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Décisions | Chambre civile

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C/21617/2020

ACJC/1227/2021 du 21.09.2021 sur OTPI/180/2021 ( SCC ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 10.11.2021, rendu le 05.04.2022, CONFIRME, 4A_571/2021
Descripteurs : RECUSATION ;DROENT;FAIT MORATOIRE;DENI DE JUSTICE
Normes : CPC.47.al1.letf; CPC.49.al1; LaCC.13.al2; CPC.151
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21617/2020 ACJC/1227/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 21 SEPTEMBRE 2021

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre une ordonnance rendue par la délégation du Tribunal civil de ce canton le 23 février 2021, comparant par Me Hrant HOVAGEMYAN, avocat, Demole Hovagemyan, boulevard du Théâtre 3 bis, case postale 5740, 1211 Genève 11, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ LTD, sise ______ [GE], intimée, comparant par Mes Romain FELIX et Tiffany WILEMETZ, avocats, Sulmoni & Félix, rue de Saint-Léger 2, 1205 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/180/2021 rendue le 23 février 2021, notifiée aux parties le 26 février 2021, la délégation du Tribunal civil a déclaré irrecevable la requête de récusation de A______ SA à l'encontre de la juge C______ (chiffre 1 du dispositif) et a condamné A______ SA à verser à l'Etat de Genève un émolument de décision de 500 fr. compensé avec l'avance de frais fournie (ch. 2).

B. a. Par acte expédié au greffe de la Chambre civile de la Cour de justice (ci-après : la Cour) le 8 mars 2021, A______ SA a formé recours contre cette ordonnance et sollicité son annulation. Cela fait, elle a conclu à ce que la Cour retourne le dossier à la délégation du Tribunal civil afin de recommencer l'instruction de la cause et de prononcer la récusation des membres de dite délégation, qui devrait statuer à nouveau dans une composition différente.

b. La juge C______ s'en est référée à l'ordonnance entreprise.

c. B______ LTD a conclu à ce que la Cour déclare le recours irrecevable en tant qu'il tendait à prononcer la récusation des membres de la délégation du Tribunal civil et à attribuer la cause à une composition différente. Au surplus, elle a conclu au rejet du recours, sous suite de frais judiciaires et dépens.

d. A______ SA et B______ LTD ont répliqué, respectivement dupliqué, et persisté dans leurs conclusions.

e. Par avis du 10 juin 2021, la Cour a informé les parties que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. Le 14 novembre 2016, "B______ LTD, GENEVA BRANCH", en tant que bailleur, et A______ SA, en tant que locataire, ont conclu deux contrats de bail à loyer portant sur la location d'une arcade commerciale située au rez-de-chaussée de l'immeuble abritant l'hôtel D______, à Genève, ainsi que d'une vitrine dans le même établissement.

b. Un litige est survenu entre les parties au sujet de ces contrats, qui a été porté par B______ LTD (ci-après également la bailleresse) devant le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) par deux demandes du 15 mai 2019, après l'échec de la tentative de conciliation. Ce litige porte, d'une part, sur la question de la durée des rapports contractuels s'agissant de l'arcade et de la vitrine (cause C/1______/2019) et, d'autre part, sur un solde de loyer dû pour un total quelque 470'000 fr. (cause C/2______/2019).

Ces deux causes ont été attribuées à la juge C______.

c. Par ordonnances du 24 juin 2019, le Tribunal a fixé à A______ SA (ci-après également la locataire) un délai au 23 août 2019 pour répondre aux demandes dans les causes C/1______/2019 et C/2______/2019.

d. Par requête du 9 août 2019, A______ SA a sollicité du Tribunal qu'il rapporte ses ordonnances du 24 juin 2019 et constate d'emblée l'irrecevabilité des demandes, au besoin après une instruction spécifique liée à cette question. Elle a fait valoir que la bailleresse n'était pas valablement représentée lors de l'audience de conciliation ce qui entraînait l'invalidité des autorisations de procéder et l'irrecevabilité des demandes.

