Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/121/2025 du 13.02.2025 sur ONMMP/5231/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/18798/2024 ACPR/121/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 13 février 2025 |
Entre
A______, représentée par Me Leonardo CASTRO, avocat, Etude CASTRO, rue des Eaux-Vives 49, case postale 6213, 1211 Genève 6,
recourante,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 26 novembre 2024 par le Ministère public
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 9 décembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue par le Ministère public le 26 novembre 2024, notifiée le 28 suivant, en tant qu'elle est muette sur la question de son indemnisation au sens des art. 429 al. 1 let. a et b CPP.
La recourante conclut, sous suite de frais et dépens non chiffrés, principalement, au renvoi du dossier au Ministère public afin qu'il statue sur le montant des indemnités à lui accorder ; Subsidiairement, à l'octroi d'indemnités à hauteur de CHF 1'585.85 pour l'exercice raisonnable de ses droits de procédure et CHF 500.- pour le dommage économique causé.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 14 août 2024, B______ a déposé plainte contre la Dresse A______ pour contrainte et violation de l'art. 134 al. 1 let. g de la Loi sur la santé.
En substance, il reprochait à la Dresse A______ de ne pas lui avoir transmis son dossier médical. À cet effet, il lui avait adressé plusieurs courriels à l'adresse "C______-D______@E______.ch" auxquels elle n'avait jamais répondu ; son psychiatre l'avait également contactée, mais elle avait refusé de lui transférer ledit dossier.
b. Le 13 novembre 2024, A______ a été entendue en qualité de prévenue par la police durant deux heures (de 13h35 à 15h25), accompagnée de son avocat, Me Leonardo CASTRO.
Elle n'avait jamais reçu les courriels de B______ car la seule adresse qu'elle relevait était "C______-F______@E______.ch". Elle avait été contactée par le psychiatre de B______ auquel elle avait demandé de lui faire parvenir un consentement écrit du patient avant de pouvoir lui transmettre le dossier médical mais elle n'avait ensuite plus eu de nouvelle de sa part.
C. a. Dans sa décision querellée, le Ministère public a considéré qu'il n'était guère possible d'établir une prévention pénale suffisante à l'encontre de A______, de sorte que les conditions à l'ouverture de la poursuite n'étaient manifestement pas réunies. Vu l'issue du litige, les frais de la procédure étaient laissés à la charge de l'État.
b. B______ n'a pas contesté cette ordonnance.
D. a. Dans son acte de recours, A______ reproche au Ministère public une violation de son droit d'être entendue, en tant qu'elle n'avait pas été invitée à se déterminer sur ses indemnités avant le prononcé de la décision querellée. Le recours à un avocat avait été nécessaire eu égard à la gravité des infractions et des sanctions pénales et administratives encourues. Elle devait ainsi être indemnisée pour ses frais de défense, à savoir les divers contacts que son avocat avait eus, tant avec la police qu'avec elle-même, respectivement pour le temps passé à l'assister lors de l'audition à la police, conformément à la note d'honoraires, qu'elle produisait. Elle devait également être indemnisée pour le dommage économique causé par la procédure, équivalant ici au temps de l'audition à la police – deux heures au tarif horaire de CHF 200.- – et du déplacement y afférent – une heure au tarif horaire de CHF 100.- – durant lequel elle n'avait pas pu assumer ses fonctions de médecin.
b. Dans ses observations, le Ministère public estime que les prétentions en indemnité de la recourante doivent être écartées. Le recours à un avocat n'était pas nécessaire. La prévenue avait été entendue pendant deux heures à la police au sujet de courriels qu'elle avait immédiatement réfuté avoir reçus et l'intervention de son conseil avait été circonscrite à deux questions. La recourante, prétendant avoir subi un dommage économique résultant d'une perte de gain, se contentait de chiffrer un montant correspondant à trois heures d'activités, sans toutefois démontrer que lesdites heures avaient interféré avec son activité professionnelle, respectivement l'avaient contrainte à refuser de la patientèle.
c. La recourante n'a pas répliqué.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue, dès lors qu'elle n'avait pas été invitée à se déterminer sur ses indemnités avant le prononcé de la décision querellée.
2.1. Selon l'art. 429 al. 2 CPP, l'autorité pénale examine d'office les prétentions du prévenu. Il lui incombe, à tout le moins, d'interpeller le prévenu sur la question de l'indemnité et de l'enjoindre au besoin de chiffrer et justifier ses prétentions en indemnisation (ATF 142 IV 237 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1142/2016 du 18 mai 2017 consid. 2.1).
2.2. Le droit d'être entendu, garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 146 IV 218 consid. 3.1.1; ATF 142 II 218 consid. 2.3).
La violation du droit d'être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours disposant d'un plein pouvoir d'examen. Une telle réparation doit rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte qui n'est pas particulièrement grave aux droits procéduraux de la partie lésée. Toutefois, même si la violation du droit d'être entendu est grave, une réparation du vice procédural devant l'autorité de recours est également envisageable si le renvoi à l'autorité inférieure constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2).
2.3. En l'espèce, le Ministère public ne pouvait se dispenser d'interpeller la recourante sur ses prétentions en indemnisation avant de rendre sa décision de non-entrée en matière, ce d'autant qu'il n'ignorait pas que celle-ci avait constitué un avocat, puisque le procès-verbal d'audition à la police en mentionne la présence. Cela étant, la recourante a pu s'exprimer à ce sujet dans son recours. Le Ministère public, invité à formuler des observations, s'est prononcé sur lesdites indemnités. La recourante a ensuite eu la possibilité de répliquer. Dans ces circonstances, le vice sera considéré comme réparé dans le cadre de la procédure de recours. Le renvoi de la cause au Ministère public constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure.
