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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24507/2016

ACPR/866/2024 du 21.11.2024 sur OCL/685/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;LÉSION CORPORELLE PAR NÉGLIGENCE;EMPLOYEUR;POSITION DE GARANT;DÉLIT D'OMISSION
Normes : CPP.319; CP.125; CP.12.al3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24507/2016 ACPR/866/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 21 novembre 2024

 

Entre

 

A______, représenté par Me Guillaume ETIER, avocat, REISER Avocats, route de Florissant 10, case postale 186, 1211 Genève 12,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 22 mai 2024 par le Ministère public,

 

et

 

B______ SA, représentée par Me C______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 3 juin 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 22 mai 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé sa plainte.

Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens chiffrés, à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il mette en prévention puis en accusation D______, respectivement B______ SA, pour lésions corporelles graves par négligence.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Entre le 1er avril 2009 et le 30 septembre 2017, A______ a été employé comme chauffeur poids-lourd polyvalent par la société B______ SA, active notamment dans la collecte, le transport, la gestion et le traitement des déchets.

b. Le mardi 31 mars 2015, aux alentours de midi, A______ a parqué son semi-remorque, immatriculé GE 1______/GE 2______, sur le site de B______ SA dans la zone industrielle du E______ à F______.

Après avoir déchargé des palettes et alors qu'il était seul, il a glissé la tête à l'intérieur de la porte arrière entrouverte du camion, afin d'y récupérer un balai. Il s'est coincé la tête au niveau des cervicales et de l'oreille gauche, entre le hayon et la paroi latérale du véhicule, tandis que la porte se fermait. Il est parvenu à rouvrir la porte en actionnant la télécommande, mais son oreille gauche a été arrachée.

Transporté d'urgence à l'hôpital, il a subi plusieurs opérations, destinées tout d'abord à réimplanter le pavillon de l'oreille – sans succès –, puis à en reconstruire un. Il dit être désormais appareillé et souffrir d'acouphènes constants, ainsi que de douleurs très importantes au crâne et aux côtes, en raison des os prélevés à cet endroit pour la reconstruction de son oreille. Il suivait un traitement médical quotidien et prenait des tranquillisants. Il avait d'importants problèmes de mémoire et était dans un état dépressif sérieux, faute de perspective professionnelle.

Il souffrait d'un stress post-traumatique.

c. Selon la déclaration à l'attention de la SUVA, complétée le 21 septembre 2015 par B______ SA, l'accident serait survenu après que le collègue de travail de A______ et le responsable de production – qui avait respectivement déchargé le camion et supervisé la manœuvre – fussent partis prendre leur pause de midi. A______, qui s'apprêtait à fermer la porte arrière du semi-remorque avec la télécommande, avait stoppé le processus alors que le battant se trouvait à hauteur d'homme, pour nettoyer les feux arrière gauche. Il avait ensuite réenclenché la fermeture, puis s'était dirigé vers le côté du camion. Pour une raison inconnue, il avait fait un pas vers l'ouverture, alors que l'espace entre le montant du camion et la porte n'était pas complètement fermé, et y avait introduit la tête, en se penchant en avant. Le mécanisme s'était arrêté lorsque A______ avait lâché le bouton de fermeture de la télécommande. L'intéressé avait ensuite réussi à actionner la télécommande pour ouvrir la porte et retirer sa tête. Un client, qui se trouvait là, puis un collègue, s'étaient portés à son secours et avaient appelé une ambulance.

d. L'expert du G______ [société d'expertise] mandaté par la direction de B______ SA a estimé, dans un rapport daté du 26 août 2015 et rendu après une reconstitution sur place organisée le 18 précédent "en présence et avec le concours des employés membres de la direction de l'entreprise", que le camion était dans un bon état général et que le délai d'activation/temporisation de la télécommande ainsi que le signal acoustique d'activité étaient actifs et opérationnels. Aucun problème n'avait été rencontré, tant en mode "commandé manuellement" qu'en "mode télécommandé". Du point de vue technique, il n'avait constaté aucun défaut ou anomalie au niveau du système d'activation de la porte. Sur la base de l'examen effectué, l'accident résultait d'une inobservation des directives sécuritaires usuelles et, s'agissant de l'aspect technique de l'activation de la porte arrière, seule une sollicitation de la télécommande avait pu générer la manœuvre.

e. Après plusieurs demandes de A______ afin d'obtenir les fiches signalant les problèmes techniques et mécaniques et les images de vidéosurveillance de l'accident, B______ SA a répondu, le 1er juillet 2016, qu'il ne s'était jamais plaint du fonctionnement du véhicule, sous réserve de quelques pannes usuelles qu'il avait signalées oralement à l'atelier et qui avaient été immédiatement traitées. Le camion, qui avait continué d'être utilisé dans les jours qui avaient suivi l'accident, n'avait par ailleurs fait l'objet, tant avant qu'après l'accident, que de réparations relevant de son utilisation normale et professionnelle. Seule une intervention, le 5 mai 2015, avait concerné la porte arrière, s'agissant d'un changement de l'avertisseur sonore – dont la fonction principale était d'informer les tiers de l'ouverture et/ou la fermeture de la porte, lorsque celle-ci était actionnée par le conducteur au moyen de la commande hydraulique située sur la paroi à l'avant de la remorque –, qui ne fonctionnait que partiellement. Les factures relatives aux travaux effectués sur le véhicule en 2015 mentionnaient des travaux de maintenance. Il fallait en déduire, à l'instar de l'expert du G______, que le véhicule conduit par A______ était en parfait état de marche. Aucun défaut du fonctionnement de la porte, tant avant qu'après l'accident, n'avait été signalé. Sur les images de vidéosurveillance, que les responsables de B______ SA avaient pu visionner avant qu'elles ne soient "malencontreusement" supprimées, on voyait que l'accident était survenu de la manière relatée dans la déclaration destinée à la SUVA, étant précisé qu'un laps de temps de sept secondes s'écoulait entre le moment où la télécommande était actionnée et où la porte se mettait en mouvement, mais qu'une fois le bouton relâché, l'arrêt était immédiat. À l'évidence, A______ avait donc continué d'actionner la télécommande pendant qu'il se penchait dans le véhicule. À la suite de l'incident, le véhicule avait continué d'être utilisé après que les responsables de B______ SA avaient minutieusement vérifié le fonctionnement de sa porte et de sa télécommande.

f. Le 21 décembre 2016, A______ a déposé plainte contre toute personne, employé, cadre ou organe de B______ SA pour lésions corporelles graves par négligence, mise en danger de la vie et de la santé d'autrui et entrave à l'action pénale, en raison de l'accident survenu le 31 mars 2015.