Le 22 août 2019, la locataire a fait savoir au Tribunal qu'elle attendait toujours une réponse à sa requête du 9 août 2019. Elle précisait qu'elle partait du principe que le délai au 23 août 2019 pour répondre aux demandes avait été suspendu dans l'attente d'une décision du Tribunal sur cette requête et, qu'en cas de rejet de celle-ci, un nouveau délai lui serait imparti.

e. Par ordonnance du 29 août 2019, le Tribunal a fixé à la locataire un nouveau délai au 20 septembre 2019 pour répondre sur le fond. Cette ordonnance ne comportait aucune motivation.

f. Le 11 septembre 2019, la locataire a fait savoir au Tribunal qu'il était urgent que celui-ci statue sur sa requête du 9 août 2019.

g. Par ordonnance du 30 septembre 2019, le Tribunal a imparti à la locataire un délai supplémentaire au 15 octobre 2019 pour répondre sur le fond dans les deux causes concernées. Cette ordonnance ne comportait aucun considérant relatif à la demande de limiter la procédure formée par la locataire.

h. Le 4 octobre 2019, A______ SA a saisi la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice (ci-après : la Chambre des baux et loyers) de deux recours pour retard injustifié, dans chacune des causes concernées. Elle a conclu à ce que la Chambre des baux et loyers "constate le déni de justice et ordonne au Tribunal de rendre une décision motivée, susceptible d'être attaquée, au sujet de sa requête du 9 août 2019 et de lui impartir ensuite, cas échéant, un délai pour répondre sur le fond".

Sur requête de la Chambre des baux et loyers, le Tribunal a déposé des observations le 20 novembre 2019. Il a fait valoir qu'en impartissant à la locataire, à réitérées reprises, un délai pour répondre sur le fond, il avait "implicitement" refusé "en l'état" de limiter la procédure à la question de la recevabilité des demandes.

i. Par arrêts ACJC/38/2020 (cause C/1______/2019) et ACJC/39/2020 (cause C/2______/2019) du 13 janvier 2020, la Chambre des baux et loyers a admis les recours et invité le Tribunal à statuer par une décision motivée sur la requête de limitation de la procédure formée par A______ SA le 9 août 2019.

La Chambre des baux et loyers a constaté, dans les considérants des deux arrêts, que la prétendue décision implicite que le Tribunal affirmait avoir rendue violait le droit d'être entendu de A______ SA et était dénuée de motivation.

j. Le 18 octobre 2019, parallèlement aux procédures de recours, A______ SA a répondu aux demandes de la bailleresse et pris des conclusions reconventionnelles à hauteur de 87'500 fr. (montant correspondant à la garantie de loyer versée par la locataire).

k. Le 11 décembre 2019, B______ LTD a conclu à ce que le Tribunal déclare irrecevables les demandes reconventionnelles, subsidiairement les rejette.

l. Par ordonnances OTBL/47/2020 (C/2______/2019) et OTBL/48/2020 (C/1______/2019) du 25 mai 2020, le Tribunal a rejeté la requête de A______ SA visant à limiter la procédure à la question de la recevabilité des demandes et cité les parties à comparaître à une audience de débats, précisant qu'une convocation suivrait.

Dans les considérants de ces ordonnances, le Tribunal, se fondant sur les art. 125, 221 et 222 CPC, a retenu qu'il convenait "de procéder aux débats d'instruction de la cause avant de limiter éventuellement la procédure à certaines questions".

m. Par deux recours pour retard injustifié du 5 juin 2020 formés dans les causes C/1______/2019 et C/2______/2019, A______ SA a conclu à ce que la Chambre des baux et loyers "constate le grave déni de justice, les graves violations du droit d'être entendu et la partialité du Tribunal, constate par conséquent la nullité de l'ordonnance OTBL/47/2020 [respectivement OTBL/48/2020], subsidiairement l'annule, ordonne au Tribunal de rendre une décision motivée au sujet de sa requête du 9 août 2019 et lui enjoigne d'attribuer la cause à une autre chambre [...] afin de garantir son droit à un tribunal indépendant".

