Skip to main content

Décisions | Chambre civile

1 resultats
C/26458/2020

ACJC/778/2022 du 31.05.2022 sur JTPI/14690/2021 ( OO ) , CONFIRME

Normes : CPC.82; CPC.81
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/26458/2020 ACJC/778/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du mardi 31 mai 2022

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par la 16ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 22 novembre 2021, comparant par
Me Pascal PETROZ, avocat, Perréard de Boccard SA, Rue du Mont-Blanc 3, Case postale, 1211 Genève 1, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

HOIRIE DE FEU B______, soit pour elle:

 

Madame C______, domiciliée ______ [GE],

Madame D______, domiciliée ______, USA,

Madame E______, domiciliée I______, Espagne,

Madame F______, domiciliée ______ [VD],

intimées, représentées par Me H______, représentant de la communauté héréditaire, lui-même comparant par Me Philippe JUVET, avocat, rue de la Fontaine 2, 1204 Genève, en l'Étude duquel elles font élection de domicile,

et

Madame C______, domiciliée ______ [GE], intimée ainsi qu'appelée en cause, comparant en personne.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/14690/2021 du 22 novembre 2021, le Tribunal de première instance a rejeté la demande d'appel en cause formée par A______ SA à l'encontre de C______ (chiffre 1 du dispositif) et réservé le sort des frais judiciaires (ch. 2).

B. a. Par acte du 6 décembre 2021, A______ SA a interjeté recours contre ce jugement, reçu par elle le 24 novembre 2021, concluant principalement à son annulation et à l'admission de l'appel en cause.

b. Par arrêt ACJC/3/2022 du 4 janvier 2022, la Chambre civile de la Cour de justice a suspendu le caractère exécutoire du jugement querellé et dit qu'il serait statué sur les frais dans l'arrêt rendu sur le fond.

c. Aux termes de leur réponse du 30 décembre 2021, C______, D______, E______ et F______, membres de l'hoirie de feu B______, ont conclu au rejet du recours.

d. Par courrier du 31 décembre 2021, C______ a fait savoir qu'elle ne s'opposait pas à l'appel en cause.

e. A______ SA a répliqué en date du 14 janvier 2022, persistant dans ses conclusions.

f. Les membres de l'hoirie de feu B______ ont dupliqué le 4 février 2022, persistant dans leurs conclusions.

g. Par avis du 4 mars 2022, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Il résulte du dossier les éléments pertinents suivants :

a. Les époux B______ et C______ étaient les copropriétaires des immeubles sis 1______ sur la commune de I______ (VD), dont la gérance était assurée par A______ SA.

b. Le ______ 2018, B______ est décédé, laissant pour héritiers son épouse précitée et ses trois filles d'une première union, D______, E______ et F______.

c. Le 1er mars 2018, G______, fils de C______, a informé A______ SA du décès de son beau-père et instruit la régie de verser désormais les loyers perçus des immeubles de I______ sur un compte de sa mère.

d. Le 26 août 2019, la Justice de paix a constaté la mésentente au sein de l'hoirie (entre la veuve et les trois filles du défunt) et désigné un représentant de la communauté héréditaire.

e. Le 2 mars 2020, le représentant de la communauté héréditaire a avisé A______ SA de ce que les versements effectués sur le compte de C______ après le décès de son époux, en relation avec les loyers encaissés, l'avaient été sans l'accord de l'ensemble des héritières et engageaient la responsabilité de la régie.

f. Le 20 mars 2020, A______ SA a été sommée de verser sans délai, sur le compte des héritières de feu B______, un montant de 161'886 fr., correspondant à la moitié des loyers versés à C______ entre le 1er mars 2018 et le 29 février 2020 selon le décompte de la régie.

A______ SA s'est exécutée le 25 mars 2020 (date valeur : 27 mars 2020).

g. Le 18 décembre 2020, A______ SA a déposé auprès du Tribunal "une action pour cause d'enrichissement illégitime" à l'encontre des quatre membres de l'hoirie de feu B______, prises en consorité nécessaire.