Durant une période de quatre ou cinq mois avant l'accident, il avait signalé à H______, responsable transports chez B______ SA, des dysfonctionnements sur le camion. En particulier, la porte arrière s'ouvrait et se fermait toute seule et l'avertisseur sonore de celle-ci ne fonctionnait plus. Trois jours avant l'accident – soit le dimanche 29 mars 2015 –, il avait été arrêté par la police car il avait perdu du bois sur la chaussée, la porte ne fermant pas correctement, ce qui l'avait contraint à la bloquer avec des pinces. Il avait rapporté cet évènement à H______. Le lendemain, alors qu'il se trouvait à l'usine d'incinération de I______, la porte était restée bloquée. Le chef de l'atelier de mécanique de B______ SA, J______, était intervenu avec un mécanicien, K______, et ils avaient constaté que l'électricité et toutes les lumières du côté droit du camion étaient inactives. Après une heure d'efforts, ils étaient parvenus à les faire à nouveau fonctionner. Toutefois, lorsqu'il s'était présenté à l'atelier pour procéder à la réparation du camion et du signal acoustique, le chef de la production, L______, lui avait dit qu'il ne pouvait le faire tout de suite et lui avait demandé de repartir.

g. Sur mandat du Ministère public, la police a procédé à plusieurs auditions entre janvier et février 2018.

g.a. H______ s'occupait d'attribuer les missions aux chauffeurs en fonction des demandes des responsables de secteur soit, en l'occurrence, L______. Il ne se souvenait pas que A______ avait signalé un problème avec le camion. En principe, s'il s'agissait de petites réparations susceptibles d'être réglées dans l'entreprise, les chauffeurs établissaient des fiches qu'ils transmettaient à J______, alors que pour les plus gros travaux qui devaient être confiés à un garage spécialisé, les fiches lui étaient remises. Il ne se rappelait pas d'un incident où A______ aurait perdu son chargement en raison de l'ouverture inopinée de la porte. En revanche, il y avait eu un problème avec les filets de protection qui recouvraient les bennes et qui ne fermaient pas correctement. Il avait visionné la vidéo de l'accident du 31 mars 2015. L'on y voyait A______ se glisser entre l'arrière du camion et la porte entrouverte et se faire coincer la tête. Il ne pouvait pas dire à quel moment la porte s'était mise en mouvement.

g.b. D______, directeur des opérations, avait visionné plusieurs fois les images de vidéosurveillance avec ses collaborateurs pour comprendre le déroulement de l'accident. Cela leur avait permis d'exclure l'intervention d'une tierce personne ou un dysfonctionnement technique. La sauvegarde de l'enregistrement avait été perdue lors de l'utilisation de la fonction écrasement du logiciel.

g.c. M______, responsable des ressources humaines chez B______ SA, a confirmé avoir établi la déclaration d'accident, lequel lui avait été décrit par D______, ainsi que par plusieurs autres personnes qui en avaient été témoins ou avaient vu la vidéo. Elle-même ne l'avait pas visionnée. L'expertise confiée au G______ n'avait pas remis en cause le fonctionnement du matériel.

g.d. N______, responsable O______ à I______, – qui sera également entendu par le Ministère public le 30 octobre 2020 (cf. let. B.k. supra) –, ne se souvenait pas de l'incident évoqué par A______ dans sa plainte, qui ne pouvait toutefois avoir eu lieu le jour indiqué, soit deux jours avant l'accident – un dimanche – l'usine étant normalement fermée. Aucun membre du personnel qu'il avait interrogé n'avait non plus été à même de confirmer cet incident. Néanmoins, P______, employé affecté au pesage, s'était souvenu d'un camion B______ qui serait entré sur le site sans vider son chargement, faute de parvenir à ouvrir sa porte arrière. Q______, préposé au déchargement, s'était souvenu d'un problème de porte sur un camion B______. Aucun d'eux n'était toutefois parvenu à se rappeler de la date de ces évènements.

h. Au dossier figurent divers documents relatifs au véhicule, en particulier les rapports hebdomadaires dont il ressort qu'il avait été utilisé par différents conducteurs, soit pour le mois de mars 2015, notamment du 27 au matin au 31, par A______ et, le 31 mars, dans l'après-midi, par R______. Puis, pour le mois d'avril, dès le 1er, notamment le dernier nommé et S______.

i. Par ordonnance du 28 mai 2018, le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte de A______ en raison des déclarations contradictoires des personnes entendues et de l'impossibilité d'établir la présence ou non de défauts affectant le camion avant l'accident. Les faits survenus le 31 mars 2015 étaient de nature accidentelle et ne résultaient pas d'une violation par B______ SA de son obligation de prendre les mesures nécessaires à la protection de ses employés. Les éléments constitutifs des infractions de lésions corporelles graves par négligence (art. 125 CP) et de mise en danger de la vie d'autrui (art. 129 CP) n'étaient pas réalisés. Il en allait de même de l'infraction d'entrave à l'action pénale (art. 305 CP), rien ne permettant d'établir que des dirigeants de l'entreprise auraient délibérément effacé les images de vidéosurveillance.

j. Par arrêt du 30 novembre 2018 (ACPR/716/2018), la Chambre de céans a annulé l'ordonnance précitée en tant qu'elle concernait l'art. 125 CP et l'a confirmée pour le surplus.

