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Décisions | Chambre civile

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C/49/2018

ACJC/580/2022 du 03.05.2022 sur ORTPI/1350/2021 ( OO ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 07.06.2022, rendu le 14.07.2022, IRRECEVABLE, 4A_254/2022
Normes : CPC.126; CPC.319.letb.ch2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/49/2018 ACJC/580/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du mardi 3 mai 2022

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, Grande-Bretagne, recourant à l'encontre d’une ordonnance rendue par la 19ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 8 décembre 2021, comparant par Me Matteo PEDRAZZINI et Me Marjolaine VIRET, avocats, PMA Avocats, rue De-Candolle 11, 1205 Genève, en l'Étude desquels il fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______, Brésil, intimée, comparant par Me Daniel KINZER, avocat, CMS von Erlach Partners SA, rue Bovy-Lysberg 2, case postale 5067, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance ORTPI/1350/2021 du 8 décembre 2021, le Tribunal de première instance a rejeté la requête en suspension de la procédure introduite par A______ contre B______ SA et imparti aux parties un délai au 24 janvier 2022 pour se déterminer sur les questions de la compétence ratione loci du Tribunal, de l'irrecevabilité de la conclusion n° 3 et de l'application de l'art. 84 CO.

B. a. Par acte déposé à la Cour de justice le 20 décembre 2021, A______ a formé recours contre cette ordonnance, dont il a requis l'annulation, concluant principalement à ce que la procédure soit suspendue jusqu'à droit jugé sur les "procédures au fond actuellement en cours au Brésil". A______ a requis préalablement l'octroi de l'effet suspensif au recours.

b. Par arrêt du 7 janvier 2022, la Cour de justice a rejeté la requête d'effet suspensif formée par A______.

c. Aux termes de sa réponse au recours du 14 janvier 2022, B______ SA a conclu principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, sous suite de frais judiciaires et de dépens.

d. Par avis du 3 février 2022, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Il ressort du dossier les éléments pertinents suivants :

a. B______ SA est un établissement bancaire de droit brésilien, avec siège à ______ (Brésil).

A______ est un citoyen brésilien, domicilié à ______ (Grande-Bretagne).

b. B______ SA a conclu avec C______ (ci-après : C______), société anonyme de droit brésilien, trois contrats de change (contrats nos 1______, 2______ et 3______), sur la base desquels elle a octroyé à C______ trois avances sur change totalisant BRL 19'362'255.24.

c. A______ a signé trois billets à ordre ("Nota Promissoria") aux fins de garantie des trois contrats précités, par lesquels il s'est engagé à payer à vue, l'équivalent en réaux brésiliens des sommes de 1'858'0070 USD (contrat n° 1______), 4'338'522.24 USD (contrat n° 2______) et 600'000 USD (contrat n° 3______). garantissant les trois contrats précités, au côté d’autres garants pour deux des trois contrats.

d. Selon B______ SA, C______ n'a pas remboursé ses dettes à l’échéance.

e. Le 11 mai 2016, B______ SA a initié contre C______ et contre les garants, devant les tribunaux brésiliens, deux procédures en exécution des trois billets à ordre signés par A______ (actions n° 4______ et n° 5______).

f. Le 16 juin 2016, B______ SA a requis et obtenu du Tribunal de première instance à Genève le séquestre des avoirs bancaires appartenant à A______ auprès de la banque E______ & Cie SA, à concurrence de 6'552'850 fr. 40, plus intérêts.

g. Le 22 mars 2017, B______ SA a fait notifier à A______ un commandement de payer, à hauteur de 6'552'850 fr. 40, auquel ce dernier a fait opposition.

h. Le Tribunal de première instance a prononcé la mainlevée provisoire de ladite opposition par jugement du 29 novembre 2017, confirmé par la Cour de justice le 16 mars 2018 (ACJC/346/2018), laquelle a notamment considéré que les procédures pendantes au Brésil n'étaient pas aptes à valider le séquestre, s'agissant de procédures d'exécution forcée ayant pour but d'exproprier les biens du débiteur; ces procédures n'étaient pas susceptibles d'aboutir à des décisions condamnatoires.

i. Le 4 janvier 2018, A______ a introduit une action en libération de dette à l'encontre de B______ SA, enregistrée par le Tribunal de première instance sous numéro de cause C/49/2018.