A l'appui de sa demande, A______ SA a notamment exposé que, dans le cadre de la gérance des immeubles de propriété des époux B______/C______, c'était toujours G______ qui donnait les instructions pour le compte des propriétaires, A______ SA ignorant l'existence des trois filles de B______.

A______ SA estimait avoir payé aux membres de l'hoirie le montant de 161'886 fr. sans cause légitime, sur la base de pressions dont les conséquences lui paraissaient intolérables et donc involontairement. Partant, elle était en droit d'exiger la restitution des 161'886 fr., plus intérêts à 5% l'an dès le 27 mars 2020. L'hoirie s'était d'ailleurs indûment enrichie, dès lors que C______ avait entièrement affecté les loyers perçus par elle au paiement de dettes et de charges de la succession.

h. A l'audience de conciliation du 16 juin 2021, les parties, soit A______ SA, d'une part, et les quatre membres de l'hoirie d'autre part, ne sont pas parvenues à un accord, de sorte que le Tribunal a délivré, le même jour, à A______ SA, l'autorisation de procéder.

i. Le 23 juillet 2021, A______ SA a déposé devant le Tribunal une demande en paiement à l'encontre des consorts C______, D______, E______ et F______. Elle a par ailleurs appelé en cause C______.

Aux termes de ses conclusions, A______ SA a conclu à ce que les consorts nécessaires C______, D______, E______ et F______ soient condamnées à lui payer 161'886 fr., plus intérêts à 5% l'an dès le 27 mars 2020, sous suite de frais judiciaires et dépens. A______ SA a repris les mêmes conclusions à l'encontre de l'appelée en cause, C______, dans l'hypothèse où le Tribunal débouterait la demanderesse de son action principale.

j. Par ordonnance du 25 août 2021, le Tribunal a imparti aux quatre membres de l'hoirie, d'une part, et à C______, d'autre part, un délai pour se déterminer sur la recevabilité de l'appel en cause.

k. Par écriture du 23 septembre 2021, les hoirs ont observé que l'appel en cause était en principe réservé à la partie défenderesse, quand bien même le CPC faisait référence à la possibilité (pour le demandeur) d'introduire l'appel en cause avec la réplique. L'appel en cause ne devait pas permettre de couvrir l'hypothèse du demandeur qui se trompait de défendeur et tentait ainsi de réparer une erreur. Dans le cas d'espèce, A______ SA tentait, par l'institution de l'appel en cause, de rattraper l'erreur procédurale commise au moment du dépôt de la requête en conciliation et consistant à ne désigner comme partie adverse que les membres de l'hoirie de feu B______, sans attraire individuellement C______ qui, en sa qualité de copropriétaire des immeubles, avait perçu indûment l'intégralité des loyers après le décès de son époux. L'appel en cause n'était donc pas recevable.

l. Par courrier du 24 septembre 2021, C______ a fait savoir qu'elle ne s'opposait pas à la requête d'appel en cause, dès lors qu'elle était déjà attraite en sa qualité de membre de l'hoirie et qu'elle souhaitait pouvoir se déterminer sur la demande.

m. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que les prétentions de A______ SA contre C______ ne dépendaient pas de la prétention principale contre les membres de l'hoirie. L'admissibilité des prétentions contre C______, fondées sur le contrat de mandat liant la régie aux époux B______/C______, ne dépendait pas de l'admission ou du rejet de l'action en enrichissement illégitime déposée à l'encontre de l'hoirie. D'ailleurs, une admission partielle de l'action en enrichissement illégitime à l'encontre de l'hoirie n'impliquait pas nécessairement une réduction dans la même proportion des obligations de C______ découlant du contrat de mandat. Enfin, C______ était déjà partie à la procédure en tant que membre de l'hoirie, de sorte qu'elle pourrait en tout état de cause faire valoir son point de vue. Aussi, les conditions de l'appel en cause n'étaient pas réunies.