Au vu des éléments au dossier, il n'était pas possible, à ce stade de la procédure, de considérer que les éléments constitutifs de l'infraction précitée n'étaient manifestement pas réunis. L'audition de témoins semblait susceptible d'apporter quelque lumière sur l'état du camion en général et le fonctionnement de sa porte arrière en particulier.

k. Le Ministère public a procédé à plusieurs auditions entre avril 2019 et octobre 2020.

k.a. Entendu à plusieurs reprises, A______ a confirmé sa plainte. Il partageait son camion avec deux autres chauffeurs, R______ et S______. Bien avant l'accident, avec le dernier nommé, ils avaient constaté des problèmes avec la porte qui se mettait toute seule en marche ou avec le signal sonore qui ne fonctionnait plus. Il avait signalé ce problème durant les trois années précédant l'accident, en suivant le protocole de l'entreprise, mais celle-ci n'avait rien fait. Ils avaient rempli des fiches et les avaient transmises à sa hiérarchie. Il en avait gardé un second exemplaire dans son casier. Le 21 mars 2018, lorsqu'il était allé récupérer ses affaires à l'entreprise, son casier avait été forcé et son contenu avait disparu. La panne à I______ avait été réparée dans l'atelier de B______ SA par J______. Pour des raisons de sécurité, la réglementation prévoyait qu'il fallait être deux pour décharger et nettoyer un camion mais, un quart d'heure avant l'accident, son chef, L______, qui partait manger, lui avait dit de décharger seul. En ce qui concernait le déroulement de l'accident lui-même, la porte arrière était en position semi-fermée, à la hauteur de son thorax, car il nettoyait les feux stop. Il avait voulu vérifier si son balai se trouvait dans le camion et avait glissé sa tête à l'intérieur. Lorsque sa tête s'était trouvée dans l'espace laissé ouvert entre le dessous de la porte et le montant latéral du camion qui entoure l'ouverture, la porte s'était soudainement actionnée et avait commencé à descendre, coinçant sa tête. Il avait miraculeusement pu actionner la télécommande, qui se trouvait dans sa poche, et la porte était remontée, décoinçant ainsi sa tête.

k.b. S______, employé de B______ SA au moment de l'accident, utilisait également le véhicule. Il avait constaté des dysfonctionnements sur la porte hydraulique, laquelle ne fonctionnait pas bien. Parfois, lorsqu'on utilisait la télécommande sans fil pour fermer la porte, le mécanisme ne s'actionnait pas et il fallait couper le contact du semi-remorque, le redémarrer et appuyer sur la télécommande plusieurs fois pour que la porte se ferme. Il pouvait arriver que la porte s'ouvre "un petit peu" et qu'il faille utiliser des sangles pour la fermer. En raison de l'ouverture partielle de la porte, du bois était tombé. Il n'avait constaté aucun autre problème et il ne lui était jamais arrivé que la porte se ferme inopinément toute seule. Il ne lui semblait pas que A______ lui avait déjà parlé d'un tel souci. La porte possédait un signal sonore mais il ne pouvait dire "à 400% s'il fonctionnait tout le temps". Il avait entendu que, quelques jours avant l'accident, A______ était resté bloqué à I______, sans autre détail.

k.c. J______ a affirmé que personne ne lui avait signalé un défaut de l'avertisseur sonore du semi-remorque. Il n'avait jamais entendu parler de la réparation d'une porte arrière de l'engin en raison de sa fermeture inopinée. Il avait déjà procédé au changement de flexibles et vérins hydrauliques qui "avaient pour conséquence de garder la porte ouverte". Environ un mois avant l'accident, sur l'un des deux camions semi-remorque, il y avait eu un problème technique en raison de la condensation dans le système électrique qui faisait fonctionner le système hydraulique. K______ avait changé le fusible. Il ne se souvenait pas que A______ lui avait signalé un dysfonctionnement. La perte de bois sur la route s'était produite une ou deux fois. Cela pouvait arriver si la marchandise restait coincée au niveau des vérins hydrauliques, ce qui empêchait la fermeture complète de la porte, laissant un petit espace en bas. Il a confirmé les huit réparations effectuées entre le 17 avril et le 7 mai 2015, lesquelles n'avaient rien à voir avec la porte arrière, à l'exception, le 5 mai 2015, du changement de l'avertisseur sonore destiné à émettre un son lorsque la porte arrière se mettait en mouvement. Il ignorait qui lui avait demandé ce changement. De tels travaux étaient ordinaires et il ne s'agissait pas de la remise en état du véhicule, qui était effectuée par la société T______ SA. Il avait vu les images de vidéosurveillance, qui étaient de très mauvaise qualité. On y voyait A______ en train de nettoyer au niveau de la porte arrière inférieure et d'un coup la porte se refermer, puis, A______ se tenir l'oreille. Il ne se souvenait pas avoir vu ce dernier chercher la télécommande dans sa poche. Il était filmé de dos et la porte était fermée aux deux tiers.

k.d. K______, électromécanicien chez B______ SA, s'occupait de la révision, l'entretien et le dépannage des accessoires des véhicules. La société T______ SA était chargée des contrôles complets et de la préparation pour les visites techniques. Il n'avait pas souvenir des dysfonctionnements signalés par A______, à l'exception de la panne à I______. Malgré l'ouverture de la porte, le fond mouvant ne bougeait plus en raison de la présence d'eau qui avait provoqué un court-circuit sur le système de phares, qui avait disjoncté. Or, les remorques ne fonctionnaient que lorsque les phares étaient enclenchés. Le jour en question, ils étaient retournés à l'entreprise et avaient remarqué de l'humidité dans les feux. Il pouvait arriver que, lorsque le camion était trop chargé, la porte se "relâche" et ait des difficultés à se fermer. Il avait constaté qu'en cas d'échauffement hydraulique, le fait d'actionner le fond mouvant permettait de faire fonctionner à nouveau la porte. Le problème de perte de bois survenu quelques jours avant le 31 mars 2015 avait été réglé par la pose de caoutchouc à l'endroit où la marchandise s'était échappée.