Il a conclu à titre préalable à la suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur le sort des procédures n° 5______ et n° 4______ pendantes devant les juridictions brésiliennes.

Sur le fond, il a conclu principalement à ce que le Tribunal dise qu'il ne doit pas la somme de 6'552'850 fr. 40 ni toute autre somme à B______ SA en lien avec les billets à ordre portant les nos 1______, 2______, et 3______, dise que le commandement de payer poursuite n° 6______ portant sur la somme de 6'552'850 fr. 40 n'ira pas sa voie et annule ledit commandement payer.

j. Par jugement du 11 septembre 2018, le Tribunal, statuant sur incident de litispendance, a suspendu la procédure jusqu'à droit connu sur le sort des procédures civiles n° 5______ et n° 4______ initiées devant les juridictions brésiliennes.

k. Par arrêt du 9 mars 2019 (ACJC/440/2019), la Cour de justice a rejeté l'exception de litispendance soulevée par A______ et annulé le jugement du Tribunal ordonnant la suspension de la procédure. La Cour a considéré qu'à la différence de l'action en libération de dette intentée à Genève, les procédures en cours au Brésil n'avaient pas pour objet d'élucider les prétentions éventuellement conférées à B______ SA par les billets à ordre; il s'agissait plutôt de procédures d'exécution forcée fondées sur un titre constatant ces prétentions, tendant à l'expropriation de biens des parties débitrices spécifiés par B______ SA.

Le recours au Tribunal fédéral formé par A______ à l'encontre de cet arrêt a été déclaré irrecevable (arrêt 4A_214/2019 du 20 septembre 2019).

l. Dans sa réponse à la demande, déposée le 17 décembre 2020, B______ SA a conclu à l'irrecevabilité de l'action en libération de dette introduite par A______. Les tribunaux genevois étaient incompétents ratione loci, la conclusion n° 3 de la demande n'était pas chiffrée et libellée de manière trop vague, alors que les conclusions n° 3 et 8 étaient formulées dans la mauvaise devise.

m. Aux termes de sa réplique du 16 mars 2021, A______ a persisté dans ses conclusions et conclu, en sus, à la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé sur les procédures n° 5______ et n° 4______ pendantes devant les juridictions brésiliennes. Une expertise avait été ordonnée au Brésil pour déterminer le montant des créances alléguées par B______ SA ainsi que la nature des relations contractuelles sur lesquelles reposait la garantie fournie par A______, soit les mêmes questions que celles soumises au juge suisse. Le refus de suspendre la procédure suisse l'exposait au risque d'un rejet de l'action en libération de dette, qui aurait force de chose jugée, alors même que les tribunaux brésiliens pourraient aboutir à la conclusion que les montants réclamés par B______ SA n'étaient pas dus en tout ou en partie.

n. Aux termes de sa duplique, du 17 juin 2021, B______ SA a exposé qu'aucune expertise n'avait été ordonnée dans la première procédure d'exécution forcée brésilienne, concernant le billet à ordre no 1______. Dans la seconde procédure, la Cour supérieure de justice avait considéré, aux termes d'un arrêt du 10 décembre 2020, qu'il convenait de mandater un expert pour déterminer la nature juridique des transactions conclues entre B______ SA et C______, intitulées contrats de change nos 2______ et 3______ et, dans l'hypothèse où ces transactions seraient requalifiées de contrats de prêts, définir le montant dû par A______ à B______ SA. En aucun cas, il n'y aurait le risque de jugements contradictoires, la procédure suisse étant une procédure au fond. Enfin, le principe de célérité commandait de ne pas suspendre la procédure.

o. A l'audience du 29 septembre 2021, le Tribunal a informé les parties qu'il limitait la procédure aux questions de la suspension de la procédure, de la compétence ratione loci du Tribunal, de l'irrecevabilité de la conclusion n° 3 et de l'application de l'art. 84 CO.

p. Dans l'ordonnance entreprise, le Tribunal a considéré, en application de l'art. 126 CPC, qu'il ne se justifiait pas de suspendre la procédure, dès lors qu'il n'était démontré ni que les procédures au Brésil poursuivaient le même but que l'action en libération de dette pendante à Genève ni que des décisions seraient rendues dans un délai convenable au Brésil.

