, l'appelant n'a jamais été valablement informé de la procédure dirigée contre lui, a été empêché d'y participer et ne peut être tenu responsable de cette situation.

Par conséquent, le jugement a été rendu alors qu'aucune occasion n'avait été donnée à l'appelant d'exercer son droit d'être entendu. Ce vice serait susceptible de conduire la Cour à constater la nullité du jugement entrepris, la gravité de l'atteinte excluant une réparation au stade de l'appel. Cela étant, l'appelant a formé appel du jugement entrepris dans le délai utile et sollicite uniquement l'annulation d'une partie de son dispositif, concernant la question du logement du conjugal. Il souscrit expressément aux autres points. Ainsi, il suffit de prononcer l'annulation du ch. 2 du dispositif du jugement entrepris (attribution du logement conjugal), ainsi que des ch. 5, 6 (frais et dépens) et 7 (déboutement des autres conclusions). La cause sera renvoyée au Tribunal afin qu'il reprenne l'instruction de la cause en notifiant la requête de mesures protectrices à l'appelant et en le convoquant à une audience, non sans lui avoir donné l'occasion de produire des pièces. La protection des droits de l'appelant sera suffisamment assurée par l'annulation partielle du jugement entrepris, sans qu'il soit nécessaire de le sanctionner par la nullité.

3. 3.1 Etant donné que la cause est renvoyée à l'autorité de première instance, celle-ci statuera sur les frais dans sa décision finale à rendre (art. 104 al. 1 CPC).

3.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 800 fr. (art. 17 et 35 RTFMC), mis à la charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance de même montant versée par l'appelant (art. 111 al. 1 CPC).

L'intimée sera condamnée à rembourser ce montant à l'appelant (art. 111 al. 2 CPC).

Les parties ayant comparu en personne, aucun dépens ne sera alloué.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPI/15879/2021 rendu le 16 décembre 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19452/2021.

Au fond :

Annule les chiffres 2 et 5 à 7 du dispositif du jugement entrepris.

Retourne la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais de la procédure à 800 fr., les met à charge de B______ et les compense avec l'avance versée par A______.

Condamne B______ à rembourser 800 fr. à A______ à titre de remboursement des frais.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Camille LESTEVEN

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.