Sur demande de D______ et U______, responsable de la "sécurité-environnement", il avait sauvegardé les images de l'accident. Sur celles-ci, qui n'étaient pas de bonne qualité, il avait vu A______, de dos, à l'arrière du camion, en train de fermer la porte. Puis, cette dernière s'arrêter, le prénommé s'enfiler entre la porte et la remorque, sans qu'on puisse voir ce qu'il faisait, et la porte redémarrer. Enfin, à nouveau la porte s'arrêter, A______ se baisser et d'autres personnes arriver. Il n'avait pas observé d'anomalie. Il lui semblait que l'ouverture de la porte avait été vérifiée, le jour même. L'ensemble des travaux – huit – effectués après l'accident lui semblait usuel. Si l'avertisseur sonore avait été changé – le 5 mai 2015 – c'est qu'il ne fonctionnait plus.

k.e. D______ a confirmé ses précédentes déclarations. Sur les images de vidéosurveillance, il avait vu que personne n'actionnait mécaniquement les boutons ou les leviers, ce qui signifiait que la porte était descendue à la suite de l'utilisation de la télécommande. La porte descendait à sa vitesse normale et lorsqu'elle s'était retrouvée inclinée à environ 45 degrés, elle s'était arrêtée trois secondes. Durant ce laps de temps, A______ avait fait un pas en avant et glissé sa tête entre le montant et la porte entrouverte. Puis cette dernière avait continué à se fermer. C'est parce que A______ s'était déplacé sur le côté que l'accident s'était produit. Pour que la porte descende, il fallait laisser enfoncer le bouton de la télécommande. Si le bouton était relâché, la porte s'arrêtait. Si on poussait à nouveau le bouton ou à n'importe quel autre moment, il y avait un retard électronique de sept secondes avant que la porte ne se remette en mouvement. Or, le jour de l'accident, il n'y avait pas eu sept secondes mais trois, ce qui les avait surpris. U______ et lui en avaient déduit que ce n'était pas le fait d'avoir relâché le bouton de la télécommande qui avait arrêté la porte. La personne avait continué d'appuyer dessus. La porte s'était interrompue pour un autre motif, soit que la force de friction avait dépassé celle gravitaire de la porte. Cette dernière s'était remise en marche car la pompe hydraulique avait pompé l'huile dans le vérin et la force de ce dernier était devenue plus importante que la force de friction. Les simples incidents techniques sans conséquence d'accident ou de dégâts matériels ne remontaient pas jusqu'à lui. Il n'avait dès lors rien entendu concernant le véhicule litigieux de la part de A______ ni d'autres employés. Avant l'accident, les fiches remplies par les employés concernant des réparations à effectuer n'étaient pas conservées. Depuis lors, le processus avait été modifié.

l. Selon les rapports de renseignements de la police des 14 février 2018 et 20 octobre 2020, malgré diverses recherches, notamment auprès de son homologue vaudoise, aucun évènement n'avait été enregistré ni aucun document établi à la suite d'une possible interpellation de A______ qui aurait eu lieu au mois de mars 2015 après que du chargement se serait échappé du semi-remorque, étant précisé qu'il était possible qu'il ne se fût agi que d'un avertissement verbal.

Lors de son enquête, l'agent de police qui s'était rendu sur le site de B______ SA – environ deux ans après les faits – avait testé le fonctionnement de la porte arrière du camion mis en cause, ainsi que sa télécommande. Celle-ci comportait deux boutons, un pour l'ouverture et un pour la fermeture. Lors de la pression sur l'un ou l'autre des boutons, il y avait une temporisation de sept secondes avant que la porte ne s'active. Lors du relâchement de l'interrupteur, la porte s'était arrêtée immédiatement et une nouvelle temporisation avait été "nécessaire".

m. Le 20 mai 2021, A______ a produit une expertise de V______ SA du 17 février 2021. Il en ressort que le motif invoqué – par D______ – pour expliquer les trois secondes d'arrêt faisait penser à des défauts de maintenance. Le non-fonctionnement de l'avertissement sonore de la porte était un défaut de sécurité. Il n'était pas normal que la porte se ferme ou recommence à se fermer de manière inopinée, sans intervention de l'opérateur sur la télécommande. Cette dernière était conçue pour éviter tout mouvement involontaire. Inversement, si une commande était utilisée, l'action devait se réaliser, sans arrêt ou marche anormale.

n. Sur mandat décerné par le Ministère public, W______ a, le 29 juin 2022, rendu un rapport d'expertise. Il a procédé à une reconstitution, le 12 mai 2022, et utilisé, à cette occasion, une télécommande et un véhicule "quasi similaires", les litigieux ayant été cédés à [la compagnie d'assurances] X______ après avoir été accidentés le 19 octobre 2020. La porte arrière du semi-remorque avait été ouverte et fermée, à plusieurs reprises. À aucun moment, lors de son ouverture, un avertissement sonore ne s'était fait entendre, ce qui témoignait d'un dysfonctionnement du signal et impliquait que, même lorsqu'une remorque devrait fonctionner "normalement", une défaillance pouvait survenir. La porte hydraulique – arrière – fonctionnait avec deux vérins protégés par des stop-chute de sorte qu'elle ne pouvait se mettre en mouvement que par une action d'un opérateur sur la commande ou par un manque éventuel d'huile hydraulique dans les vérins, ce qui relèverait d'un défaut de maintenance. Tant que la fermeture de la porte était maintenue au moyen de la radiocommande, cette dernière se refermait inexorablement. L'incident à I______ traduisait un problème de fonctionnement de la porte. Si plusieurs éléments étaient troublants, il n'était pas possible de déterminer ce qui s'était passé au moment des faits, ni si des problèmes spécifiques de la porte auraient dû être réparés par B______ SA. Les expertises précédentes n'étaient pas pertinentes pour le cas d'espèce.