EN DROIT

1. La décision refusant l'appel en cause, comme son admission, peut faire l'objet d'un recours limité au droit selon l'art. 319 CPC (cf. art. 82 al. 4 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_191/2013 du 1er novembre 2013 consid. 3.1).

Introduit dans un délai de dix jours, le recours respecte, pour le surplus, la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 321 CPC), de sorte qu'il est recevable.

2. 2.1.1 Chaque partie au procès principal peut appeler en cause un tiers contre lequel elle estime avoir des prétentions pour le cas où elle succomberait sur la demande principale (art. 81 al. 1 CPC).

2.1.2 Procéduralement, dans une première étape, l'appelant en cause dépose une requête d'admission de l'appel en cause (art. 82 al. 1 CPC; Zulassungsgesuch), qui doit être introduite avec la réponse (si l'appel en cause est formé par le défendeur) ou avec la réplique (si l'appel en cause est formé par le demandeur). Après avoir entendu la partie adverse et l'appelé en cause (art. 82 al. 2 CPC), le tribunal statue sur l'admissibilité de l'appel en cause.

Selon la jurisprudence, l'art. 82 al. 1 phrase 1 CPC détermine le moment le plus tardif auquel l'admission d'une action en dénonciation de litige peut être demandée (ATF 139 III 67 consid. 2.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_341/2014 du 5 novembre 2014 consid. 2.3) : pour le défendeur, le moment le plus tardif est la réponse à la demande, pour le demandeur, la réplique.

A l'inverse, il ne découle pas de l'art. 82 al. 1 phrase 1 CPC que le demandeur ne devrait pas déposer la demande d'admission avec la requête s'il peut déjà évaluer à ce moment-là qu'il serait judicieux d'impliquer la tierce personne. Une telle procédure ne retarde pas la procédure principale, mais crée au contraire le plus tôt possible la transparence et répond ainsi au but poursuivi par la limite de temps fixée par la loi (arrêt du Tribunal fédéral 4A_341/2014 du 5 novembre 2014 consid. 2.3). La loi tient compte du fait que, dans de nombreux cas, il peut être utile, voire nécessaire, pour le demandeur d'attendre la réponse et donc la position du défendeur, afin de pouvoir évaluer l'opportunité d'une action en dénonciation du litige, en autorisant explicitement le demandeur à introduire la demande en dénonciation du litige avec la réplique. Mais si le demandeur peut déjà évaluer l'opportunité d'une action en dénonciation au moment de la rédaction de la demande, rien ne s'oppose à ce qu'il ne puisse pas déposer la demande d'admission à ce moment-là.

Si le demandeur présente la requête d'appel en cause avec la demande, le tribunal n'est pas tenu d'attendre la réplique pour rendre sa décision d'admission. Il peut statuer immédiatement sur la demande d'appel en cause après avoir recueilli les avis selon l'art. 82 al. 2 CPC, dans la mesure où la décision y relative est en état d'être rendue, c'est-à-dire si, à ce moment-là, la situation de fait et de droit permet déjà d'apprécier de manière suffisante si les conditions de l'action en dénonciation de litige sont remplies (arrêt du Tribunal fédéral 4A_341/2014 du 5 novembre 2014 consid. 2.3).

2.1.3 Il résulte du texte même de l'art. 81 al. 1 CPC ("estime avoir contre [le dénoncé], pour le cas où il succomberait") que la prétention revendiquée dans l'appel en cause doit présenter un lien de connexité matérielle (sachlicher Zusammenhang) avec la demande principale.