EN DROIT

1. Une décision de refus de suspension de la procédure - à la différence du prononcé de la suspension (cf. art. 126 al. 2 en lien avec art. 319 lit. b ch. 1 CPC) - est susceptible de recours immédiat stricto sensu (arrêts du Tribunal fédéral 5D_182/2015 du 2 février 2016 consid. 1.3; 5A_545/2017 du 13 avril 2018 consid. 3.2), dans un délai de 10 jours (art. 321 al. 2 CPC), pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC), pour autant que le recourant soit menacé d'un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

En l'espèce, le recours a été déposé dans le délai et la forme requis par la loi (art. 143 al. 1, et 321 al. 1 et 2 CPC). Reste à examiner si la décision querellée peut causer au recourant un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.

2. La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" consacré par l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Ainsi, elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2; Colombini, Code de procédure civile, condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, n° 4.1.3 ad art. 319 CPC; Jeandin, CR CPC, 2ème éd. 2019, n° 22 ad art. 319 CPC et références citées).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2010, n° 8 ad art. 319 CPC; Jeandin, op. cit., n° 22a ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1; Haldy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 9 ad art. 126 CPC).

Le risque de ne pas obtenir gain de cause ne constitue pas un dommage difficile à réparer, mais un risque inhérent à toute procédure judiciaire. Un accroissement des frais ou une simple prolongation de la procédure ne représentent pas non plus un tel préjudice (Spühler, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2017, n. 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, 2013, n. 25 ad art. 319 CPC).

En l'espèce, le lien de connexité entre les procédures initiées au Brésil et en Suisse n'est pas contestable, celles-ci ayant pour origine le même complexe de faits, soit des prétentions élevées par l'intimée contre le recourant fondées sur des billets à ordre émis au titre de garantie en lien avec trois contrats de change (ou de prêt).

Toutefois, la Cour de céans a déjà constaté, aux termes de son précédent arrêt du 9 mars 2019 (ACJC/440/2019), que les procédures ouvertes au Brésil n'étaient pas de même nature que l'action en libération de dette ouverte en Suisse, les premières étant des procédures d'exécution forcée se fondant sur l'existence d'un titre exécutoire permettant l'expropriation de biens du débiteur. C'est ce que semble admettre le recourant, qui affirme que si les contrats sous-jacents aux billets à ordre seraient qualifiés par les tribunaux brésiliens de contrats de prêt (et non pas de contrats de change), les billets à ordre perdraient alors leur caractère de titre exécutoire (ch. 21 et 22 du recours), dans le cadre des procédures brésiliennes en exécution forcée. Or, l'action en libération de dette pendante en Suisse est une procédure ordinaire au fond, qui tend à faire examiner le bien-fondé de la créance sur la base de l'ensemble des moyens de preuves proposés.

Aussi, quand bien même les procédures en exécution forcée brésiliennes ne pourraient pas être mises en œuvre, en l'absence de titres exécutoires, cela ne priverait pas d'objet l'action en libération de dette pendante en Suisse. Partant, la conduite parallèle des deux procédures ne suffit pas à retenir l'existence d'un préjudice difficilement réparable.

Les arguments tirés des efforts et moyens que le recourant doit engager pour participer à des procédures judiciaires en Suisse et au Brésil n'est par ailleurs pas déterminant, une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne constituant pas un préjudice difficilement réparable.

Le recours est dès lors irrecevable.

3. Les frais judiciaires de recours seront mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront arrêtés à 1'200 fr. (art. 41 RTFMC), comprenant les frais relatifs à la décision rendue sur effet suspensif, et entièrement compensés avec l’avance de même montant versée par le recourant, qui reste acquise à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Le recourant sera en outre condamné à payer à l'intimée 2'000 fr., débours compris mais sans TVA au vu du domicile à l'étranger de cette dernière, à titre de dépens de recours (art. 20, 23 al. 1, 25 et 26 LaCC; art. 85, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare irrecevable le recours interjeté le 20 décembre 2021 par A______ contre l'ordonnance ORTPI/1350/2021 rendue le 8 décembre 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/49/2018.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 1'200 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance de frais versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à B______ SA la somme de 2'000 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.