Les contrôles légaux périodiques sur les véhicules ne comprenaient pas la vérification de la radiocommande, des commandes hydrauliques permettant l'ouverture et la fermeture de la porte de la remorque, de l'avertisseur sonore, ni la temporisation. Cette responsabilité incombait au propriétaire.

o. Le Ministère public a procédé à des auditions supplémentaires.

o.a. W______ a confirmé son expertise. Lors de la reconstitution, la remorque utilisée avait le même système d'ouverture et de fermeture de la porte. Faute de vidéo, il n'était pas sûr que l'avertisseur n'avait pas sonné lors de la fermeture de la porte. Il y avait trois manière d'ouvrir la porte: par des leviers à l'avant de la remorque, des boutons sur le côté et la télécommande. Il n'existait pas d'obligation de protection sur ce dernier objet. Celui querellé possédait un bandage contre les chocs mais pas de clapet de protection des boutons. Ce bandage permettait déjà, lorsque la télécommande se trouvait dans une poche, de tendre le tissu, ce qui diminuait le risque d'une activation accidentelle. Il n'y avait aucun doute sur le fait que la porte présentait un problème. Sa maintenance paraissait conforme, même s'il était surpris que l'information s'agissant de problèmes sur la porte n'était pas remontée et que "tout ça n'ait pas abouti". Ce n'était pas quelque chose qui était arrivé subitement d'un coup, mais petit à petit. Le jour des faits, la porte n'avait pas pu se refermer toute seule, mais uniquement par l'activation de la télécommande, et ce même en cas de défaut d'huile, dans la mesure où le dispositif était équipé de vérins avec stop-chute. Si l'avertisseur sonore avait fonctionné le jour des faits, l'accident aurait pu être évité. Le signal se serait mis en marche sitôt la télécommande activée et la personne aurait pu retirer sa tête ou relâcher le bouton. Il était surpris que plusieurs personnes avaient pu visionner la vidéo mais qu'elle n'avait pas été sauvegardée. Si un problème sur la porte avait été signalé, il aurait dû être procédé à un contrôle par le représentant du fabriquant. Le véhicule aurait pu continuer à être utilisé en précisant le problème aux utilisateurs. Si le temps de trois secondes observé par D______ sur la vidéosurveillance était avéré, il s'agirait d'un défaut.

o.b. Y______, mécanicien spécialisé dans les travaux hydrauliques qui accompagnait l'expert W______ lors de la reconstitution, a déclaré qu'il n'était pas possible que la porte se soit arrêtée toute seule pendant une ou deux secondes avant de repartir. Elle n'avait pas pu se refermer toute seule, à moins d'un gros défaut technique qui l'aurait empêchée de rester ouverte pour le déchargement, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Lorsqu'une pression était exercée sur le bouton de la télécommande, il y avait cinq secondes de temporisation avant que la porte ne se mette en mouvement, mais le signal sonore était activé tout de suite. A priori, il n'était pas possible que la porte ait fait un "soubresaut" ou qu'elle se soit arrêtée trois secondes, sauf si on cessait d'appuyer et qu'on pressait à nouveau sur la commande, mais la temporisation aurait alors été de cinq secondes. Si la porte s'était coincée, il y aurait eu un bruit inhabituel, ce qui aurait dissuadé quiconque d'y passer la tête. Lors de la reconstitution, il avait été discuté du fait que l'avertisseur sonore ne marchait pas. La temporisation de cinq secondes fonctionnait normalement. Les pannes aléatoires pouvaient arriver.

o.c. L______ a expliqué que le non-fonctionnement de l'avertisseur sonore était une raison d'immobilisation du véhicule. Lors de la reconstitution, ils avaient été trois à entendre le signal sonore et, à aucun moment, ils n'avaient été rendus attentifs à un dysfonctionnement le concernant. En cas de constat de défaut, le chauffeur devait faire remonter l'information à son responsable, à l'époque H______ pour A______, qui lui-même s'adressait au chef d'atelier.

o.d. A______ a ajouté que son conseil et lui n'avaient pas entendu le signal sonore lors de la reconstitution. Il ne se rappelait plus dans quelle poche était la télécommande au moment des faits mais était certain qu'il ne l'avait pas en mains.

o.e. M______ a expliqué que personne n'avait touché au casier de A______ en raison de la procédure en cours. Un jour, ce dernier s'était présenté sans autorisation pour accéder à son vestiaire et avait dit que celui-ci avait été forcé, ce qu'elle n'avait pas constaté elle-même.

o.f. U______ avait été informée, par K______, quelques temps avant l'accident, d'une panne survenue à I______. Ce dernier était parvenu à régler le problème, qui était lié aux phares, et la remorque avait fonctionné à nouveau, le jour même, voire le lendemain. Par la suite, il lui avait dit avoir eu un contact avec A______, qui lui avait affirmé que tout était en ordre. À la suite de l'accident, une enquête avait été menée. Sur la vidéosurveillance, elle avait vu A______, sur le côté du véhicule et la porte descendre gentiment. Puis, A______ avait avancé la tête et s'était retrouvé pris entre la porte et le montant arrière latéral. La porte ne s'était pas arrêtée et avait eu un "soubresaut". Les images, en noir et blanc, étaient nettes mais il n'y avait pas de son.