Invité à se déterminer sur les recours, le Tribunal a déposé des observations écrites le 17 septembre 2020. Il a exposé avoir donné suite aux arrêts du 13 janvier 2020 en rendant des ordonnances motivées le 25 mai 2020. Le délai pour rendre ces ordonnances s'expliquait par la nécessité d'attendre le retour des dossiers pour statuer et l'interruption de l'activité du Tribunal durant près de deux mois en raison de la crise sanitaire. Il n'était pas possible de faire avancer ces causes aussi longtemps que le Tribunal n'était pas en possession des dossiers, étant rappelé qu'il devait les transmettre à la Chambre des baux et loyers à chaque recours. Les questions liées à la recevabilité des demandes seraient abordées lors des débats d'instruction, avant d'ordonner une éventuelle limitation de la procédure à certaines questions. Le Tribunal n'avait pas pu convoquer des débats d'instruction jusqu'à présent faute de disposer des dossiers de procédure.

n. Par arrêts ACJC/1472/2020 (cause C/1______/2019) et ACJC/1473/2020 (cause C/2______/2019) du 19 octobre 2020, reçus par les parties le 21 octobre 2020, la Chambre des baux et loyers a, à la forme, déclaré irrecevables les recours interjetés le 5 juin 2020 par A______ SA contre les ordonnances précitées en tant qu'ils tendaient à ce qu'elle constate la partialité du Tribunal et enjoigne à celui-ci d'attribuer les causes à une autre chambre. Au fond, elle a constaté que le Tribunal avait tardé de manière injustifiée à statuer.

La Chambre des baux et loyers a retenu, dans les considérants des deux arrêts, que seul le Tribunal civil était compétent pour trancher des questions de récusation ou d'attribution des causes. S'agissant des comportements reprochés à la juge C______, elle a considéré, en substance, que les ordonnances étaient suffisamment motivées pour être comprises et attaquées utilement. Cependant, le Tribunal avait tardé à statuer, puisqu'il ne s'était prononcé que le 25 mai 2020 sur la limitation de la procédure requise par A______ SA le 9 août 2019, alors que les arrêts de la Chambre des baux et loyers lui enjoignant de le faire avaient été rendus le 13 janvier 2020. L'avancement des procédures dans leur ensemble avait pris un retard déraisonnable.

o. Par requête en récusation expédiée le 28 octobre 2020 au greffe du Tribunal, à l'attention de la juge C______, A______ SA a reproché à celle-ci de n'avoir pas (encore) tranché la question de la validité de la conciliation préalable et de n'avoir "rien fait" depuis le 9 août 2019, ce qui avait été souligné par la Chambre des baux et loyers dans ses arrêts de janvier et d'octobre 2020. Il s'agissait de fautes lourdes et répétées fondant un soupçon de partialité. Le fait qu'elle avait tenté de justifier son inaction devant la Chambre des baux et loyers renforçait ce soupçon.

p. Dans ses observations à l'attention de la délégation du Tribunal civil, la juge C______ a contesté que l'un ou l'autre des motifs de récusation énumérés à l'art. 47 CPC soit réalisé en l'espèce. Elle s'en rapportait toutefois à justice, soulignant que, au vu des recours interjetés par A______ SA empêchant de convoquer les causes et du ton employé par l'intéressée, il était possible qu'un autre magistrat "rencontrerait moins de difficultés à faire avancer ces procédures".

q. B______ LTD a conclu à l'irrecevabilité de la requête de récusation, subsidiairement, s'en est rapportée à justice. La requête était tardive et poursuivait un but dilatoire, étant précisé que le retard pris dans les causes C/1______/2019 et 2______/2019 la desservait davantage, en sa qualité de partie demanderesse, que A______ SA.

r. A______ SA a répliqué. Sa requête n'était pas tardive, car elle se fondait sur les arrêts rendus par la Chambre des baux et loyers en octobre 2020. En outre, elle avait expressément demandé la récusation de la juge C______ dans ses recours du 5 juin 2020, de sorte que cette dernière (qui avait été invitée à se déterminer sur ceux-ci) aurait dû inscrire au rôle du Tribunal la requête de récusation comprise dans lesdits recours, aussitôt après avoir eu connaissance des arrêts ACJC/1472/2020 et ACJC/1473/2020.