3. La recourante estime avoir droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.
3.1. Conformément à l'art. 429 al. 1 let. a CPP, si le prévenu est acquitté, totalement ou en partie, ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité fixée conformément au tarif des avocats pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ces droits de procédure.
Bien que cette disposition ne mentionne pas expressément l'ordonnance de non-entrée en matière, cette dernière peut également donner lieu à indemnité (ATF 139 IV 241 consid. 1).
3.2. L'indemnité couvre en particulier les honoraires d'avocat, à condition que le recours à celui-ci procède d'un exercice raisonnable des droits de procédure. L'État ne prend en charge les frais de défense que si l'assistance d'un avocat était nécessaire compte tenu de la gravité de l'infraction, de la complexité de l'affaire en fait et/ou en droit, de la durée de la procédure ainsi que de son impact sur la vie personnelle et professionnelle du prévenu (ATF 142 IV 45 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_12/2021 du 11 septembre 2023 consid. 3.1.1).
Le seul fait qu'un crime ou un délit soit reproché au prévenu n'entraîne pas automatiquement le droit à une indemnité. La jurisprudence admet en particulier que l'assistance d'un avocat ne procède pas nécessairement d'un exercice raisonnable des droits de la défense lorsque l'enquête pénale est close après une première audition par la police (ATF 138 IV 197 consid. 2.3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_512/2023 du 30 septembre 2024 consid. 2.5.1).
3.3. En l'espèce, la recourante s'est vu reprocher, certes, la commission d'un délit et d'une contravention – au vu des peines menaces prévues par les art. 181 CP et 134 al. 1 let. g LS (art. 10 CP) – susceptibles d'engendrer en sus le prononcé de sanctions administratives.
Cela étant, on ne voit pas en quoi l'assistance d'un avocat lui était nécessaire. Elle n'en fait d'ailleurs pas la démonstration, se contentant d'invoquer les éventuelles conséquences des infractions reprochées. L'affaire ne présentait pas de complexité particulière, s'agissant d'une plainte pour ne pas avoir remis son dossier médical à un patient. La procédure pénale n'a pas dépassé le stade d'une audition à la police. Elle n'a été entendue qu'à une seule reprise, sur des faits clairement circonscrits, son rôle se limitant à répondre aux questions qui lui étaient posées, ce qui ne présupposait aucune connaissance juridique particulière. L'intervention de son conseil s'est d'ailleurs limitée à deux questions. Nulle autre preuve n'a été administrée. La procédure a été de courte durée car l'ordonnance querellée a été rendue quelques jours seulement après l'audition à la police. La recourante a donc été rapidement fixée sur l'issue de la procédure et elle n'a fait état d'aucune répercussion de celle-ci sur sa vie professionnelle et privée.
Dans ce contexte, la recourante ne peut prétendre à l'octroi d'une indemnité pour ses frais de défense privée.
4. La recourante reproche au Ministère public de ne pas lui avoir accordé une indemnité pour son dommage économique.
4.1. Selon l'art. 429 al. 1 let. b CPP, le prévenu au bénéfice d'une ordonnance de classement a le droit d'obtenir une indemnité pour le dommage économique subi au titre de sa participation obligatoire à la procédure pénale. L'ordonnance de non-entrée en matière peut donner lieu à une indemnité fondée sur cette disposition (ATF
139 IV 241 = SJ 2014 I 51).
Cette disposition vise essentiellement des pertes de salaires et de gains liés à l'impossibilité de réaliser une activité lucrative en raison notamment du temps consacré à la participation aux audiences. Elle concerne également l'éventuelle atteinte à l'avenir économique consécutive à la procédure, de même que les autres frais liés à la procédure, comme les frais de déplacement ou de logement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_814/2017 du 9 mars 2018 consid. 1.1.1).
Il appartient au lésé de prouver non seulement l'existence et l'étendue du dommage, mais aussi le lien de causalité entre celui-ci et l'événement à la base de son action (arrêt du Tribunal fédéral 6B_118/2016 du 20 mars 2017 consid. 5.1).
4.2. En l'espèce, les heures alléguées – audition à la police et déplacement y afférent – sont susceptibles de provoquer une perte de gain pour une médecin exerçant à son compte et devraient en principe être prises en considération.
Cela étant, il appartenait à la recourante de démontrer la réalité de ladite perte. Or, l'intéressée s'est contentée de chiffrer un montant correspondant à deux heures au tarif horaire de CHF 200.- et à une heure de déplacement à celui de CHF 100.-. Sans autre précision quant aux heures alléguées et en l'absence d'un quelconque élément relatif à ses horaires de travail, la recourante échoue à démontrer que lesdites heures auraient interféré avec son activité professionnelle et qu'elle aurait, en raison de celles-ci, dû refuser de la patientèle.
Dans ce contexte, la recourante ne peut prétendre à l'octroi d'une indemnité pour le dommage économique subi au titre de sa participation obligatoire à la présente procédure pénale.
5. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
6. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 300.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
7. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 300.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/18798/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 215.00 |
Total | CHF | 300.00 |