o.g. H______ ne se souvenait plus de ses déclarations à la police. Avec D______, ils étaient les responsables de A______. Les dysfonctionnements des véhicules étaient souvent annoncés oralement mais il pouvait y avoir des fiches qui étaient remises au chef d'atelier. Le chauffeur devant, de toute façon, passer par l'atelier, il était rare que celui-là ne s'adresse qu'à lui. Il ne se souvenait pas de problèmes annoncés par A______ depuis fin 2013. Cela semblait peu probable dès lors que le camion avait roulé tous les jours entre 2013 et 2015. Les petites pannes telles que la défaillance de l'avertisseur sonore ne lui étaient pas communiquées. Le chauffeur allait directement à l'atelier. Il n'était informé des pannes que si l'engin ne pouvait plus rouler ou s'il y avait un gros problème. Il ne se rappelait pas avoir été informé d'une perte de bois sur la route, ni d'avoir vu la vidéo de l'accident. Il n'était pas responsable desdites images.

o.h. Convoqué à plusieurs reprises par le Ministère public, R______, résidant en France, ne s'est jamais présenté.

p. À la suite de l'avis de prochaine clôture, A______ a contesté le classement annoncé par le Ministère public. Il n'a pas sollicité d'acte d'instruction supplémentaire.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public retient que l'enquête n'avait pas permis de déterminer les circonstances précises de l'accident, ni l'état du semi-remorque le jour des faits, notamment une défectuosité de la porte et de l'avertisseur sonore qui aurait entraîné l'accident, de sorte qu'aucune violation du devoir de prudence ne pouvait être reprochée aux employés de B______ SA, respectivement à la société.

La maintenance chez le fabriquant avait été effectuée régulièrement et les défauts constatés auparavant ne concernaient pas la fermeture inopinée, "toute seule", de la porte arrière. Le changement du signal sonore, le 5 mai 2015, ne suffisait pas à démontrer qu'il n'aurait pas fonctionné le jour de l'accident. En outre, compte tenu du système de vérins équipés de stop-chute et de l'absence d'une autre personne à l'avant du camion, la porte avait inévitablement été actionnée par la télécommande que A______ portait sur lui.

D. a. Dans son recours, A______ estime que le Ministère public a constaté les faits de manière inexacte et incomplète. Il existait des éléments matériels indéniables démontrant la défectuosité du véhicule et la violation fautive par B______ SA et/ou ses dirigeants de leurs devoirs de diligence, qu'il avait dénoncés. En effet, le dernier contrôle périodique du véhicule, avant l'incident, datait du 31 janvier 2013, lequel n'impliquait pas la vérification de l'ouverture de la porte, ni la présence d'un avertisseur sonore; un problème avec la porte, impliquant l'avertisseur sonore, était survenu un mois auparavant à I______; l'autre conducteur avait constaté des dysfonctionnements avec la porte et n'était pas certain que l'avertisseur fonctionnait tout le temps; le mécanicien de B______ SA savait que des problèmes d'ouverture et fermeture de cette porte survenaient aléatoirement; B______ SA avait toutefois fait le choix de ne pas réparer, ni immobiliser le véhicule; l'avertisseur sonore avait été remplacé le 5 mai 2015, après sa commande le 22 avril 2015, soit trois semaines après l'accident; le véhicule avait été utilisé de manière intensive les semaines précédant l'accident mais n'avait que peu circulé dans le mois qui avait suivi, voire pas du tout le vendredi et le lundi consécutifs à l'accident; les responsables de B______ SA ayant visionné la vidéosurveillance avaient précisé que la porte ne s'était pas fermée de manière linéaire mais avait montré un "soubresaut", preuve d'un état défectueux.

En outre, le lien de causalité entre le défaut et les lésions subies était établi, par l'expert judiciaire, selon qui la porte présentait un problème et la présence de l'avertisseur sonore aurait pu éviter l'accident. L'incident ainsi survenu ne pouvait que signifier que le signal sonore n'avait pas fonctionné, selon la reconstitution qui en avait été faite. La défectuosité de la porte avait également été confirmée par D______, qui avait précisé que la porte s'était arrêtée trois secondes et qu'une friction entre la porte et les montants avait entravé le mécanisme de fermeture.

Au surplus, la télécommande n'était pas conforme aux normes de sécurité, étant dépourvue de la protection mentionnée à l'art. 30 al. 3 de l'Ordonnance sur la prévention des accidents et des maladies professionnelles (ci-après: OPA). La pression involontaire exercée sur la télécommande en raison de sa position penchée dans l'entrebâillement de la porte était due à un défaut de sécurité du matériel.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Il n'était pas possible d'établir une quelconque responsabilité pénale dans la survenance de l'accident, ni un éventuel auteur. Pour le surplus, l'art. 102 CP ne trouvait pas application en l'espèce. En effet, au vu du système de vérins équipés de stop-chute et de l'absence d'autre personne autour du véhicule, la porte avait inévitablement été mise en mouvement par la télécommande que portait A______. La télécommande en question était équipée d'une housse de protection et les boutons étaient légèrement encastrés, comme prévu par les normes de sécurité citées par les experts.

c. B______ SA conclut, avec suite de frais et dépens, au rejet du recours. Contrairement à ce que prétendait A______, le véhicule avait régulièrement été entretenu avant l'accident, et n'était pas défectueux. La panne survenue à I______ avait été réglée et le véhicule utilisé de manière intensive après le 31 mars 2015. Le changement de l'avertisseur sonore le 5 mai 2015 ne démontrait en rien qu'il ne fonctionnait pas le jour de l'accident. J______ et K______ n'avaient fait valoir l'existence d'aucun défaut du camion, S______ n'ayant constaté qu'un problème de faux contact. Il n'avait jamais été procédé au changement de la télécommande et le véhicule était en parfait état; il n'y avait pas eu lieu de le réparer, à la suite de l'accident, et son immobilisation n'avait été requise par personne.

Par ailleurs, à aucun moment, A______ n'avait démontré que le prétendu défaut aurait été la cause de l'accident dont il avait été victime.