D. Dans l'ordonnance entreprise, la délégation du Tribunal civil a considéré que A______ SA avait déjà reproché à la juge C______ d'être partiale dans ses recours pour retard injustifié du 5 juin 2020. Ainsi, la requête en récusation déposée quatre mois plus tard était tardive. En tous les cas, les critiques de A______ SA en rapport avec la manière dont les procédures étaient conduites et avec les suites devant être données, selon elle, aux différents arrêts de la Chambre des baux et loyers étaient de nature appellatoire et n'étaient pas de son ressort. Il n'existait aucun indice de partialité de la part de la juge concernée.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions statuant sur une demande de récusation sont uniquement susceptibles de faire l'objet d'un recours, écrit et motivé, auprès de la Chambre civile de la Cour de justice dans un délai de dix jours à compter de leur notification (art. 50 al. 2 et 321 al. 1 et 2 CPC; art. 13 al. 2 LaCC).

La procédure sommaire est applicable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2018 du 12 septembre 2019 consid. 3.3; Wullschleger, Kommentar zur schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 5 ad art. 50 CPC; Tappy, Commentaire romand - CPC, 2ème éd. 2019, n. 21 ad art. 50 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours a été formé dans le délai légal et selon la forme requise, de sorte qu'il est recevable en tant qu'il vise l'annulation de l'ordonnance attaquée et le renvoi de la cause à la délégation du Tribunal civil pour nouvelle décision.

Il est en revanche irrecevable en tant que la recourante conclut à ce que la Cour prononce la récusation des membres de cette délégation, ce grief n'ayant pas été soumis aux premiers juges (cf. également infra consid. 1.5).

1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait.

1.4
1.4.1
A teneur de l'art. 326 al. 1 CPC, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables.

Les faits notoires ou notoirement connus du tribunal et les règles d'expérience généralement reconnues ne doivent pas être prouvés (art. 151 CPC). Les faits notoirement connus du tribunal sont, notamment, les faits résultant de procédures antérieures entre les mêmes parties et connus du juge (arrêt du Tribunal fédéral 5A_467/2020 du 7 septembre 2020 consid. 5.2 et les références citées). Les faits notoirement connus du tribunal sont soustraits à l'interdiction des nova en procédure de recours (arrêt du Tribunal fédéral 5A_719/2018 du 12 avril 2019 consid. 3.2.1).

1.4.2 Ainsi, les faits résultant des précédentes procédures de recours entre les parties au présent litige sont notoirement connus de la Cour - tout comme ils l'étaient de la délégation du Tribunal civil lors du prononcé de l'ordonnance attaquée - et peuvent donc être introduits au procès au stade du présent recours.

Ils ont déjà été résumés ci-dessus dans la partie EN FAIT.

1.5 Le Tribunal civil se compose du Tribunal de première instance, du Tribunal des baux et loyers et de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers (art. 83 à 90 LOJ). Les demandes de récusation visant un juge du Tribunal civil sont tranchées par une délégation de cinq juges du Tribunal civil, dont le président ou un vice-président et quatre juges titulaires (art. 50 al. 1 CPC et 13 al. 2 LaCC).

La Cour n'est ainsi pas compétente pour statuer sur la requête de la recourante tendant au prononcé de la récusation des membres de la délégation du Tribunal civil ayant rendu l'ordonnance attaquée. Il sera néanmoins relevé que, mis à part son désaccord avec cette décision, la recourante ne formule aucun grief concret contre l'un ou l'autre des membres de cette délégation.

2. La recourante se plaint d'un déni de justice formel et d'une violation de son droit d'être entendue. Elle reproche à la délégation du Tribunal civil d'avoir refusé d'entrer en matière sur sa requête en récusation, en la considérant tardive, et d'avoir insuffisamment motivé sa décision.

2.1
2.1.1
Selon l'art. 47 al. 1 let. f CPC, les magistrats se récusent lorsqu'ils pourraient être prévenus de toute autre manière que celles mentionnées aux let. a à e du même alinéa. L'art. 47 al. 1 let. f CPC concrétise les garanties découlant de l'art. 30 al. 1 Cst., qui a, de ce point de vue, la même portée que l'art. 6 § 1 CEDH. La garantie d'un juge indépendant et impartial permet de demander la récusation d'un magistrat dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité (ATF 140 III 221 consid. 4.2; 134 I 20 consid. 4.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_674/2016 du 20 octobre 2016 consid. 3.1; 5A_171/2015 du 20 avril 2015 consid. 6.1).