L'appel en cause ne permet toutefois pas de faire valoir toutes les prétentions qui ont un rapport matériel quelconque avec la prétention principale. Au contraire, la recevabilité de l'appel en cause se limite aux prétentions qui dépendent de l'existence de la prétention principale. Il s'agit notamment des prétentions en garantie contre un tiers, des prétentions récursoires ou en dommages-intérêts, ainsi que des droits de recours contractuels ou légaux (ATF 139 III 67 consid. 2.4.3). Ne sont pas connexes dans le sens exigé par l'art. 81 CPC les prétentions qui sont certes en lien avec la cause principale mais qui ne dépendent pas de son résultat (arrêt du Tribunal fédéral 4A_341/2014 du 5 novembre 2014 consid. 3.3) et constituent des prétentions autonomes contre le tiers (arrêt du Tribunal fédéral 5A_753/2021 du 27 janvier 2022 consid. 2.1).

2.2 En l'espèce, la recourante, en sa qualité de mandataire, a versé à l'appelée en cause, après le décès de son époux, l'intégralité des loyers des immeubles copropriété des époux. Deux ans plus tard, sur invitation du représentant de la communauté héréditaire, la recourante a versé la moitié des loyers encaissés depuis le décès du copropriétaire aux quatre héritières de ce dernier, qui lui avaient succédé.

Dans l'action principale en paiement, dirigée contre les membres de l'hoirie, la recourante réclame la restitution des 161'886 fr. qu'elle leur a versés le 25 mars 2020. Les membres de l'hoirie se seraient enrichies indûment, dès lors qu'elles auraient bénéficié indirectement des loyers versés à l'ex-épouse du défunt, utilisés par cette dernière pour régler les dettes et charges de la succession.

Dans l'appel en cause, la recourante réclame à la veuve du défunt, aussi membre de l'hoirie, sur la base des règles du mandat, le paiement de la somme versée aux hoirs le 25 mars 2020, et ce pour le cas où elle serait en fait déboutée, en tout ou partie, de son action en enrichissement illégitime.

Avec le premier juge, il convient de constater que l'appel en cause ne porte en l'espèce pas sur une créance dépendant d'une autre créance à examiner dans le cadre de l'action en paiement principale. Il s'agit en réalité d'une seule et même prétention dirigée d'abord contre les membres de l'hoirie dans la procédure principale, puis (éventuellement) contre l'appelée en cause, dans l'hypothèse où il s'avérerait que les membres de l'hoirie ne seraient pas tenues à restitution. De telles conclusions alternatives, reposant sur des fondements juridiques distincts, ne présentent pas la connexité nécessaire au sens de l'art. 81 CPC.

C'est ainsi à juste titre que le Tribunal a rejeté la requête d'appel en cause, sans qu'il ne soit nécessaire de trancher la question de savoir s'il est possible d'appeler en cause une personne déjà partie à la procédure principale, en l'occurrence en tant que membre d'une hoirie, et qui n'est pas formellement un tiers extérieur au procès ("aussen stehenden Dritten" : cf. BSK ZPO, 2017, n° 25 ss ad art. 81 CPC).

3. Les frais judiciaires de recours seront mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront arrêtés à 1'400 fr. (art. 41 RTFMC), comprenant les frais relatifs à la décision rendue sur effet suspensif, et entièrement compensés avec l’avance de même montant versée par la recourante, qui reste acquise à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

La recourante sera en outre condamnée à verser aux intimées, membres de la communauté héréditaire, la somme de 1'500 fr. à titre de dépens.

L'appelée en cause, qui s'est brièvement déterminée sur le recours, sans motivation juridique, ne prétend pas à des dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 6 décembre 2021 par A______ SA contre le jugement JTPI/14690/2021 rendu le 22 novembre 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/26458/2020.

Au fond :

Rejette le recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'400 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense entièrement avec l'avance versée par celle-ci, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser à C______, D______, E______ et F______, solidairement, 1'500 fr. à titre de dépens de recours.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens à C______, en tant qu'appelée en cause.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

La présidente :

Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE

 

La greffière :

Camille LESTEVEN

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.