Elle sollicite un montant de CHF 3'891.60 TVA (8.1%) inclus, correspondant à 8h d'activité (30 minutes d'examen de la décision, 1h d'entretien avec la cliente, 6h30 de rédaction des observations) à CHF 450.- de l'heure.

d. Dans sa réplique, A______ persiste dans ses conclusions.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1, 90 al. 2 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP) (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief est rejeté.

3.             3.1. Selon l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Ces conditions doivent être interprétées à la lumière de la maxime "in dubio pro duriore", qui s'impose tant à l'autorité de poursuite qu'à l'autorité de recours durant l'instruction. Cette maxime signifie que, en principe, un classement ne peut être prononcé que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute quant à la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 146 IV 68 consid. 2.1 ; 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

À ce stade de la procédure, c'est donc l'acquittement qui doit apparaître comme l'issue la plus probable pour que le ministère public puisse prononcer un classement, ce qui signifie a contrario qu'en cas de doute, le renvoi en jugement doit être privilégié (arrêt du Tribunal fédéral 1B_24/2012 du 18 juillet 2012 consid. 2.2.2).

3.2. L'art. 125 al. 2 CP punit d'office, quiconque, par négligence, fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé.

Pour qu'il y ait négligence (art. 12 al. 3 CP), il faut que l'auteur ait, d'une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et, d'autre part, qu'il n'ait pas déployé l'attention et les efforts que l'on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir (arrêt du Tribunal fédéral 6B_170/2017 du 19 octobre 2017 consid. 2.2).

Il s'agit d'une infraction de résultat, qui suppose en général une action, mais qui, conformément à l'art. 11 al. 1 CP, peut aussi être réalisée par le fait d'un comportement passif contraire à une obligation d'agir.

Pour qu'un délit d'omission improprement dit soit réalisé, il faut que l'auteur se trouve dans une position de garant impliquant un devoir de diligence, qu'il ait omis d'accomplir un acte que lui imposait ce devoir de diligence et que cette omission soit en relation de causalité, naturelle et adéquate, avec le résultat.

3.2.1. L'auteur est dans une position de garant notamment s'il a le devoir, découlant de la loi ou d'un acte juridique, de surveiller une source de danger, qui peut être une personne, un animal ou une chose (ATF 101 IV 30 consid. 2b). Tel est notamment le cas de l'employeur ou des dirigeants d’une société (ATF 125 IV 9 consid. 2a;
122 IV 103 consid. VI.2b; 117 IV 130 consid. 2; 109 IV 15 consid. 2a), étant précisé que l'art. 102 CP prévoit une responsabilité subsidiaire de l'entreprise au cas où un crime ou un délit commis en son sein ne peut être imputé à aucune personne physique déterminée en raison d'un manque d'organisation.

3.2.2. Un comportement dépassant les limites du risque admissible viole le devoir de prudence s'il apparaît qu'au moment des faits, son auteur aurait dû, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d'autrui (ATF 136 IV 76 consid. 2.3.1). Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut se demander si une personne raisonnable dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l'auteur aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d'associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence. Pour qu'il y ait négligence, il faut par ailleurs que la violation du devoir de prudence soit fautive, c'est-à-dire que l'on puisse reprocher à l'auteur, compte tenu de ses circonstances personnelles, une inattention ou un manque d'effort blâmable (ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1063/2013 du 2 septembre 2014 consid. 3.2).

3.2.3. Un comportement est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des conditions sine qua non, c'est-à-dire si, sans lui, le résultat ne s'était pas produit (ATF 133 IV 158 consid. 6.1; 125 IV 195 consid. 2b).

Il en est la cause adéquate lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, il est propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 133 IV 158 consid. 6.1; 131 IV 145 consid. 5.1). Peu importe que le résultat soit dû à d'autres causes, notamment à l'état de la victime, à son comportement ou à celui de tiers (ATF 131 IV 145 consid. 5.2). La causalité adéquate peut toutefois être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d'un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait s'y attendre. L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener et notamment le comportement de l'auteur (ATF 135 IV 56 consid. 2.1, 134 IV 255 consid. 4.4.2; arrêts du Tribunal fédéral 6B_315/2016 du 1er novembre 2016 consid. 5 et 6B_466/2016 du 23 mars 2017 consid. 3.1).

Lorsque l'infraction est réalisée par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l'accomplissement de l'acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, évité la survenance du résultat. L'existence de la causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance. Autrement dit, elle n'est réalisée que lorsque l'acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat
(ATF 116 IV 182 consid. 4a). La causalité adéquate est donc exclue lorsque l'acte attendu n'aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu'il serait simplement possible qu'il l'eût empêché (arrêt du Tribunal fédéral 6B_468/2012 du 24 octobre 2012 consid. 2.6.).

3.3.1. En l'espèce, le recourant a été grièvement blessé lors de l'accident qui s'est produit le 31 mars 2015.

À la suite de ces faits, aucun examen n'a été réalisé sur le véhicule incriminé. Ce n'est qu'à la suite de la plainte déposée par le recourant, le 21 décembre 2016, soit plus d'un an et demi après les faits, qu'une enquête a été ouverte. Or, au vu du temps écoulé et de la revente de l'engin en question, les différents actes entrepris n'ont pas permis d'établir l'existence, au moment des faits, d'un défaut affectant le mécanisme d'ouverture et de fermeture de la porte du camion incriminé, ni a fortiori la connaissance par la hiérarchie d'un tel dysfonctionnement. L'expert mandaté par le Ministère public a en outre utilisé, pour la reconstitution des faits, un véhicule et une télécommande "quasi-similaires" à ceux en cause, de sorte que ses conclusions doivent être relativisées. Les témoignages recueillis n'ont pas non plus apporté d'éléments probants sur les points précités. D'ailleurs, l'après-midi même du jour de l'accident, le semi-remorque était à nouveau en service, sans précaution particulière.