La récusation ne s'impose pas seulement lorsqu'une prévention effective est établie, parce qu'une disposition relevant du for intérieur ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence d'une prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Cependant, seules les circonstances objectivement constatées doivent être prises en compte, les impressions purement subjectives de la partie qui demande la récusation n'étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 142 III 732 consid. 4.2.2; 142 III 521 consid. 3.1.1; 140 III 221 consid. 4.1). Le risque de prévention ne saurait être admis trop facilement, sous peine de compromettre le fonctionnement normal des tribunaux (ATF 144 I 159 consid. 4.4; arrêts du Tribunal fédéral 5A_998/2018 du 25 février 2019 consid. 6.2; 5A_98/2018 du 10 septembre 2018 consid. 4.2).

Des décisions ou des actes de procédure viciés, voire arbitraires, ne fondent pas en eux-mêmes une apparence objective de prévention (arrêts du Tribunal fédéral 5A_171/2015 précité et 4A_377/2014 du 25 novembre 2014 consid. 6.1). En raison de son activité, le juge est contraint de se prononcer sur des questions contestées et délicates; même si elles se révèlent par la suite erronées, des mesures inhérentes à l'exercice normal de sa charge ne permettent pas encore de le suspecter de parti pris. Même lorsqu'elles sont établies, des erreurs de procédure ou d'appréciation commises par le juge ne suffisent pas à fonder objectivement un soupçon de partialité; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent justifier une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances corroborent à tout le moins objectivement l'apparence de prévention (ATF 138 IV 142 consid. 2.3 et les références). C'est aux juridictions de recours normalement compétentes qu'il appartient de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises; le juge de la récusation ne saurait donc examiner la conduite du procès à la façon d'une instance d'appel (ATF 143 IV 69 consid. 3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_998/2018 du 25 février 2019 consid. 6.2; 1B_545/2018 du 23 avril 2019 consid. 5.1; 5A_749/2015 du 27 novembre 2015 consid. 4.1).

En particulier, lorsqu'une partie se plaint de la lenteur d'une procédure, elle doit saisir l'autorité de recours pour déni de justice : le retard pris dans la conduite du procès est de nature à desservir les deux parties (in casu une affaire de droit de la famille) et non à faire naître une suspicion de prévention à l'égard de l'une d'elles (arrêt du Tribunal fédéral 5A_998/2018 du 25 février 2019 consid. 6.4).

Le fait qu'une partie s'en prenne violemment à un juge trahit certainement l'inimitié que celle-là nourrit à l'endroit de celui-ci, mais cela ne permet pas de présumer qu'un tel sentiment soit réciproque (ATF 134 I 20 consid. 4.3.2).

2.1.2 Conformément à l'art. 49 al. 1 CPC, la partie qui entend obtenir la récusation d'un magistrat se doit d'agir "aussitôt" après la connaissance du motif de récusation.

La partie qui a connaissance d'un motif de récusation doit l'invoquer aussitôt, sous peine d'être déchue du droit de s'en prévaloir ultérieurement (ATF 138 I 1 consid. 2.2 et les arrêts cités; 132 II 485 consid. 4.3; 119 Ia 221 consid. 5a). Il est, en effet, contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen tiré de la composition irrégulière du tribunal pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable de la procédure (ATF 136 III 605 consid. 3.2.2). Cela ne signifie toutefois pas que l'identité des juges appelés à statuer doive nécessairement être communiquée de manière expresse au justiciable; il suffit ainsi notamment que le nom de ceux-ci ressorte d'une publication générale facilement accessible, par exemple l'annuaire officiel (ATF 139 III 120 consid. 3.2.1).

La prévention ou l'apparence de prévention résulte parfois d'une accumulation progressive d'attitudes ou de propos en eux-mêmes anodins, mais qui, cumulés, peuvent finir par donner une impression de partialité; dans ce cas, la règle exigeant que la demande de récusation soit présentée aussitôt ne saurait être appliquée à chacun de ces faits, mais il faut admettre comme légitime de les invoquer tous comme indices de la prévention alléguée, dans une demande consécutive au plus récent d'entre eux (arrêt du Tribunal fédéral 5A_749/2015 du 27 novembre 2015 consid. 5.1).

Selon la jurisprudence, un délai de 40 jours entre le moment de la connaissance du motif de récusation et celui du dépôt de la demande de récusation ne peut pas être considéré comme compatible avec la notion de "aussitôt" mentionnée à l'art. 49 al. 1 CPC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_104/2015 du 20 mai 2015 consid. 6).

2.2 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu consacré par l'art. 29 al. 2 Cst. l'obligation pour le juge de motiver ses décisions. L'autorité n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, lui paraissent pertinents (parmi plusieurs : ATF 143 III 65 consid. 5.2; 142 II 154 consid. 4.2; 134 I 83 consid. 4.1). Savoir si la motivation présentée est convaincante est une question distincte de celle du droit à une décision motivée. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé le juge, le droit à une décision motivée est respecté (arrêt du Tribunal fédéral 4A_344/2018 du 27 février 2019 consid. 2.3.1; cf. ATF 126 I 97 consid. 2c). Une autorité judiciaire ne commet un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. que si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 143 III 65 consid. 5.2; 142 II 154 consid. 4.2; 141 V 557 consid. 3.2.1).

2.3 A teneur de l'art. 63 al. 1 CPC, si l'acte introductif d'instance retiré ou déclaré irrecevable pour cause d'incompétence est réintroduit dans le mois qui suit le retrait ou la déclaration d'irrecevabilité devant le tribunal ou l'autorité de conciliation compétent, l'instance est réputée introduite à la date du premier dépôt de l'acte.

La forme et le contenu des actes désignés par l'art. 63 al. 1 CPC se rapportent à l'art. 62 al. 1 CPC, selon lequel l'instance est introduite par le dépôt de la requête de conciliation, de la demande ou requête en justice, ou de la requête commune en divorce (Infanger, Basler Kommentar - ZPO, 3ème éd. 2017, n. 14 ad art. 63 CPC).

Selon la doctrine, la "demande en récusation" de l'art. 49 CPC est en réalité une "requête" selon la terminologie du CPC, soit un acte par lequel il est demandé quelque chose au juge, au même titre que la demande, la conciliation, le recours ou l'appel en cause (Bohnet, Commentaire Romand - CPC, 2ème éd. 2019, n. 6 ad art. 62 CPC).

La question de savoir si une requête en récusation est susceptible de bénéficier de la prorogation de litispendance prévue aux conditions de l'art. 63 al. 1 CPC n'a, à ce jour, pas été tranchée par le Tribunal fédéral.

2.4
2.4.1
Dans un premier pan de son argumentation, la recourante soutient que le refus de l'instance précédente d'entrer en matière sur la requête de récusation au motif de sa tardiveté constitue un déni de justice formel au sens de l'art. 29 al. 1 Cst. Elle fait valoir qu'avant de se voir notifier les arrêts ACJC/1472/2020 et ACJC/1473/2020 du 19 octobre 2020, elle ne disposait pas des éléments objectifs pour fonder sa requête en récusation - à savoir le constat, par une décision judiciaire, de la violation par la juge concernée de règles essentielles de procédure. La Chambre des baux et loyers s'étant déclarée incompétente pour statuer sur la récusation requise à l'endroit de la juge C______, la recourante pouvait, sans rien se voir reprocher, saisir le Tribunal civil de cette question "aussitôt" après avoir reçu lesdits arrêts. De surcroît, la juge visée - qui avait eu connaissance de la requête de récusation lorsqu'elle avait été invitée à se déterminer sur les recours pour retard injustifié du 5 juin 2020 - aurait dû d'elle-même donner la suite nécessaire à cette requête, en vertu du principe de la bonne foi (art. 52 CPC).

Conformément aux constatations de l'autorité précédente, qui ne sont pas critiquables, les motifs de récusation invoqués par la recourante dans sa requête du 28 octobre 2020 étaient déjà connus d'elle au mois de juin 2020. En effet, à cette époque, la recourante reprochait déjà à la juge C______ de ne pas instruire les causes C/1______/2019 et 2______/2019 avec la célérité voulue et de ne pas présenter des garanties d'impartialité suffisantes. La recourante était donc en mesure de déposer - et de motiver utilement - sa requête de récusation à ce moment-là, sans qu'il soit nécessaire d'attendre que la Chambre des baux et loyers se prononce formellement sur les manquements reprochés à cette magistrate. En tant qu'elle n'a pas été formée "aussitôt" après que la recourante a eu connaissance des motifs de récusation, la requête du 28 octobre 2020 apparaît tardive.