S'agissant des problèmes évoqués par le recourant, tout au plus la procédure a-t-elle confirmé un dysfonctionnement dans l'ouverture de la porte – incident intervenu à I______ –. En raison d'humidité dans les phares, la porte était restée bloquée et n'avait pu être ouverte. Cependant, cette irrégularité a été réparée, le jour même, dans l'atelier de B______ SA. Le véhicule a d'ailleurs été utilisé, sans autre, entre cet incident, dont on ignore la date précise mais, à tout le moins, plusieurs jours avant le 31 mars 2015.

Concernant l'origine de l'accident de ce jour-là, le recourant a d'abord reproché une défaillance entraînant la mise en marche "toute seule" de la porte. Or, aucun élément au dossier ne permet d'étayer cette version, bien au contraire. D'une part, S______, autre chauffeur du camion, n'a jamais constaté un tel mouvement inopiné. D'autre part, les éléments au dossier, notamment la reconstitution et l'avis de l'expert, permettent de retenir que, dans les circonstances de l'époque, la fermeture de la porte n'a pu se produire que par la manipulation – volontaire ou non – de la télécommande se trouvant dans la poche du recourant, et non inopinément, ce que ce dernier semble finalement admettre.

De plus, rien ne permet non plus de retenir que, même à considérer l'existence de défaut sur ladite porte, celui-ci aurait été porté à la connaissance de la hiérarchie et que celle-ci n'y aurait pas remédié, contrairement à ses devoirs. Bien que le recourant explique avoir rempli plusieurs fiches afin de signaler les problèmes rencontrés sur le camion, selon lui depuis près de trois ans, ces documents n'ont pas été retrouvés et les auditions menées n'ont pas permis d'établir que la hiérarchie en avait effectivement eu connaissance.

3.3.2. S'agissant du signal sonore qui, selon l'expert, aurait permis d'éviter l'accident, là encore, l'instruction n'a pas permis de déterminer si, au moment de l'accident, celui-ci était défectueux. En effet, S______ ne pouvait affirmer "à 400% s'il [le signal] fonctionnait tout le temps". Quant aux personnes entendues, qui avaient visionné les images de vidéosurveillance avant leur destruction, aucune ne fait mention de ce point.

L'expertise judiciaire, en tant qu'elle a été réalisée sur un semi-remorque différent de celui impliqué dans l'accident, n'est pas probante pour établir la réalité d'un signal sonore lors de la fermeture de la porte incriminée. D'ailleurs, même là, les versions des personnes présentes divergent. L______ affirme que lui, ainsi que trois autres personnes, l'avaient entendu retentir, tandis que A______ et son conseil, non. Quant à l'expert, il n'est pas sûr de l'avoir entendu. Il a revanche précisé que, lors de l'ouverture de la porte, aucun avertisseur ne s'était fait entendre, ce qui impliquait que, même dans le cas d'un véhicule en état "normal" de marche, soit sans défaut constaté, un tel problème pouvait survenir. Partant, même à retenir une absence de signal sonore sur le camion incriminé le jour des faits, au vu de ce dernier constat, cette défectuosité aurait pu se produire sans que cela ne signifie, pour autant, une autre défectuosité simultanée, soit celle du dispositif même qui activerait la porte.

Il n'existe donc pas d'élément suffisant permettant de retenir que l'avertisseur sonore présentait un défaut, le jour de l'accident, ni que ce défaut avait été signalé à la hiérarchie. Le changement de cet avertisseur, peu après l'accident, n'est pas propre à démontrer quoi que ce soit, dès lors que la commande des pièces avait été passée après le 31 mars 2015. Si cet achat avait été antérieur, il aurait pu indiquer, tout au plus, un défaut préexistant, mais tel n'est pas le cas ici.

3.3.3. Dans un dernier argument, le recourant allègue que la télécommande en fonction le jour de l'accident n'était pas conforme aux normes de sécurité. Or, aucun élément au dossier ne permet d'étayer à satisfaction de droit cette affirmation.

3.3.4. Au vu de ce qui précède, la Chambre de céans ne peut que constater que l'instruction n'a pas permis de démontrer, avec une vraisemblance suffisante, que les conditions d'application de l'art. 125 CP étaient réunies et aucun autre acte d'enquête n'est susceptible d'apporter un élément complémentaire probant.

Partant, la probabilité d'un acquittement est nettement plus élevée que celle d'une condamnation.

4. Le recours doit ainsi être rejeté et l'ordonnance querellée confirmée.

5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

6. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué pour la procédure de recours (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).

7. 7.1. L'intimée, prévenue, qui obtient gain de cause, a droit à une juste indemnité pour ses frais d'avocat, conformément à l'art. 429 al. 1 let. a CPP, applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP).

7.2. Lors de la fixation de l'indemnité, le juge ne doit pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).

7.3. En l'occurrence, B______ SA conclut à l'octroi d'une indemnité de CHF 3'891.60 TVA à 8.1% incluse, correspondant à 8 heures d'activité au tarif horaire de CHF 450.-.

S'agissant d'observations déposées à la suite d'un recours concernant un dossier connu, y compris la décision querellée, une indemnité correspondant à trois heures d'activité au taux réclamé apparaît raisonnable, soit un montant total de CHF 1'468.80, TVA à 8.1% incluse. Cette indemnité sera mise à la charge de l'État (ATF 147 IV 47 consid. 4.2.5 et 4.2.6), la partie plaignante qui succombe devant l'autorité de recours n'ayant pas à supporter l'indemnité des frais de défense du prévenu lorsque la décision attaquée est une ordonnance de classement ou de non-entrée en matière (ATF 139 IV 45 consid. 1.2; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1267/2019 du 13 mars 2020 consid. 2.2.1; 6B_105/2018 du 22 août 2018 consid. 4).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.‑.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Alloue à B______ SA, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'468.80 (TVA à 8.1% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, aux parties, soit pour elles leurs conseils respectifs, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Xavier VALDES TOP, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES TOP

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24507/2016

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'405.00

Total

CHF

1'500.00