Cela étant, il résulte du dossier que la recourante a requis la récusation de la juge C______ le 5 juin 2020, a priori en temps utile, dans le cadre des recours pour retard injustifié qu'elle a interjetés devant la Chambre des baux et loyers - à savoir devant une autorité incompétente. Si le CPC ne prévoit pas la transmission d'office des actes mal dirigés à l'autorité compétente, l'art. 63 CPC prévoit néanmoins que la litispendance est prorogée si l'acte déclaré irrecevable pour cause d'incompétence est réintroduit à temps devant la bonne autorité. Dans le cas d'espèce, l'on peut donc se demander si la requête de récusation a été formée dans le délai utile, dans la mesure où la recourante, après avoir sollicité la récusation de la juge visée devant une autorité incompétente, a réintroduit cette requête devant l'autorité compétente 7 jours après avoir reçu les arrêts ACJC/1472/2020 et ACJC/1473/2020. L'on peut également se demander si le juge qui sait faire l'objet d'une requête de récusation est tenu - en vertu du principe de la bonne foi (art. 52 CPC) - d'y donner la suite qu'il convient quand bien même cette requête n'aurait pas été formée devant l'autorité compétente.

Ces questions peuvent toutefois demeurer ouvertes compte tenu de ce qui suit.

2.4.2 Bien qu'ayant retenu que la requête en récusation était tardive, la délégation du Tribunal civil a examiné son bien-fondé et considéré que, fût-elle recevable, elle aurait de toute manière dû être rejetée.

Sur ce point, la recourante reproche à l'autorité précédente une motivation insuffisante de la décision.

Tel n'est pas le cas. Ainsi, l'on comprend de la décision attaquée que les premiers juges ont examiné la récusation sous l'angle des erreurs reprochées à la magistrate (art. 47 let. f CPC) - seule éventualité envisageable en l'espèce - et que, n'en décelant aucune susceptible de dénoter une apparence de prévention envers la recourante, ils ont conclu que dite récusation n'avait pas à être ordonnée. Ce faisant, ils ont traité de manière certes succincte, mais suffisamment explicite, les griefs soulevés par la recourante.

Celle-ci soutient que des éléments essentiels de sa requête en récusation auraient été omis par l'autorité précédente. Ce moyen n'est pas fondé. En effet, les motifs de récusation invoqués par la recourante à l'endroit de la juge C______ reposent sur les manquements que la Chambre des baux et loyers a constatés dans le cadre des causes C/1______/2019 et C/2______/2019, auxquelles la décision entreprise se réfère expressément. Le fait que les prises de position de la juge - dans le cadre des recours pour retard injustifié - n'ont pas été mentionnées dans l'ordonnance attaquée ne saurait changer cette appréciation. Au demeurant, ces prises de position, qui font partie des procédures susvisées, ne sont pas de nature à faire naître une apparence de prévention à l'endroit de la recourante. Il en va de même de la prise de position de la juge C______ dans le cadre de la procédure de récusation. Le fait que celle-ci a mentionné, par le biais d'un simple constat, qu'un autre magistrat aurait peut-être "moins de difficultés à faire avancer ces procédures" n'est que le reflet de l'animosité grandissante de la recourante à son égard. Or, le fait qu'un justiciable se montre virulent à l'égard d'un magistrat ne fait pas naître de facto un soupçon de prévention en sa défaveur. Enfin, si la juge ne peut être suivie lorsqu'elle suggère que les recours formés par la recourante auraient contribué à ralentir les procédures, ce que la Chambre des baux et loyers a réfuté, l'on ne décèle pas pour autant dans ses propos une prévention à l'égard de la recourante. Ces éléments sont donc dénués de pertinence et n'ont pas été omis à tort par l'autorité précédente.

Il s'ensuit qu'une violation du droit d'être entendu de la recourante n'entre pas en considération.

Au surplus, la Cour constate que la recourante ne formule aucun grief matériel contre les considérations de l'autorité précédente, se limitant à invoquer le grief formel qui vient d'être écarté.

Si la juge C______ a commis des erreurs dans le traitement de la requête en limitation de la procédure du 9 août 2019, lesquelles ont été dûment sanctionnées par la Chambre des baux et loyers, il n'existe aucun indice de prévention à l'encontre de la recourante. Ces erreurs ne sont pas suffisamment lourdes ni répétées pour que l'on puisse soupçonner une quelconque volonté de cette magistrate de statuer en défaveur de la recourante. Au demeurant, la juge n'a pas refusé de limiter la procédure à la question de la recevabilité des demandes, mais renvoyé sa décision sur ce sujet à une phase ultérieure du procès. Par ailleurs, l'éventuel rallongement des procédures n'est pas de nature à léser la recourante dans une mesure plus importante que sa partie adverse, étant rappelé que la recourante intervient au litige en qualité de défenderesse et que l'intimée lui réclame le paiement de quelque 470'000 fr., soit un montant largement supérieur à celui de ses prétentions reconventionnelles. Conformément aux principes jurisprudentiels rappelés supra, la voie du recours pour retard injustifié est la seule à emprunter lors de lenteurs constatées dans le déroulement du procès, puisque ce genre de retard lèse également les deux parties et ne fait naître aucune apparence de prévention au détriment de l'une d'elles.

Au surplus, ainsi que l'ont souligné les premiers juges, il n'y a pas lieu, dans une procédure de récusation, de corriger ou redresser, à la façon d'une instance d'appel, les éventuelles erreurs commises par un magistrat dans la conduite du procès.

En définitive, c'est à bon droit que l'autorité précédente a nié toute apparence de prévention envers la recourante de la part de la juge concernée.

2.4.3 Dans un dernier moyen, la recourante soutient que la "pratique" de la Cour consistant à renvoyer la partie qui sollicite la récusation d'un juge civil à agir conformément à l'art. 47 CPC, par le dépôt d'une requête de récusation devant l'autorité désignée à l'art. 13 al. 2 LaCC, serait constitutive d'un déni de justice formel. Ainsi, elle reproche à la Chambre des baux et loyers de s'être déclarée incompétente (dans ses arrêts ACJC/1472/2019 et ACJC/1473/2019) pour trancher la question de la récusation de la juge C______ - et celle de la violation de la garantie d'un juge indépendant et impartial (art. 30 al. 1 Cst.) - "hors le champ d'une requête en récusation déposée devant le Tribunal conformément à l'art. 47 CPC".

Pour autant qu'on le comprenne, ce grief, qui n'est pas dirigé contre la décision attaquée ou une partie de celle-ci, n'est pas fondé. Outre que la Cour n'est pas l'autorité de recours de ses propres décisions, l'on ne discerne pas en quoi le fait de renvoyer la partie concernée à agir devant l'autorité compétente pour statuer sur la récusation requise serait constitutif d'un déni de justice, étant entendu que les décisions rendues par la délégation du Tribunal civil peuvent faire l'objet d'un recours devant la Cour.

2.5 Au vu des considérations qui précèdent, le recours sera rejeté, sans qu'il soit nécessaire de réformer l'ordonnance querellée en tant que celle-ci déclare la requête de récusation irrecevable. En effet, la question de la recevabilité de cette requête peut demeurer ouverte, la récusation étant, en tout état de cause, infondée.

3. La recourante, qui succombe, sera condamnée aux frais judiciaires du recours, arrêtés à 800 fr. (art. 19 et 38 et suivants RTFMC) et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Elle sera également condamnée à verser à l'intimée la somme de 1'000 fr. à titre de dépens de recours, débours et TVA compris (art. 106 al. 1 CPC, art. 20, 25 et 26 LaCC; art. 84, 86, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare irrecevable le recours interjeté par A______ SA contre l'ordonnance OTPI/180/2021 rendue le 23 février 2021 par la délégation du Tribunal civil dans la cause C/21617/2020, en tant qu'il tend au prononcé de la récusation des membres de cette délégation.

Déclare le recours recevable pour le surplus.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute les parties de toute autre conclusion.

Sur les frais :

Arrête les frais judicaires de recours à 800 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser 1'000 fr. à B______ LTD à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Nathalie RAPP, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile. Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.